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Source :
http://www.mercatornet.com/articles/view/the_road_to_same_sex_marriage_was_paved_by_rousseau
Article extrait du n° 7847 de Présent
du Samedi 27
avril et du 4 mai 2013
traduction:
Robert Reilly
Un remarquable article sur les questions philosophiques qui
sous-tendent l’affaire du « mariage » des couples de même sexe vient
d’être publié par le site australien MercatorNet. Son auteur en est
Robert R. Reilly, ancien membre de l’administration de Reagan,
spécialiste des affaires internationales et de l’islam. Nous en
publierons notre traduction en deux parties, la première aujourd’hui,
la seconde samedi prochain.
Il s’agit de comprendre, en effet, ce qui sépare fondamentalement
les partisans et les adversaires du « mariage pour tous », et de
préciser les notions de nature et de « contre-nature » de manière à
mieux aborder les débats, les conflits et pire qui vont se multiplier
dans les mois qui viennent.
Inéluctablement, le problème des droits « gay » dépasse largement
la question des pratiques sexuelles. Il s’agit, comme l’a proclamé la
militante homosexuelle Paula Ettelbrick, de « transformer le tissu
même de la société (…) et de réaménager de manière radicale la manière
dont la société considère la réalité ».
Etant donné que notre perception de la réalité est en jeu dans ce
combat, la question suivante se pose inévitablement : quelle est la
nature de cette réalité ? Est-elle bonne pour nous, en tant qu’êtres
humains ? Correspond-elle à notre nature ? Chaque partie dans ce débat
prétend que ce qu’elle défend ou propose correspond à la nature.
Les adversaires du mariage des couples de même sexe disent qu’il
est contre-nature ; ses partisans affirment qu’il est « naturel » et
que donc ils y ont « droit ». Mais les réalités visées par chaque camp
ne sont pas seulement différentes, mais opposées : chacune est la
négation de l’autre. Que signifie véritablement le mot « nature » dans
ce contexte ? Les mots peuvent être les mêmes, mais leurs
significations sont directement contradictoires, selon leur contexte.
Il est donc d’une importance vitale de comprendre les contextes plus
larges où ils sont utilisés, et les visions plus larges de la réalité
dont ils font partie, puisque le statut et la signification du mot «
nature » seront décisifs pour la suite.
Revoyons donc brièvement comment la loi naturelle voit la « nature
» et les distinctions qu’une vue objective de la réalité nous permet
de faire par rapport à notre existence en général et à la sexualité en
particulier. Le point de départ doit être que la nature est ce qui
est, indépendamment de ce que quiconque désire ou abhorre. Nous en
faisons partie, et nous y sommes assujettis. Elle ne nous est pas
assujettie. Ainsi nous verrons comment, une fois le statut objectif de
la nature perdu ou renié, nous perdons la capacité de posséder une
quelconque véritable connaissance de nous-mêmes et de la manière dont
nous devons être en relation avec le monde. Cette discussion pourra
sembler parfois un peu décalée par rapport aux questions qui nous
préoccupent directement, mais elle ne l’est pas. Elle en est le cœur
et l’âme. Sans elle, le reste de notre discussion n’est plus qu’une
bataille d’opinions.
L’ordre de l’univers – les lois de la nature d’Aristote
Il existe deux anthropologies de base, profondément différentes,
derrière les visions de l’homme en compétition au cœur du conflit sur
le mariage des homosexuels. Pour comprendre la notion originelle de «
nature », nous nous tournerons vers ceux qui ont commencé à employer
le terme dans la Grèce classique, et plus spécialement Platon et
Aristote. Pour présenter l’antithèse de cette manière de comprendre
les choses, nous nous tournerons ensuite vers Jean-Jacques Rousseau,
qui a vidé – éviscéré – le mot de son sens traditionnel au XVIIIe
siècle et lui a donné sa connotation moderne. L’anthropologie plus
ancienne est aristotélicienne, qui affirme que l’homme est par nature
un animal politique dont l’unité de base sociétale est la famille. La
plus récente est rousseauiste, qui affirme que l’homme n’est pas un
animal politique et que la société, quelle qu’en soit la forme, lui
est fondamentalement étrangère. Ces deux anthropologies disparates
présupposent, à leur tour, deux métaphysiques radicalement différentes
: l’une est téléologique ; l’autre n’est pas téléologique, ou est
anti-téléologique. Une fois de plus, la première trouve ses racines
chez Aristote, la seconde chez Rousseau. Ces deux écoles de pensée
fournissent des perspectives philosophiques commodes et nécessaires au
sein desquelles il est possible de comprendre les utilisations des
mots « naturel » et « pas naturel » tels qu’ils sont employés
aujourd’hui de manières diverses par les partisans et les adversaires
des actes homosexuels et du mariage des homosexuels.
