Un des chimistes contemporains qui a mis en oeuvre les 
        méthodes scientifiques les plus minutieuses et les plus systématiques, 
        M. Urbain, n'a pas hésité à nier la pérennité des méthodes les 
        meilleures. Pour lui, il n'y a pas de méthode de recherche qui ne 
        finisse par perdre sa fécondité première. Il arrive toujours une heure 
        où l'on n'a plus intérêt à chercher le nouveau sur les traces de 
        l'ancien, où l'esprit scientifique ne peut progresser qu'en créant des 
        méthodes nouvelles. Les concepts scientifiques eux-mêmes peuvent perdre 
        leur universalité. Comme le dit M. Jean Perrin "Tout concept finit par 
        perdre son utilité, sa signification même, quand on s écarte de plus en 
        plus des conditions expérimentales où il a été formulé". Les concepts et 
        les méthodes, tout est fonction du domaine d'expérience ; toute la 
        pensée scientifique doit changer devant une 
        expérience nouvelle ; un discours sur la méthode scientifique 
        sera toujours un discours de circonstance, il ne décrira pas une 
        constitution définitive de l'esprit scientifique. 
        
        Cette mobilité des saines méthodes doit être inscrite à 
        la base même de toute psychologie de l'esprit scientifique car l'esprit 
        scientifique est strictement contemporain de la méthode explicitée. Il 
        ne faut rien confier aux habitudes quand on observe. La méthode fait 
        corps avec son application. Même sur le plan de la pensée pure, la 
        réflexion sur la méthode doit rester active. Comme le dit très bien M. 
        Dupréel 2 "une vérité démontrée demeure constamment soutenue non sur 
        son évidence propre, mais sur sa démonstration".
        
        
        
        Nous en arrivons alors à nous demander si la psychologie 
        de l'esprit scientifique n'est pas purement et simplement une 
        méthodologie consciente. La véritable psychologie de l'esprit 
        scientifique serait ainsi bien près d'être une psychologie normative, 
        une pédagogie en rupture avec la connaissance usuelle. D'une manière 
        plus positive, on saisira l'essence de la psychologie de l'esprit 
        scientifique dans la réflexion par laquelle les lois découvertes dans 
        l'expérience sont pensées sous forme de règles aptes à découvrir des 
        faits nouveaux. C est ainsi que les lois se coordonnent et que la 
        déduction intervient dans les sciences inductives. Au fur et à mesure 
        que les connaissances s'accumulent, elles tiennent moins de place, car 
        il s'agit vraiment de connaissance scientifique et non d'érudition 
        empirique, c'est toujours en tant que méthode confirmée qu'est pensée 
        l'expérience. Ce caractère normatif est naturellement plus visible dans 
        la psychologie du mathématicien qui ne pense réellement que le correct, 
        en posant une différence psychologique fondamentale entre connaissance 
        entrevue et connaissance prouvée. Mais on en sent l'intervention dans la 
        conception essentiellement organique des phénomènes qui incruste la 
        pensée logique dans le Monde. De toute manière, dans les essais 
        expérimentaux, on commence par ce qu'on croit logique. Dès lors un échec 
        expérimental, c'est tôt ou tard un changement de logique, un changement 
        profond de la connaissance. Tout ce qui était emmagasiné dans la mémoire 
        doit se réorganiser en même temps que la charpente mathématique de la 
        science. Il y a endosmose de la psychologie mathématique et de la 
        psychologie expérimentale. Peu à peu, l'expérience reçoit les 
        dialectiques de la pensée mathématique ; l'évolution méthodologique joue 
        exactement autour des articulations des divers thèmes mathématiques.
        
        
        Y a-t-il cependant, d'un point de vue tout à fait 
        général, des méthodes de pensée fondamentales qui échapperaient à 
        l'usure dont parle M. Urbain ? Il ne le semble pas si l'on veut bien, 
        pour en juger, se placer systématiquement sur le domaine de la recherche 
        objective, dans cette zone où l'assimilation de l'irrationnel par la 
        raison ne va pas sans une réorganisation réciproque du domaine 
        rationnel. Ainsi, on a dit souvent que la pensée du laboratoire ne 
        suivait nullement les prescriptions de Bacon ou de Stuart Mill. On peut, 
        croyons-nous, aller plus loin et mettre en doute l'efficacité des 
        conseils cartésiens.
        
 
        
        On doit en effet se rendre compte que la base de la 
        pensée objective chez Descartes est trop étroite pour expliquer les 
        phénomènes physiques. La méthode cartésienne est réductive, elle n'est 
        point inductive. Une telle réduction fausse l'analyse et entrave le 
        développement extensif de la pensée objective. Or il n'y a pas de pensée 
        objective, pas d'objectivation, sans cette extension. Comme nous le 
        montrerons, la méthode cartésienne qui réussit si bien à expliquer le 
        Monde, n'arrive pas à compliquer l'expérience, ce qui est la vraie 
        fonction de la recherche objective. 
        
        De quel droit d'abord suppose-t-on la séparation initiale 
        des natures simples ? Pour ne donner qu'un exemple d'autant plus décisif 
        qu'il touche des entités plus générales, rappelons que la séparation de 
        la figure et du mouvement est objectivement abusive dans le règne de la 
        microphysique. C'est ce que souligne M. Louis de Broglie 3 : " Au début 
        du développement de la science moderne, Descartes disait qu'on devait 
        s'efforcer d'expliquer les phénomènes naturels par figures et par 
        mouvements. Les relations d'incertitude expriment précisément qu'une 
        telle description en toute rigueur est impossible puisqu'on ne peut 
        jamais connaître à la fois la figure et le mouvement". Ainsi les 
        relations d'incertitude doivent être interprétées comme des obstacles à 
        l'analyse absolue. Autrement dit, les notions de base doivent être 
        saisies dans leurs relations exactement de la même manière que les 
        objets mathématiques doivent recevoir leur définition réelle dans leur 
        liaison par un postulat. Les parallèles existent après, non pas avant, 
        le postulat d'Euclide. La forme étendue. de l'objet microphysique existe 
        après, non pas avant, la méthode de détection géométrique. C'est 
        toujours la même définition méthodologique qui domine : "Dis-moi comment 
        l'on te cherche, je te dirai qui tu es "D'une manière générale, le 
        simple est toujours le simplifié ; il ne saurait être pensé correctement 
        qu'en tant qu'il apparaît comme le produit d'un processus de 
        simplification. Si l'on ne veut pas faire ce difficile renversement 
        épistémologique, on méconnaît la direction exacte de la mathématisation 
        de l'expérience. 
        
        
        
        
        A plusieurs reprises, au cours de ce petit livre, aussi 
        bien à l'origine de l'optique qu'à la base de la mécanique, nous avons 
        vu poindre l'idée de la complexité essentielle des phénomènes 
        élémentaires de la microphysique contemporaine. Alors que la science 
        d'inspiration cartésienne faisait très logiquement du complexe avec du 
        simple, la pensée scientifique contemporaine essaie de lire le complexe 
        réel sous l'apparence simple fournie par des phénomènes compensés ; elle 
        s'efforce de trouver le pluralisme sous l'identité, d'imaginer des 
        occasions de rompre l'identité par-delà l'expérience immédiate trop tôt 
        résumée dans un aspect d'ensemble. Ces occasions ne se présentent point 
        d'elles-mêmes, elles ne se trouvent pas à la ,surface de l'être, dans 
        les modes, dans le pittoresque d'une nature désordonnée et chatoyante. 
        Il faut aller les lire au sein de la substance , dans la contexture des 
        attributs. C'est une activité strictement nouménale qui détermine la 
        recherche du microphénomène. 
        
        
        
        
        Quel effort de pensée pure, quelle foi dans le réalisme 
        algébrique il a fallu pour associer le mouvement et l'étendue, l'espace 
        et le temps, la matière et le rayonnement . Alors que Descartes pouvait 
        nier en même temps la diversité primitive de la matière et la diversité 
        primitive des mouvements, voici qu'en associant simplement la matière 
        fine et le mouvement rapide dans un choc, on a immédiatement des 
        occasions de diversité fondamentale : des qualités, des couleurs, de la 
        chaleur, des radiations diverses se créent sur les seuls degrés du choc 
        quantifié. La matière n'est plus un simple obstacle qui renvoie le 
        mouvement. Elle le transforme et se transforme. Plus le grain de matière 
        est petit, plus il a de réalité substantielle ; en diminuant de volume, 
        la matière s'approfondit. 
        
