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La charge assumée aujourd'hui par les savants et par tous ceux qui écrivent
autour de la science est d'un poids tel qu'eux aussi, comme les historiens
et même davantage, sont peut-être plus coupables des crimes d'Hitler
qu'Hitler lui-même.
(extrait )
1176/77
La conception moderne de la science est responsable, comme celle de l'histoire
et celle de l'art, des monstruosités actuelles, et doit être, elle aussi,
transformée
avant qu'on puisse espérer voir poindre une civilisation
meilleure.
Cela est d'autant plus
capital que, bien que la science soit rigoureusement
une affaire de spécialistes, le
prestige de la science et des savants sur tous
les esprits est immense,
et dans les pays non totalitaires dépasse de loin
tout autre. En France, quand la
guerre a éclaté, c'était peut-être même
l'unique qui subsistât; rien d'autre
n'était plus objet de respect. Dans l'atmosphère
du Palais de la Découverte, en 1937, il y avait quelque chose à la
fois de publicitaire et de presque religieux, en prenant ce mot dans son
sens le plus grossier. La
science, avec la technique qui n'en est que l'application, est notre seul
titre à être fiers d'être des Occidentaux, des gens de
race blanche, des modernes.
Un missionnaire qui
persuade un Polynésien d'abandonner ses traditions
ancestrales, si poétiques et si
belles, sur la création du monde, pour celles
de la Genèse, imprégnées d'une poésie
très semblable, ce missionnaire
puise sa force persuasive dans la
conscience qu'il a de sa supériorité
d'homme blanc,
conscience fondée sur la science. Il est pourtant personnellement
étranger à la science autant que le Polynésien, car quiconque
n'est pas spécialiste y est tout à
fait étranger. La Genèse y est bien
plus
étrangère encore. Un instituteur de
village qui se moque du curé, et dont l'attitude détourne les enfants
d'aller à la messe, puise sa force persuasion
dans la conscience qu'il a de sa
supériorité d'homme moderne sur
un
dogme moyenâgeux, conscience fondée
sur la science. Pourtant, relativement
à ses possibilités de contrôle, la théorie d'Einstein est pour le moins
aussi peu fondée et aussi
contraire au bon sens que la tradition chrétienne
concernant la conception et la naissance du Christ.
On doute de tout
en France, on ne respecte rien; il y a des gens qui méprisent
la religion, la patrie, l'État, les tribunaux, la propriété, l'art,
toutes choses
;
mais leur mépris s'arrête devant la
science.
....
...... À
l'autre pôle, on rencontre des prêtres ou des religieux pris par la vie
religieuse
au point de mépriser toutes les valeurs profanes, mais leur mépris
s'arrête devant la
science. Dans toutes les polémiques où la religion et la
science semblent
être en conflit, il y a du côté de l'Église une infériorité intellectuelle
presque comique, car elle est due, non à la force des arguments
adverses, généralement très médiocres, mais uniquement à un complexe
d'infériorité.
Par rapport au
prestige de la science il n'y a pas aujourd'hui d'incroyants.
Cela confère
aux savants, et aussi aux philosophes et écrivains en tant
qu'ils écrivent
sur la science, une responsabilité égale à celle qu'avaient les
prêtres du XIIIe
siècle. Les uns et les autres sont des êtres humains que la
société nourrit
pour qu'ils aient le loisir de chercher, de
trouver et de communiquer
ce que c'est que la vérité.
Au xxe siècle comme au XIIIe, le pain
dépensé à cet
effet est probablement, par malheur, du pain gaspillé, ou
peut-être pire.
L'Église du XIIIe
siècle avait le Christ; mais elle avait l'Inquisition. La
science du XXe
siècle n'a pas d'Inquisition; mais elle n'a pas non plus le
Christ, ni rien d'équivalent.
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Si l'esprit de
vérité est presque absent de la vie religieuse, il serait singulier
qu'il fût présent
dans la vie profane. Ce serait le renversement d'une hiérarchie
éternelle. Mais il n'en est pas ainsi.
Les
savants exigent du public qu'il accorde à la science ce respect religieux
qui est dû
à la vérité, et le public les croit.
Mais on le trompe. La science n'est pas un fruit de l'Esprit de vérité,
et cela est évident dès qu'on fait attention.
Car l'effort de la
recherche scientifique, telle qu'elle a été comprise depuis le
xvie siècle
jusqu'à nos jours, ne peut pas avoir pour mobile l'amour de la vérité.
Il y a
là un critère dont l'application est universelle et sûre; il consiste,
pour apprécier une chose
quelconque, à tenter de discerner la proportion de
bien contenue, non dans la chose
elle-même, mais dans les mobiles de l'effort qui l'a produite.
Car autant il y a de bien dans le mobile, autant il y en
a dans, la chose elle-même, et non
davantage. La parole du Christ sur les
arbres et les fruits le garantit.
Dieu seul, il est
vrai, discerne les mobiles dans le secret des coeurs. Mais la
conception qui
domine une activité, conception qui généralement n'est pas
secrète, est
compatible avec certains mobiles et non avec d'autres
; il en est
qu'elle exclut par nécessité, par la
nature des choses. Il s'agit donc d'une analyse qui mène à apprécier le
produit d'une activité humaine
particulière par l'examen des mobiles compatibles avec la
conception qui y préside.
De cette analyse
découle une méthode pour améliorer les hommes
-
peuples et individus, et soi-même pour commencer -
en modifiant les
conceptions de manière à faire jouer
les mobiles les plus purs.
La certitude
que toute conception incompatible avec des mobiles vraiment
purs est elle-même
entachée d'erreur est le premier des articles de foi. La
foi est avant tout
la certitude que le bien est un.
Croire qu'il y a plusieurs
biens distincts et
mutuellement indépendants, comme vérité, beauté,
moralité, c'est
cela qui constitue le péché de polythéisme, et non pas laisser
l'imagination jouer avec Apollon et Diane.
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Depuis la Renaissance
-
plus exactement, depuis la
deuxième moitié de la Renaissance
- la conception même de la
science est celle d'une étude
dont l'objet est placé hors du bien et du mal, surtout hors du
bien, considéré sans aucune relation ni au bien ni au mal, plus particulièrement
sans aucune relation au bien.
La science n'étudie que les faits
comme tels, et les mathématiciens
eux-mêmes regardent les relations mathématiques comme des faits de
l'esprit. Les faits, la force, la matière,
isolés, considérés en eux-mêmes, sans
relation avec rien d'autre, il n'y a
rien là qu'une pensée humaine puisse
aimer
suite voir:
les savants
voir aussi l'homo-scientificus .... l'homentranche