EXTRAITs
Présentation 9
p11
....
« Qui
ne commence pas par l'amour ne saura jamais ce que c'est que la
philosophie ».
Platon
....
I.
L'amour menacé
13
....
p16....rencontres Meetic...
qui vous propose de surcroît - l'expression m'a paru tout à fait
remarquable - un « coaching amoureux ». Vous aurez donc un entraîneur
qui va vous préparer à affronter l'épreuve. Je pense que cette
propagande publicitaire relève d'une conception sécuritaire de l'«
amour ». C'est l'amour assurance tous risques : vous aurez l'amour,
mais vous aurez si bien calculé votre affaire, vous aurez si bien
sélectionné d'avance votre partenaire en pianotant sur Internet - vous
aurez évidemment sa photo, ses goûts en détail, sa date de naissance,
son signe astrologique, etc. - qu'au terme de cette immense
combinaison vous pourrez vous dire : « Avec celui-là, ça va marcher
sans risques ! » Et ça, c'est une propagande, c'est intéressant que la
publicité se fasse sur ce registre-là. Or, évidemment, je suis
convaincu que l'amour, en tant qu'il est un goût collectif, en tant
qu'il est, pour quasiment tout le monde, la chose qui donne à la vie
intensité et signification, je pense que l'amour ne peut pas être ce
don fait à l'existence au régime de l'absence totale de risques. Ça me
paraît un petit peu comme la propagande qu'avait faite à un moment
donné l'armée américaine pour la guerre « zéro mort ».
Il y aurait selon vous une correspondance entre la guerre « zéro
mort » et l amour « zéro risque », de la même manière qu'il existe,
pour les sociologues Richard Sennett et Zygmunt Bauman, une analogie
entre le «J»e ne t'engage pas » que dit lagent du capitalisme
financier au travailleur précarisé et le «Je ne m'engage pas » que
prononce à sa ou son partenaire l'« amoureux » détaché dans un monde
où les liens se font et se défont au profit d'un libertinage cosy et
consumériste ?
C'est un peu le même monde, tout ça. La guerre « zéro mort »,
l'amour « zéro risque », pas de hasard, pas de rencontre, je vois là,
avec les moyens d'une propagande générale, une première menace sur
l'amour, que j'appellerai la menace sécuritaire. Après tout, ce
n'est pas loin d'être un mariage arrangé. Il ne l'est pas au nom de
l'ordre familial par des parents despotiques, mais au nom du
sécuritaire personnel, par un arrangement préalable qui évite tout
hasard, toute rencontre, et finalement toute poésie existentielle, au
nom de la catégorie fondamentale de l'absence de risques. Et puis, la
deuxième menace qui pèse sur l'amour, c'est de lui dénier toute
importance. La contrepartie de cette menace sécuritaire consiste à
dire que l'amour n'est qu'une variante de l'hédonisme généralisé, une
variante des figures de la jouissance. Il s'agit ainsi d'éviter toute
épreuve immédiate, toute expérience authentique et profonde de
l'altérité dont l'amour est tissé. Ajoutons tout de même que, le
risque n'étant jamais éliminé pour de 'bon, la propagande de Meetic,
comme celle des armées impériales, consiste à dire que le risque
sera pour les autres ! Si vous êtes, vous, bien préparé pour
l'amour, selon les canons du sécuritaire moderne, vous saurez, vous,
envoyer promener l'autre, qui n'est pas conforme à votre confort. S'il
souffre, c'est son affaire, n'est ce pas ? Il n'est pas dans la
modernité. De la même manière que « zéro mort », c'est pour les
militaires occidentaux. Les bombes qu'ils déversent tuent quantité de
gens qui ont le tort de vivre dessous. Mais ce sont des Afghans, des
Palestiniens... Ils ne sont pas modernes non plus. L'amour
sécuritaire, comme tout ce dont la norme est la sécurité, c'est
l'absence de risques pour celui qui a une bonne assurance, une bonne
armée, une bonne police, une bonne psychologie de la jouissance
personnelle, et tout le risque pour celui en face de qui il se trouve.