        
        
        
        Dès lors, pour bien juger de cette réalité fine, la 
        pensée théorique a besoin, plus encore que la pensée expérimentale, de 
        jugements synthétiques a priori. C'est pourquoi le phénomène de la 
        microphysique doit être conçu de plus en plus organique, dans une 
        coopération profonde des notions fondamentales. Nous l'avons vu, la 
        tâche à laquelle s'efforce la physique contemporaine est la synthèse de 
        la matière et du rayonnement. Cette synthèse physique est sous-tendue 
        par la synthèse métaphysique de la chose et du mouvement. Elle 
        correspond au jugement synthétique le plus difficile à formuler car ce 
        jugement s'oppose violemment aux habitudes analytiques de expérience 
        usuelle qui divise sans discussion la phénoménologie en deux domaines : 
        le phénomène statique (la chose), le phénomène dynamique (le mouvement). 
        Il faut restituer au phénomène toutes ses solidarités et d'abord rompre 
        avec notre concept de repos . en microphysique, c'est absurde de 
        supposer la matière au repos puisqu'elle n'existe pour nous que comme 
        énergie et qu'elle ne nous envoie de message que par le rayonnement. 
        Qu'est-ce alors qu'une chose qu'on n'examinerait jamais dans 
        l'immobilité ? On devra donc saisir tous les éléments du calcul dans la 
        gémination du lieu et du mouvement, par l'algèbre des deux variables 
        conjuguées relatives l'une à la place, l'autre à la vitesse. Sans doute 
        l'union de ces deux variables est encore guidée par l'intuition usuelle 
        ; on pourrait donc croire que c'est là une composition de deux notions 
        simples. On sera moins confiant dans cette simplicité si l'on suit le 
        progrès de la Physique mathématique sur ce point particulier. On ne 
        tardera pas à reconnaître que les variables conjuguées se présentent 
        d'une manière essentiellement indirecte et que le moment cinétique cesse 
        bientôt de correspondre à l'intuition première. On tire en effet les 
        paramètres qui déterminent les phénomènes d'une expression mathématique 
        générale. On substitue donc à la description usuelle et concrète une 
        description mathématique et abstraite. Cette description mathématique 
        n'est pas claire par ses éléments, elle n'est claire que dans son 
        achèvement par une sorte de conscience de sa valeur synthétique. Ainsi, 
        en parlant d'une épistémologie non-cartésienne, ce n'est sur la 
        condamnation des thèses de la physique cartésienne, ou même sur la 
        condamnation du mécanisme dont l'esprit restait cartésien, que nous 
        prétendons insister, mais bien sur une condamnation de la doctrine 
        des natures simples et absolues. Avec le nouvel esprit scientifique, 
        c'est tout le problème de l'intuition qui se trouve bouleversé. En effet 
        cette intuition ne saurait désormais être primitive, elle est précédée 
        par une étude discursive qui réalise une sorte de dualité fondamentale. 
        Toutes les notions de base peuvent en quelque manière être dédoublées ; 
        elles peuvent être bordées par des notions complémentaires. Désormais 
        toute intuition procédera d'un choix ; il y aura donc une sorte 
        d'ambiguïté essentielle à la base de la description scientifique et le 
        caractère immédiat de l'évidence cartésienne sera troublé. Non seulement 
        Descartes croit à l'existence d'éléments absolus dans le monde objectif, 
        mais encore il pense que ces éléments absolus sont connus dans leur 
        totalité et directement. C'est à leur niveau que l'évidence est la plus 
        claire. L'évidence y est entière précisément parce que les éléments 
        simples sont indivisibles. On les voit tout entiers parce qu'on les voit 
        séparés. De même que l'idée claire et distincte est totalement dégagée 
        du doute, la nature de l'objet simple est totalement séparée des 
        relations avec d'autres objets. Rien de plus anticartésien que la lente 
        modification spirituelle qu'imposent les approximations successives de 
        l'expérience, surtout quand les approximations plus poussées révèlent 
        des richesses organiques méconnues par l'information première. C'est le 
        cas, répétons-le, pour la conception einsteinienne dont la richesse et 
        la valeur complexe font soudain apparaître la pauvreté de la conception 
        newtonienne. C'est le cas aussi pour la mécanique ondulatoire de M. 
        Louis de Broglie qui complète dans toute la force du terme la mécanique 
        classique et la mécanique relativiste elle-même. 
        
        
        
        Mais supposons avec Descartes les éléments du réel 
        vraiment donnés dans leur intégrité ; peut-on du moins dire que la 
        construction cartésienne qui les unit suive une forme réellement 
        synthétique ? Il nous semble plutôt que l'inspiration cartésienne reste 
        analytique dans cette construction même, car, pour Descartes, la 
        construction ne reste claire que si elle s'accompagne d'une sorte de 
        conscience de la destruction. En effet, on nous conseille de 
        toujours relire le simple sous le multiple, de toujours dénombrer les 
        éléments de la composition. Jamais une idée composée ne sera saisie 
        dans sa valeur de synthèse. On n'aura jamais égard au réalisme de la 
        composition , à la force de l'émergence. Loin d'accepter, par exemple, 
        le complexe d'énergie, on ira, contre l'intuition sensible elle-même, 
        jusqu'aux réductions ultimes de l'intuition intellectuelle. Ainsi on 
        n'acceptera pas même comme primitif le caractère curviligne de la 
        trajectoire. Le seul mouvement vrai sera le seul mouvement clair, le 
        mouvement simple, rectiligne, uniforme. Le long du plan incliné, on ne 
        supposera pas une variation continue de la vitesse parce que les 
        vitesses doivent se présenter sous forme de natures séparées, comme les 
        éléments simples et distincts d'une chute bien définie. 
        
        
        
        
        Qu'on mette alors une fois de plus en regard de cette 
        épistémologie cartésienne l'idéal de complexité de la science 
        contemporaine ; qu'on se rappelle les multiples réactions du nouvel 
        esprit scientifique contre la pensée asyntaxique ! La science 
        contemporaine se fonde sur une synthèse première ; elle réalise à sa 
        base le complexe géométrie-mécanique-électricité ; elle s'expose dans 
        l'espace-temps ; elle multiplie ses corps de postulats ; elle place la 
        clarté dans la combinaison épistémologique , non dans la méditation 
        séparée des objets combinés. Autrement dit, elle substitue à la clarté 
        en soi une sorte de clarté opératoire. Loin que ce soit être qui 
        illustre la relation , c'est la relation qui illumine l'être. 
        
        
        
        Bien entendu le non-cartésianisme de l'épistémologie 
        contemporaine ne saurait nous faire méconnaître l'importance de la 
        pensée cartésienne, pas plus que le non-euclidisme ne peut nous faire 
        méconnaître l'organisation de la pensée euclidienne. Mais ces exemples 
        différents d'organisation doivent suggérer une organisation bien 
        générale de la pensée avide de totalité. Le caractère de " 
        complétude " doit passer d'une question de fait a une question de droit. 
        Et c'est ici que la conscience de la totalité est obtenue par de tout 
        autres procédés que les moyens mnémotechniques du dénombrement complet.
        Pour la science contemporaine, ce n'est pas la mémoire qui s'exerce 
        dans le dénombrement des idées, c'est la raison. Il ne s'agit pas de 
        recenser des richesses, mais d'actualiser une méthode d enrichissement. 
        Il faut sans cesse prendre conscience du caractère complet de la 
        connaissance, guetter les occasions d'extension, poursuivre toutes les 
        dialectiques. A propos d , un phénomène particulier, on veut être sûr 
        d'avoir énuméré toutes les variables. Quand on veut ainsi dégager tous 
        les degrés de liberté d'un système, c'est évidemment à la raison qu'on 
        s'adresse, et non pas à l'expérience acquise pour savoir si rien n'a été 
        oublié. On appréhende des manques de perspicacité dans l'intuition 
        première. On craint des oublis de la raison ; il va de soi qu'un 
        physicien ou un mathématicien ne commet pas des erreurs de mémoire. 
        
        
        
        
        Quand on a ainsi parcouru cette perspective théorique, on 
        peut conclure que la méthode de la preuve expérimentale ne voit dans le 
        simple que le résultat d'une simplification, qu'un choix, qu'un exemple, 
        autant de nuances qui présupposent une extension de pensée hors du fait 
        unique, hors de l'idée unique, hors de l'axiome unique. La clarté d'une 
        intuition est obtenue d'une manière discursive , par un éclairement 
        progressif, en faisant fonctionner les notions, en variant les exemples. 
        C'est encore un point que M. Dupréel a bien mis en lumière 4 ". Si un 
        acte de mon esprit pose une vérité simple, un second acte est 
        indispensable pour que je m'en rende compte. Il suffit de généraliser 
        cette remarque pour dénoncer l'erreur de ceux qui croient que des 
        vérités nécessaires et inconditionnelles , dûment tenues pour telles, 
        peuvent être posées par un acte de pensée qui se suffit à lui-même, et 
        en même temps servir a quelque usage. Un axiome étant posé il faut 
        toujours un second acte pour en affirmer une application quelconque, 
        c'est-à-dire pour reconnaître les circonstances où cet axiome peut être 
        invoqué. Comment Descartes et tous les défenseurs de la nécessité en 
        soi n'aperçoivent-ils pas que le moment décisif n'est pas celui où l on 
        fixe au mur un crochet, que l'on fait aussi solide qu'on veut, mais 
        celui où l'on y accroche le premier anneau de la chaîne des déductions ? 
        Quelque irréfutable que soit votre cogito, je vous attends au moment 
        d'en conclure quelque chose". On ne peut montrer plus nettement le 
        caractère discursif de la clarté, la synonymie de l'évidence et de 
        l'application variée. Quand on voudra mesurer la valeur 
        épistémologique d'une idée fondamentale, c'est toujours du côté de 
        l'induction et de la synthèse qu'il faudra se tourner. On verra 
        alors l'importance du mouvement dialectique qui fait trouver des 
        variations sous l'identique et qui éclaire vraiment la pensée première 
        en la complétant.
        
