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 Le christianisme comme religion laïque......   

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Extraits d'une intervention de Gérard Delteil au Colloque organisé à Albi en avril 1997 par le mouvement "Jeunes Femmes" sur le thème : Laïcité et Humanisme. Gérard Delteil est Doyen honoraire de la Faculté de théologie protestante de Montpellier.

Puisque nous sommes dans le Tarn, je commencerai en citant un texte qui date de 1883, l'époque des grandes lois laïques. Ce texte est extrait d'un discours tenu à Mazamet par le pasteur Tommy Fallot, un des apôtres du Christianisme social, pour l'ouverture d'un Synode des Églises protestantes : "Je définis d'un seul mot la crise qui agite notre peuple et absorbe toutes ses pensées. Nous assistons au douloureux enfantement de la société laïque. La lutte sévit, terrible, passionnée, entre les hommes de notre génération à l'horizon desquels s'est levé un idéal de liberté, de justice et de vérité, et les serviteurs de l'ancien système, qui ne reculent devant rien pour maintenir leur domination".

Le ton est donné. La cause laïque, c'est le combat pour l'émancipation. Et nous serions indignes de notre histoire, plaide l'orateur de Mazamet, "si nous nous désintéressions de la grande lutte engagée autour de nous". Il évoque avec lyrisme l'avènement de la société nouvelle : "un monde nouveau ne surgit pas sur les racines du passé sans un effort immense". Citant certains de ses amis de la Libre-pensée, Tommy Fallot croit discerner dans cette société qui s'élabore l'aspiration à ce qu'il appelle une "religion laïque" ; et c'est ici qu'il a cette formule: "Etrange coïncidence ! la religion laïque que réclame notre peuple est le dernier mot de l'évangile".

Il y a donc plus d'un siècle déjà qu'était formulée cette idée du christianisme comme religion laïque.

Les menaces les plus sérieuses que connaît la laïcité ne sont pas d'ordre religieux : c'est la montée des discours et des pratiques d'exclusion. Plus encore qu'à une intransigeance religieuse, la laïcité se voit exposée aujourd'hui à la poussée de l'intolérance et à la recrudescence de la xénophobie et du racisme, attisés par les discours d'une droite extrême (qui ne se limite pas au Front National).

Toute religion porte en elle une propension à l'intolérance parce qu'elle vise la recherche d'un Absolu, elle est toujours en danger d'absolutiser ses propres convictions. Elle supporte difficilement que celles-ci soient remises en cause. "C'est du fond même d'une conviction forte qu'il y a le péril de la violence", dit Paul Ricoeur.

Nous touchons ici à l'ambiguïté fondamentale du religieux. La religion, c'est le lien à l'Autre, le pacte, l'Alliance. Ainsi dans la tradition biblique, le lien à une Parole qui me précède et m'appelle... relation à l'Autre, qui est elle-même créatrice, innovatrice de lien aux autres... dynamique d'ouverture.

Mais -voilà l'ambivalence- cette ouverture est toujours en péril de se refermer. Ce langage qui relie... peut devenir un langage qui exclut "l'autre"... Ce langage qui enracine (dans une histoire, une tradition, une généalogie) peut devenir aussi un langage qui enferme... qui engendre une adhésion non-critique.

La figure du prophète

La tradition biblique comporte ici quelque chose de remarquable. Le prophète c'est celui (ou celle) qui se lève au nom de la Parole pour dénoncer l'usage pervers de la Parole. Là où la violence est instituée, là où le droit des faibles est bafoué, où la religion et ses grands-messes couvrent l'injustice, le prophète est cet inconnu qui sort du rang pour renouer avec le message originaire... Il est porteur d'un discours critique, polémique, iconoclaste, qui est une mise en question radicale, et qui va parfois jusqu'à annoncer la mort du Temple... La tradition biblique porte ainsi en elle-même sa propre contestation... une remise en question permanente.

Le message religieux porte en lui un appel à cheminer contre nous-mêmes. S'il y a religion, dit Ricoeur, c'est "chaque fois que quelque chose est dit à partir d'un lieu que je n'occupe pas."  Autrement dit: "Le message me dépasse, mais aussi il me désarme." Il porte en lui à cheminer contre cette composante de violence dont toute religion est porteuse.

C'est pourquoi le rapport entre religions et laïcité ne sera jamais tout à fait lisse et serein. Parce que toute religion est elle-même travaillée par cette tension entre une recherche d'absolu, sinon une prétention à l'Absolu, et la reconnaissance des "autres" (convictions ou religions).

Le paradoxe d'un Dieu laïque

Y aurait-il une manière de penser le rapport religion/laïcité, où la vision religieuse elle-même appellerait la laïcité ? J'aimerais suggérer que ce paradoxe constitue une des singularités du récit chrétien.

1. D'abord Jésus est un laïque

Il n'est ni un prêtre, ni un adepte d'un des partis religieux de son temps. Il échappe à tout statut ou toute catégorie religieuse.

Son discours a souvent une allure laïque. Il parle en paraboles, et les paraboles sont de petits scénarios de la vie quotidienne dans ce qu'elle a de plus commun. Bien plus, il entre en conflit avec les religieux de quelque tendance qu'ils soient, par exemple sur la question du pur et de l'impur, du permis et du défendu, ou sur la question de l'étranger (cf le Bon Samaritain). Dès le début, le conflit avec les religieux se tend jusqu'à annoncer l'issue finale. Jésus est condamné par l'instance religieuse légitime, dépositaire du sacré, pour outrage à la religion.