Vous avez remarqué que partout on vous explique que les choses se font
« pour votre confort et votre sécurité », depuis les trous dans le
trottoir jusqu'aux contrôles de police dans les couloirs du métro.
Nous avons là les deux ennemis de l'amour, au fond : la sécurité du
contrat d'assurance et le confort des jouissances limitées.
Il y aurait donc une sorte d'alliance entre une conception
libertaire et une conception libérale de l'amour ?
Je crois en effet que libéral et libertaire convergent vers l'idée
que l'amour est un risque inutile. Et qu'on peut avoir d'un côté une
espèce de conjugalité préparée qui se poursuivra dans la douceur de la
consommation et de l'autre des arrangements sexuels plaisants et
remplis de jouissance, en faisant l'économie de la passion. De ce
point de vue, je pense réellement que l'amour, dans le monde tel qu'il
est, est pris dans cette étreinte, dans cet encerclement, et qu'il
est, à ce titre, menacé. Et je crois que c'est une tâche
philosophique, parmi d'autres, de le défendre. Ce qui suppose,
probablement, comme le disait le poète Rimbaud, qu'il faille le
réinventer aussi. Ça ne peut pas être une défensive par la simple
conservation des choses. Le monde est en effet rempli de nouveautés et
l'amour doit aussi être pris dans cette novation. Il faut réinventer
le risque et l'aventure, contre la sécurité et le confort.
II. Les philosophes et
l'amour 21
C'est à
Rimbaud que vous empruntez la formule « L'amour est à réinventer » et
dans votre propre conception de l'amour vous vous appuyez sur de
nombreux poètes ou écrivains. Mais avant d'en venir là, il faut
peut-être interroger les philosophes. Or, vous avez été frappé par le
fait que peu d'entre vous se sont sérieusement interessés à l'amour,
et quand ils l'ont fait, vous êtes souvent en désaccord avec leur
conception. Pour quelles raisons ?
La
question du rapport des philosophes à l'amour est en effet compliquée.
Le livre écrit par Aude Lancelin et Marie Lemonnier, Les Philosophes
et l'amour. Aimer, de Socrate à Simone de Beauvoir, le montre très
bien. Le livre est d'autant plus intéressant qu'il combine sans aucune
vulgarité ni vulgarisation l'examen des doctrines et l'enquête sur la
vie des philosophes. En ce sens, il n'a pratiquement pas de
prédécesseur. Ce que ce livre met en évidence, c'est que la
philosophie oscille entre deux extrémités sur l'amour, même s'il y
a aussi des points de vue intermédiaires. Il y a d'un côté la
philosophie « antiamour >, Arthur Schopenhauer en étant le
représentant patenté. Celui-ci explique notamment qu'il ne pardonnera
jamais aux femmes d'avoir eu la passion de l'amour, parce que c'est
comme ça qu'elles ont rendu possible la perpétuation de cette espèce
humaine qui pourtant ne valait rien ! Ça, c'est une extrémité. Et
puis, à l'autre extrémité, vous avez quand même les philosophies
qui font de l'amour un des stades suprêmes de l'expérience subjective.
C'est le cas chez Sôren Kierkegaard, par exemple. Pour Kierkegaard, il
y a trois stades de l'existence. Dans le stade esthétique,
l'expérience de l'amour est celle de la séduction vaine et de la
répétition. L'égoïsme de la jouissance et l'égoïsme de cet égoïsme
animent les sujets, dont l'archétype est le Don Juan de Mozart. Dans
le stade éthique, l'amour est véritable, il expérimente son
propre sérieux. Il s'agit d'un engagement éternel, tourné vers
l'absolu, dont Kierkegaard fit l'expérience dans la longue cour faite
à une jeune femme, Régine. Le stade éthique peut faire transition vers
le stade suprême, le stade religieux, si la valeur absolue de
l'engagement est sanctionnée par le mariage. Le mariage est alors
conçu, non pas du tout comme une consolidation du lien social contre
les périls de l'errance amoureuse, mais comme ce qui tourne l'amour
véritable vers sa destination essentielle.