        
        Si l'on nous accorde un instant que les règles cartésiennes pour la 
        direction de l'esprit ne correspondent plus aux multiples exigences de 
        la recherche scientifique tant théorique qu'expérimentale, on ne 
        manquera pas cependant de nous objecter que règles et conseils 
        gardent sans doute une valeur pédagogique. Mais ici encore il nous 
        faut insister sur la rupture entre le véritable esprit scientifique 
        moderne et le simple esprit d'ordre et de classification. Il faut 
        également bien distinguer l'esprit scientifique régulier qui anime le 
        laboratoire de recherches et l'esprit scientifique séculier qui trouve 
        ses disciples dans le monde des philosophes. Ainsi, s'il s'agit 
        d'enseigner l'ordre dans les notes, la clarté dans l'exposé, la 
        distinction dans les concepts, la sécurité dans les inventaires, nulle 
        leçon n'est plus fructueuse que la leçon cartésienne. Elle suffit 
        amplement à instruire cet esprit de méthode ponctuelle et objective qui 
        donne à toute taxologie (historique et littéraire) le droit au ton 
        dogmatique, dans le temps même où les sciences mathématiques et 
        physiques s'expriment avec une prudence accrue. Au surplus, on ne 
        conçoit guère qu'un physicien fasse une faute contre les règles de 
        Descartes. En réalité, aucune des rectifications qui marquent les 
        grandes révolutions scientifiques de la Physique contemporaine me 
        résulte de la correction d'une erreur relative aux règles cartésiennes.
        
        
        
        On sent bien d'ailleurs que ces règles n'ont plus, dans 
        la culture moderne, aucune valeur dramatique. En fait, il n'y a pas un 
        lecteur sur cent pour lequel le Discours soit un événement intellectuel 
        personnel. Qu'on dépouille alors le Discours de son charme historique, 
        qu'on oublie son ton si attachant d'abstraction innocente et première, 
        et il apparaîtra au niveau du bon sens, comme une règle de vie 
        intellectuelle dogmatique et paisible. Pour un physicien, ce sont là 
        conseils qui vont de soi ; ils ne correspondent pas aux précautions 
        multiples que réclame une mesure précise ; ils ne répondent pas à 
        l'anxiété de la science contemporaine. Des vues aussi simples 
        écarteraient plutôt tout recours aux paradoxes si utiles à susciter , 
        même dans l'enseignement élémentaire. Ainsi, d'après l'expérience qu'a 
        pu nous fournir l'enseignement élémentaire de la Physique et de la 
        Philosophie, on ne réussit pas à intéresser de jeunes esprits à la 
        méthode cartésienne. A cette crise réelle et utile de l'évolution 
        intellectuelle humaine ne correspond plus une crise réelle de la culture 
        intellectuelle. 
        
        
        
        
        Le doute cartésien lui-même qui devrait être le point 
        de départ de toute pédagogie de la métaphysique n'est pas commode à 
        enseigner. Comme le dit M. Walter Frost 5 : c'est une attitude 
        vraiment trop solennelle - eine sehr feierliche Gebärde. Il est bien 
        difficile d'y maintenir un jeune esprit assez longtemps pour qu'il en 
        pénètre la valeur. La suspension du jugement avant la preuve 
        scientifique objective qui caractérise l'esprit scientifique la 
        conscience claire du sens axiomatique des principes mathématiques qui 
        caractérise l'esprit mathématique correspondent à un doute moins général 
        mais dont la fonction est, par cela même, plus nette et plus durable que 
        le doute cartésien. Du point de vue psychologique ce doute préalable, 
        inscrit au seuil même de toute recherche scientifique, est donc d'un 
        usage renouvelé. Il constitue un trait essentiel et non plus provisoire 
        de la structure de l'esprit scientifique.
        
        
        
        
        Mais il nous faut quitter ces généralités su r les 
        méthodes et essayer de montrer sur quelques problèmes scientifiques 
        précis les nouvelles relations épistémologiques des idées simples et des 
        idées composées. 
        
        En réalité, il n'y a pas de phénomènes simples ; le 
        phénomène est un tissu de relations. Il n'y a pas de nature simple de 
        substance simple ; la substance est une contexture d'attributs. Il n'y a 
        pas d'idée simple, parce qu'une idée simple, comme l'a bien vu M. 
        Dupréel, doit être insérée, pour être comprise dans un système complexe 
        de pensées et d'expériences. L'application est complication. Les 
        idées simples sont des hypothèses de travail, des concepts de travail 
        qui devront être révisés pour recevoir leur juste rôle épistémologique. 
        Les idées simples ne sont point la base définitive de la connaissance ; 
        elles apparaîtront par la suite dans un tout autre aspect quand on les 
        placera dans une perspective de simplification à partir des idées 
        complètes. Rien de plus instructif pour saisir la dialectique du simple 
        et du complet que de considérer les recherches expérimentales et 
        théoriques sur la structure des spectres et la structure des atomes. On 
        trouve là une mine quasi inépuisable de paradoxes épistémologiques. Par 
        exemple, on peut dire qu'un atome qui possède plusieurs électrons est, 
        par certains côtés, plus simple qu'un atome qui n'en possède qu'un seul, 
        la totalité étant plus organique dans une organisation plus complexe. On 
        peut voir aussi apparaître ce curieux concept de dégénérescence 
        physico-mathématique qui replace le phénomène simple et dégénéré sous 
        son vrai jour. Essayons donc de décrire ce retournement de la 
        perspective épistémologique. 
        
        On sait que le premier spectre qu'on ait réussi à 
        débrouiller fut le spectre de l'Hydrogène. C'est d'abord dans ce spectre 
        qu'apparut le plus nettement le groupement des raies en série ; c'est 
        aussi sur ce spectre que fut trouvée la première formule spectrale, 
        celle de Balmer. En ce qui concerne l'atome d'Hydrogène lui-même , on 
        arriva également à des conclusions qui présentaient cet atome comme 
        d'une grande simplicité : il était constitué par un électron en 
        révolution autour d'un proton. Ainsi, on prend comme point de départ une 
        double affirmation de simplicité :
        
        
        1° La formule mathématique du spectre d'hydrogène est 
        simple ; 
        
        2° La figure qui correspond à l'intuition première est 
        simple 
        
        On essaie ensuite de comprendre les atomes plus 
        compliqués en partant des connaissances fournies par l'atome 
        d'Hydrogène. Ces connaissances constituent donc une sorte de 
        phénoménologie de travail. On suit bien ici l'idéal cartésien classique. 
        Voyons au double point de vue mathématique et intuitif le progrès des 
        formules et des images vers la complexité. 
        
        D'abord, en ce qui concerne les formules mathématiques, 
        on s'aperçoit, qu'à un coefficient numérique près, on peut retrouver sur 
        les spectres des autres éléments chimiques la formule de Balmer relative 
        au spectre de l'hydrogène. Ce coefficient n'est autre que le carré du 
        nombre atomique. Comme ce nombre atomique est l'unité dans le cas de 
        l'hydrogène, on s'explique tout de suite qu'il n'ait pas été explicité 
        dans la première formule de Balmer. Cette formule, étendue ainsi à tous 
        les corps, connaît donc une ère de parfaite généralité : elle est la loi 
        à la fois simple et générale des phénomènes spectraux. 
        
        A vrai dire, les progrès dans les mesures spectroscopiques conduisent à 
        rectifier peu à peu les divers paramètres de la formule. Ces retouches 
        troublent la belle simplicité de la mathématique première. Mais comme 
        les rectifications par des adjonctions plus ou moins empiriques 
        paraissent laisser aux diverses fonctions leur rôle respectif, on peut 
        encore réserver l'allure en quelque sorte rationnelle de la formule. On 
        croit ainsi rendre compte en détail des faits expérimentaux en les 
        décrivant comme des perturbations autour d'une loi générale. La pensée 
        scientifique reste longtemps à ce stade du complexe pris comme anonyme 
        de perturbé . une telle pensée se développe en deux temps : effort pour 
        déterminer une loi, étude moins anxieuse des perturbations à la loi. 
        C'est là un trait fondamental qui caractérise toute une structure 
        psychologique. En effet, cette dichotomie du clair et de l'inextricable, 
        du légal et de l'irrégulier devient, sans grande discussion, la 
        dichotomie du rationnel et de l'irrationnel. Elle dessine les bornes qui 
        séparent le courage et la lassitude intellectuels. N'a-t-on pas assez 
        travaillé quand on a dégagé les grandes lignes du phénomène ? 
        Qu'importent les nuances, les détails, les fluctuations ? Ne suffit-il 
        pas, pour les "comprendre" à partir de la loi, de les rejeter en marge 
        de la loi ? Curieuse dialectique Curieux repos. 
         
        
        Mais si grande est la tentation de la clarté rapide qu'on 
        s'acharne parfois à suivre un schéma théorique sans rapport avec le 
        phénomène. Ainsi le vent étire longtemps sans l'arracher l'animal 
        fabuleux dessiné dans le nuage par une intuition première, mais il 
        suffit que notre rêverie s'interrompe pour que la forme entrevue 
        apparaisse méconnaissable. A force de perturbations, il vient un temps 
        où il est nécessaire de reprendre le dessin d'un phénomène complexe en 
        suivant de nouveaux axes. C'est précisément ce qui arrivera dans la 
        classification mathématique des termes spectroscopiques où les matrices 
        apporteront un thème d'ordre beaucoup plus adéquat à la multiplicité des 
        termes. Nous reviendrons dans un instant sur le caractère complexe de la 
        mathématique atomique. Notons d'abord, à propos des " modèles 
        "atomiques, la même évolution du problème de la complexité. 
        