La découverte de la nature a été d’une très grande portée,
s’agissant du premier produit de la philosophie. L’homme a, pour la
première fois, déduit l’existence de la nature de l’observation de
l’ordre de l’univers. La régularité avec laquelle les choses se
produisent ne pouvait pas s’expliquer par une répétition due au
hasard. Toute l’activité de la nature semblait guidée par un but, par
des fins vers lesquelles les choses doivent se mouvoir. Avant cette
découverte, dans le monde ancien pré-philosophique, l’homme était
immergé dans des représentations mythologiques du monde, des dieux et
de lui-même. Ces récits mythopoétiques ne faisaient pas de distinction
entre l’homme et la nature, ou entre la convention et la nature. Un
chien remuait la queue car ainsi font les chiens. Les Egyptiens
peignaient des couleurs vives sur leurs cercueils car ainsi faisaient
les Egyptiens. Il n’y avait aucune manière de faire la différence
entre les deux car le mot « nature » n’était pas disponible dans le
vocabulaire du monde pré-philosophique.
Selon Henri Frankfort dans Avant la philosophie, c’est Héraclite
qui le premier à saisi que l’univers est un tout intelligible et que,
par conséquent, l’homme est capable d’en comprendre l’ordre. Si cela
est vrai – et seulement si c’est vrai – la quête de l’homme pour
trouver la nature de la réalité devient possible. L’idée même de «
nature » devient possible. Comment cela pouvait-il se faire ?
Héraclite disait que l’univers est intelligible parce qu’il est
gouverné par la « pensée », ou la sagesse, et qu’il en est le produit.
S’il est le produit de la pensée, alors on peut le saisir en pensant.
Nous pouvons savoir ce qu’il est parce qu’il a été fait par le logos.
Nous pouvons avoir des pensées à propos de choses qui sont elles-mêmes
le produit de la pensée.
Pour autant que nous puissions le savoir, Héraclite et Parménide
ont été les premiers à utiliser le mot logos pour nommer cette «
pensée » ou cette sagesse. Logos signifie évidemment l’intelligence
qui est derrière le tout intelligible. C’est le logos qui rend le
monde intelligible aux efforts de la philosophie, c’est-à-dire de la
raison. Dans Timée, Platon écrit : « Maintenant la vue du jour et de
la nuit, et des mois et des révolutions des ans, ont créé le nombre,
et nous ont donné une conception du temps, et le pouvoir de chercher
la nature de l’univers, et de cette source, nous avons tiré la
philosophie, et aucun plus grand bien n’a jamais été donné par les
dieux à l’homme mortel, ni ne le sera jamais. » Par la raison, disait
Socrate, l’homme peut parvenir à savoir « ce qui est », c’est-à-dire
la nature des choses.
Aristote enseignait que l’essence ou la nature d’une chose est ce
qui fait qu’elle est ce qu’elle est, et pourquoi elle n’est pas autre
chose. Il ne s’agit pas d’une tautologie. Tandis que le gland se
développe pour devenir un chêne, il n’y a aucun moment sur la
trajectoire de sa croissance qui le verra se transformer en girafe, ou
en autre chose qu’un chêne. Parce qu’il a la nature d’un chêne. En
parlant de loi naturelle, en ce qui concerne les choses vivantes, nous
voulons désigner le principe du développement qui fait d’une chose ce
qu’elle est et, si les conditions idoines sont réunies, ce qu’elle
deviendra lorsqu’elle s’accomplit ou atteint sa fin. Pour Aristote, «
La nature cherche toujours une fin. » Cet état final est son telos,
son but, ou la raison pour laquelle elle existe. Dans la création
non-humaine, ce dessein se manifeste soit par l’instinct, soit par la
loi physique. Chaque être vivant a un telos vers lequel il se meut à
dessein. Chez les plantes ou les animaux, cela n’implique aucune
volition consciente de soi. Chez l’homme, si.
