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Le chrétien  .....  par Simone Weil 

dossier : Simone Weil

Ceci un extrait tiré de  L'Enracinement Plaidoyer pour une Civilisation nouvelle ....de Simone Weil.  

p 1182 -3

Chez les chrétiens, l'incompatibilité absolue entre l'esprit de la religion et l'esprit de la science, qui ont l'un et l'autre leur adhésion, loge dans l'âme en permanence un malaise sourd et inavoué. Il peut être presque insensible; il est selon les cas plus ou moins sensible; il est, bien entendu, à peu près toujours inavoué. Il empêche la cohésion intérieure. Il s'oppose à ce que la lumière chrétienne imprègne toutes les pensées. Par un effet indirect de sa présence continuelle, les chrétiens les plus fervents portent à chaque heure de leur vie des jugements, des opinions, où se trouvent appliqués à leur insu des critères contraires à l'esprit du christianisme. Mais la conséquence la plus funeste de ce malaise est de rendre impossible que s'exerce dans sa plénitude la vertu de probité intellectuelle. Le phénomène moderne de l'irréligiosité du peuple s'explique presque entièrement par l'incompatibilité entre la science et la religion. Il s'est développé quand on a commencé à installer le peuple des villes dans un univers artificiel, cristallisation de la science. En Russie, la transformation a été hâtée par une propagande qui, pour déraciner la foi, s'appuyait presque entièrement sur l'esprit de la science et de la technique. Partout, après que le peuple des villes fut devenu irréligieux, le peuple des campagnes, rendu influençable par son complexe d'infériorité à l'égard des villes, a suivi, bien qu'à un degré moindre. Du fait même de la désertion des églises par le peuple, la religion fut automatiquement située à droite, devint une chose bourgeoise, une chose de bien-pensants. Car en fait une religion instituée est bien obligée de s'appuyer sur ceux qui vont à l'église. Elle ne peut s'appuyer sur ceux qui restent dehors. Il est vrai, que dès avant cette désertion, la servilité du clergé envers les pouvoirs temporels lui a fait faire des fautes graves. Mais elles auraient été réparables sans cette désertion. Si elles ont provoqué cette désertion pour une part, ce fut pour une part très petite. C'est presque uniquement la science qui a vidé les églises. Si une partie de la bourgeoisie a été moins gênée dans sa piété par la science que ne l'a été la classe ouvrière, c'est d'abord parce qu'elle avait un contact moins permanent et moins charnel avec les applications de la science. Mais c'est surtout parce qu'elle n'avait pas la foi. Qui n'a pas la foi ne peut pas la perdre. Sauf quelques exceptions, la pratique de la religion était pour elle une convenance. La conception scientifique du monde n'empêche pas d'observer les convenances.

Ainsi le christianisme est en fait, à l'exception de quelques foyers de lumière, une convenance relative aux intérêts de ceux qui exploitent le peuple.

Il n'est donc pas étonnant qu'il ait une part somme toute si médiocre, en ce moment, dans la lutte contre la forme actuelle du mal.

D'autant plus que, même dans les milieux, dans les cœurs où la vie religieuse est sincère et intense, elle a trop souvent au centre même un principe d'impureté par une insuffisance de l'esprit de vérité. L'existence de la science donne mauvaise conscience aux chrétiens. Peu d'entre eux osent être certains que, s'ils partaient de zéro et s'ils considéraient tous les problèmes en abolissant toute préférence, dans un esprit d'examen absolument impartial, le dogme chrétien leur apparaîtrait comme étant manifestement et totalement la vérité. Cette incertitude devrait relâcher leurs liens avec la religion ; il n'en est pas ainsi, et ce qui empêche qu'il en soit ainsi, c'est que la vie religieuse leur fournit quelque chose dont ils ont besoin. Ils sentent plus ou moins confusément eux-mêmes qu'ils sont attachés à la religion par un besoin. Or le besoin n'est pas un lien légitime de l'homme à Dieu. Comme dit Platon, il y a une grande distance entre la nature de la nécessité et celle du bien. Dieu se donne à l'homme gratuitement et par surcroît, mais l'homme ne doit pas désirer recevoir. Il doit se donner totalement, inconditionnellement, et pour le seul motif qu'après avoir erré d'illusion en illusion dans la recherche ininterrompue du bien, il est certain d'avoir discerné la vérité en se tournant vers Dieu.