        Ce qui se passe pour les formules mathématiques arrive aussi pour les 
        images qui les illustrent. La encore on retrouve la même hiérarchie 
        primitive des trajectoires simples et des trajectoires perturbées. Mais 
        comme de ce côté les mécomptes ne tardent guère puisque l'atome d'hélium 
        pourtant bien simple avec ses deux électrons et son noyau soulève des 
        difficultés insolubles, on dirigera les études vers les phénomènes 
        spectroscopiques relatifs à certains éléments, soit normaux, soit 
        ionisés ; on y cherchera le caractère hydrogénoïde. On retrouve ainsi 
        dans le spectre de l'hélium ionisé, dans celui des métaux alcalins, dans 
        celui des métaux alcalino-terreux ionisés, des formules du type de 
        Balmer et l'on infère la même image fondamentale constituée par un noyau 
        plus ou moins complexe autour duquel se déplace un électron isolé. Tous 
        les phénomènes optiques de l'atome se rangent sous la dépendance presque 
        exclusive de cet électron extérieur. Triomphe de la similitude des 
        images fondamentales où la simplicité retrouvée désignerait une loi 
        vraiment générale ! 
        
        
        
        Mais voici la réaction du complexe : non seulement on a 
        tort de rechercher plus ou moins artificiellement le caractère 
        hydrogénoïde dans les phénomènes des autres éléments chimiques, mais on 
        va être amené bientôt à cette conclusion que le caractère hydrogénoïde 
        n'est pas vraiment un caractère simple, qu'il n'est, pas plus simple 
        dans l'hydrogène que dans un autre corps et même, bien au contraire, que 
        sa pseudo-simplicité est plus trompeuse dans le cas de l'hydrogène que 
        dans toute autre substance. On en tirera cette conséquence paradoxale 
        que le caractère hydrogénoïde devra être étudié d'abord sur un corps qui 
        n'est pas l'hydrogène pour être bien compris dans le cas de l'hydrogène 
        lui-même ; bref, il apparaîtra qu'on ne pourra bien dessiner le simple 
        qu'après une étude approfondie du complexe. 
        
        
        
        
        En effet, tel qu'il se présente dans l'arithmétique 
        quantique , on pourrait dire que l'atome d'hydrogène ne sait pas compter 
        puisque sous la forme qui lui est attribuée par Bohr, l'atome 
        d'hydrogène ne paraît pouvoir recevoir qu'un seul nombre quantique. 
        Comme le dit très bien M. Léon Bloch 6 : "Le spectre de l'hydrogène 
        n'est qu'un spectre alcalin dégénéré, c'est-à-dire un spectre où les 
        éléments correspondant à des valeurs différentes de l se trouvent 
        pratiquement confondus", l étant', comme on le sait, le nombre quantique 
        azimutal qui est la trace d'une double périodicité nécessaire pour 
        rendre compte des diverses séries spectrales des alcalins. On doit aller 
        plus loin. Quand on aura affecté à l'électron optique d'un métal alcalin 
        trois nombres quantiques, il faudra prévoir trois périodicités dans 
        l'atome". Il est intéressant, dit alors M. Léon Bloch, de rechercher si 
        des traces de cette triple périodicité subsistent dans l'atome 
        d'hydrogène lui-même considéré comme un alcalin dégénéré. Nous devons 
        nous attendre à rencontrer dans cette recherche des difficultés 
        expérimentales très grandes. Déjà pour le lithium, le premier des 
        alcalins proprement dits la structure des doublets est si serrée quelle 
        n'a pu être mise en évidence que sur certains termes. Pour l'hydrogène, 
        la structure des doublets doit être plus fine encore. Malgré cette 
        difficulté, la puissance actuelle des spectroscopes interférentiels est 
        si grande qu'elle a permis de manifester d'une façon certaine la 
        structure fine des raies de la série de Balmer et, tout 
        particulièrement, de la raie rouge 
        
        H... La décomposition des raies de H 1 et He II en 
        multiplets extrêmement serrés, qui sont construits sur le même type que 
        les multiplets alcalins, montre qu'il n'y a pas de différence 
        essentielle entre le spectre de l'hydrogène et les spectres 
        hydrogénoïdes". Et M. L. Bloch conclut en ces termes : "Nous voyons 
        ainsi que le plus simple de tous les atomes est déjà un système 
        compliqué". 
        
        
        
        On peut nous objecter ici que si Pierre ressemble à Paul, 
        Paul ressemble à Pierre et que l'assimilation de l'hydrogène aux métaux 
        alcalins, du point de vue spectroscopique, est corrélative. Mais cette 
        objection revient à méconnaître le déplacement de l'Image fondamentale, 
        déplacement qui entraîne une transformation complète de la 
        phénoménologie de base. En réalité, si l'on suit le progrès exact de 
        l'expérience, on doit arriver à cette conclusion : ce ne sont pas les 
        métaux alcalins qui reçoivent l'image hydrogénoïde, mais bien plutôt 
        l'hydrogène qui reçoit l'image alcalinoïde. Après le stade cartésien 
        terme du mouvement du simple au complexe on disait que le spectre des 
        alcalins est un spectre hydrogénoïde. Après le stade non-cartésien terme 
        du mouvement du complet vers le simplifié, de l'organique vers le 
        dégénéré on devrait dire que le spectre de l'hydrogène est un spectre 
        alcalinoïde. Si l'on veut décrire en détail les phénomènes 
        spectroscopiques, c'est le spectre le plus compliqué ici le spectre des 
        métaux alcalins qu'il faut montrer de prime abord. C'est ce spectre qui 
        ouvre les veux de l'expérimentateur sur la structure fine. Le 
        dédoublement des raies de l'hydrogène on ne le chercherait pas si l'on 
        ne l'avait déjà trouvé dans les raies des alcalins. 
        
        
        
        
        Le même problème se posera , comme nous le montrerons 
        dans un instant, à propos de la structure hyperfine du spectre de 
        l'hydrogène. Il est bien sûr que ce n'est pas l'examen du spectre de 
        l'hydrogène qui peut suggérer ces études de deuxième et de troisième 
        approximations. Ce n'est pas la formule de Balmer appliquée à 
        l'hydrogène qui réclame des compléments. Ce n'est pas davantage l'image 
        de l'atome d'hydrogène dessinée par Bohr qui peut nous conduire à 
        imaginer de nouvelles périodicités. Par exemple, si nous sommes conduits 
        à assigner un moment de rotation au noyau, à l'électron de l'atome 
        d'hydrogène, c'est parce que nous aurons assigné avec succès de tels 
        moments aux corpuscules des atomes plus compliqués, partant plus 
        organiques. 
        
        
        
        
        Non seulement du point de vue d'une mathématique 
        constructive, non seulement dans le domaine de l'image intuitive, mais 
        encore du point de vue strictement expérimental, l'atome d'hydrogène 
        peut paraître rebelle à l expérience du fait même qu'il approche 
        davantage de la pauvreté objective. Il faut des moyens puissants et une 
        précision redoublée pour distinguer les lois sur ce cas fruste. 
        D'ailleurs les traits les plus apparents ne sont pas toujours les traits 
        les plus caractéristiques ; il faut résister à un positivisme de premier 
        examen. Si l'on manque à cette prudence, on risque de prendre une 
        dégénérescence pour une essence. 
        
        
        
        
        Par conséquent, s'il est bien vrai qu'historiquement le 
        spectre de l'hydrogène ait été le premier guide de la spectroscopie, ce 
        même spectre est désormais loin de fournir la meilleure des bases d'élan 
        pour l'induction. A la vérité, on induit la théorie des spectres 
        alcalins à partir du spectre de l'hydrogène. On devrait donc déduire 
        ensuite les phénomènes de l'hydrogène en s'appuyant sur les phénomènes 
        alcalins. Mais on induit encore, on induit toujours et l'on découvre une 
        nouvelle structure dans les phénomènes de départ, ou mieux encore, on 
        produit cette nouvelle structure par des moyens puissants et 
        artificiels. 
        
        
        
        
        Nous n'avons étudié le chassé-croisé du simple et du 
        complexe que dans le passage du spectre de l'hydrogène aux spectres 
        hydrogénoïdes. Bien entendu, si le schéma hydrogène n'est qu'un dessin 
        provisoire, la connaissance plus complexe du schéma hydrogénoïde devra 
        elle aussi révéler tôt ou tard son caractère factice et simplifié. En 
        fait, les schèmes deviennent de plus en plus inopérants quand on va de 
        la première à la huitième période du tableau de Mendéléeff. Déjà, des 
        spectres comme ceux du bismuth et du plomb ne rappellent plus en rien 
        les spectres hydrogénoïdes. Le spectre du fer est un message entièrement 
        indéchiffrable avec la grille hydrogénoïde. 
        
