Saint Jean  .... le livre des sept secrets ... Philippe Plet

Dossiers : Judaïsme   Christianisme  

Présentation :...

vous trouverez un résumé de ce chemin initiatique sous http://philippe-plet.org/

Ce livre ...une merveille ...à lire

Le chemin de la vie commence par les Noces de Cana .... l'amour face à la haine .... de l' amour à la "'résurrection ici et maintenant"....EN l' amour  comm-union d'époux ENfant-PAIRE-Nts ....EN la Vie IN-FINIE..

 

a rapprocher aussi , sur ce point du livre, d' Alain Monestier La genèse du féminin ...Fécondité de l'esprit et pensée biblique

 de la relationnalité :

...Toute crise de l'intelligence a pour fondement l'abandon de la recherche du vrai ( vi-à le couple d'époux h-f ..). Tant qu'elle est en recherche, l'âme est tournée vers la lumière. L'intelligence, parce que création de Dieu, est finalisée par la vérité. Le propre de l'intelligence humaine, c'est donc de rechercher la vérité

 

 coqs +

 

.Lorsqu'elle y renonce, elle tombe immédiatement sous l'emprise des ténèbres. La manière la plus habituelle de pratiquer un tel renoncement consiste à arrêter le mouvement de sa pensée aux êtres et aux choses qui peuplent le monde. L'intelligence qui ne cherche pas à aller au-delà de la matière, en posant la question du «pourquoi» de la création, est une intelligence qui a renoncé à la vérité. Or, renoncer même à une partie de la vérité, c'est renoncer à la vérité tout court!

 

  coques +

 

...La famille est le milieu vital et naturel de l'amour en ce monde. 'Une âme ne découvre pas d'abord l'amour dans !'Église ou dans la société; elle le découvre dans la famille.

..Nous avons été créés par amour, et pour l'amour.

 

en relations ' ( juillet 09 >>>: Pages trouvées    ....  multENunENUN  ....

le NOUS à la rencontre de l'A TOTALITE

Metanoia ...conversion ..changement et le renouvellement intime.

L'esprit d'amour dans la vérité ......de Simone Weil

....Eloge de l'amour ....par Alain Badiou

Caritas in veritate

 

 

n  

 

EXTRAITS :

 

Le premier signe

page 27 à 36

 

Qu'est-ce qu'un signe? Jean utilise un mot grec particulier, que l'on traduit généralement par «signe» et qui renvoie à deux facettes d'une même réalité. Il s'agit d'un événement extraordinaire, d'un miracle. Cet événement est porteur de sens : il est donc un « signe». Nous voilà d'emblée dans la perspective johannique du double niveau de compréhension d'un même événement. Les signes mentionnés par jean dans son évangile ne sont pas seulement des miracles témoignant de la toute-puissance de jésus. Bien sûr, ils sont cela d'abord: Jésus les accomplit justement pour permettre aux gens de comprendre qu'il est bien l'envoyé du Père. Mais la richesse divine a le pouvoir d'associer à un acte de sa toute-puissance une véritable sagesse et un parfait enseignement-. C'est bien là ce que jean veut nous faire comprendre tout au long de son récit évangélique!

   Cana est la première étape du cheminement spirituel auquel nous convie le Seigneur. Elle est la mise en route. Ce premier signe inclut l'appel des premiers disciples et nous relate la première manifestation publique du Christ.

   Le premier signe est constitué de plusieurs épisodes Un i,19 - 3,36). le témoignage de Jean-Baptiste, le choix des premiers disciples, les noces de Cana, la purification du temple, l'entretien avec Nicodème et enfin le second témoignage de Jean-Baptiste. Ces épisodes, si différents les uns des autres, ont pourtant une unité thématique réelle et une atmosphère identique. Les noces de Cana représentent un mystère particulièrement joyeux. Elles sont le prolongement de la joie de Jean-Baptiste et de son annonce : «Voici l'Agneau de Dieu.,, C'est bien là le premier signe qui introduit les disciples dans la foi : « Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui" C'est ce que je voudrais mettre en relief dans ce chapitre.

