1191
L'esprit de vérité est
aujourd'hui presque absent et de la religion et de la science et
de toute la pensée. Les maux atroces au milieu desquels nous
nous débattons, sans
parvenir même à en éprouver tout le tragique, viennent
entièrement de là. «Cet esprit de mensonge et d'erreur, -
De la chute des rois
funeste avant-coureur», dont parlait Racine, n'est plus
aujourd'hui
le monopole des souverains. Il s'étend à toutes les classes de la
population
; il saisit des nations
entières et les met dans la frénésie.
Le remède est de faire
redescendre l'esprit de vérité parmi nous ;
et d'abord
dans la
religion et la science; ce qui implique qu'elles se réconcilient.
1180/81
Les Grecs possédaient une science qui est le fondement de
la nôtre. Elle
comprenait
l'arithmétique, la géométrie, l'algèbre sous une forme qui leur
était
propre, l'astronomie, la mécanique, la physique, la biologie. La
quantité des connaissances accumulées était naturellement
beaucoup moindre.
Mais par le caractère scientifique, dans la signification
que ce mot a pour
nous, d'après
les critères valables à nos yeux, cette science égalait et dépassait
la nôtre. Elle était plus exacte, plus précise, plus rigoureuse.
L'usage de
la
démonstration et celui de la méthode expérimentale étaient conçus
l'un et l'autre dans une clarté parfaite.....
Quant aux applications techniques, si la science grecque
n'en a pas beaucoup
produit, ce n'est pas qu'elle n'en fût pas susceptible, c'est que
les
savants grecs ne le voulaient pas. Ces gens,
visiblement très arriérés relativement
à nous, comme il convient à des hommes d'il y a vingt-cinq
siècles, redoutaient l'effet
d'inventions techniques susceptibles d'être mises en usage par les
tyrans et les conquérants. Ainsi, au lieu de livrer au public
le plus grand nombre possible de découvertes techniques et
de les vendre au plus offrant,
ils conservaient rigoureusement secrètes celles qu'il leur
arrivait de faire pour s'amuser; et vraisemblablement ils
restaient pauvres. Mais
Archimède mit une fois en uvre son savoir technique pour défendre
sa patrie. Il le mit en
oeuvre lui-même, sans révéler aucun secret à personne.
Le récit des merveilles qu'il sut accomplir est encore aujourd'hui
en
grande partie
incompréhensible pour nous.....
Or cette science, aussi scientifique que la nôtre ou davantage,
n'était absolument
pas matérialiste. Bien plus, ce n'était pas une étude profane. Les
Grecs la regardaient comme une étude religieuse.
.....
Cela est vrai
plus particulièrement des intellectuels, même s'ils ne sont pas
ce qu'on nomme des « scientifiques », et bien plus vrai encore des
ouvriers, qui passent toute leur vie
dans un univers artificiel constitué par les applications
de la science.
Mais, comme
dans certains contes, cette science réveillée après presque
deux millénaires de léthargie n'était plus la même. On l'avait
changée. C'en était une autre,
absolument incompatible avec tout esprit religieux.
C'est pour cela
qu'aujourd'hui la religion est une chose du dimanche
matin.
Le reste de la semaine est dominé par l'esprit de la science.
p 1177
Dans toutes
les polémiques où la religion et la
science
semblent être en conflit, il y a du côté de l'Église une
infériorité intellectuelle presque comique, car elle est due,
non à la force des arguments
adverses, généralement très médiocres, mais uniquement à un complexe
d'infériorité.
1215
Si les
sciences de l'homme étaient ainsi fondées par des méthodes d'une
rigueur mathématique, et maintenues en même temps en liaison
avec la
foi; si
dans les sciences de la nature et la mathématique
l'interprétation
symbolique
reprenait la place qu'elle avait jadis; l'unité de l'ordre
établi
dans cet
univers apparaîtrait dans sa souveraine clarté.
L'ordre du monde, c'est la
beauté du monde. Seul diffère le régime de l'attention*,
selon qu'on essaie de concevoir les relations nécessaires
qui le
composent ou d'en contempler
l'éclat. C'est une
seule et même chose qui relativement à Dieu est Sagesse éternelle,
relativement à l'univers parfaite obéissance, relativement à
notre amour beauté,
relativement à notre intelligence équilibre de relations
nécessaires, relativement à
notre chair force brutale. Aujourd'hui, la
science, l'histoire, la politique, l'organisation du travail,
la
religion même pour autant
qu'elle est marquée de la souillure romaine, n'offrent à
la pensée des hommes que la force brutale. Telle est notre
civilisation.
Cet arbre porte les fruits qu'il mérite
1023
(préambule à l'Enracinement de Florence de Lussy)
Ce «grand oeuvre» abandonné
fait apparaître dans les dernières pages un ultime face à face
de la force et de l'amour: «[l'homme] n'est certes pas le
seigneur et maître de la nature, et
Hitler avait raison de dire
qu'en croyant l'être il se trompe; mais il est le
fils
du maître,
l'enfant de la maison. La science en est la preuve. Un
enfant tout jeune dans une
riche maison est en bien des choses soumis aux domestiques;
mais quand il est sur les
genoux de son père et s'identifie à lui par amour, il
a part à l'autorité. » Cette
intuition d'un rapport filial s'énonce au même
moment, en termes plus
philosophiques, dans le « carnet de Londres » avec
une référence implicite à
Platon: « Quelque chose de mystérieux dans cet univers
est complice de ceux qui n'aiment que le bien". »