        
        
        
        Pour pallier cet échec, va-t-on faire jouer l'idée d'une 
        complexité inextricable dune irrationalité fondamentale du réel ? C est 
        mal connaître la mobilité et le courage de l esprit scientifique 
        contemporain que de supposer cette défaite. Mathématiquement et 
        expérimentalement c'est dans l'étude des phénomènes complexes que la 
        pensée scientifique poursuit son instruction. Du côté mathématique, on 
        peut en effet espérer que la mécanique ondulatoire fournira des moyens 
        assez bien appropriés pour calculer a priori les termes spectraux dans 
        le cas où les formules du type de Balmer sont inopérantes, même au prix 
        des rectifications les plus nombreuses et les plus précises. Du côté 
        expérimental, d'où la clarté viendra-t-elle ? De la structure hyperfine. 
        De même que la structure fine, saisie à propos des spectres alcalins, a 
        fait mieux comprendre la structure dégénérée du spectre de l'hydrogène, 
        de même la structure hyperfine des spectres complexes comme celui du 
        bismuth apportera de nouveaux schèmes pour la spectroscopie générale". 
        Tout se passe, dit M. Léon Bloch, comme si, au fur et à mesure des 
        progrès acquis dans la finesse de l'analyse spectrale, toutes les raies 
        réputées simples avaient tendance à se décomposer. La structure 
        hyperfine, comme la structure fine, serait donc non pas une exception, 
        mais la règle". Nous ne saurions trop insister sur cette dernière 
        déclaration. Elle marque à notre avis une véritable révolution 
        copernicienne de l'empirisme. En effet, c'est l'idée même de 
        perturbation qui paraît devoir être tôt ou tard éliminée. On ne devra 
        plus parler de lois simples qui seraient perturbées, mais de lois 
        complexes et organiques parfois touchées de certaines viscosités, de 
        certains effacements. L'ancienne loi simple devient un simple 
        exemple, une vérité mutilée, une image ébauchée, une esquisse copiée sur 
        un tableau. On revient, certes, à ces exemples simplifiés, mais c'est 
        toujours pour des fins pédagogiques, pour des raisons d'explication 
        mineure, parce que le plan historique reste éducatif, suggestif, 
        entraînant. Mais on paye cher cette facilité, comme toute facilité, 
        cette confiance dans l'acquis, ce repos dans les systèmes. On risque de 
        prendre l'échafaudage pour la charpente. Or la connaissance profonde est 
        la connaissance achevée et c'est sur le domaine de l'ancienne 
        perturbation, dans le fin dessin des approximations poussées , que la 
        connaissance trouve, avec son couronnement, sa véritable structure. 
        C'est là que se réalise l'équation du noumène et du phénomène et que le 
        noumène révèle subitement ses impulsions techniques. Dès lors la dualité 
        statique du rationnel et de l'irrationnel est supplantée par les 
        dialectiques de la rationalisation active. La pensée achève 
        l'expérience. Les exceptions sont effacées en quelque sorte par le 
        sommet, par l'accumulation des accidents, en mettant la pleine 
        mesure des attributs et des fonctions. 
        
        
        
        
        Cette primauté de la pensée complète sur l'expérience 
        fine comme elle apparaît nettement quand on revient vers l'expérience 
        primitive Par exemple, après avoir reconnu dans l'effet Zeeman la 
        séparation des raies spectrales sous l'action d'un champ magnétique, on 
        se posera la question suivante : " Une pareille dissociation ne 
        pourrait-elle exister à l'état latent, en l'absence du champ magnétique 
        7 ? " ce qui revient à décider des problèmes de structure réelle à 
        partir de principes de possibilité, dans la confiance que toute 
        compossibilité est la trace première, éminemment rationnelle, d'une 
        réalité. On arrive ainsi à penser une sorte de structure préalable, de 
        construction en projets, de réel en plans de moule rationnel pour la 
        technique expérimentale. 
        
        
        
        
        Dans le même ordre d'idée, y aurait-il vraiment absurdité 
        à demander comment joue la règle de Pauli dans le cas de l'hydrogène ? 
        Eclaircissons cette question. La règle de Pauli est d'une application 
        absolument générale. Elle nous apprend que deux électrons pris dans le 
        même atome ne peuvent jamais avoir leurs quatre quanta identiques. 
        Comment alors interpréter cette règle dans le cas de l'hydrogène qui ne 
        possède qu'un électron ? On peut certes le faire dans le sens de la 
        simplicité, en ne retenant en somme qu'une raison de quantification, en 
        refusant l'enseignement de la règle de Pauli prise à la mesure des cas 
        complexes. On aboutit précisément aux formules simplifiées, à une 
        mutilation des possibilités expérimentales. Faudrait-il alors évoquer 
        des électrons fantômes qui viendraient fournir les prétextes aux 
        quantifications multiples ? On le voit, c'est toujours le même problème 
        : comment bien compter avec un boulier incomplet, comment lire la loi 
        des grands nombres sur des petits nombres, comment reconnaître la règle 
        avec toutes ses exceptions sur un seul exemple qui est de toute évidence 
        une exception ?D'une manière plus générale, en quoi le simple peut-il 
        illustrer le complet ? Au seuil de la stœchiologie, voici l'hydrogène 
        comme l'amphioxus au seuil des vertébrés. Il n'y a pas de doute, c'est 
        avec l'hydrogène que la double matière électrique positive et négative 
        se noue ou se dénoue. Dans quel sens faut-il démêler l'écheveau ? 
        Pourquoi ne pas achever le noeud en épuisant la puissance de composition 
        ? Est-ce que les fonctions ne deviennent pas plus claires dans leur 
        fonctionnement varié ? On connaîtra d'autant mieux les liens du réel 
        qu'on en fera un tissu plus serré, qu'on multipliera les relations, les 
        fonctions, les interactions. L'électron libre est moins instructif 
        que l'électron lié, l'atome moins instructif que la molécule. 
        Gardons-nous cependant de pousser trop loin la composition. Il faut 
        rester dans la zone où la composition est organique pour bien comprendre 
        l'équation du complexe et du complet. 
        
        
        
        
        Nous venons précisément d'entrer dans le siècle de la 
        molécule après de longues années consacrées aux pensées atomistiques. 
        Pour se convaincre de l'importance de cette ère nouvelle, il suffira de 
        se reporter cent ans en arrière ; le caractère artificiel de l'ancien 
        concept de molécule apparaîtra. A cette époque, les définitions qui 
        prétendaient distinguer molécule et atome suivaient la distinction si 
        évidemment artificielle des phénomènes physiques et des phénomènes 
        chimiques. La molécule était définie comme le résultat de la 
        désagrégation physique et l'atome comme le résultat de la désagrégation 
        chimique de la molécule. Prise en sa composition, la molécule ne 
        correspondait guère qu'à la juxtaposition des atomes ; toutes les 
        fonctions chimiques appartenaient aux éléments, aux atomes. Suivant en 
        cela la métaphysique réaliste, on croyait à la valeur explicative de 
        l'attribution catégorique des propriétés aux substances élémentaires. Or 
        peu à peu, on paraît hésiter à inscrire sans discussion les propriétés 
        au compte du simple et l'idée vient que l'attribution pourrait bien être 
        toujours relative au composé. Ne prenons qu'un exemple. Au sujet de la 
        valence chimique, concept scientifique qui rationalisa plus ou moins la 
        sourde idée substantialiste de l'affinité, on en vient à douter qu'elle 
        puisse se préciser en dehors des compositions effectives. Comme le dit 
        M. B. Cabrera 8, " la valence est. quelque chose de plus complexe, dont 
        l'origine est en rapport avec la stabilité des nouvelles configurations 
        dynamiques des électrons superficiels produites à cause des 
        perturbations mutuelles des atomes en contact. Il est évident que les 
        détails de cette configuration et le degré de sa stabilité dépendront. 
        de la structure des atomes qui interviennent., de sorte que strictement 
        parlant la valence n'est pas une propriété de chaque élément. isolé, 
        mais de l'ensemble des atomes liés ".Ainsi l'affinité dépend de la 
        communion. Entrer en composition, c'est composer ". Il n'y a pas 
        d'originalité substantielle pas plus que d'originalité psychologique qui 
        résiste à une association. Il est donc vain de poursuivre la 
        connaissance du simple en soi, de l'être en soi, puisque c'est le 
        composé et la relation qui suscitent les propriétés, c'est l'attribution 
        qui éclaire l'attribut. 
        
        
        
        
        La thèse que nous défendons est d'ailleurs périlleuse, en 
        ce sens qu'elle contredit. la manière habituelle de désigner 
        dogmatiquement les notions de base. Mais par certains côtés, l'idée même 
        de notion de base peut sembler contradictoire : nos notions 
        expérimentales, puisées dans l'expérience commune, ne doivent-elles pas 
        être sans cesse révisées pour s'incorporer plus ou moins exactement dans 
        la microphysique où l'on doit toujours inférer et non pas découvrir les 
        bases du réel ? L'épistémologie non-cartésienne est donc par essence, et 
        non par accident, en état de crise. Revenons un instant sur la dé 
        finition moderne des éléments de pensée et démontrons une fois de plus 
        que les notions initiales doivent être solidarisées dans une définition 
        organique, attachées à des cas complexes. 
        
