La vie
et le vivant
Quand on observe le monde des vivants, on est
surpris de voir que le moteur premier est la vie. Dans les espèces
les plus frustes comme dans celles plus élaborées tout s’ordonne à
la transmission de la vie. Dans les plus profonds abîmes ou sur la
surface de la terre les vivants prennent des risques inouïs et
sont prêts à se sacrifier pour la vie. L’individu vivant s’oublie
soi-même pour que vive la vie.
La vie se pose devant
elle comme son propre but.
Elle est dans le monde LA VALEUR ABSOLUE.
On arrive à cette étrange constatation : les vivants sont au
service de la vie.
MAIS :
L’homme qui pense a conscience de soi : « Je pense donc je suis ».
Donc, cette connaissance de soi comme individu, comme sujet
existant, nous incite naturellement à croire que la vie est au
service des vivants ou plus précisément du vivant que je suis.
Nous constatons que la vie n’existe que dans les vivants.
Quand nous cherchons des traces de vie passée sur des planètes
éloignées, nous cherchons des fossiles. Des vestiges de vivants.
Mais il n’y a pas de vestige de la vie. Puisque la vie ne
s’exprime que dans les vivants, s’il n’y a pas de vivants, on ne
peut pas dire que la vie existe.
En revanche si je peux me considérer comme existant c’est bien
parce que j’ai la vie en moi. Sans la vie « je » n’existe pas.
Le
mystère de la vie
Ce long préambule nous permet de saisir comment
l’esprit humain a pensé la vie depuis l’Antiquité jusqu’à nos
jours. Car le fait de dissocier la vie et le vivant, ou plus
exactement de les distinguer, a conduit à leur donner une
autonomie possible. C’est ce qu’on appelle le dualisme. Le
dualisme est la séparation de l’âme (ANIMA : ce qui anime,
c'est-à-dire le principe de vie) et du corps.
En philosophie :
Pour Platon l’âme préexiste au corps. C’est le mythe de la chute
des âmes dans le corps. Le corps est méprisable en regard de ce
qui est propre à l’humanité : son âme ou la fine pointe de son
esprit.
Descartes et Locke en réduisant l’homme à la « res cogitans »,
c'est-à-dire à la capacité de se penser soi-même, ont réintroduit
ce dualisme entre l’âme (réduite à l’esprit) et le corps qui fait
aujourd’hui le lit de la pensée anglo-saxonne jusqu’à Engelhardt
qui dissocie la personne humaine (digne de respect car consciente
de soi) et l’être humain (dont on peut disposer car n’étant pas
marqué du sceau de l’humanité : embryon, handicapé profond,
comateux, alzheimer, etc…)
Pour Aristote, le disciple de Platon, l’âme est le principe
organisateur qui ordonne la matière en un corps vivant possédant
les structures, les fonctions et les propriétés de la vie. Tout
être vivant par définition possède une âme, mais seule l’âme
humaine est immatérielle dans son essence car dotée d’intelligence
et de volonté libre qui l’extrait de la matière. De là il déduit
l’immortalité de l’âme humaine.
Religion :
Dans l’hindouisme (comme dans le bouddhisme) la vie se perpétue
dans des corps différents. La samsâra, ou la roue sans fin de
l’existence, conduit à des réincarnations successives.
Le christianisme reprend d’Aristote la notion d’immortalité de
l’âme, mais affirme, à cause de la Résurrection du Christ que
l’homme dans son intégralité, c'est-à-dire corps et âme, est sauvé
et ressuscitera.
Les
sciences de la vie
Quand on consulte un dictionnaire pour définir la
vie, on se heurte à une difficulté. La vie n’est pas définie en
soi mais se rapporte à la description des propriétés du vivant :
la croissance, la reproduction, la motilité, la nutrition, la
respiration, la digestion. Et la définition devient « la vie est
le résultat du jeu des organes concourant au développement et à la
conservation du sujet ». Ce qui est décrit c’est le fonctionnement
du vivant et la biologie (science de la vie) en réalité ne parle
que de l’observation du sujet vivant. La vie ne s’observe pas,
elle s’éprouve.
On comprend le pourquoi du matérialisme de la science qui réduit
la vie à la fonctionnalité du vivant.
Par exemple, l’esprit humain est considéré par les cognitivistes
comme totalement superposable à la matière. C’est confondre la
condition (un cerveau en état de marche) et la pensée.
L’instrument de musique est nécessaire à la musique (condition),
mais la musique ne se réduit pas à l’instrument.
