La question de la survie de notre société font apparaître deux
nécessités, qui concernent à la fois le Président et la presse, deux
gageures qui peuvent sembler contradictoires mais qui peuvent être
conjuguées et remplies si nous nous groupons face à ce péril national.
Je me réfère ici à l'importance d'informer largement le public et à la
nécessité de refuser la politique officielle du secret.
Le simple mot de secret est inacceptable dans une société libre et
ouverte. Et nous sommes en tant que peuple intrinsèquement et
historiquement opposés aux sociétés secrètes, aux serments secrets,
aux réunions secrètes. Nous avons décidé il y a longtemps que les
dangers de la dissimulation excessive et injustifiée de faits
pertinents dépassent de loin les dangers que l'on cite pour les
justifier. Même aujourd'hui il est peu justifié de résister à la
menace d’une société fermée (totalitaire?) tout en imitant ses
restrictions arbitraires. Même aujourd’hui, il est peu justifié
d'assurer la survie de notre nation si nos traditions ne survivent pas
avec elle. Et il y a un danger très grave qu'un besoin annoncé de
sécurité accrue soit l'opportunité que saisiront ceux soucieux
d'étendre sa portée aux limites extrêmes de la dissimulation et de la
censure officielle. Voilà ce que je n'ai pas l'intention de laisser
faire dans la mesure où j'en ai le contrôle. Et aucun officiel de mon
administration, quelque soit son rang, civil ou militaire, ne devrait
interpréter mes paroles ici ce soir comme une justification pour
censurer la presse, étouffer la dissidence, cacher nos erreurs ou
taire au public et à la presse les faits qu'ils méritent de savoir.
Mais je demande à tout publiciste, tout éditeur, tout journaliste
dans ce pays de réexaminer ses propres principes moraux et de
reconnaître la nature du péril qui menace notre pays. En temps de
guerre, le gouvernement et la presse ont traditionnellement mis en
commun leurs efforts reposant largement sur l'autodiscipline, pour
empêcher la divulgation d'informations non-autorisées à l'ennemi. En
temps de danger "clair et présent", les tribunaux ont maintenu que
même les droits privilégiés du premier amendement doivent céder devant
le besoin commun de sécurité nationale.
Aujourd'hui, aucune guerre n'a été déclarée, et aussi féroce le
combat puisse-t-il être, elle pourrait bien ne jamais se déclarer à la
façon habituelle. Notre mode de vie est attaqué. Ceux qui se veulent
nos ennemis progressent partout dans le monde. LA survie de nos amis
est menacée. Et pourtant, aucune guerre n'a été déclarée, aucune
frontière n'a été franchie par des troupes en marche, aucun missile
n'a été tiré.
Si la presse attend une déclaration de guerre avant d'imposer
l'autodiscipline qui s'impose dans ces conditions, alors peut
seulement dire qu'aucune guerre n'a jamais autant menacé notre
sécurité. Si vous attendez une situation de "danger clair et actuel",
alors je peux seulement dire que le danger n'a jamais été aussi clair
et sa présence plus imminente.
Cela requiert un changement de perspective, un changement de
tactique, un changement de missions, par le gouvernement, par le
peuple, par tout homme d'affaire ou chef d'entreprise et par tout
journaliste. Car nous sommes confrontés dans le monde à une
conspiration monolithique et implacable qui repose essentiellement sur
des moyens secrets pour étendre sa sphère d'influence (de
l'infiltration plutôt que de l'invasion, de la subversion plutôt que
des élections, de l'intimidation plutôt que du choix libre, des
guérillas de nuit plutôt que des armées en plein jour).
C'est un système qui a mobilisé de vastes ressources humaines et
matérielles dans la construction d'une machinerie très efficace et au
maillage très serré qui combine opérations militaires, diplomatiques,
de renseignement, économiques, scientifiques et politiques.