        
        
        
        Pour les savants du XIXe siècle aussi bien que pour 
        Descartes, les bases rationnelles du mécanisme étaient inébranlables. 
        Des notions même obscures comme la force faisaient l'objet dune 
        désignation immédiate. Ensuite c'est en multipliant l'intensité de la 
        force par le déplacement de son point d'application qu'on définissait, 
        dune manière dérivée, le travail et l'énergie. Cette construction de la 
        notion d , énergie correspondait bien à l'idéal analytique et cartésien 
        qui dirigeait la science. Notons au passage que la séparation absolue de 
        l'espace et du temps favorisait ici l'intuition analytique, encore que 
        bien des problèmes philosophiques restaient imprécis, comme celui des 
        différences entre la force conçue statiquement et la force conçue 
        dynamiquement. En creusant cette difficulté, on s'apercevrait de 
        l'obscurité de la première conception, on comprendrait mieux les 
        confusions répétées des âges pré-scientifiques au sujet de l'expérience 
        de la force, du travail, de l'énergie, de la puissance ; on trouverait 
        en fin une première preuve que la notion de force ne peut guère être 
        précise si on la sépare d'une fonction essentielle de la force qui est 
        de produire un travail. En tout cas, si l'on accède à la pensée 
        contemporaine, la corrélation essentielle des notions devient bien 
        évidente. De plus en plus, s'impose la réciprocité entre la notion de 
        force et la notion d'énergie. Quelle sera finalement la notion de base ? 
        Il est naturellement prématuré de répondre à cette question. 
        L'intervention des théories quantiques pourrait d'ailleurs clore le 
        débat d'une étrange façon en apportant des principes tout nouveaux pour 
        la définition mathématique des notions expérimentales. En effet, qu'on 
        aille au fond de l'intuition si spéciale de London et Heitler en ce qui 
        concerne les rapports possibles de deux atomes d'hydrogène et l'on verra 
        la tendance de la micro-énergétique à définir la force comme une notion 
        dérivée, comme une apparence secondaire, comme une sorte de convention 
        représentant un cas particulier. Dans l'intuition de ces deux savants, 
        on commence par définir énergétiquement les deux atomes sans bien 
        entendu construire leur énergie à partir des forces plus ou moins 
        hypothétiques. En appliquant ensuite à l ensemble formé par les deux 
        atomes le principe de Pauli, on se rend compte qu'ils peuvent exister 
        sous deux formes énergétiques différentes. Alors si en rapprochant les 
        noyaux atomiques, l'énergie du système augmente, on dira que les noyaux 
        se repoussent ; on dira au contraire qu'ils s'attirent si l'énergie 
        diminue. Ainsi des caractères qui semblaient éminemment phénoménaux 
        comme la répulsion et l'attraction sont ici objets de définition. Rien 
        d'absolu ne soutient l'idée de force, elle n'est point ici la notion 
        primitive. Allons d'ailleurs plus loin. On s'apercevra que ne peuvent 
        s'attirer que des atomes d'hydrogène différenciés d'après le principe de 
        Pauli et que par contre le choc élastique, jadis expliqué par une force 
        répulsive inscrite au coeur de l'élément, est un attribut de l'ensemble 
        des deux atomes d'hydrogène non différenciés d'après le principe de 
        Pauli. Il semble que ,e qui s'attire ce soit des systèmes de nombres 
        quantiques différents et que ce qui se repousse ce soit des systèmes de 
        nombres quantiques identiques. La force induite mathématiquement n'est 
        plus ici que le fantôme de la force mise jadis à la base de l'énergie 
        par une métaphysique réaliste. La force mécanique devient aussi 
        métaphorique que la force d'une antipathie ou d'une sympathie ; elle est 
        relative à une composition, non pas à des éléments. L'intuition 
        mathématique avec son souci de la complétude remplace l'intuition 
        expérimentale avec ses simplifications arbitraires. 
        
        
        
        
        En résumé, nous croyons que l'explication scientifique 
        tend à accueillir, à sa base, des éléments complexes et à ne bâtir que 
        sur des éléments conditionnels, en n'accordant qu'à titre provisoire, 
        pour des fonctions bien spécifiées, le brevet de simplicité. Ce souci de 
        garder ouvert le corps d'explication est caractéristique d'une 
        psychologie scientifique réceptive. Toute composition phénoménale peut 
        être une occasion de pensée récurrente qui revient compléter le corps 
        des postulats. M. B. Cabrera écrivait précisément en 1928 9 ". Nous ne 
        sommes pas... en état de savoir si la Mécanique quantique créée pour 
        interpréter la radiation des atomes isolés, suffit à éclaircir le 
        problème beaucoup plus compliqué de la dynamique de la molécule. Il est 
        possible, et nous le croyons très probable, qu'un nouveau postulat doive 
        s'ajouter à ceux qui ont été le point de départ. Du moins, il faut que 
        notre esprit reste ouvert à cette possibilité". La même anxiété règne 
        donc sur la Physique mathématique que sur la Géométrie : on craint 
        toujours qu'un 
        
        
        
        
        postulat puisse subitement s'adjoindre à la science et la 
        dédoubler. Garder une sorte de doute récurrent ouvert sur le passé de 
        connaissances certaines, voilà encore une attitude qui dépasse, 
        prolonge, amplifie la prudence cartésienne et qui mérite d'être dite 
        non-cartésienne, toujours dans ce même sens où le non-cartésianisme est 
        du cartésianisme complété. 
        
        
        
        
        D'une manière semblable, comme nous avons essayé de le 
        montrer dans notre livre sur le Pluralisme cohérent de la Chimie 
        moderne, c'est par un accroissement systématique du pluralisme que la 
        Chimie a trouvé ses bases rationnelles et mathématiques. C'est en 
        achevant le monde de la matière qu'on le rationalise. 
        
        
        
        
        Ainsi la pensée qui anime la Physique mathématique, comme 
        celle qui anime les mathématiques pures, est une conscience de la 
        totalité. D'où l'importance de la notion de groupe dans l'une et l'autre 
        doctrines. Aucun repos pour la pensée tant qu'une raison d'ensemble n'a 
        pas mis le sceau synthétique sur la construction. Henri Poincaré, dans 
        une notice consacrée à Laguerre 10, a signalé le caractère non-cartésien 
        de cette nouvelle orientation. Au moment où Laguerre produisait son 
        premier travail, en 1853, la géométrie analytique " se renouvelait... 
        par une révolution en quelque sorte inverse de la réforme cartésienne. 
        Avant Descartes, le hasard seul, ou le génie, permettait de résoudre une 
        question géométrique ;après Descartes, on a pour arriver au résultat des 
        règles infaillibles ; pour être un géomètre il suffit d'être patient. 
        Mais une méthode purement mécanique, qui ne demande à l'esprit 
        d'invention aucun effort, ne peut être réellement féconde. Une nouvelle 
        réforme était donc nécessaire : ce furent Poncelet et Chasles qui en 
        furent les initiateurs. Grâce à eux, ce n'est plus ni à un hasard 
        heureux ni à une longue patience que nous devons demander la solution 
        d'un problème, mais à une connaissance approfondie des faits 
        mathématiques et de leurs rapports intimes ".La méthode des Poncelet, 
        des Chasles, des Laguerre est donc une méthode d'invention plutôt qu'une 
        méthode de résolution. Elle est d'allure éminemment synthétique et 
        remonte bien, comme le dit Poincaré en sens inverse de la réforme 
        cartésienne. Elle achève donc par certains côtés la pensée mathématique 
        cartésienne.
        
        
        
        
        
        
        
        --------------------------------------------------------------------------------
        
        
        V 
        
        I II III IV V VI 
        
        
        --------------------------------------------------------------------------------
        
        
        
        
        Quand on a compris combien la pensée mathématique moderne 
        dépasse la science primitive des mesures spatiales, combien s'est accrue 
        la science des relations, on se rend compte que la Physique mathématique 
        offre des axes chaque jour plus nombreux à l'objectivation scientifique. 
        La nature stylisée du laboratoire préparée par les schèmes mathématiques 
        doit alors apparaître moins opaque que la nature qui se présente à 
        l'observation immédiate. Réciproquement, la pensée objective, dès 
        qu'elle s'éduque devant une nature organique, se révèle d'une 
        singulière profondeur par cela même que cette pensée est perfectible, 
        rectifiable et qu'elle suggère des compléments. C'est encore en méditant 
        l'objet que le sujet a le plus de chance de s'approfondir. Au lieu de 
        suivre le métaphysicien qui entre dans son poêle, on peut donc être 
        tenté de suivre un mathématicien qui entre au laboratoire. Bientôt en 
        effet on inscrira sur la porte du laboratoire de physique et de chimie 
        l'avertissement platonicien :" Nul n'entre ici s'il n'est géomètre".
        
        
        Comparons par exemple l'observation du morceau de cire 
        par Descartes et l'expérience de la goutte de cire dans la microphysique 
        contemporaine et voyons la diversité des conséquences sur la 
        métaphysique de la substance tant objective que subjective. 
        
        
        
        
        Pour Descartes, le morceau de cire est un clair symbole 
        du caractère fugace des propriétés matérielles. Aucun des aspects 
        d'ensemble, aucune des sensations immédiates ne demeurent permanents. Il 
        suffit d approcher le morceau de cire du feu pour que sa consistance, sa 
        forme, sa couleur , son onctuosité, son odeur vacillent et se 
        transforment. Cette expérience vague prouve chez Descartes le vague des 
        qualités objectives. Elle est une école de doute. Elle tend à éloigner 
        l'esprit de la connaissance expérimentale des corps qui sont plus 
        difficiles à connaître que l'âme. Si l'entendement ne trouvait pas en 
        lui-même la science de l'étendue toute la substance du morceau de cire 
        s'évanouirait avec les rêveries de l'imagination. Le morceau de cire 
        n'est soutenu que par l'étendue intelligible puisque sa grandeur 
        elle-même est. susceptible d'augmenter ou de diminuer suivant les 
        circonstances. Ce refus de l'expérience comme base de la pensée est en 
        somme définitif, malgré le retour vers l'étude de l'étendue. On s'est 
        interdit, dès le départ, toute expérience progressive, tout moyen de 
        classer les aspects du divers, de donner une mesure de la diversité, 
        d'immobiliser, pour les distinguer, les variables du phénomène. On 
        voulait, dans l'objet, toucher de prime abord la simplicité, l'unité, la 
        constance. Au premier échec, on a douté de tout. On n'a pas remarqué le 
        rôle coordonnateur de l'expérience factice, on n a pas vu que la pensée 
        unie à l'expérience pouvait restituer le caractère organique et par 
        conséquent entier et complet du phénomène. D'autre part, en ne se 
        soumettant pas docilement aux leçons de l'expérience, on se condamnait à 
        ne pas voir que le caractère mobile de l'observation objective se 
        reflétait immédiatement en Une mobilité parallèle de l'expérience 
        subjective. Si la cire change, je change ;je change avec ma sensation 
        qui est, dans le moment où je la pense, toute ma pensée, car sentir 
        c'est penser dans le large sens cartésien du cogito. Mais Descartes a 
        une secrète confiance dans la réalité de l'âme comme substance. Ebloui 
        par la lumière instantanée du cogito, il ne met pas en doute la 
        permanence du je qui forme le sujet du je pense. Pourquoi est-ce le même 
        être qui sent la cire dure et la cire molle alors que ce n'est pas la 
        même cire qui est sentie dans deux expériences différentes ? Si le 
        cogito était traduit au passif en un cogitatur ergo est, le sujet actif 
        s'évaporerait-il avec l'inconstance et le vague des impressions ? 
         