Tout ce qui opère contrairement à ce principe dans une chose ne lui
est pas naturel. « Pas naturel », en ce sens, veut dire ce qui agit
contre ce qu’une chose deviendrait si elle opérait selon son principe
de développement. Par exemple, un gland deviendra un chêne sauf si ses
racines sont empoisonnées par une eau très acide. On pourrait dire que
l’eau acide n’est « pas naturelle » au chêne, ou contraire à sa «
bonté ».
Le terme « téléologique », appliqué à l’univers, implique que tout
a un but, et que ce but est intrinsèque à la structure des choses
elles-mêmes. Il y a ce qu’Aristote appelle l’« entéléchie », « avoir
sa propre fin à l’intérieur de soi-même ». Le but de la chose lui est
intrinsèque. Ces lois de la nature ne sont alors pas l’imposition de
l’ordre depuis l’extérieur par un commandant en chef, mais une
expression de l’ordre qui vient depuis l’essence même des choses, qui
ont leur propre intégrité. Cela signifie également que le monde est
compréhensible parce qu’il opère sur une base rationnelle.
C’est par leurs natures que nous pouvons savoir ce que sont les
choses. Autrement, nous n’en connaîtrions que des spécificités, sans
pouvoir reconnaître les choses selon leur genre et leur espèce. En
d’autres termes, nous aurions seulement l’expérience de ce morceau de
bois-ci (un arbre), par opposition à ce morceau de bois-là (un autre
arbre), mais nous ne connaîtrions pas le mot « arbre » ni même le mot
« bois » parce que nous ne connaîtrions l’essence ni de l’un, ni de
l’autre. En fait, nous ne connaîtrions rien.
La nature est aussi ce qui permet à une personne de reconnaître une
autre personne en tant qu’être humain. Que signifie la nature humaine
? Elle signifie que les êtres humains sont fondamentalement les mêmes
dans leur essence même, qui est immuable et, au plus profond, que
l’âme de chaque personne est ordonnée au même bien ou à la même fin
transcendants. (Cet acte de reconnaissance est le fondement de la
civilisation occidentale. Nous avons toujours, depuis, appelé barbares
ceux qui sont soit incapables de voir une autre personne comme un être
humain ou qui refusent de le faire.) Aussi bien Socrate qu’Aristote
ont dit que les âmes des hommes sont ordonnées au même bien et qu’il
existe donc un seul critère de la justice qui transcende les critères
politiques de la cité. Il ne doit pas y avoir un critère de la justice
pour les Athéniens et un autre pour les Spartiates. Il n’y a qu’une
justice et cette justice est au-dessus de l’ordre politique. Elle est
la même en tout temps, en tout lieu, pour tous.
Pour la première fois, c’est la raison qui devient l’arbitre. La
raison devient normative. C’est par la raison – et non par les dieux
de la cité – que l’homme peut discerner entre le juste et l’injuste,
entre mythe et réalité. Agir de manière raisonnable ou faire ce qui
est en accord avec la raison devient le critère du comportement moral.
On voit l’une des expressions les plus hautes de cette connaissance
dans L’Ethique à Nicomaque d’Aristote.
Comme l’a exprimé un universitaire spécialiste des classiques,
Bruce S. Thornton : « Si l’on croit, à l’instar de nombreux
philosophes grecs depuis Héraclite, que le cosmos reflète une sorte
d’ordre rationnel, alors le mot “naturel” désignerait un comportement
conforme à cet ordre. On pourrait alors agir de manière “non
naturelle” en se laissant aller à un comportement qui subvertirait cet
ordre ainsi que son but. » Se comporter conformément à la nature
signifie donc agir de manière rationnelle. De manière concomitante, se
comporter de manière non naturelle veut dire agir de manière
irrationnelle. Cette notion de la réalité exige le règne de la raison.
Raison et moralité
Tout cela concerne l’homme seul parce qu’il est le seul à posséder
le libre arbitre. Il peut choisir les moyens pour atteindre sa fin ou
choisir de contrarier sa fin en tous points. C’est évidemment pour
cela que les lois « morales » ne sont applicables qu’à l’homme. Ces
lois morales sont ce que signifie la loi naturelle par rapport à
l’homme. Que l’homme puisse défier la loi morale n’amoindrit en rien
la certitude que celle-ci continue d’opérer. En réalité, un homme ne
viole pas tant la loi que la loi ne le brise s’il la transgresse.