 

 De Nazareth à Cana

   À Cana, nous assistons à la manifestation publique de jésus. Elle commence discrètement avec Jean-Baptiste au bord du Jourdain, et se poursuit, aussi discrètement, à Cana, petit village de Galilée situé tout près de Nazareth. La Galilée, région située dans le nord de la Palestine, était réputée pour être très hellénisée. On trouvait donc dans ce territoire beaucoup de juifs pratiquant peu leur foi ou, pire, des juifs ayant adopté les coutumes religieuses des Romains. Les Galiléens étaient donc mal vus des juifs fervents. Leur dénomination était utilisée comme une dérision en matière religieuse. A Nicodème, un pharisien qui tentera de défendre jésus devant ses confrères, on répondra ironiquement : « Es-tu de la Galilée, toi aussi? »

   Du point de vue religieux, la Galilée est donc le lieu du parfait anonymat. Aucune personnalité religieuse de renom n'y habite. Ce n'est pas là qu'un rabbi aurait eu l'idée de fonder une école de spiritualité. Jean-Baptiste lui-même baptisait les foules à la frontière de la Judée, au bord du Jourdain. Dieu seul a eu l'idée de venir s'établir en Galilée! Pas de meilleur endroit pour y cacher jésus! C'est ce que dira Jean-Baptiste aux pharisiens venus l'interroger: «Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas» (Jn 1,26). Voilà bien pour Dieu la meilleure façon de se cacher : il vient au milieu des hommes qui ne le connaissent pas.

   Le thème du secret apparaît tout au long du premier signe. Il s'agit du secret relatif à l'identité réelle de jésus, messie prêt à se montrer au grand jour. C'est Jean-Baptiste d'abord, le cousin de jésus, qui le proclame ouvertement : « Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, celui-là m'avait dit: <Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint' » (in 1,33). Jean-Baptiste connaissait parfaitement son cousin, mais il ne connaissait pas son identité messianique ! C'est seulement au bord du Jourdain qu'il la découvre. A Nazareth, jésus n'a rien laissé transparaître sur lui-même. Il n'y a pas fait de miracles durant sa vie cachée ni prononcé de grands discours; au point que, lorsqu'il y retournera, personne ne voudra croire en lui. C'est le fameux épisode que nous relate Marc (6,1-6): les gens de Nazareth s'étonnent certes de sa sagesse et des grands miracles qu'il accomplit ailleurs, mais sans parvenir à le regarder autrement que comme l'un d'entre eux. A leurs yeux, il ne pouvait pas être l'envoyé de Dieu! Leur incapacité à dépasser l'apparence des choses était si forte que Jésus Iui-même s'en étonna !

 

De même, à Cana, ce n'est pas jésus qui est directement invité à cette noce; c'est sa mère, ainsi que le souligne saint Jean

Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée; et la mère de Jésus y était. Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. Le vin étant venu à manquer, la mère de jésus lui dit: «Ils n'ont plus de vin. » Jésus lui répondit: «Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi? Mon heure n'est pas encore venue. » Sa mère dit aux servants: «Tout ce qu'il vous dira, faites-le» (In 2,1-5).

Il existe indubitablement une continuité entre Nazareth et Cana. Nazareth, c'est la vie cachée de jésus. Jean ne nous parle pas de Nazareth dans son évangile. Mais l'entrée de jésus dans la phase publique de sa mission est l'occasion d'en apercevoir les tout derniers moments. La place de Marie y est centrale. C'est elle qui est invitée; Jésus ne l'est que par sa filiation.

  Ce détail du récit nous dit quelque chose de la spiritualité de Nazareth. Il s'agit d'une expérience de Dieu vécue dans le quotidien. Les gestes de tous les jours, les rencontres, les problèmes à résoudre et les joies simples forment la traîne, t générale où la foi doit se développer. Marie représente le sommet de cette vie spirituelle, jésus incarnant la présence divine silencieuse. Une présence divine qui prend peu à peu de l'importance, au point de se manifester finalement au grand jour! Ainsi, Nazareth nous offre un bel enseignement: la vie humaine ordinaire est le point initial d'où commence l'oeuvre de Dieu. Cana, qui en est le prolongement immédiat, ne nous dit pas autre chose. Les noces célèbrent l'amour d'un homme et d'une femme. La capacité pour une personne d'aimer une autre personne est pour Dieu l'occasion, ordinaire et première, de se rendre présent en notre monde, ce que signifie exactement la présence de jésus aux noces.