        
        Cette partialité cartésienne en faveur de l'expérience 
        subjective apparaîtra peut-être mieux quand on vivra avec plus de 
        ferveur l'expérience scientifique objective, quand on acceptera de vivre 
        à l'exacte mesure de la pensée, dans la rigoureuse équation de la pensée 
        et de l'expérience, du noumène et du phénomène, loin de l'attrait 
        trompeur des substances objectives et subjectives. Voyons donc la 
        science contemporaine dans sa tâche" d'objectivation progressive. Le 
        physicien ne prend point la cire qu'on vient d'apporter du rucher , mais 
        une cire aussi pure que possible, chimiquement bien définie, isolée au 
        terme d'une longue série de manipulations méthodiques. La cire choisie 
        est donc en quelque sorte un moment précis de la méthode 
        d'objectivation. Elle n'a rien retenu de l'odeur des fleurs dont elle a 
        été recueillie, mais elle porte la preuve des soins qui l'ont épurée. 
        Elle est pour ainsi dire réalisée par l'expérience factice. Sans l 
        expérience factice, une telle cire sous sa forme pure qui n'est pas sa 
        forme naturelle ne serait pas venue à l'existence. 
        Après avoir fait fondre dans une cupule un très petit 
        fragment de cette cire, le physicien le fait solidifier avec une lenteur 
        méthodique. Fusion et solidification sont en effet obtenues sans 
        brusquerie au moyen d'un four électrique minuscule dont la température 
        peut être réglée avec toute la précision désirable par variation de 
        l'intensité du courant. Le physicien se rend par conséquent maître du 
        temps dont l'action efficace dépend de la variation thermique. On 
        obtient ainsi une gouttelette bien régulière non seulement dans sa forme 
        mais aussi dans sa contexture superficielle. Le livre du microcosme est 
        maintenant gravé, il reste à le lire. 
        Pour étudier la surface de la cire, on dirige sur la 
        goutte un faisceau de rayons X bien monochromatiques, en suivant là 
        encore une technique très précise et en laissant bien entendu de côté 
        tout recours à la lumière blanche naturelle que les âges 
        pré-scientifiques postulaient de nature simple. Grâce à la lenteur du 
        refroidissement, les molécules superficielles de la cire se sont 
        orientées par rapport à la surface générale. Cette orientation détermine 
        pour les rayons X des diffractions qui produiront des spectrogrammes 
        similaires à ceux obtenus par Debye et par Bragg dans le cas des 
        cristaux. On sait que ces derniers spectrogrammes, prévus par von Laue, 
        ont renouvelé la cristallographie en permettant d'inférer la structure 
        interne des cristaux. D'une manière parallèle, l'étude de la goutte de 
        cire renouvelle nos connaissances des surfaces matérielles. Que de 
        pensées doit nous livrer cette prodigieuse épigraphie de la matière ! 
        Comme le dit M. Jean Trillat 11 : "Les phénomènes d'orientation... 
        conditionnent un nombre immense de propriétés superficielles, comme la 
        capillarité, l'onctuosité, l'adhérence, l'adsorption, la catalyse." 
        C'est dans cette pellicule que les relations avec l'extérieur 
        déterminent une physico-chimie nouvelle. C'est là que le métaphysicien 
        pourrait comprendre le mieux comment la relation détermine la structure. 
        Si l'on prend des diagrammes en s'enfonçant de plus en plus dans les 
        profondeurs de la gouttelette, l'orientation des molécules disparaît 
        progressivement, les microcristaux deviennent insensibles aux actions de 
        surface et l'on arrive à un désordre statistique complet. Dans la zone d 
        , orientation privilégiée , on a au contraire des phénomènes bien 
        définis. Ces phénomènes sont dus aux discontinuités des champs 
        moléculaires à la surface de séparation des deux milieux, dans l'aire de 
        la dialectique matérielle. Dans cette région intermédiaire, d'étranges 
        expériences sont possibles qui viennent combler l'hiatus des phénomènes 
        physiques et des phénomènes chimiques et permettre au physicien d'agir 
        sur la nature chimique des substances. Ainsi M. Trillat signale des 
        expériences sur l'étirement des gels colloïdaux. Par des tractions 
        toutes mécaniques, on détermine des différences très notables dans les 
        diagrammes des rayons X. M. Trillat conclut en ces termes (loc. cit., p. 
        456) , "Ceci est en rapport avec les propriétés mécaniques et aussi avec 
        l'adsorption des colorants, suivant que la matière est orientée par 
        traction ou non : il y a peut-être là une manière imprévue d'agir sur 
        l'activité chimique". 
        Agir mécaniquement sur l'activité chimique, c'est, par 
        certains côtés, servir un idéal cartésien ; mais l'action constructive 
        et factice est si manifeste, la direction vers le complexe si nette, 
        qu'on doit voir là une nouvelle preuve de l'extension scientifique de 
        l'expérience et une nouvelle occasion de dialectique non-cartésienne.
        
        
         
        
        Est-on d'ailleurs bien sûr que la cristallisation puisse 
        se faire en l'absence des champs directeurs ? En imaginant que cette 
        cristallisation est produite par des forces essentiellement internes, 
        d'origine substantielle, en négligeant les actions directrices venant de 
        l'extérieur , on obéit à un entraînement réaliste. Il est frappant en 
        effet de voir la cristallisation superficielle sous la dépendance 
        primordiale des discontinuités au point qu'on puisse parler de 
        substances qui sont cristallisées superficiellement dans le sens 
        perpendiculaire à la surface tandis qu'elles restent amorphes dans le 
        sens parallèle à la surface. On obtient ainsi des structures en gazon, 
        avec des implantations bien spécifiées. Ces "cultures" cristallines d'un 
        nouveau genre ont. déjà fourni de nombreux enseignements sur les 
        structures moléculaires 12.
        
        
        Qu'on veuille bien alors prendre une mesure de la somme 
        des techniques, des hypothèses, des constructions mathématiques qui 
        viennent s'additionner dans ces expériences sur la goutte de cire et. 
        l'on ne pourra manquer de trouver inopérantes les critiques 
        métaphysiques du type cartésien. Ce qui est fugace, cela ne peut être 
        que les circonstances décousues et non point les relations coordonnées 
        qui expriment des qualités matérielles. Il suffira de débrouiller les 
        circonstances, qui sont naturellement brouillées, pour organiser 
        vraiment le réel. Les qualités du réel scientifique sont ainsi, au 
        premier chef, des fonctions de nos méthodes rationnelles. Pour 
        constituer un fait scientifique défini, il faut mettre en oeuvre une 
        technique cohérente. L'action scientifique est par essence complexe. 
        C'est du côté des vérités factices et complexes et non pas du côté des 
        vérités adventices et claires que se développe l'empirisme actif de la 
        science. Bien entendu des vérités innées ne sauraient intervenir dans la 
        science. Il faut former la raison de la même manière qu'il faut former 
        l'expérience. 
         
        
        Ainsi la méditation objective poursuivie au laboratoire 
        nous engage dans une objectivation progressive où se réalisent à la fois 
        une expérience nouvelle et une pensée nouvelle. Elle diffère de la 
        méditation subjective, avide d'une somme de connaissances claires et 
        définitives, par son progrès même, par le besoin de complément qu'elle 
        suppose toujours. Le savant en sort avec un programme et conclut sa 
        journée de travail sur cette parole de foi. chaque jour répétée 
        :''Demain, je saurai."
        
         
        
        
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        VI 
        
        I II III IV V VI 
        
        
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        Si l'on pose maintenant le problème de la nouveauté 
        scientifique sur le plan plus proprement psychologique , on ne peut 
        manquer de voir que cette allure révolutionnaire de la science 
        contemporaine doit réagir profondément sur la structure de l'esprit. 
        L'esprit a une structure variable dès l'instant où la connaissance a une 
        histoire. En effet, l'histoire humaine peut bien , dans ses passions, 
        dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, 
        être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne 
        recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, 
        complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou 
        chancelante. Or l'esprit scientifique est essentiellement une 
        rectification du savoir un élargissement des cadres de la connaissance. 
        Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la 
        conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement on pense le vrai 
        comme rectification historique d'une longue erreur , on pense 
        l'expérience comme rectification de l'illusion commune et première. 
        Toute la vie intellectuelle de la science joue dialectiquement sur cette 
        différentielle de la connaissance, à la frontière de l'inconnu. 
        L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas 
        compris. Les pensées non-baconiennes, non-euclidiennes, non-cartésiennes 
        sont résumées dans ces dialectiques historiques que présentent la 
        rectification d'une erreur, l'extension d'un système, le complément 
        d'une pensée. 
        