Bref, lorsque nous parlons de la nature de l’homme, nous signifions
l’ordonnancement de l’être humain vers certaines fins. C’est le fait
d’accomplir ces fins qui rend l’homme pleinement humain.
Quelle est la fin de l’homme ? Dans l’Apologie, Socrate dit qu’un «
homme bon à quoi que ce soit… doit seulement considérer si, en faisant
quelque chose, il fait bien ou mal – s’il joue le rôle d’un homme bon
ou mauvais… ». La République affirme que « l’idée du Bien… ne se
perçoit qu’avec effort ; et lorsqu’elle est vue, on en déduit aussi
qu’elle est l’auteur universel de toutes choses belles et justes,
parent de la lumière et seigneur de la lumière dans ce monde visible,
et source de la vérité et de la raison dans le monde intellectuel ».
Depuis Socrate, nous avons appelé la fin de l’homme « le bien ». Cette
fin porte en elle-même une suggestion de l’immortalité car, comme le
dit Diotima dans le Symposium : « L’amour aime que le bien soit
possédé pour toujours. Et donc il s’ensuit nécessairement que l’amour
est de l’immortalité. »
Le bien de l’homme, nous dit Aristote, est le bonheur. Cependant le
bonheur n’est pas ce que nous en disons, mais seulement cette chose
qui, par notre nature, nous rendra véritablement heureux. Puisque la
nature de l’homme est fondamentalement rationnelle, le bonheur
consistera en la connaissance et en la contemplation du bien ultime.
(Ce bien, nous disent les théologiens, est Dieu.) Aristote explique
que l’on n’atteint le bonheur qu’à travers des actes vertueux : la
répétition des bonnes actions. Les actions sont considérées comme
bonnes ou mauvaises, naturelles et pas naturelles, par rapport à
l’effet qu’elles produisent sur la progression d’un homme vers sa fin.
Donc, c’est par la nature que nous en venons à comprendre le bon
usage des choses. La très grande importance de cela pour le thème qui
nous préoccupe est que, puisque les fins des choses leur sont
intrinsèques, l’homme n’a pas le loisir de les inventer, mais
seulement de les découvrir par l’usage de sa raison. Il peut alors
choisir de conformer son comportement à ces fins par une vie de vertu,
ou les contrarier par une vie dans le vice. Il peut choisir de devenir
pleinement humain, ou de se déshumaniser. Cependant, s’il fait ce
dernier choix, il ne se le présentera pas en ces termes. Comme l’a dit
Aristote, il doit percevoir ce qu’il choisit comme bon s’il doit
pouvoir le choisir. S’il choisit de se rebeller contre l’ordre des
choses, il se présentera ce choix à lui-même non comme favorable au
désordre, mais comme favorable à l’ordre – mais un ordre d’une autre
sorte. Il va, comme nous l’avons dit, rationaliser : le vice devient
la vertu.
C’est vers la construction de cet autre type d’« ordre », de cette
réalité alternative, que nous allons maintenant nous tourner. L’un de
ses architectes modernes fut Rousseau.
•http://www.mercatornet.com/articles/view/the_road_to_same_sex_marriage_was_paved_by_rousseau
Article extrait du n°
7843
du Samedi 27 avril 2013
Aristote ou Rousseau ? Les fondements philosophiques du débat sur le
« mariage » pour tous (II)
Voici notre
traduction de la deuxième partie de ce texte, dont nous avons publié
la première partie samedi dernier, sous le titre : « Rousseau a pavé
le chemin du “mariag” homosexuel ».
Il s’agit de comprendre, en effet, ce qui sépare fondamentalement
les partisans et les adversaires du « mariage pour tous », et de
préciser les notions de nature et de « contre-nature » de manière à
mieux aborder les débats, les conflits et les attaques qui vont se
multiplier dans les mois qui viennent.
Après la première partie sur la philosophie classique et réaliste,
cette deuxième livraison montre comment Rousseau et les « Lumières »
ont subverti le sens du mot nature. – J.S.