   Le secret de la spiritualité de Nazareth est un secret de Polichinelle. La vie cachée de Jésus est une vie de famille ! Certes, c'est .la vie de "là sainte Famille », mais il s'agit précisément d'une «famille ». Il est étonnant de songer que, pour «seulement» trois années de manifestation publique, jésus ait gardé le silence durant trente ans, à l'ombre de la famille de Nazareth. Dieu veut ainsi nous montrer que l'expérience des limites humaines est d'une très haute importance pour le  développement de la foi.

La famille est le milieu vital et naturel de l'amour en ce monde. 'Une âme ne découvre pas d'abord l'amour dans !'Église ou dans la société; elle le découvre dans la famille. C'est pourquoi Dieu s'y tient systématiquement, même si les hommes ne s'en rendent généralement pas compte, tout occupés qu'ils sont à jouir de leur propre bonheur. Une grâce particulière est accordée d'en haut à toutes les familles. Une grâce qui permet à la famille de s'édifier sur la base de l'amour réciproque de ses membres.

    A Nazareth; la soumission d'amour de jésus à ses parents est une « revitalisation » de cette grâce. De même, le miracle de jésus x noces de Cana est aussi un geste de revitalisation: «Ils n'ont plus de vin ! » Ce miracle devient le signe prophétique d'une promesse d'effusion d'amour divin dans les coeurs des membres de la famille humaine en général; et cette grâce est obtenue par l'intercession de Marie.

   A Nazareth, c'est Marie qui prend les initiatives, comme elle le fait à Cana! On est frappé d'ailleurs de l'aisance de Marie lors de ces noces, de son attention maternelle et de son autorité tranquille. Cette attitude reflète celle de Nazareth sans aucun -doute. Pour commander aux serviteurs comme elle le fait, il est clair qu'elle est « chez elle » à Cana. De plus, elle demande à jésus un « miracle», apparemment de la même manière qu'elle lui aurait demandé un petit service! Ce comportement est l'image de la relation simple et naturelle de l'âme avec Dieu, quand on associe Dieu à tous les événements de la vie quotidienne, sans autre perspective que de vivre en sa présence.

   Dieu est au centre de la Sainte Famille ! De façon unique, il est la sou e et il est aussi le sommet de l'amour de Marie et de Joseph C'est ce témoignage qu'apporte Marie à Cana. Joseph -West plus là. Cet humble- serviteur.' est effacé devant son fils et son Dieu. IJ était « l' ombre » du Père celui qui, en se faisant l'époux de Marie et le père de jésus, servit à cacher l'identité véritable_ de l'enfant et de sa mère aux yeux des homme . Mais au jour de la manifestation de jésus au monde, sa mission prenait fin. Sa mort demeure le secret de jésus et de marie. Il est, dans son silence même, l'icône de la spiritualité de la vie cachée. Son départ marquait forcément un tournant dans l'histoire de la Sainte Famille. Il ne pouvait que manifester la volonté du Père !

«Ils n'ont plus de vin»

  Comment comprendre le mystère de cette pénurie soudaine de vin en pleine fête? Il s'agit de la fête de.-l'amour humain. Or, nous savons que le vin est le symbole de la joie. Pour beaucoup d'hommes, en effet, la vie quotidienne finit tôt ou tard par perdre sa dimension de « mystère ». On n'attend plus rien de nouveau! Et même si cette vie n'est pas l'enfer, elle n'a plus assez d'intensité en elle-même pour être vécue avec passion. Le quotidien devient le symbole d'A e grisaille existentielle sans relief, d'un monde sans vocation! Cette pénurie, à sa manière, nous parle encore de Nazareth, mais d'un point de vue négatif: Nazareth sans la présence de jésus, c'est le monde privé de vin. Or, Bethléem se distingue de Nazareth pour ce motif même. C'est en effet à Bethléem que devait naître le Messie, tandis que, s'exclama Nathanaêl, « de Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon?» (in 1,46). De Bethléem pouvait sortir quelque chose de bon, à savoir le Messie; mais de Nazareth, on n'attendait personne. Pourquoi ce pessimisme?

