....Eloge de l'amour ....par Alain Badiou

Dossiers :le couple  Elans des NOUS

                              

Auteur:   Alain Badiou

Date : 1 juin 2013

       PRESENTATION:

S'il y a bien un philosophe que l'on d attendait pas sur le terrain de l'amour, c'est A. Badiou, plus connu pour son œuvre philosophique sur l'ontologie de l'être et pour son engagement d'extrême gauche et son combat contre le libéralisme. Il livre pourtant, en 2009, un surprenant petit ouvrage (sous forme de dialogue avec le journaliste Nicolas Truong), Éloge de l'amour. Il est bon de se rappeler, rappelle-t-il en entrée comme pour se justifier d'aborder un tel sujet, que le philosophe ne se distingue en rien de n'importe qui d'autre. « Une femme rayonnante entre dans le salon (et le voici) foudroyé, qui voit toute sa sagesse stoïcienne et sa méfiance argumentée à l'égard des passions tomber en poussière. » A. Badiou se rattache à la tradition platonicienne: pour lui, l'amour est «l'expérience personnelle de l'universalité», il nous transcende dans le monde des idées et du beau.

Mais, au-delà de l'extase de la rencontre, à rebours aussi d'une conception hédoniste qui fait de l'amour un contrat, ou d'une conception sceptique qui le voit comme une illusion, A. Badiou voit l'amour comme une «construction de vérité» qui se conçoit sur la durée et triomphe des obstacles de la vie à deux. Pourquoi une épreuve de vérité?

Parce que la vie à deux, la confrontation avec la pensée de l'autre, permet de réfléchir sur le monde à partir de la différence et non de l'identité. C'est ce qui, selon ce philosophe, confère à l'amour sa puissance créatrice. Et pour lui, la relation amoureuse ne peut que se construire sur la durée, elle se cultive et permet de surmonter les crises du couple. A. Badiou affirme limpidement et fortement ses convictions sans pour autant renier ses chevaux de bataille: l'amour est à réinventer car il est menacé de toutes parts par les tenants du marché libéral pour qui tout n'est qu'intérêt, et par ceux qui le réduisent à un hédonisme entièrement orienté sur la sexualité.

texte extrait (page 76/77) de la revue " des Sciences Humaines" N°32 4e trimestre 2013

de l'atricle : " l'amour ...Une philosophie nouvelle pour XXIe siècle"  - Martine Fournier  page 72/77

 

... le livre ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Flammarion, 2009.

ISBN : 978-2-0812-4882-

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TABLE

Présentation 9

I. L'amour menacé 13

II. Les philosophes et l'amour 21

III. La construction amoureuse 35

IV. Vérité de l'amour 45

V. Amour et politique 59

VI. Amour et art 79

POUR CONCLURE 95

Œuvres citées 103

 

 

 

 

hcq : Curieux que l'éditeur ait choisi en couverture " la toilette de Vénus" de Diego Velasquez  ... 'l' amour de soi  ...l'1 visible ... narcissique ...individualiste ...l'"anti-amour " ...

à l'opposé de l'amour religieux supra-humain HF ...

" L'amour est à réinventer, on le sait."

Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Délires I

 

EXTRAITs

Présentation 9

p11

....

« Qui ne commence pas par l'amour ne saura jamais ce que c'est que la philosophie ».

Platon

....

I. L'amour menacé 13

....

p16....rencontres Meetic... qui vous propose de surcroît - l'expression m'a paru tout à fait remarquable - un « coaching amoureux ». Vous aurez donc un entraîneur qui va vous préparer à affronter l'épreuve. Je pense que cette propagande publicitaire relève d'une conception sécuritaire de l'« amour ». C'est l'amour assurance tous risques : vous aurez l'amour, mais vous aurez si bien calculé votre affaire, vous aurez si bien sélectionné d'avance votre partenaire en pianotant sur Internet - vous aurez évidemment sa photo, ses goûts en détail, sa date de naissance, son signe astrologique, etc. - qu'au terme de cette immense combinaison vous pourrez vous dire : « Avec celui-là, ça va marcher sans risques ! » Et ça, c'est une propagande, c'est intéressant que la publicité se fasse sur ce registre-là. Or, évidemment, je suis convaincu que l'amour, en tant qu'il est un goût collectif, en tant qu'il est, pour quasiment tout le monde, la chose qui donne à la vie intensité et signification, je pense que l'amour ne peut pas être ce don fait à l'existence au régime de l'absence totale de risques. Ça me paraît un petit peu comme la propagande qu'avait faite à un moment donné l'armée américaine pour la guerre « zéro mort ».