L’inversion d’Aristote par Rousseau
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a mis la notion de nature selon
Aristote sens dessus dessous. Aristote disait que la nature est
définie non seulement par ce qu’est l’homme, mais par ce qu’il doit
être. Rousseau, au contraire, soutient que la nature n’est pas une fin
(une telos) mais un commencement : la fin de l’homme est son début. Il
n’a pas une nature immuable. « Nous ne savons pas ce que notre nature
nous permet d’être », écrivait Rousseau dans son Emile. Ce point de
vue a été décliné pour le XXe siècle par John Dewey qui affirmait : «
La nature humaine est de ne pas avoir de nature. » Il n’y a pas de
devenir « obligé » pour l’homme, pas d’impératif moral. Il n’y a pas
de dessein, ni pour l’homme, ni dans la nature ; par conséquent,
l’existence est dépourvue de tout principe rationnel. Cela signifie
qu’il n’y a pas d’entéléchie, rien qui ressemble au fait « d’avoir sa
propre fin en soi » comme le disait Aristote. Et même, la raison
elle-même n’est pas naturelle à l’homme, selon Rousseau – alors que
pour Aristote elle est l’essence même de l’homme. Pour Rousseau, les
racines de la raison plongent dans ce qui est irrationnel. La raison
est la servante des passions, et non de la vérité.
A l’inverse d’Aristote, Rousseau affirmait que l’homme, par nature,
n’est pas un animal social et politique doué de raison. A la
différence d’Aristote, Rousseau ne part pas de la famille, mais d’un
individu isolé à l’état de nature, où le pur « sentiment de sa propre
existence » était tel qu’« on se suffisait à soi-même, comme Dieu ».
La nature devient un substitut profane au jardin d’Eden. Mais ce dieu
satisfait de lui était asocial, amoral et pré-rationnel. Ses
accouplements avec des femmes se faisaient au hasard et ne formaient
aucun attachement durable. La famille ne lui était pas naturelle.
Comme l’écrivait Rousseau dans son Discours sur l’origine des
inégalités, « La faim, d’autres appétits lui faisant éprouver tour à
tour diverses manières d’exister, il y en eut une qui l’invita à
perpétuer son espèce ; et ce penchant aveugle, dépourvu de tout
sentiment du cœur, ne produisait qu’un acte purement animal. Le besoin
satisfait, les deux sexes ne se reconnaissaient plus, et l’enfant même
n’était plus rien à la mère sitôt qu’il pouvait se passer d’elle. »
(Rousseau, de fait, abandonna ses cinq enfants.) Le Marquis de Sade
exprima un sentiment en tous points rousseauiste dans Juliette, en
écrivant que « toutes les créatures naissent isolées et sans aucun
besoin les unes des autres ».
Ce n’est qu’au moment où, par un « accident » inexplicable, un
homme dut s’associer avec un autre, que son autonomie semblable à
celle d’un dieu prit fin. « L’homme est bon par nature », disait
Rousseau, mais d’une façon ou d’une autre nous sommes tombés de cet
état de nature. Ce que l’homme est devenu est le résultat non de la
nature mais de cet « accident », qui d’une certaine manière a
également déclenché son usage de la raison. Rousseau insiste sur le
caractère accidentel de l’association de l’homme au sein de la société
pour mettre l’accent sur son caractère non naturel et artificiel. Elle
n’était pas nécessaire. Mieux : elle n’aurait jamais dû se produire.
Aristote enseignait que l’on n’arrive pas seul à la perfection ;
l’homme a besoin de la société et de l’ordre politique pour développer
pleinement son potentiel. La polis lui est nécessaire. Rousseau
assurait au contraire que l’homme commence dans un état de perfection,
que la constitution de la société lui arrache.
Voici la manière dont Rousseau posait cette thèse dans son Discours
sur l’origine de l’inégalité : « Cet état [de nature] était le moins
sujet aux révolutions, le meilleur à l’homme, et il n’en a dû sortir
que par quelque funeste hasard qui, pour l’utilité commune, eût dû ne
jamais arriver. L’exemple des sauvages qu’on a presque tous trouvés à
ce point semble confirmer que le genre humain était fait pour y rester
toujours, que cet état est la véritable jeunesse du monde, et que tous
les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la
perfection de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce.