   Normalement, c'est «le vin qui réjouit le coeur de l'homme» (Ps 104,14). Il existe en effet, dans l'Écriture sainte, une relation étroite entre le vin et le coeur. Or, spirituellement, ce qui réjouit notre coeur n'est autre que l'amour. Nous avons été créés ( hcq ... femme et homme ..) par amour, et pour l'amour. Telle est la condition humaine dans sa dimension radicale. Manquer de vin, dans cette perspective, ne signifie pas autre chose que manquer d'amour! Et il nous faut aussi lier ce fait au contexte de la noce où il advient. Le mariage est la célébration de l'amour humain dans sa fraîcheur printanière. Mais les époux auront ils toujours assez de coeur pour demeurer dans l'amour tout au long de leur vie? Ne se lasseront-ils pas un jour l'un de l'autre? Alors, en ces jours-là, le vin viendra à manquer!

   N'est-ce pas cette fragilité humaine que vient souligner l'incident de Cana? Marie en prend toute la mesure à cet instant. Il y a, dans sa requête, une certaine angoisse maternelle. Le prophète Isaïe avait dramatiquement souligné les effets d'un durcissement du coeur du peuple d'Israël:

« Le moût est triste, la vigne est flétrie;

Tous ceux qui avaient le cœur joyeux soupirent.

La joie des tambourins a cessé, la gaîté bruyante a pris fin,

La joie de la harpe a cessé.

On ne boit plus de vin en chantant;

Les liqueurs fortes sont amères au buveur.

La ville déserte est en ruines ;

Toutes les maisons sont fermées, on n'y entre plus.

On crie dans les rues, parce que le vin manque;

Toute réjouissance a disparu,

L'allégresse est bannie du pays» (Is 24,7-11).

Voilà donc que l'amour humain, sorti tout droit du coeur de Dieu lors de la création du monde, vient à manquer! Le cœur de l'homme vieillit s'il ne se renouvelle pas! La nouvelle alliance prend ainsi tout son sens : il faut un vin nouveau pour les hommes, c'est-à-dire un renouvellement de leur capacité à aimer. L'humanité n'a pas su conserver le premier vin, celui du premier jour, et ce vin s'est éventé par l'action du péché originel. Il a perdu pour l'homme sa force et sa saveur, sans perdre totalement ses qualités cependant. Mais il s'est affadi, comme «usé» par le temps.

  Sans doute les hommes ont-ils en eux la capacité de s'adapter progressivement à la baisse de leur enthousiasme intérieur, selon cette même loi qui préside au vieillissement des corps. On considère comme «naturel» de voir s'enfuir, ainsi que le sable entre les doigts, l'énergie de sa jeunesse. La fraîcheur généreuse d'un regard neuf sur le monde s'atténue. Les idéaux s'érodent peu à peu, sans que l'on trouve anormale ou tragique cette évolution. La recherche de la vérité fait place à une adaptation nécessaire au milieu ambiant. Bref, le vin vient à manquer peu à peu ! On soupire quelquefois encore avec nostalgie, en se mettant à désirer un vin nouveau capable de rendre cet état d'âme d'un âge désormais révolu: «Qu'il sera beau! Qu'il sera splendide! Le blé fera s'épanouir les jeunes gens, et le vin nouveau les vierges» (Za 9,17).

    Lorsque saint Paul évoque la venue de jésus Christ dans notre monde, il déclare qu'elle se réalisa «à la plénitude des temps» (Ga 4,4), c'est-à-dire lorsque les temps furent accomplis. L'histoire qui avait précédé la venue du Sauveur était arrivée à maturité. Il s'agit là du temps de Cana, un temps parvenu à son achèvement et qui est humainement un temps de pénurie spirituelle. Il s'agir d'une « plénitude» de besoin à comble Pour bien comprendre le climat existentiel exprimé par Cana, il faut revenir à l'expérience des Hébreux en Égypte. En effet, le livre de l'Exode nous fait bien comprendre cette attente diffuse, en même temps que passive, de l'amour divin. Les Hébreux vivaient alors un quotidien très dur : ils étaient esclaves ! La vie quotidienne était saturée par le travail à accomplir. Aussi, « les Israélites, gémissant de leur servitude, crièrent, et leur appel à l'aide monta vers Dieu, du fond de leur servitude. Dieu entendit leur gémissement» (Ex 2,23-24). Il faut lire avec attention ce texte qui dépeint dramatiquement la situation d'une humanité prisonnière de ses propres limites, le livre de l'Exode nous dit que les Hébreux «crièrent». Mais ce cri n'a pas de destinataire. C'est un cri qui se perdrait dans le néànt si Dieu ne l'entendait de lui-même. Les Hébreux ne crièrent pas vers Dieu. Pourtant, Dieu entendit la plainte de leur coeur. La situation de manque d'amour des hommes du temps de Jésus était certes moins extrême que celle des Hébreux en Égypte, mais elle était fondamentalement de même nature. Les limites de la condition humaine semblaient infranchissables !