Il y aurait selon vous une correspondance entre la guerre « zéro mort » et l amour « zéro risque », de la même manière qu'il existe, pour les sociologues Richard Sennett et Zygmunt Bauman, une analogie entre le «J»e ne t'engage pas » que dit lagent du capitalisme financier au travailleur précarisé et le «Je ne m'engage pas » que prononce à sa ou son partenaire l'« amoureux » détaché dans un monde où les liens se font et se défont au profit d'un libertinage cosy et consumériste ?

C'est un peu le même monde, tout ça. La guerre « zéro mort », l'amour « zéro risque », pas de hasard, pas de rencontre, je vois là, avec les moyens d'une propagande générale, une première menace sur l'amour, que j'appellerai la menace sécuritaire. Après tout, ce n'est pas loin d'être un mariage arrangé. Il ne l'est pas au nom de l'ordre familial par des parents despotiques, mais au nom du sécuritaire personnel, par un arrangement préalable qui évite tout hasard, toute rencontre, et finalement toute poésie existentielle, au nom de la catégorie fondamentale de l'absence de risques. Et puis, la deuxième menace qui pèse sur l'amour, c'est de lui dénier toute importance. La contrepartie de cette menace sécuritaire consiste à dire que l'amour n'est qu'une variante de l'hédonisme généralisé, une variante des figures de la jouissance. Il s'agit ainsi d'éviter toute épreuve immédiate, toute expérience authentique et profonde de l'altérité dont l'amour est tissé. Ajoutons tout de même que, le risque n'étant jamais éliminé pour de 'bon, la propagande de Meetic, comme celle des armées impériales, consiste à dire que le risque sera pour les autres ! Si vous êtes, vous, bien préparé pour l'amour, selon les canons du sécuritaire moderne, vous saurez, vous, envoyer promener l'autre, qui n'est pas conforme à votre confort. S'il souffre, c'est son affaire, n'est ce pas ? Il n'est pas dans la modernité. De la même manière que « zéro mort », c'est pour les militaires occidentaux. Les bombes qu'ils déversent tuent quantité de gens qui ont le tort de vivre dessous. Mais ce sont des Afghans, des Palestiniens... Ils ne sont pas modernes non plus. L'amour sécuritaire, comme tout ce dont la norme est la sécurité, c'est l'absence de risques pour celui qui a une bonne assurance, une bonne armée, une bonne police, une bonne psychologie de la jouissance personnelle, et tout le risque pour celui en face de qui il se trouve. Vous avez remarqué que partout on vous explique que les choses se font « pour votre confort et votre sécurité », depuis les trous dans le trottoir jusqu'aux contrôles de police dans les couloirs du métro. Nous avons là les deux ennemis de l'amour, au fond : la sécurité du contrat d'assurance et le confort des jouissances limitées.

Il y aurait donc une sorte d'alliance entre une conception libertaire et une conception libérale de l'amour ?

Je crois en effet que libéral et libertaire convergent vers l'idée que l'amour est un risque inutile. Et qu'on peut avoir d'un côté une espèce de conjugalité préparée qui se poursuivra dans la douceur de la consommation et de l'autre des arrangements sexuels plaisants et remplis de jouissance, en faisant l'économie de la passion. De ce point de vue, je pense réellement que l'amour, dans le monde tel qu'il est, est pris dans cette étreinte, dans cet encerclement, et qu'il est, à ce titre, menacé. Et je crois que c'est une tâche philosophique, parmi d'autres, de le défendre. Ce qui suppose, probablement, comme le disait le poète Rimbaud, qu'il faille le réinventer aussi. Ça ne peut pas être une défensive par la simple conservation des choses. Le monde est en effet rempli de nouveautés et l'amour doit aussi être pris dans cette novation. Il faut réinventer le risque et l'aventure, contre la sécurité et le confort.

 

II. Les philosophes et l'amour 21

C'est à Rimbaud que vous empruntez la formule « L'amour est à réinventer » et dans votre propre conception de l'amour vous vous appuyez sur de nombreux poètes ou écrivains. Mais avant d'en venir là, il faut peut-être interroger les philosophes. Or, vous avez été frappé par le fait que peu d'entre vous se sont sérieusement interessés à l'amour, et quand ils l'ont fait, vous êtes souvent en désaccord avec leur conception. Pour quelles raisons ?