»
Dans le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau se faisait
fort de montrer les influences délétères de la civilisation et du «
progrès » sur l’homme, dont les « âmes ont été corrompues à mesure que
nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection ». Dans son
Rousseau, juge de Jean-Jacques, il se décrit lui-même comme ayant
affirmé le « grand principe que la nature a fait l?homme heureux et
bon, mais que la société le déprave et le rend misérable. (…) Le vice
et l?erreur, étrangers à sa constitution, s?y introduisent du dehors
et l?altèrent insensiblement ». Rousseau écrit qu’« il nous fait voir
l?espèce humaine meilleure, plus sage et plus heureuse dans sa
constitution primitive, aveugle, misérable et méchante à mesure
qu?elle s?en éloigne ».
La société résultant de ce « fatal événement » du hasard a corrompu
l’homme. C’est ce que Rousseau substitue au péché originel. Par son
association avec autrui, l’homme a perdu le sentiment auto-suffisant «
de sa propre existence ». Il a commencé à vivre par rapport à l’estime
d’autrui (amour-propre) plutôt que dans l’estime de lui-même (amour de
soi). De cette manière, l’homme a été « aliéné » de lui-même et est
devenu esclave des autres. Voilà ce que voulait dire Rousseau en
écrivant : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers. »
Nous trouvons ainsi chez Rousseau l’origine de l’idée marxiste de
l’exploitation, menée plus avant en des temps plus récents par
l’assertion existentielle de Jean-Paul Sartre : « L’enfer, c’est les
autres. » Si l’enfer, c’est les autres, alors le ciel doit être soi.
Néanmoins, Rousseau savait que l’état pré-rationnel, asocial d’un
paradisiaque isolement à l’état de nature était perdu pour toujours, à
la manière du jardin de l’Eden. Mais il pensait qu’un Etat
tout-puissant pouvait améliorer la situation de l’homme aliéné. Pour
approcher au plus près de la rédemption profane, l’homme doit abolir
ces formes d’association dépendante qui l’ont rendu esclave d’autres
hommes et toujours maintenu en dehors de lui-même. Il doit couper,
autant que faire se peut, ses relations avec les autres membres de la
société afin de pouvoir se rendre à lui-même le sentiment de son
existence. Comment faire ?
L’Etat exige une dépendance totale
Rousseau a décrit l’accomplissement de cette condition : « Chaque
personne serait alors totalement indépendante par rapport à tous les
autres hommes, et dépendrait totalement de l’Etat. » L’Etat pourrait
restaurer un simulacre de ce bien-être originel en éliminant toutes
les relations sociales subsidiaires de l’homme. En détruisant les
attaches familiales, sociales et politiques, l’Etat pourrait rendre
chaque individu dépendant de l’Etat et indépendant par rapport à
autrui. L’Etat est le véhicule permettant de rapprocher les gens afin
qu’ils puissent être séparés : une sorte d’individualisme radical
sponsorisé par l’Etat.
Le programme de Rousseau consistait à politiser totalement la
société et sa première cible fut le fondement de la société – le
premier moyen par lequel les hommes sont éloignés de cet égocentrisme
où Rousseau aimerait les voir retourner : la famille. Pour détruire la
famille, Rousseau proposait de lui enlever sa fonction première
d’éduquer ses enfants, et que cette fonction soit dévolue à l’Etat. «
L’autorité publique, en prenant la place du père et en se chargeant de
cette importante fonction, devrait acquérir ses droits en le
déchargeant de ses devoirs. » Le père est censé se consoler avec la
pensée qu’il lui reste encore quelque autorité par rapport à ses
enfants en tant que « citoyen » de l’Etat. Sa relation avec ses
enfants s’est métamorphosée en relation purement politique.
Les attaques de Rousseau contre la famille et son recours exclusif
à l’Etat comme véhicule exclusif de la rédemption de l’homme
constituent le prototype pour tous les révolutionnaires ultérieurs. Le
programme est toujours le même : la société, responsable de tous les
maux, doit être détruite. En vue de promouvoir la « fraternité »
universelle, la seule source où le mot « frère » puisse trouver son
sens – la famille – doit être éliminée. Une fois la société atomisée,
dès lors que la famille aura cessé de s’interposer entre l’individu et
l’Etat, l’Etat sera libre de transformer par la force l’individu isolé
pour en faire n’importe quel type d’« homme nouveau » que les
visionnaires révolutionnaires auront imaginé.