        Il ne manque qu'un peu de vie sociale, qu'un peu de 
        sympathie humaine pour que le nouvel esprit scientifique le n. e. s. 
        prenne la même valeur formative qu'une nouvelle économie politique la n. 
        e. p. Pour beaucoup de savants qui poursuivent avec passion la vie sans 
        passions, l'intérêt des problèmes présents correspond à un intérêt 
        spirituel primordial où la raison joue son destin. M. Reichenbach parle 
        justement d'un conflit de générations sur le sens profond de la science 
        13. Compton, lors d'une visite chez J. J. Thomson à Cambridge, a 
        rencontré G. P. Thomson, venu pour un week-end. On s'amusait à examiner 
        les photographies obtenues avec les ondes électroniques ; Compton fait 
        remarquer à ce sujet : " C'était un véritable événement dramatique de 
        voir le grand vieil homme de science, qui a dépensé ses meilleures 
        années en affirmant la nature corpusculaire de l'électron, plein 
        d'enthousiasme pour l'oeuvre de son fils révélant que les électrons en 
        mouvement constituent des ondes 14." Du père au fils on peut mesurer la 
        révolution philosophique que réclame l'abandon de l'électron comme chose 
        ; on peut apprécier le courage intellectuel nécessaire à une telle 
        révision du réalisme. Le physicien a été obligé trois ou quatre fois 
        depuis vingt ans de reconstruire sa raison et intellectuellement parlant 
        de se refaire une vie.  
         
        
        Il suffit d'ailleurs de réaliser psychologiquement l'état 
        d'inachèvement de la science contemporaine pour avoir une impression 
        intime de ce qu'est le rationalisme ouvert. C'est un état de surprise 
        effective devant les suggestions de la pensée théorique. Comme le dit 
        très bien M. Juvet 15 : " C'est dans la surprise créée par une nouvelle 
        image ou par une nouvelle association d'images, qu'il faut voir le plus 
        important élément du progrès des sciences physiques, puisque c'est 
        l'étonnement qui excite la logique, toujours assez froide, et qui 
        l'oblige à établir de nouvelles coordinations, mais la cause même de ce 
        progrès, la raison même de la surprise, il faut la chercher au sein des 
        champs de forces créés dans l'imagination par les nouvelles associations 
        d'images, dont la puissance mesure le bonheur du savant qui a su les 
        assembler." 
         
        
        Devant les principes surprenants de la nouvelle mécanique 
        quantique M. E. Meyerson lui-même, qui a dépensé des trésors de 
        méditation et d'érudition pour prouver le caractère classique de la 
        Relativité, est pris d'une soudaine hésitation. On peut douter qu'on 
        écrive jamais une Déduction quantique pour achever la démonstration 
        entreprise dans la Déduction relativiste." Reconnaissons..., écrit-il 
        16, que par rapport à toutes les théories scientifiques que nous avons 
        examinées dans nos livres , celle des quanta occupe une place à part, et 
        qu'il ne nous semble pas possible, notamment, de tenter dans ce cas ce 
        que nous croyons avoir réussi à accomplir pour la théorie de la 
        relativité. " Pour M. Meyerson, la doctrine des Quanta est d'essence 
        aberrante et cette arithmétisation du possible n'est pas loin d'être 
        tenue pour irrationnelle. Nous croyons au contraire que cette doctrine 
        étend positivement notre conception du réel et qu'elle est une conquête 
        de la raison nouvelle sur l'irrationalisme. Cette crise est donc une 
        crise de croissance normale. Il faut préparer l'esprit à recevoir l'idée 
        quantique, ce qui ne peut se faire qu'en organisant systématiquement 
        l'élargissement de l'esprit scientifique.  
         
        
        En fait, nous croyons, pour notre part, que la Relativité 
        avait déjà réalisé la conquête d'une pensée éminemment inductive et que 
        les réussites pédagogiques dans la démonstration déductive de certaines 
        conséquences relativistes n enlèvent rien du caractère génial et 
        inattendu de la Révolution einsteinienne. Les coups de génie qui 
        viennent de fonder la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie et la 
        mécanique des matrices de Heisenberg ont retenti dans les mêmes 
        conditions d' inattendu et pour ainsi dire sans préparation historique. 
        Elles rejettent au passé les mécaniques classiques et relativistes qui 
        l'une et l'autre ne sont plus que des approximations plus ou moins 
        grossières de théories plus fines et plus complètes. 
         
        
        Est-ce qu'une raison générale et immuable arrivera à 
        assimiler toutes ces pensées étonnantes ? Pourra-t-elle les mettre non 
        seulement en ordre, mais sous son ordre ? C'est là sans doute 
        l'espérance profonde de M. Meyerson. Comme M. Meyerson prouve la 
        persistance des modes de pensée à travers les siècles, retrouvant, même 
        dans les esprits modernes, des traces durables de la pensée par 
        participation des primitifs, il en infère que le cerveau ne saurait 
        évoluer avec plus de rapidité que n'importe quel autre organe. Cette 
        thèse meyersonienne est évidemment la thèse de la prudence et l'on ne 
        saurait lui opposer que des anticipations plus ou moins téméraires. 
        Pourtant le cerveau n'est-il pas le véritable lieu de l'évolution 
        humaine, le bourgeon terminal de l'élan vital ?Avec ses multiples 
        connexions en attente, n'est-il pas l'organe des possibilités 
        innombrables ? Quand M. Juvet emploie l'expression si suggestive de 
        champs de forces créés dans l'imagination par le rapprochement de deux 
        images différentes, ne nous engage-t-il pas à dynamiser en quelque sorte 
        les rapports des idées, à donner à l'idée-force de Fouillée un sens de 
        plus en plus physique ? Une idée qui évolue est un centre organique qui 
        s'agglomère. Un cerveau statique ne pourrait inférer. Doit-on s'appuyer 
        pour prouver la permanence cérébrale sur la pensée usuelle, sur la 
        pensée sans effort, sur la pensée qui, en commandant à des muscles, 
        accepte l'union avec ce qui n'évolue plus ? Alors tout est achevé 
        :l'âme, le corps, le Monde lui-même qui nous est livré de prime abord 
        comme un objet à grands et nobles traits. Au contraire, au lieu de cette 
        communion avec une réalité globale à laquelle le savant reviendrait avec 
        allégresse, comme à une philosophie originelle, ne conviendrait-il pas, 
        pour comprendre l'évolution intellectuelle, de prêter attention à la 
        pensée anxieuse, A la pensée en quête d'objet, à la pensée qui cherche 
        des occasions dialectiques de sortir d'elle-même, de rompre ses propres 
        cadres, bref A la pensée en voie d'objectivation ? On ne peut alors 
        manquer de conclure qu'une telle pensée est créatrice.  
         
        
        La poussée psychologique réalisée par la Physique 
        mathématique est mise en évidence par M. Juvet. Il insiste sur le fait 
        que les idées les plus hardies et les plus fécondes sont dues à de très 
        jeunes savants 17." Heisenberg et son émule Jordan sont nés avec le 
        siècle ; en Angleterre, un étonnant génie... Dirac, créa une méthode 
        originale et nouvelle et découvrit les raisons théoriques profondes de 
        ce qu'on appelle le spin de l'électron ; il n avait pas vingt-cinq ans. 
        Si l'on rappelle que Bohr était très jeune lorsqu'il proposa en 1913 son 
        modèle d'atome et qu'Einstein découvrit à vingt-cinq ans la relativité 
        restreinte et proposa peu après, pour la première fois, une explication 
        des lois du rayonnement par les quanta de lumière... on sera fondé à 
        croire que le XXe siècle a vu une mutation du cerveau ou de l'esprit de 
        l'homme, particulièrement apte à débrouiller les lois de la nature, de 
        même qu'au siècle précédent, la précocité des Abel, des Jacobi, des 
        Galois, des Hermite était due peut-être à une mutation de l'esprit 
        dirigé vers une adaptation au monde des êtres mathématiques. 
         
        
        Chacun peut d'ailleurs revivre ces mutations spirituelles 
        en se rappelant le trouble et l'émoi apportés par les nouvelles 
        doctrines dans la culture personnelle :elles réclament tant d'efforts 
        qu'elles ne paraissent point naturelles. Mais la nature naturante est à 
        l'œuvre jusque dans nos âmes ; un jour, on s'aperçoit qu'on a compris. A 
        quelle lumière reconnaît-on d'abord la valeur de ces synthèses subites ? 
        A une clarté indicible qui met en notre raison sécurité et bonheur. Ce 
        bonheur intellectuel est la marque première du progrès. C'est ici le cas 
        de rappeler avec le phénoménologiste Jean Hering 18 " que la personne la 
        plus évoluée sera toujours, par la plus grande étendue de son horizon , 
        à même de comprendre celles qui lui sont inférieures..., tandis que le 
        contraire n'est pas possible ". La compréhension a un axe dynamique, 
        c'est un élan spirituel, c'est un élan vital. La mécanique einsteinienne 
        ajoute à la compréhension des concepts newtoniens. La mécanique 
        broglienne ajoute à la compréhension des concepts purement mécaniques et 
        purement optiques. Entre ces deux derniers groupes de concepts la 
        physique nouvelle détermine une synthèse qui développe et achève 
        l'épistémologie cartésienne. Si l'on savait doubler la culture objective 
        par une culture psychologique, en s'absorbant entièrement dans la 
        recherche scientifique avec toutes les forces de la vie, on sentirait la 
        soudaine animation que donnent à l'âme les synthèses créatrices de la 
        Physique mathématique.
        
        
        
        
        
      
      
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