Dostoïevski a commis le plus affreux blasphème quand il a dit: « Si le Christ n'est pas la vérité, je préfère être hors de la vérité avec le Christ. » Le Christ a dit : « Je suis la vérité. » Il a dit aussi qu'il était du pain, de la boisson ; mais il a dit: «Je suis le pain vrai, la boisson vraie», c'est-à-dire le pain qui est seulement de la vérité, la boisson qui est seulement de la vérité. Il faut le désirer d'abord comme vérité, ensuite seulement comme nourriture. Il faut bien qu'on ait complètement oublié ces choses, puisqu'on a pu prendre Bergson pour un chrétien; lui qui croyait voir dans l'énergie des mystiques la forme achevée de cet élan vital dont il s'est fait une idole. Alors que la merveille, dans le cas des mystiques et des saints, n'est pas qu'ils aient plus de vie, une vie plus intense que les autres, mais qu'en eux la vérité soit devenue de la vie. Dans ce monde-ci la vie, l'élan vital cher à Bergson, n'est que du mensonge, et la mort seule est vraie. Car la vie contraint à croire ce qu'on a besoin de croire pour vivre; cette servitude a été érigée en doctrine sous le nom de pragmatisme; et la philosophie de Bergson est une forme du pragmatisme.

Mais les êtres qui malgré la chair et le sang ont franchi intérieurement une limite équivalente à la mort reçoivent par-delà une autre vie, qui n'est pas en premier lieu de la vie, qui est en premier lieu de la vérité. De la vérité devenue vivante. Vraie comme la mort et vivante comme la vie. Une vie, comme disent les contes de Grimm, blanche comme la neige et rouge comme le sang. C'est elle qui est le souffle de vérité, l'Esprit divin.

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. Dieu ne doit pas être pour un coeur humain une raison de vivre comme est le trésor pour l'avare

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On peut affirmer sans crainte d'exagération qu'aujourd'hui l'esprit de vérité est presque absent de la vie religieuse

 

1192

Le christianisme originel, tel qu'il se trouve encore présent pour nous dans le Nouveau Testament, et surtout dans les Évangiles, était, comme la religion antique des Mystères, parfaitement apte à être l'inspiration centrale d'une science parfaitement rigoureuse. Mais le christianisme a subi une transformation, probablement liée à son passage au rang de religion romaine officielle. Après cette transformation, la pensée chrétienne, excepté quelques rares mystiques toujours exposés au danger d'être condamnés, n'admit plus d'autre notion de la Providence divine que celle d'une Providence personnelle. Cette notion se trouve dans l'Évangile, car Dieu y est nommé le Père. Mais la notion d'une Providence impersonnelle, et en un sens presque analogue à un mécanisme, s'y trouve aussi. «Devenez les fils de votre Père, celui des cieux; car il fait lever le soleil sur les méchants et les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et les injustes... Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait". »

Ainsi c'est l'impartialité aveugle de la matière inerte, c'est cette régularité impitoyable de l'ordre du monde, absolument indifférente à la qualité des hommes, et de ce fait si souvent accusée d'injustice - c'est cela qui est proposé comme modèle de perfection à l'âme humaine. C'est une pensée d'une profondeur telle que nous ne sommes pas même aujourd'hui capables de la saisir; le christianisme contemporain l'a tout à fait perdue.  

1203/1204

La conception de la Providence qui répond au Dieu du type romain, c'est une intervention personnelle de Dieu dans l'univers pour ajuster certains moyens en vue de fins particulières. On admet que l'ordre du monde, laissé à lui-même et sans intervention particulière de Dieu à tel lieu, en tel instant, pour telle fin, pourrait produire des effets non conformes au vouloir de Dieu. On admet que Dieu pratique les interventions particulières. Mais on admet que ces interventions, destinées à corriger le jeu de la causalité, sont elles-mêmes soumises à la causalité. Dieu viole l'ordre du monde pour y faire surgir, non ce qu'il veut produire, mais des causes qui amèneront ce qu'il veut produire à titre d'effet.