La famille artificielle
Nous voici donc arrivés à un moment de la plus haute signification
pour notre réflexion. Si la famille est artificielle par ses origines,
ainsi que l’affirmait Rousseau, alors elle peut être changée et
réaménagée de n’importe quelle façon qui puisse être voulue par
l’Etat, ou par autrui. Il s’agit simplement d’un glissement
conventionnel, quelque chose qui change dans un artefact culturel.
Nous pouvons modifier les relations humaines de n’importe quelle
façon. Celui qui a suffisamment de pouvoir peut faire ces
modifications à sa propre guise. Il n’y a pas de critère dans la
nature auquel il faille adhérer ou à l’aune duquel on puisse le juger.
S’il n’y a pas de nature, alors il ne peut d’aucune façon y avoir un
problème par rapport aux actes homosexuels ou au mariage des couples
de même sexe – ni avec bien d’autres choses non plus. Faire remarquer
qu’il n’a jamais rien existé dans l’histoire de comparable à un
mariage homosexuel est superflu, de ce point de vue, puisque la «
nature » de l’homme est malléable. Elle est le produit de l’histoire.
L’histoire avance et l’homme change avec elle. Ou plutôt : l’homme
peut se changer lui-même selon ses désirs, aussi longtemps qu’il a les
moyens de le faire. Puisque les choses n’ont pas leur fin en
elles-mêmes, quiconque est assez puissant pour le faire peut la leur
attribuer.
Telle est la philosophie du sophiste Calliclès dans Gorgias,
lorsqu’il dit à Socrate : « La vérité, que tu prétends chercher,
Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils
sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le
reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la
nature, ne sont que niaiseries et néant » (492c). Avec le concours de
la force, la vertu devient exactement ce que vous voulez. Il ne s’agit
pas de conformer son comportement aux fins rationnelles de la nature,
mais de conformer les choses à ses désirs. La raison devient alors
l’instrument qui permet de le faire. Pour Rousseau, l’homme est une
créature de désirs et d’appétits, auxquels sa raison est subordonnée.
L’hôte de Rousseau en Angleterre, David Hume, a écrit dans son Traité
sur la nature humaine : « La raison est, et ne devrait être davantage
que l’esclave des passions et ne doit jamais prétendre à aucun office
que de les servir et de leur obéir. » La raison n’est plus, dès lors,
le moyen par lequel l’homme atteint sa fin dans la connaissance et la
contemplation du bien. Elle est un outil pour assouvir les passions.
L’inversion d’Aristote est ainsi complète.
Lois naturelles ou droits naturels ?
Calliclès, en version contemporaine, ne s’exprimerait pas avec
autant de franchise qu’il le fait devant Socrate. Il envelopperait son
inversion de la loi naturelle du langage du « droit naturel », de
manière à ce que cela puisse paraître la même chose, tout en étant
l’exact contraire – ainsi que le fit Rousseau. Si vous êtes un
homosexuel actif, vous revendiquez un « droit » aux actes sodomites et
au mariage homosexuel. Alors que « droit naturel » sonne comme « loi
naturelle » ce n’est, comme l’a expliqué le P. James Schall, pas du
tout la même chose.
« La théorie moderne du droit naturel », écrit-il, « est une
théorie de la volonté, une volonté qui n’a pas d’autre présupposé
qu’elle-même. Dans sa version politisée, elle aura été l’alternative
la plus durable et la plus dangereuse à une loi naturelle basée sur la
réalité ontologique de ce qu’est l’homme.
« Dès lors que le droit naturel devient le fondement accepté de la
vie politique, l’Etat est libre d’y placer n’importe quel contenu,
comme il le désire, y compris la réécriture ou l’élimination de la loi
naturelle. La tradition constitutionnelle de jadis pensait que l’Etat
était, en lui-même, à la fois le résultat naturel de la nature de
l’homme et, et tant que tel, un frein pour l’Etat. Mais si l’homme n’a
pas de “nature”, il est libéré de cette contrainte. Le droit naturel
moderne signifie que rien ne limite l’homme ou l’Etat, si ce n’est ce
que l’homme veut. Il peut vouloir toute chose qu’il est capable de
faire arriver, qu’elle soit tenue ou non pour contraire à la loi
naturelle. »
Ce qui se joue actuellement dans la bataille du mariage des couples
de même sexe n’est rien de moins que cela.