   Marie connaît le secret de son Fils. Elle sait que son Coeur est rempli d'un vin nouveau destiné à enivrer les hommes par un amour au-delà d'eux-mêmes. Le secret du bonheur n'est il pas dans le dépassement de soi ? Marie voudrait ouvrir tout W ~ grand le Coeur de Dieu. Elle ignore seulement les modalités de cette ouverture : le coup de lance sur la croix.

   Manquer de vin est donc la caractéristique de Cana. Dans la vie spirituelle, ce manque indique un état de préparation à la révélation de l'évidence de Dieu. Lorsqu'on dit aujourd'hui que les gens sont en attente du sacré, sans être encore engagés activement dans sa recherche, on dit simplement qu'ils vivent spirituellement à Cana de Galilée ! Cana est un état de manque, et donc un désir, qui creuse lentement le coeur des hommes, afin de les disposer un jour à entendre l'appel divin.

«Mon heure n'est pas encore venue»

Jésus est descendu du Ciel pour apporter ce vin nouveau aux hommes. C'est bien le sens global du signe qu'il accomplit à Cana. Mais, en même temps, il le relativise. Telle est la signification de sa réponse à Marie : « Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi? Mon heure n'est pas encore venue.» Cette phrase énigmatique renvoie à l'idée d'un «itinéraire;> à parcourir. Dès ce premier signé, Marie demande à jésus une transformation radicale du coeur du croyant. Mais une telle transfiguration de l'âme ne peut s'opérer en une fois. Marie peut faire cette demande à son Fils, parce qu'elle ne s'occupe pas de la manière dont Dieu réalisera cette divine transformation. Elle demande seulement la grâce. C'est pourquoi le décalage entre Marie et jésus n'est en réalité qu'apparent. Par son exclamation : « Mon heure n'est pas encore venue », jésus sous-entend cependant un processus plus ample de préparation à recevoir la grâce, c'est-à-dire la nécessité d'un long cheminement ; mais, du même coup, sa mention de « l'heure » marque aussi la mise en route de ce processus. Jésus -se refuse à tout donner immédiatement. Mais il répond' quand même favorablement à la prière de sa mère : il commence à donner un peu de ce vin nouveau, seul capable de rendre la vie au coeur anémié des hommes.

   Jésus ne s'adresse pas à sa mère en l'appelant « maman » ni «Marie»; il l'appelle «femme », terme générique qui implique l'idée d'une prise de distance. Jésus prend ici ses distances vis-à-vis de la mère et de la femme. Mais cette distance n'est pas refus, tout au contraire ! Il veut seulement lui faire comprendre que ce qu'elle demande exige impérativement de prendre de l'altitude vis-à-vis des situations particulières. Jean met ainsi en relief un élément essentiel de l'enseignement du Christ : il faut dépasser le plan purement psychologique pour comprendre l'oeuvre de Dieu. Ç'est une distance de sagesse dans la foi. Aussi Marie devient-elle' « la Femme y, dont la Bible commente la mission d'écraser la tête du serpent 1. Marie est la « nouvelle Ève », et son rôle est de seconder jésus, le « nouvel Adam ».

Dans la vie spirituelle, le Seigneur nous demande souvent de savoir prendre patience. Notre être aspire tant à la perfection ! Jésus aussi désire ardemment transfigurer notre âme ! Mais il ne veut pas compromettre cette opération délicate par trop de hâte. Il commence donc par nous demander d'avoir progressivement un peu de recul envers les êtres et les choses, afin de dépasser le plan strictement terrestre. Jésus est «d'en haut», et nous sommes «d'en bas». L'heure de jésus en notre vie viendra en son temps.