1205/1206

Quand la notion de Providence est introduite dans la vie privée, le résultat n'est pas moins comique. Quand la foudre tombe à un centimètre de quel­qu'un sans le toucher, il croit souvent avoir été préservé par la Providence. Ceux qui sont à un kilomètre de là ne pensent pas devoir la vie à une inter­vention de Dieu. Apparemment, quand le mécanisme de l'univers est sur le point de tuer un être humain, Dieu se demande s'il lui plaît ou non de lui , sauver la vie, et s'il décide de le faire, il donne un coup de pouce presque imperceptible au mécanisme. Il peut bien déplacer la foudre d'un centi­mètre pour sauver une vie, mais non pas d'un kilomètre, encore moins l'empêcher purement et simplement de tomber. Il faut croire qu'on pense ainsi. Autrement on se dirait que la Providence intervient pour nous empêcher d'être tués par la foudre à tous les instants de notre vie, au même degré qu'à l'instant où la foudre tombe à un centimètre de nous. L'unique instant où elle n'intervienne pas pour empêcher que tel être humain soit tué par la foudre, c'est l'instant même où la foudre le tue, si du moins cela se produit. Tout ce qui n'arrive pas est empêché par Dieu au même degré. Tout ce qui arrive est permis par Dieu au même degré. La conception absurde de la Providence comme intervention personnelle et particulière de Dieu à des fins particulières est incompatible avec la vraie foi. Mais ce n'est pas une incompatibilité évidente. Elle est incompatible avec la conception scientifique du monde; et là l'incompatibilité est évidente.

Les chrétiens qui, sous l'influence de l'éducation et du milieu, ont en eux cette conception de la Providence ont aussi la conception scientifique du monde, et cela sépare leur esprit en deux compartiments entre lesquels se trouve une cloison étanche; l'un pour la conception scientifique du monde, l'autre pour la conception du monde comme domaine où agit la Providence personnelle de Dieu. De ce fait ils ne peuvent penser ni l'une ni l'autre. La seconde d'ailleurs n'est pas pensable. Les incroyants, n'étant arrêtés par aucun respect, discernent facilement que cette Providence personnelle et particulière est ridicule, et la foi elle-même est de ce fait, à leurs yeux, frappée de ridicule

1207

La Providence divine n'est pas un trouble, une anomalie dans l'ordre du monde. C'est l'ordre du monde lui-même. Ou plutôt c'est le principe ordonnateur de cet univers. C'est la Sagesse éternelle, unique, étendue à travers tout l'univers en un réseau souverain de relations. C'est ainsi que l'a conçue toute l'Antiquité pré-romaine. Toutes les parties de l'Ancien Testament où a pénétré l'inspiration universelle du monde antique nous en apportent la conception enveloppée d'une. splendeur verbale incomparable. Mais nous sommes aveugles. Nous lisons sans comprendre. La force brute n'est pas souveraine ici-bas. Elle est par nature aveugle et indéterminée. Ce qui est souverain ici-bas, c'est la détermination, la limite. La Sagesse éternelle emprisonne cet univers dans un réseau, dans un filet de déterminations. L'univers ne s'y débat pas. La force brute de la matière, qui nous paraît souveraineté, n'est pas autre chose en réalité que parfaite obéissance.

C'est là la garantie accordée à l'homme, l'arche d'alliance, le pacte, la promesse visible et palpable ici-bas, l'appui certain de l'espérance. C'est là la vérité qui nous mord le coeur chaque fois que nous sommes sensibles à la beauté du monde. C'est la vérité qui éclate avec d'incomparables accents d'allégresse dans les parties belles et pures de l'Ancien Testament, en Grèce chez les Pythagoriciens et tous les sages, en Chine chez Lao-tseu, dans les écritures sacrées hindoues, dans les fragments égyptiens. Elle est peut-être cachée dans d'innombrables mythes et contes. Elle apparaîtra devant nous, sous nos yeux, dans notre propre science, si un jour, comme à Agar, Dieu nous dessille les yeux.