 La question du rapport des philosophes à l'amour est en effet compliquée. Le livre écrit par Aude Lancelin et Marie Lemonnier, Les Philosophes et l'amour. Aimer, de Socrate à Simone de Beauvoir, le montre très bien. Le livre est d'autant plus intéressant qu'il combine sans aucune vulgarité ni vulgarisation l'examen des doctrines et l'enquête sur la vie des philosophes. En ce sens, il n'a pratiquement pas de prédécesseur. Ce que ce livre met en évidence, c'est que la philosophie oscille entre deux extrémités sur l'amour, même s'il y a aussi des points de vue intermédiaires. Il y a d'un côté la philosophie « antiamour >, Arthur Schopenhauer en étant le représentant patenté. Celui-ci explique notamment qu'il ne pardonnera jamais aux femmes d'avoir eu la passion de l'amour, parce que c'est comme ça qu'elles ont rendu possible la perpétuation de cette espèce humaine qui pourtant ne valait rien ! Ça, c'est une extrémité. Et puis, à l'autre extrémité, vous avez quand même les philosophies qui font de l'amour un des stades suprêmes de l'expérience subjective. C'est le cas chez Sôren Kierkegaard, par exemple. Pour Kierkegaard, il y a trois stades de l'existence. Dans le stade esthétique, l'expérience de l'amour est celle de la séduction vaine et de la répétition. L'égoïsme de la jouissance et l'égoïsme de cet égoïsme animent les sujets, dont l'archétype est le Don Juan de Mozart. Dans le stade éthique, l'amour est véritable, il expérimente son propre sérieux. Il s'agit d'un engagement éternel, tourné vers l'absolu, dont Kierkegaard fit l'expérience dans la longue cour faite à une jeune femme, Régine. Le stade éthique peut faire transition vers le stade suprême, le stade religieux, si la valeur absolue de l'engagement est sanctionnée par le mariage. Le mariage est alors conçu, non pas du tout comme une consolidation du lien social contre les périls de l'errance amoureuse, mais comme ce qui tourne l'amour véritable vers sa destination essentielle. Il y a cette possibilité de transfiguration ( hcq : ..de métamorphose ..) finale de l'amour quand « le Moi  (...le Moi de la femme et celui de l'homme..le deux formant UN NOUS) plonge à travers sa propre transparence dans la puissance qui l'a posé » , entendons : quand, grâce à l'expérience de l'amour, le Moi  ( ce NOUS ..) s'enracine dans sa provenance divine. L'amour est alors, au-delà de la séduction, et dans la médiation sérieuse du mariage, un moyen d'accéder au suprahumain (  ...à une nouvelle humanité ...une nouvelle culture . ..de nouvelle structures  ..celles de l'homocoques  ... dont les lliens sont En la relation del'amour comm-union ..)

La philosophie, vous le voyez, est donc disposée dans une grande tension. ( hcq : ... entre coq et coques) D'un côté, une espèce de soupçon rationnel jeté sur l'amour comme extravagance naturelle du sexe. De l'autre, une apologie de l'amour souvent proche de l'élan religieux. Avec comme arrière-plan le christianisme, qui est quand même une religion de l'amour. Notez bien que cette tension est presque insupportable. Ainsi Kierkegaard n'a pu supporter l'idée d'épouser Régine, il a rompu avec elle. Il a finalement incarné le séducteur esthétisant du premier stade, la promesse éthique de second stade et l'échec du passage, via le sérieux existentiel du mariage, au troisième stade. Dans tous les cas, il a traversé toutes les figures de la réflexion philosophique sur l'amour.

L'origine de votre propre intérêt pour cette question n est-elle pas contenue dans le geste inaugural de Platon qui fait de l'amour une des modalités d'accès à l'Idée ?

Ce que Platon dit sur l'amour est assez précis : il dit qu'il y a dans l'élan amoureux un germe d'universel. L'expérience amoureuse est un élan vers quelque chose qu'il va appeler l'Idée. Ainsi, même quand je suis simplement en train d'admirer un beau corps, que je le veuille ou non, je suis en route vers l'idée du Beau. Je pense - dans des termes tout à fait différents, naturellement -, quelque chose du même ordre, c'est-à-dire que, dans l'amour, il y a l'expérience du passage possible de la pure singularité du hasard à un élément qui a une valeur universelle. Avec comme point de départ une chose qui, réduite à elle-même, n'est qu'une rencontre, presque rien, on apprend qu'on peut expérimenter le monde à partir de la différence et non pas seulement de l'identité. Et on peut même accepter des épreuves, on peut accepter de souffrir pour cela. Or, dans le monde d'aujourd'hui, la conviction est largement répandue que chacun ne suit que son intérêt. Alors l'amour est une contre-épreuve. S'il n'est pas conçu comme le seul échange d'avantages réciproques, ou s'il n'est pas calculé longuement à l'avance comme un investissement rentable, l'amour est vraiment cette confiance faite au hasard. Il nous amène dans les parages d'une expérience fondamentale de ce qu'est la différence et, au fond, dans l'idée qu'on peut expérimenter le monde du point de vue de la différence . C'est en cela qu'il a une portée universelle, qu'il est une expérience personnelle de l'universalité possible, et qu'il est philosophiquement essentiel, comme Platon en a eu, en effet, la première intuition.