1. Gn 3,15: « Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité; elle t'écrasera la tête, et tu la meurtriras au talon.

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Page 169  à  174

Le sixième sens

La lumière luit dans les ténébres

.....Jésus sauve la vie de la femme, puis il prophétise de façon voilée son retour vers le Père. Plus tard, devant les Juifs «qui avaient cru en lui», Jésus ne tarde pas à provoquer de nouveau la colère de son auditoire. Ils l'injurient, l'accusant d'être un possédé ; puis, après que Jésus eut proclamé sa divinité, ils tentent de le lapider: «Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter, mais Jésus se déroba et sortit du temple» (8,59). On apprend ensuite qu'une sanction d'excommunication sera appliquée aux personnes qui reconnaîtraient Jésus comme le Messie {cf. 9,22). Après la guérison de l'aveugle-né, Jésus tient alors un long discours sur le thème du bon Pasteur, à la fin duquel une grande scission advient parmi les Juifs à son propos ( 10,19). Jésus quitte alors Jérusalem. Il revient en hiver, tenant dans le temple un autre vaste discours qui confirme ses précédents enseignements. Les Juifs tentent alors de le lapider (io,3i), mais ils ne parviennent pas à s'emparer de lui.

Ce regard d'ensemble suffit à démontrer l'intensité du conflit qui oppose désormais Jésus aux Juifs. Quel grand mystère que celui du combat spirituel! Lorsque saint Jean, dans le Prologue, nous montre «la lumière brillant au milieu des ténèbres», on pourrait croire à une évocation poétique, saluant un roi cosmique venant prendre pacifiquement possession de son royaume. La suite de l'évangile nous fait comprendre qu'il n'en est rien. En ce sixième signe, la contemplation du mystère d'iniquité devient un thème central qui prélude à la contemplation de la divinité du Christ. Jean avertit le croyant qu'à l'instar de l'ex-aveugle il lui faut accepter d'entrer dans cette contemplation de «l'obscur».

Quel est donc finalement le motif du refus des Juifs? Il porte explicitement sur la reconnaissance de Jésus en tant que «Messie divin». Si Jésus s'était présenté seulement comme un homme, et non pas comme Dieu lui-même, les Juifs auraient pu s'accommoder de lui. Il aurait été un rabbi de renom, dépassant certes en autorité ceux de son temps, mais ne remettant pas en cause fondamentalement le judaïsme. Car c'est de cela qu'il s'agit: l'enseignement de Jésus fait éclater tous les cadres de la religion juive . II est ou bien la plus grande menace jamais advenue, ou bien une véritable révélation divine .

On pourrait objecter qu'admettre l'identité divine de Jésus, sur sa seule parole, et malgré ses miracles impressionnants, n'était pas en soi une chose aisée pour ses contemporains.

Croire de but en blanc à la divinité du Christ n'est effectivement pas concevable sans une préparation préalable. Mais le cheminement des sept signes constitue justement un dévoilement progressif de l'identité divine du Seigneur! Or, le propre des Juifs qui s'opposent à Jésus, c'est de ne pas évoluer, de ne pas cheminer! Et c'est pourquoi ils deviennent les prototypes  du refus de la foi. Dans leur monde, Dieu ne peut pas se faire I entendre, par principe !

C'est ce qu'explique admirablement Jésus à ceux qui avaient cru en lui: «Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera» (jn 8,31-32). Le problème est de «demeurer» dans l'enseignement de Jésus. Il faut l'habiter! Quand on emménage dans une nouvelle maison, on ne la connaît pas et on ne «l'habite» que petit à petit. C'est progressivement qu'on s'habitue à sa tonalité propre, à ses particularités. Alors seulement, on commence à goûter ce qui en fait le charme profond.

Il en va de même de la parole de Dieu. Il faut faire cet effort de l'habiter progressivement, de la laisser agir en nous pas à pas.

La vérité, même explicitement proclamée, n'est pas d'emblée connue profondément. Lorsqu'on la connaît, c'est alors qu'elle peut porter du fruit dans l'âme et nous libérer.