Ses plans sont dissimulés, non publiés. Ses erreurs sont cachées,
non affichées. Ses dissidents sont réduits au silence, pas
complimentés. Aucune dépense n'est mise en question, aucune rumeur
n'est imprimée, aucun secret révélé. Il conduit la guerre froide,
bref, avec une discipline de temps de guerre aucune démocratie ne
pourrait jamais espérer ou désirer bien se porter.
Cependant, toute démocratie reconnait les restrictions nécessaires
liées à la sécurité nationale ( et la question demeure de savoir si
ces restrictions doivent être plus strictement observées si nous
devons faire face à ce genre d'attaque et d' incontestable invasion.)
A vrai dire c'est un fait que les ennemis de cette nation se sont
ouvertement vantés d'acquérir dans nos journaux les informations
qu'ils auraient du obtenir dans le cas contraire en engageant des
agents, par le vol, la corruption et l'espionnage; que les détails des
plans secrets de cette nation pour contrer les opérations secrètes de
l'ennemi ont été mis à la portée de chaque lecteur de journal, ami
autant qu'ennemi; que les effectifs , la puissance, l'emplacement et
la nature de nos forces et armes, et nos plans et stratégie pour leur
utilisation ont tous été précisés dans la presse et autres médias à un
degré suffisant pour satisfaire n'importe quelle puissance étrangère;
Et que dans au moins un cas, la publication de détails concernant un
mécanisme secret par lequel les satellites étaient suivis, a demandé
son altération au prix de beaucoup de temps et d'argent.
Les journaux qui ont imprimés ces histoires étaient loyaux,
patriotiques, responsables et de bonne volonté. Si nous avions été
engagés dans une guerre ouverte, ils n’auraient sans aucun doute pas
publiés ces faits. Mais en l'absence de guerre ouverte, ils ne
reconnaissaient que les contrôles du journalisme et non ceux de la
sécurité nationale. Et la question que je pose ce soir est de savoir
si des contrôles additionnels ne devraient pas être adoptés
maintenant.
A vous seuls d'y répondre. Aucun officiel ne devrait le faire à
votre place. Aucun plan gouvernemental ne devrait imposer ses
restrictions contre votre volonté. Mais je manquerais à mon devoir
envers la nation, considérant toutes les responsabilités que nous
assumons maintenant et tous les moyens dont nous disposons pour
remplir ces responsabilités, si je n'attirais pas votre attention sur
ce problème et ne conseillais vivement sa considération réfléchie.
En de nombreuses occasions auparavant, j'ai dit (et vos journaux
ont constamment dit) que nous sommes en des temps qui font appel au
sens du sacrifice et à l'autodiscipline de chaque citoyen. Ils
demandent que chaque citoyen mette en balance ses droits et son
confort avec ses obligations au bien commun. Je ne peux pas croire
maintenant que ces citoyens qui travaillent dans le journalisme se
considèrent non concernés par cet appel.
Je n'ai pas l'intention de mettre en place un nouveau bureau de
l'information sur la guerre pour canaliser le flot des nouvelles. Je
ne suggère pas de quelconque nouvelles formes de censure ou quelconque
nouveau types de classification pour le secret. Je n'ai pas de réponse
évidente au dilemme que j'ai soulevé, et ne chercherais pas à
l'imposer si j'en avais une. Mais je demande aux membres de la
profession journalistique et de l'industrie dans ce pays de réexaminer
leurs propres responsabilités, de considérer le degré et la nature du
danger présent, et de respecter le devoir d’auto-restriction que ce
danger nous impose à tous.
Tout journal maintenant se demande, par rapport à chaque histoire:
"S’agit-il de nouvelles informations?". Tout ce que je suggère est que
vous ajoutiez la question: "Est ce dans l'intérêt de la sécurité
nationale". Et j'espère que tout groupe en Amérique (associations et
hommes d'affaire et officiels à tous niveaux) poseront la même
question des efforts à accomplir, et soumettront leurs actions aux
mêmes justes contrôles.
Et si la presse américaine considérait et recommandait la mise en
place volontaire de nouveaux éléments spécifiques dans les rouages du
gouvernement, je peux vous assurer que nous coopérerons de tout cœur
et prendrons en considération ces recommandations.