.......p 30 .....

Vous dites en somme qu'il y a sur l amour des conceptions philosophiques très contradictoires.

J'en discerne trois principales. D'abord, la conception romantique, qui se concentre sur l'extase de la rencontre. Ensuite, nous en avons un peu parlé à propos du site de rencontres Meetic, la conception, qu'on peut dire commerciale ou juridique, selon laquelle l'amour serait finalement un contrat. Un contrat entre deux individus libres qui déclareraient qu'ils s'aiment, mais en faisant bien attention à l'égalité du rapport, au système des avantages réciproques, etc. Il y a également une conception sceptique, qui fait de l'amour une illusion. Ce que je tente de dire dans ma propre philosophie, c'est que l'amour ne se réduit à aucune de ces tentatives-là, et qu'il est une construction de vérité. Vérité sur quoi, demanderez-vous ? Eh bien, vérité sur un point très particulier, à savoir : qu'est-ce que c'est que le monde quand on l'expérimente à partir du deux et non pas de l'un ? Qu'est-ce que c'est que le monde, examiné, pratiqué et vécu à partir de la différence et non à partir de l'identité ? Je pense que l'amour, c'est cela. C'est le projet, incluant naturellement le désir sexuel et ses épreuves, incluant la naissance d'un enfant, mais incluant également mille autres choses, à vrai dire, n'importe quoi à partir du moment où il s'agit de vivre une épreuve du point de vue de la différence.

Puisque l'amour est, selon vous, une façon de faire l'expérience du monde à partir de la différence, pourquoi ne partagez-vous pas la conception du philosophe Emmanuel Levinas, selon laquelle l'amoureux aime en la personne aimée non pas « une qualité différente de toutes les autres, mais la qualité même de la différence » ? Pourquoi l'amour n'est-il pas pour vous une expérience de l'autre ?

Je crois qu'il est essentiel de comprendre que la construction du monde à partir d'une différence est absolument autre chose que l'expérience de la différence. La vision de Levinas part de l'expérience irréductible du visage de l'autre, épiphanie dont le support est en définitive Dieu comme « le tout Autre ». L'expérience de l'altérité est centrale, car elle fonde l'éthique. Il en résulte, dans une grande tradition religieuse, que l'amour est par excellence un sentiment éthique. À mes yeux, il n'y a rien de spécialement « éthique » dans l'amour comme tel. Je n'aime à vrai dire pas du tout ces ruminations théologiques à partir de l'amour, même si je sais qu'elles ont eu de grands effets dans l'histoire. J'y vois la revanche ultime de l'Un contre le Deux. En vérité, il y a pour moi la rencontre d'un autre, mais précisément ment une rencontre n'est pas une expérience, c'est un événement qui reste totalement opaque et n'a de réalité que dans ses conséquences multiformes à l'intérieur d'un monde réel. Je ne vois pas non plus l'amour comme une expérience « oblative », c'est-à dire une expérience dans laquelle je m'oublie au profit de l'autre, lui-même modèle en ce monde de ce qui ultimement me rapporte au tout-Autre. Déjà Goethe disait, à la fin de Faust, que « l'éternel féminin nous emmène en Haut ». Ce sont là, pardonnez-moi, des expressions que je trouve légèrement obscènes. L'amour ne m'emmène pas « en haut » , ni du reste « en bas ». Il est une proposition existentielle : construire un monde d'un point de vue décentré au regard de ma simple pulsion de survie ou de mon intérêt bien compris. Ici, j'oppose « construction » à « expérience ». Si, appuyé sur l'épaule de celle que j'aime, je vois, disons, la paix du soir sur un lieu montagnard, la prairie d'un vert doré, l'ombre des arbres, les moutons au museau noir immobiles derrière les haies et le soleil en train de s'absenter derrière les rochers, et que je sais, non par son visage, mais dans le monde même tel qu'il est, que celle que j'aime voit le même monde, et que cette identité fait partie du monde, et que l'amour est justement, en ce moment même, ce paradoxe d'une différence identique, alors l'amour existe, et promet d'exister encore. C'est qu'elle et moi sommes incorporés ( hcq incarnés) à cet unique Sujet, le Sujet d'amour, qui traite le déploiement du monde à travers le prisme de notre différence, en sorte que ce monde advient, qu'il naît, au lieu de n'être que ce qui remplit mon regard personnel. L'amour est toujours la possibilité d'assister à la naissance du monde. La naissance d'un enfant, si elle est dans l'amour, est du reste un des exemples de cette possibilité.

 

 

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