Sans parler directement de Calliclès ou de Rousseau, celui qui
était alors le cardinal Joseph Ratzinger a dit dans Le sel de la terre
quelque chose qui caractérise cette école de pensée : « L’idée que la
“nature” a quelque chose à dire n’est plus admissible ; l’homme doit
disposer de la liberté de se remodeler à volonté. Il doit être libéré
de toutes les données antérieures de son essence. Il fait de lui-même
ce qu’il veut, et c’est seulement de cette manière qu’il est
véritablement “libre” et libéré. Derrière cette approche se trouve une
rébellion de la part de l’homme contre les limites qui sont les
siennes en tant qu’être biologique. A la fin, c’est une révolte contre
notre état de créatures – une édition moderne, nouvelle, des
tentatives immémoriales d’être Dieu, d’être comme Dieu. »
Voilà la perspective anthropologique et métaphysique au sein de
laquelle le mouvement en faveur du mariage des couples de même sexe
argumente son cas. Accepter le mariage des couples de même sexe
revient à accepter l’ensemble de la perspective d’où elle émane, y
compris l’assertion selon laquelle « la nature humaine est de ne pas
avoir de nature ». Mais la nature humaine n’est rien d’autre que ce
qui fait que l’on est un être humain. Rejeter cela, c’est nier
l’humanité, nier ce qui est.
Robert Reilly
Source : http://www.mercatornet.com/articles/view/the_road_to_same_sex_marriage_was_paved_by_rousseau
Article extrait du n° 7847
du Samedi 4 mai 2013
hcq
...encore
une vision rationnelle et non relationnelle systémique
à
quand
de ce
qui EsT reconnu par moi ....à....
ce qui NOUS EST donné ..IcI et Maintenant
?
UNE Carte n'EST pas le territoire
KORZYNSKI :
La sémantique générale ou logique non-aristotélienne : une nouvelle vision de
l'humain ...
de la réalité holistique
EN
homme
- femme ... l'altérité fondatrice
EN
autopoïèse
EN
?

----- Original Message -----
To: enfants et petits-enfants
Sent: Saturday, May 04, 2013 1:10 PM
Subject: " intelligence sensitive intégrative "
c'est en recherchant sur les termes "
intelligence sensitive intégrative " que je viens de découvrir :
____________________________________________________
quel pourcentage d'intégration de
relationnalité "rationnel-pragmatique-esthétique" dans l'évolution
d'un être ... d'un couple ...d'une société .???
encore une vision...inter-relationnelle
..... trinitaire
.
à l'occasion j'ai trouvé cette
formulation pour Weltanschauungen : "modes d' appréhension de la
réalité ..".
NB: "appréhension " ==== relation de
saisir par l'esprit ( confiance >> incarnation) ..ou ... relation
de rejeter par l'esprit ... ( défiance >>.occultation ) ?????
_______________________________
Systems Intelligence ....
au passage :
The principal features of a system for us ( NOUS
interrelationnel) are:
−
A system is characterized by the interconnections of its
elements, as well as the internal
nature of those elements.
−
A system has generative power. It produces effects beyond the
modes and functionalities of
its elements.
−
A system has primacy over its elements while at the same time
the elements influence the
system.
−
A system has emergent features, not reducible to the features of
its elements.
...MERCI .....
NB : ... et ceci devrait nous aider à pouvoir différencier
les différents " modes d' appréhension de la réalité ..". ...à
savoir les modes (Systèmes ) visant de fausses Grandeurs ...la
Grandeur que je reconnait être MA Grandeur ( individuelle ou
collective.)... Systèmes se nourrissant des autres
...concurrents entropiques <<<< >>>> de ceux visant la vraie
Grandeur ... la Grandeur EN venir-de-venir à partir de ce qui
NOUS EST DONNE ...ICI ET MAINTENANT ... ...systèmes se
nourrissant réciproquement ...concourants néguentropiques
__________________________________
vient parallèlement de trouver hier un article dans Présent
à demain peut-être ... sur la voie de la vérité de la vie ...?
RP ...nous vous embrassons