Il faut donc accepter de poser un regard de vérité sur les ténèbres elles-mêmes. Les Juifs se considéraient comme les descendants d'Abraham, qui avait quitté son pays d'origine pour marcher à la suite de Dieu. Il était devenu un nomade sillonnant librement les chemins du monde. Ces hommes, héritiers d'Abraham, «n'ont été esclaves de personne». Leur liberté leur tient à cœur. Ils en oublient que leurs ancêtres furent esclaves en Egypte et qu'ils subirent le joug de fer du pharaon î Jésus ne leur parle pas du pouvoir des Romains qui maintenant pèse sur leurs épaules. Il voudrait ici leur faire comprendre que c'est spirituellement qu'il faut regarder sa condition, afin de saisir en quoi elle consiste vraiment: «Qui commet le péché est esclave du péché.» Or, quand Jésus annonce à ceux qui l'écoutent que la vérité les rendra libres ils se raidissent. C'est là un langage nouveau pour les auditeurs de Jésus; et ce langage, ils le jugent inacceptable.

Le propre des ténèbres est d'enchaîner ceux qu'elles tiennent en leur pouvoir. L'obscurité spirituelle ( hcq ...l'amour de soi ...? ..), c'est le péché Le croyant du sixième signe est ainsi invité à remonter à la source de la «puissance de refus» qui l'habite. Ce refus de la lumière est aussi une puissance d'asservissement, car elle s'oppose au bien de l'âme, qui a été créée pour la lumière ! Cette dénonciation du péché correspond à l'expérience de foi de l'aveugle de naissance: quand ses yeux s'ouvrent il découvre que le monde dans lequel il a vécu jusqu'alors gît en réalité dans les ténèbres. Et ces ténèbres sont comme un air empoisonné que seule la foi en Jésus peut nous permettre d'éviter de respirer. Le péché est un poison diffus qui aveugle irrémédiablement les esprits. C'est la fidélité à la vérité qui conduit pas à pas l'aveugle jusqu'à la liberté. Une liberté de regarder le réel pour ce qu'il est, sans être esclave des pressions des juifs; bref, de se trouver loin du joug du pouvoir des hommes. Telle est la véritable liberté. Elle dépasse la simple possibilité matérielle d'agir librement: elle permet d'user de cette possibilité de liberté et d'en vivre! Il ne s'agit pas seulement d'avoir le «droit d'être libre»; il faut l'être effectivement!

C'est alors que Jésus peut entraîner son auditoire au cœur même des ténèbres, en l'invitant à considérer Celui qui les habite au plus profond: «Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage? C'est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge. Mais parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas» (jn 8,43-45). C'est la première fois dans le quatrième évangile que Jésus parle de façon aussi claire du démon. Fondamentalement, le diable est homicide et menteur. Il exerce une forme de «paternité», sur le plan spirituel, mais qui est totalement négative.

Tandis que Dieu est la source de la vie, le diable, lui, est «homicide dès le commencement». Le mot «commencement» en grec a deux sens : celui d'un début chronologique, et celui de «principe». Jésus joue ici sur les deux aspects du mot: le démon est chronologiquement la première créature de Dieu à s'être révoltée contre lui, et donc à s'être éloignée de la vie; mais il est aussi l'apôtre de la mort, c'est-à-dire le principe (le prince) de la rébellion contre Dieu. Il aurait pu, bien sûr, se contenter de refuser le pouvoir divin, sans entrer en conflit avec Dieu. Mais cette hypothèse relève seulement d'une possibilité purement logique. Dans le réel, les choses sont plus « simples » : on ne peut pas se tenir hors de Dieu de manière purement indifférente! C'est un fait d'expérience de foi, confirmé par la révélation. L'aveugle-né en fait intensément l'expérience au cours de ses trois témoignages. La vie étant la propriété de Dieu lui-même, il est impossible de s'éloigner de lui sans trouver la mort. Mais la révélation ne définit pas la mort comme un anéantissement de l'être. Par volonté divine, cet anéantissement de ceux que Dieu a créés n'est pas possible sans son intervention. La résurrection des morts est promise au juste comme à l'injuste; mais le premier ressuscite pour la vie, et le deuxième pour «la seconde mort» (Ap 20,1 i-i5). Le démon ne peut pas fuir Dieu et rester en même temps dans l'amour. S'éloignant de Dieu, c'est la haine qui devient sa compagne. La haine, c'est tout le contraire de l'indifférence philosophique. La haine n'a de cesse d'entraîner le monde entier derrière elle et de vouloir l'embraser !