Il y a cette possibilité
de transfiguration ( hcq : ..de métamorphose ..) finale de l'amour quand
«
le Moi
(...le Moi de la femme et celui de l'homme..le
deux formant UN NOUS) plonge à travers
sa propre transparence dans la puissance qui l'a posé » , entendons :
quand, grâce à l'expérience de l'amour, le Moi
( ce NOUS ..) s'enracine dans sa
provenance divine. L'amour est alors, au-delà de la séduction, et
dans la médiation sérieuse du mariage,
un moyen d'accéder au
suprahumain
( ...à une nouvelle humanité ...une nouvelle
culture . ..de nouvelle structures
..celles de l'homocoques ... dont les lliens sont En la relation
del'amour comm-union ..)
La philosophie, vous le voyez, est donc disposée dans une grande
tension.
( hcq : ... entre coq et coques)
D'un côté, une espèce de soupçon rationnel jeté sur l'amour comme
extravagance naturelle du sexe. De l'autre, une apologie de l'amour
souvent proche de l'élan religieux. Avec comme arrière-plan le
christianisme, qui est quand même une religion de l'amour. Notez bien
que cette tension est presque insupportable. Ainsi Kierkegaard n'a pu
supporter l'idée d'épouser Régine, il a rompu avec elle. Il a
finalement incarné le séducteur esthétisant du premier stade, la
promesse éthique de second stade et l'échec du passage, via le sérieux
existentiel du mariage, au troisième stade. Dans tous les cas, il a
traversé toutes les figures de la réflexion philosophique sur l'amour.
L'origine de votre propre intérêt pour cette question n est-elle
pas contenue dans le geste inaugural de Platon qui fait de l'amour
une des modalités d'accès à l'Idée ?
Ce que Platon dit sur l'amour est assez précis : il dit qu'il y a
dans l'élan amoureux un germe d'universel. L'expérience amoureuse
est un élan vers quelque chose qu'il va appeler l'Idée. Ainsi,
même quand je suis simplement en train d'admirer un beau corps, que je
le veuille ou non, je suis en route vers l'idée du Beau. Je pense -
dans des termes tout à fait différents, naturellement -, quelque chose
du même ordre, c'est-à-dire que, dans l'amour, il y a l'expérience du
passage possible de la pure singularité du hasard à un élément qui a
une valeur universelle. Avec comme point de départ une chose qui,
réduite à elle-même, n'est qu'une rencontre, presque rien, on apprend
qu'on peut expérimenter le monde à partir de la différence et non pas
seulement de l'identité. Et on peut même accepter des épreuves, on
peut accepter de souffrir pour cela. Or, dans le monde
d'aujourd'hui, la conviction est largement répandue que chacun ne suit
que son intérêt. Alors l'amour est une contre-épreuve. S'il n'est
pas conçu comme le seul échange d'avantages réciproques, ou s'il n'est
pas calculé longuement à l'avance comme un investissement rentable,
l'amour est vraiment cette confiance faite au hasard. Il nous amène
dans les parages d'une expérience fondamentale de ce qu'est la
différence et, au fond, dans l'idée qu'on peut expérimenter le
monde du point de vue de la différence . C'est en cela qu'il a une
portée universelle, qu'il est une expérience personnelle de
l'universalité possible, et qu'il est philosophiquement essentiel,
comme Platon en a eu, en effet, la première intuition.
.......p 30 .....
Vous dites en somme qu'il y a sur l amour des conceptions
philosophiques très contradictoires.
J'en discerne trois principales. D'abord, la conception
romantique, qui se concentre sur l'extase de la rencontre.
Ensuite, nous en avons un peu parlé à propos du site de rencontres
Meetic, la conception, qu'on peut dire commerciale ou juridique, selon
laquelle l'amour serait finalement un contrat. Un contrat entre
deux individus libres qui déclareraient qu'ils s'aiment, mais en
faisant bien attention à l'égalité du rapport, au système des
avantages réciproques, etc. Il y a également une conception
sceptique, qui fait de l'amour une illusion. Ce que je tente de
dire dans ma propre philosophie, c'est que l'amour ne se réduit à
aucune de ces tentatives-là, et qu'il est une construction de
vérité. Vérité sur quoi, demanderez-vous ? Eh bien, vérité sur un
point très particulier, à savoir :
qu'est-ce
que c'est que le monde quand on l'expérimente à partir du deux et non
pas de l'un ?