Conséquences :
Aujourd’hui la science est tentée de réduire la
vie au vivant. La valeur absolue n’est pas la vie, mais le vivant.
Mais le sujet vivant doit pouvoir exprimer tout son potentiel.
L’instrument doit être optimisé. Donc on introduit DES NORMES. La
valeur ultime c’est la biologie, la fonctionnalité.
De là découle cette norme absolue : il faut qu’une vie vaille
d’être vécue.
Il y a des vies qui ne valent pas d’être vécues : marquée par la
souffrance, le handicap.
Les normes se fondent non sur un principe d’humanité (une dignité
intrinsèque), mais sur la fonctionnalité du vivant, sur la
perfection de la biologie.
La normalité c’est la capacité de déployer toutes les facultés
potentielles et donc elle conduit tout naturellement à l’eugénisme
(élimination des imparfaits).
Il y a des normes à remplir pour accepter la vie. Il faut être
jeune, mince et sexy !
On créé ainsi DES SEUILS D’HUMANITE. C’est de là que naissent les
discriminations.
Un
monde normé ou des lois humaines ?
Or, ce qui fonde l’humanité de l’homme (le principe
d’humanité), c’est d’intégrer tous les hommes, d’abolir la
discrimination, d’octroyer par des droits reconnus de tous, une
égale dignité à chacun indépendamment de ses capacités.
D’ailleurs les premières lois écrites étaient clairement énoncées
pour défendre les plus faibles (Hammourabi) et sortir de la loi du
plus fort ou loi de la jungle.
Réduire la vie à la capacité et à la performance est une
régression sociétale et privilégie le vivant efficace au dépend de
sa vie.
C’est ainsi que commence l’UTILITARISME et celui-ci conduit
inexorablement à la suppression des inutiles. Toutes les normes
tournent autour de l’utilité, de l’efficacité. N’a droit de vivre
que l’utile. Mais pour quoi faire ? Exemple : « les sels minéraux
servent à nourrir les plantes qui servent à nourrir les animaux,
qui servent à nourrir les hommes, qui servent à quoi au juste ? ».
Or l’observation montre que la vie, c’est la GRATUITE. La vie est
reçue, elle est pure gratuité et ce qui est gratuit doit être
ACCUEILLI. Personne ne s’est donné à soi-même sa propre vie.
Comment habite-on sa vie ? C’est la question centrale de
l’existence humaine qui décide du prix que l’on donne à la vie.
Qui
élabore les normes ?
C’est une question essentielle. Auparavant les lois
s’édifiaient sur la notion de bien ou de mal moral. Le moral
(mores : mœurs) concerne l’agir humain. Le bien est découvert par
la raison humaine et pour cela était nécessairement consensuel.
La confrontation des civilisations liée à la mondialisation
conduit à se poser autrement la question du bien et du mal (John
Rawls). Le bien peut être différent suivant les cultures, donc on
ne se pose plus la question d’un bien à rechercher par la raison
mais d’un consensus à trouver. Cela s’appelle l’éthique
procédurale : c’est l’introduction de la démocratie en morale.
C’est la majorité qui détermine le bien en fonction de son
histoire actuelle quitte à ce que ce bien change si la majorité
change. Voilà pourquoi le bien d’un jour peut devenir le mal de
demain. C’est cela qui se nomme RELATIVISME.
De là naissent les normes.
Ces normes qui s’imposent à vous ont pour but de vous rendre
heureux. Pour cela il faut vérifier que le sujet a bien rempli les
normes. Puisqu’il s’agit, nous l’avons vu, d’une société de
performance il faut établir un contrôle. Ce développement des
normes engendre ce que Michel Foucault et Gilles Deleuze appellent
« la société de contrôle ». A partir de là va naître une nouvelle
fonction : « l’expert ». Il est celui qui connaît les normes et
vérifie leur application : coach, diététicien, esthéticien,
conseiller bancaire, médecin, avocat, psychologue, sexologue et
même père spirituel. Il faut être « normé ».
Par rapport à l’émergence de la vie, il y a le projet parental :
L’enfant est programmé, non seulement dans le temps, mais aussi
dans l’histoire de ses parents. S’il « tombe » à un moment
inopportun, il doit être éliminé. Il faut qu’il permette à sa
maman de s’épanouir et à son père de combler ses frustrations
(c’est les fameuses paroles de Jacques Brel ; « il sera pharmacien
parce que papa ne l’était pas »). Cela conduit au mythe de
l’enfant parfait et le refus absolu de l’anomalie. L’avortement
n’est pas seulement revendiqué comme un droit de la femme, mais
comme un droit de l’enfant à une vie heureuse. Il est cruel de
laisser naître un enfant dont on sait que la vie sera trop dure.