Peut être n'y aura t'il pas de recommandations. Peut être n'y a
t'il pas de réponse au dilemme auquel se trouve confrontée une société
libre et ouverte dans une guerre froide et secrète. En temps de paix,
toute discussion sur ce sujet, et toute action qui en résulte, sont à
la fois douloureuses et inédites. Mais nous vivons un temps de paix et
de péril tel qu'on n'en connu pas de précédent dans l'histoire.
C'est la nature sans précédent de ce défi qui aussi exige de vous
de répondre à une deuxième obligation, une obligation que je partage.
Et c'est celle d'informer et d'alerter le peuple américain, de
s'assurer qu'il possède tous les éléments d'information nécessaires et
qu'il les comprenne également (les périls, les perspectives, les
objectifs, de notre programme et les choix qui se présentent à nous.)
Aucun président ne devrait craindre que le public ne scrute son
programme. Car cet examen approfondi permet la compréhension. Et la
compréhension autorise le soutien ou l'opposition. Les deux sont
nécessaires. Je ne demande pas à vos journaux de soutenir
l'administration mais je demande votre aide dans la tâche énorme
d'informer et d'alerter le peuple américain. Car j'ai toute confiance
en la réponse et le dévouement de nos citoyens dès qu'ils sont
pleinement informés.
Non seulement je ne pourrais pas réprimer la controverse entre vos
lecteurs, mais je dis qu'elle est la bienvenue. Cette administration a
l'intention d'être franche concernant ses erreurs car comme un homme
sage a dit un jour: "une erreur ne devient une faute que lorsqu'on
refuse de la corriger". Nous avons l'intention de prendre la pleine
responsabilité de nos erreurs. Et nous attendons de vous que vous les
pointiez du doigt quand nous manquerons à cet engagement.
Sans débat, sans critique, aucune administration et aucun pays ne
peuvent réussir, et aucune république ne peut survivre. C'est pourquoi
selon le législateur Athénien décréta que c'était un crime qu'un
citoyen se dérobe à la controverse. Et c'est pourquoi notre presse fut
protégée par le premier amendement (le seul business en Amérique
spécifiquement protégé par la constitution) pas en premier lieu pour
amuser ou divertir, pas pour exacerber le trivial et le sentimental,
pas pour simplement "donner au public ce qu'il veut", mais pour
informer, stimuler, réfléchir, faire état des dangers et opportunités,
montrer nos crises et nos choix pour mener, façonner, éduquer et
parfois même provoquer la colère de l'opinion publique.
Cela signifie une plus vaste couverture et analyse des nouvelles
internationales (car elle n'est plus lointaine et étrangère mais à
portée de main et locale). Cela signifie une attention accrue à une
compréhension améliorée des actualités autant qu'une meilleure
transmission. Et cela signifie, enfin, que le gouvernement à tous les
niveaux, doit remplir son obligation de vous fournir l'information la
plus complète possible en dehors des limites les plus étroites de la
sécurité nationale (et nous avons l'intention de le faire). C'est au
tout début du 17ème siècle que Francis Bacon remarqua trois inventions
récentes qui étaient déjà en train de transformer le monde: la
boussole (compas?), la poudre à canon et la machine à imprimer.
Maintenant le lien entre les nations qui a été d'abord accompli par la
boussole a fait de nous tous des citoyens du monde les espoirs et les
craintes d'un seul devenant les espoirs et les craintes de tous.
Tandis que les efforts se poursuivent pour vivre ensemble dans ce
monde unique, l'évolution de la poudre à canon jusqu'à ses limites
ultimes a mis en garde l'humanité contre les terribles conséquences
d'un dérapage.
C'est donc de la machine à imprimer (de la mémoire des actions des
hommes, la gardienne de leurs consciences, la messagère de leurs
nouvelles) que nous attendons de la force et de l'assistance, qu'elle
nous donne confiance qu'avec votre aide l'homme sera ce pourquoi il
est né: libre et indépendant.
J.F.Kennedy