Qu'est-ce que c'est que le monde, examiné,
pratiqué et vécu à partir de la différence et non à partir de
l'identité ? Je pense que l'amour, c'est cela. C'est le projet,
incluant naturellement le désir sexuel et ses épreuves, incluant la
naissance d'un enfant, mais incluant également mille autres choses, à
vrai dire, n'importe quoi à partir du moment où il s'agit de vivre une
épreuve du point de vue de la différence.
Puisque l'amour est, selon vous, une façon de faire l'expérience du
monde à partir de la différence, pourquoi ne partagez-vous pas la
conception du philosophe Emmanuel Levinas, selon laquelle l'amoureux
aime en la personne aimée non pas « une qualité différente de toutes
les autres, mais la qualité même de la différence » ? Pourquoi l'amour
n'est-il pas pour vous une expérience de l'autre ?
Je crois qu'il est essentiel de comprendre que la construction du
monde à partir d'une différence est absolument autre chose que
l'expérience de la différence. La vision de Levinas part de
l'expérience irréductible du visage de l'autre, épiphanie dont le
support est en définitive Dieu comme « le tout Autre ». L'expérience de
l'altérité est centrale, car elle fonde l'éthique. Il en résulte, dans
une grande tradition religieuse, que l'amour est par excellence un
sentiment éthique. À mes yeux, il n'y a rien de spécialement « éthique
» dans l'amour comme tel. Je n'aime à vrai dire pas du tout ces
ruminations théologiques à partir de l'amour, même si je sais qu'elles
ont eu de grands effets dans l'histoire. J'y vois la revanche ultime
de l'Un contre le Deux. En vérité, il y a pour moi la rencontre d'un
autre, mais précisément ment une rencontre n'est pas une expérience,
c'est un événement qui reste totalement opaque et n'a de réalité que
dans ses conséquences multiformes à l'intérieur d'un monde réel. Je ne
vois pas non plus l'amour comme une expérience « oblative », c'est-à
dire
une expérience dans laquelle je m'oublie au profit de l'autre,
lui-même modèle en ce monde de ce qui ultimement me rapporte au
tout-Autre. Déjà Goethe disait, à la fin de Faust, que « l'éternel
féminin nous emmène en Haut ». Ce sont là, pardonnez-moi, des
expressions que je trouve légèrement obscènes. L'amour ne m'emmène pas
« en haut » , ni du reste « en bas ». Il est une proposition
existentielle : construire un monde d'un point de vue décentré au
regard de ma simple pulsion de survie ou de mon intérêt bien compris.
Ici, j'oppose « construction » à « expérience ».
Si, appuyé sur
l'épaule de celle que j'aime, je vois, disons, la paix du soir sur un
lieu montagnard, la prairie d'un vert doré, l'ombre des arbres, les
moutons au museau noir immobiles derrière les haies et le soleil en
train de s'absenter derrière les rochers, et que je sais, non par son
visage, mais dans le monde même tel qu'il est, que celle que j'aime
voit le même monde, et que cette identité fait partie du monde, et que
l'amour est justement, en ce moment même, ce paradoxe d'une différence
identique, alors l'amour existe, et promet d'exister encore. C'est
qu'elle et moi sommes incorporés
( hcq incarnés) à cet unique Sujet, le Sujet d'amour,
qui traite le déploiement du monde à travers le prisme de notre
différence, en sorte que ce monde advient, qu'il naît, au lieu de
n'être que ce qui remplit mon regard personnel. L'amour est toujours
la possibilité d'assister à la naissance du monde. La naissance d'un
enfant, si elle est dans l'amour, est du reste un des exemples de
cette possibilité.
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