 

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résonances ....rs

Ceci a été écrit en 1943 ..... l'Eglise à évolué et continue d'évoluer. Je pense que Vatican II en comporte certains germes .... ( bien que cela ne soit forcément ceux qui nous sont malheureusement visible ou le mieux traduit dans les faits) ..... A nous d'essayer de les percevoir et de les valoriser...

Voilà une citation extraite de L'Enracinement .... .... et qui peut-être nous donner une compréhension de nos possibilités ....

1192/3

La grâce tombe de chez Dieu dans tous les êtres; ce qu'elle y devient dépend de ce qu'ils sont; là où elle pénètre réellement, les fruits qu'elle porte sont l'effet d'un processus analogue à un mécanisme, et qui, comme un mécanisme, a lieu dans la durée. La vertu de patience, ou pour traduire plus exactement le mot grec, d'attente immobile, est relative à cette nécessité de la durée.

La non-intervention de Dieu dans l'opération de la grâce est exprimée aussi clairement que possible: «Le royaume de Dieu, c'est comme si un homme jette du grain dans la terre, puis dort et veille la nuit et le jour, et le grain germe et pousse sans qu'il sache comment. Automatiquement la terre porte le fruit; d'abord la tige, puis l'épi, puis la plénitude du grain dans l'épi.» Tout ce qui concerne la demande évoque aussi quelque chose d'analogue à un mécanisme. Tout désir réel d'un bien pur, à partir d'un certain degré d'intensité, fait descendre le bien correspondant. Si l'effet ne se produit pas, le désir n'est pas réel, ou il est trop faible, ou le bien désiré est imparfait, ou il est mélangé de mal. Quand les conditions sont remplies, Dieu ne refuse jamais. Comme la germination de la grâce, c'est un processus qui s'accomplit dans la durée. C'est pourquoi le Christ nous prescrit d'être importuns.' Les comparaisons dont il use sur ce point évoquent, elles aussi, un mécanisme. C'est un mécanisme psychologique qui contraint le juge à satisfaire la veuve: «Je ferai justice à cette veuve parce qu'elle ne fait que me fatiguer», et l'homme endormi à ouvrir à son ami : « S'il ne se lève pas par amitié pour lui, il se lèvera à cause de son impudence".» Si nous exerçons une espèce de contrainte sur Dieu, il ne peut s'agir que d'un mécanisme institué par Dieu. Les mécanismes surnaturels sont au moins aussi rigoureux que la loi de la chute des corps ; mais les mécanismes naturels sont les conditions de la production des événements comme tels, sans égard à aucune considération de valeur; et les mécanismes surnaturels sont les conditions de la production du bien pur comme tel. C'est ce qui est confirmé par l'expérience pratique des saints. Ils ont constaté, dit-on, qu'ils pouvaient parfois, à force de désir, faire descendre sur une âme plus de bien qu'elle-même n'en désirait. Cela confirme que le bien descend du ciel sur la terre seulement dans la proportion où certaines conditions sont en fait réalisées sur terre.

 

 

 

 

30.01.03

...ai trouvé par ailleurs ...

Ce sont ces assises qui amenaient Weil à réclamer l'établissement d'une «logique spéciale adaptée au domaine des Mystères ou au domaine surnaturel», logique faite de modestie, de discrétion et de tolérance, étant entendu que, pour elle, «le mystère est ce qui est absolument et pour toujours impénétrable et non pas ce qui est provisoirement caché ou non encore découvert». Weil, d'ailleurs, affirmera que le christianisme parle trop, et avec trop d'assurance, des choses saintes.

07.03.2012

reviens sur ce  texte à partir d'un textes d'Yves Daoudal :

citant ....Je suis le Principe, moi qui vous parle. .... et en transversal entendant  ...moi ..intelligence du coeur ...evangile manuel d'éveil à l'intelligence du coeur ..le Verbe ....

 

05.05.2013

voir les NOTES de l'homocoques de ce jour :

http://www.homocoques.com/index.html#vos%20actions

et

...à nous d'y adjoindre intelligence intuitive du cœur  : le défi du 21e siècle

« Le Défenseur que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité »

.une adoration pour laquelle il n'existera plus de temple extérieurs

 

 

 

 

 

25.12.03

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