Apôtre de la mort, le diable est aussi «menteur et père du mensonge». En grec, le mot diabolos (diable) signifie tout à la y fois «tromper», «accuser» et «diviser», C'est pourquoi l'Église '• salue le démon du titre de «séducteur des âmes», en le comparant au serpent. Or, sa séduction repose sur le mensonge. Comment pourrait-il faire autrement, puisque la vérité habite le royaume de la lumière? Nous avons vu qu'au cours de son témoignage devant les Juifs l'aveugle-né se heurte à cette puissance de mensonge. Ses interlocuteurs ne sont intéressés qu'à découvrir ce qui leur permettra de confondre Jésus. Totalement indifférents à la grâce immense faite à l'ex-aveugle, ils paraissent même ne pas réaliser ce que signifie une telle faveur. Au lieu de s'interroger sur l'origine du pouvoir de Jésus, ils ne considèrent que le problème juridique de la violation du sabbat. Pour eux, accomplir une guérison le jour du sabbat représente une transgression religieuse! Le mensonge, c'est cela: un aveuglement si radical qu'il ne permet plus de voir la lumière !

Toute crise de l'intelligence a pour fondement l'abandon de la recherche du vrai. Tant qu'elle est en recherche, l'âme est tournée vers la lumière. L'intelligence, parce que création de Dieu, est finalisée par la vérité. Le propre de l'intelligence humaine, c'est donc de rechercher la vérité. Lorsqu'elle y renonce, elle tombe immédiatement sous l'emprise des ténèbres. La manière la plus habituelle de pratiquer un tel renoncement consiste à arrêter le mouvement de sa pensée aux êtres et aux choses qui peuplent le monde. L'intelligence qui ne cherche pas à aller au-delà de la matière, en posant la question du «pourquoi» de la création, est une intelligence qui a renoncé à la vérité. Or, renoncer même à une partie de la vérité, c'est renoncer à la vérité tout court!

Nous rejoignons ici le problème de la nature du mal. Le mal est une privation de bien. Comme un fruit qui s'abîme, le mal rend insipides, voire repoussantes, les choses bonnes. Mais le mal n'est pas un être en soi. Il est seulement une puissance de refus qui n'a d'autres perspectives que sa propre révolte. Le mal n'est jamais constructif De même que l'erreur ampute la vérité, et donc la dénature, le mensonge pur et simple rend la vérité méconnaissable, la défigure, et ainsi la fait disparaître du champ de l'intelligence. Le mensonge est un semeur de doute et de confusion, un «esprit de vertige».

L'objet de contemplation proposé au croyant du sixième signe est la divinité du Christ. C'est autour de cette question que se cristallise l'affrontement entre Jésus et les Juifs. Le disciple de Jésus est invité à un discernement radical des esprits. L'esprit des Juifs est-il ouvert à la vérité? Jean nous démontre que non, puisque l'auditoire de Jésus, qui prétend avoir cru en lui (jn 8,31), refuse par principe la leçon essentielle: «En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham existât, JE suis» (8,58). Rejeter la possibilité de la divinité du Christ, c'est rejeter tout son enseignement. Alors, pourquoi venir encore l'écouter? Sans doute reconnaissent-ils au fond d'eux-mêmes une voix qui n'est pas ce monde...

Conclusion

Le sixième signe achève de faire du croyant un véritable disciple de Jésus. Cette étape de la foi est une nuit spirituelle intense, dont le but est de purifier en profondeur l'intelligence du croyant. Elle lui communique le discernement des esprits, c'est-à-dire le discernement entre le mensonge et la vérité. Le témoignage du disciple devient alors un véritable combat spirituel qui l'oppose à la puissance de refus du péché et le stimule par là même à confesser résolument son attachement à Jésus.

L'accès à la foi en la divinité de Jésus est l'étape ultime de cette longue nuit. Elle est aussi sa récompense. Le septième signe en sera le développement plénier.

 

 

 

 

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