2. Jésus laïcise la relation à Dieu

Il bouleverse la vision religieuse du monde, qui est déterminée à sa racine par la séparation du profane et du sacré, du pur et de l'impur. Pour lui -et dans la ligne de la tradition juive- le rapport avec Dieu et avec autrui sont inséparables. L'un renvoie à l'autre. Le rapport avec Dieu s'atteste dans le rapport avec le prochain, très spécialement sous le visage de l'étranger et de l'exclu. Jésus est ainsi porteur d'une humanisation radicale de l'acte religieux.

De plus, il met en oeuvre un modèle d'intégration qui transgresse toutes les formes de discrimination, qui réunit les différents, et viole ainsi les tabous religieux, afin de signifier à quiconque la dignité inaliénable qu'il lui reconnaît. Ce modèle d'intégration, qui affranchit de tous les codes sociaux et religieux en vigueur, constitue une telle provocation qu'il conduira ultérieurement à la fracture avec le judaïsme.

3. Jésus apparaît comme un "Messie à l'envers" (Marcel Gauchet)

Qu'est-ce qu'un Messie ? Le grand héros libérateur dont la venue et le triomphe vont apporter la régénération de l'univers. S'y substitue la figure inverse, celle d'un crucifié, c'est-à-dire celle d'un non-pouvoir absolu. C'est l'antitype du Messie. L'antitype aussi de l'empereur. L'empereur vénéré comme un Dieu tout en haut de la pyramide humaine symbolise la divinisation du pouvoir. S'y oppose tout en bas le visage de ce supplicié, un quelconque parmi les suppliciés de l'empire romain. Le récit chrétien opère ici bien davantage qu'une laïcisation radicale de la figure de Dieu: un complet renversement de toutes nos représentations de Dieu.

Ce n'est pas d'un lieu de toute-puissance, mais de ce lieu de non-pouvoir que parle la parole de Jésus, comme une parole vulnérable et contestée. Cette parole appelle la réponse de la foi comme une décision libre. Ce retrait de Dieu, qui se dévoile sous la figure du crucifié, qualifie le monde comme un espace laïque, comme la maison commune des humains. Il instaure chaque être humain dans sa liberté et sa responsabilité à l'égard de notre maison commune.

Car la communauté de Jésus, qui vit de cette parole, n'a vocation ni à régner, ni à régenter. Elle n'a pas à exercer un quelconque magistère, fût-il moral, sur la société humaine, ni à s'y représenter comme "experte en humanité". Elle n'a pas à définir les règles communes, ni les normes universelles, à édicter le permis et le défendu.

Elle a certes, de par son message, une tâche d'interpellation, notamment à l'égard des pouvoirs, lorsque par exemple les droits humains sont bafoués, par exemple le droit des étrangers, mais bien d'autres associations ont aussi cette fonction citoyenne.

Bref, elle est appelée à faire écho de sa propre existence à ce paradoxe d'un Dieu laïque, c'est-à-dire d'un Dieu qui rompt avec toute position de suprématie pour ouvrir l'espace de la responsabilité humaine.

J'ai parlé du récit chrétien, parce que c'est ici que je me situe. Je crois aussi qu'il a une singulière originalité quant au rapport à la laïcité. Mais d'autres traditions religieuses auraient sans doute en ce débat d'autres richesses à faire valoir.

Conclusion

Il importe de mettre toute conviction à l'épreuve de la critique, pour désamorcer cette composante de violence ou d'intolérance que génère toute conviction forte, fermée à toute remise en question. Mais il faut ressaisir aussi, au travers et au-delà de la critique, des noyaux de conviction. Sans quoi la critique verserait dans une forme de relativisme ou de scepticisme. La critique nous aide à retrouver, par-delà le décapage qu'elle opère, quelque chose qui résiste, qui est de l'ordre d'une conviction, d'une affirmation ou peut-être d'abord de l'ordre d'une indignation, d'un refus, d'une protestation.

La laïcité participe elle aussi de cette interaction entre conviction et critique. Elle donne lieu à une confrontation des convictions, et, par leur mise en débat, elle incite à ce travail critique. Face à la montée des intolérances, et aux crispations sur les dogmatismes, cette dialectique m'apparaît libératrice.

Peu avant sa mort tragique, Pierre Claverie, évêque d'Oran, écrivait ces mots : "Découvrir l'autre, vivre avec l'autre, entendre l'autre, se laisser façonner par l'autre. Cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs, cela veut dire concevoir une humanité plurielle... Il n'y a d'humanité que plurielle, et dès que nous prétendons -dans l'Église catholique, nous en avons la triste expérience au cours de notre histoire- posséder la vérité et parler au nom de l'humanité, nous tombons dans le totalitarisme et dans l'exclusion. Nul ne possède la vérité, chacun la recherche. On ne possède pas Dieu. On ne possède pas la vérité, et j'ai besoin de la vérité des autres".

Gérard Delteil

 

 

http://reseaux.parvis.free.fr/2000_hors_serie_laicite_delteil.htm

 

 

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... en France ..en Europe ...

...L'amour s'est en effet "refroidi »  ... la charité fait face à l'empire aujourd'hui planétaire de la violence....

Cette montée vers l'apocalypse est la réalisation supérieure de l'humanité. Or plus cette fin devient probable, et moins on en parle.

Il faut donc réveiller les consciences endormies.

Vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire.

René Girard.

  

 

  "L'esprit constitue un champ de relations tourné vers la totalité de ce qui existe "  Joseph Pieper

Loin que ce soit être qui illustre la relation , c'est la relation qui illumine l'être.     Gaston Bachelard

Les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux.   Toynbee

 

 

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