C’est un droit à vivre « sous condition ».
L’enfant n’est plus un
don à accueillir mais un dû pour une société qui construit la
notion de bonheur, non sur l’amour, mais sur les conditions
fonctionnelles de ce bonheur.
Mais qui peut évaluer la valeur d’une vie ? Qui pourra expliquer
pourquoi un jeune, issu d’une famille heureuse, aisée, doué
d’intelligence et brillant et de surcroît beau garçon ou belle
fille peut se donner la mort ?
La
réponse de la Bible
Dieu créé les êtres vivants mais
pas la vie
Dans la Genèse chapitre 1 (heptaméron) au 5è jour
la Parole de Dieu fait advenir les êtres vivants dans les eaux et
dans les airs
Au 6è jour, les êtres vivants sur la Terre. Puis le même jour
l’homme, à son image.
Genèse 2 : C’est par l’haleine de vie de Dieu que l’homme devient
un être vivant.
Il y a donc les vivants et la Vie. Les vivants sont ceux qui
existent et la vie est un don de Dieu.
La Vie c’est Dieu qui se donne
Dans le paradis (gan Elohim) l’arbre de Vie est à la disposition
de l’homme : immortalité va avec proximité de Dieu. Car la Vie est
éternelle en Dieu.
L’arbre de la connaissance du bien et du mal : l’homme prend la
place de Dieu, se fait « comme Dieu ». Il veut mettre la main sur
sa vie plutôt que de la recevoir.
Un autre passage capital est le Livre du Deutéronome (Dt 30 15-20)
où Dieu propose à nouveau la Vie à son peuple (et par lui à
l’humanité entière) : « Vois, je te propose aujourd’hui la vie et
le bonheur, la mort et le malheur. (…) Choisis donc la vie, pour
que toi et ta postérité vous viviez, aimant le Seigneur ton Dieu,
écoutant sa voix, t’attachant à lui ; car là est ta vie ».
« Choisis » est en hébreu un impératif qui s’adresse à la liberté
de l’homme qui doit accueillir le don de Dieu. Choisir Dieu et
choisir la vie est synonyme.
Car la Vie c’est Dieu. Lui seul se donne à lui-même sa vie. Il est
(Michel Henry) la Vie Absolue.
Or la vie s’exprime. Nous l’avons vu, sur la terre elle se révèle
dans un vivant. S’il n’y a pas de vivant, on ne connaît pas la
vie. Or Dieu s’exprime dans son Logos (Pensée, Parole et Acte
sont unifiés en Dieu). Ce logos qui est l’expression de Dieu est
aussi la Parole vivante, le Vivant qui révèle la Vie de Dieu. Il
est le premier Vivant éternellement présent auprès du Père qui est
la Vie, la vie absolue, éternelle. Le Vivant engendré par la Vie
c’est le Fils.
Le Christ est celui qui donne la vie, non seulemnt exprimée dans
la biologie du vivant mais en ce qu’elle est intrinsèquement : «
Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante »
(Jn 10, 10).
Mettre la main sur la vie est MORTIFERE.
Avortement, PMA, eugénisme aboutissent in fine à une destruction
de la vie humaine (embryons surnuméraires, handicapés).
La vie est alors au service des vivants : épanouissement
personnel, correction d’une frustration, autonomie).
« Si tu savais le don de Dieu »
La Bible nous révèle ce que l’observation
naturaliste avait permis de voir : la vie est la valeur absolue,
car la Vie c’est Dieu. Cette vie ne s’exprime que dans l’Amour,
puisqu’en Dieu la distinction des Personnes divines dans la
relation est uniquement définie par le don plénier qu’est l’Amour
: « pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on
aime » (Jn 15, 13).
L’Amour est la seule réponse véritablement humaine à
l’épanouissement du sujet vivant et donc à son bonheur. Une
perfection instrumentale, pour utile qu’elle soit, ne suffit pas
et n’est pas nécessaire à l’advenue de la vie, car Dieu aime
les faibles et les petits.
Le sujet (« je ») n’existe vraiment que dans une relation (et
une relation à l’image de Dieu). Cette relation (amitié, amour,
affection) n’est pas une maîtrise de l’autre mais un accueil de
l’autre. C’est l’attitude fondamentalement chrétienne. C’est la
source de la Vie.