Le Figaro-Magazine du 15 avril 2000
Le regard
amusé, le sourire
sincère, Edward 0.
Wilson est
ce qu'on appelle un
grand
homme - près de 1,90
mètre -,
doublé d'un grand
savant. Selon
le magazine
américain "Time",
il fait partie des
"25 Américains
les plus influents
du siècle"
et, selon un autre
classement,
des "100 plus grands
scientifiques
de tous les temps".
Propos recueillis
par Stéphane Barsacq
Le Figaro
Magazine - Vous abordez dans votre
livre
tous les sujets, de fart à la biologie, de la
sociologie à la religion, en cherchant leur point
de
convergence, à partir duquel ils ne feraient
plus
qu'un. Pourquoi cette démarche qui peut
sembler
aujourd'hui déjà dépassée ?
Edward 0.
Wilson
- Je crois que nous sommes au seuil d'un grand changement, dû certes
à l'avancée des travaux scientifiques, mais surtout à
la valeur
que
ceux-ci sont amenés à recevoir. C'est une simple constatation.
Le savoir
s'est fragmenté durant les deux derniers siècles : chaque discipline
a eu tendance à construire des règles qui lui sont propres, qu'il
s'agisse de l'esthétique, de l'ethnologie ou de la physique
nucléaire, puis à soumettre à ses normes l'ensemble des phénomènes,
indépendamment d'une compréhension entière du monde, des choses et
des êtres.
Pour ma part, je suis partisan de revenir à l'esprit des Lumières,
tel que la France et des hommes comme Condorcet l'ont incarné, donc
de retrouver le lien qui va des sciences aux humanités. On peut
penser que mon projet est déjà dépassé, dites-vous. Au contraire, je
suis convaincu qu'il est des plus modernes ! Il en va même de la
survie de l'espèce humaine car celle-ci risque, sous peu, d'être
écrasée par des connaissances qu'elle maîtrise de moins en moins.
Dès lors, toutes les dérives seront possibles - à commencer par la
mise à mort de la planète par mépris de l'écologie.
Votre projet
semble cependant assez utopique, d'une part parce que tes sciences
sont arrivées a un tel degré de spécialisation qu on ne voit pas ce
qui pourrait les réunir, d'autre part parce que les Lumières étaient
sous-tendues par un idéal - la croyance au bonheur - qui semble ne
plus être de mise. Est-ce que vos Lumières ne seraient pas
l'expression inversée du grand crépuscule où nous sommes tombés ?
C'est vrai que
notre siècle a été « sauvage » (en français, NDLR). Mais le XVIe
siècle l'avait été aussi, et le XVIe siècle avant lui.
Que signifient
les Lumières ? Chercher le levier à partir duquel tout ce que nous
connaissons puisse s'élever jusqu'au point où
une vérité, pure du
moindre idéalisme mensonger, se manifeste clairement, et derrière
laquelle la vie se révèle. J'appelle ce mouvement d'un vieux mot
anglais : la « consilience ». La chimie, la physique et là biologie
en sont aujourd'hui à un degré de développement tel qu'on peut
espérer trouver des points qui leur soient communs, tout en
respectant à chaque fois leur spécificité. Or cela aurait été
inimaginable voilà seulement vingt ans !
Tout le problème
lié à l'utilisation des sciences tient à ce qu'on les a prises comme
des faire-valoir des idéologies, au lieu de recevoir leur savoir,
loin des a priori de notre siècle. Les marxistes ont tiré de leur
pseudo pensée économique une théorie de l'homme des plus fausses ;
de même, les fascismes et les racismes se sont mépris sur ce que
révèle la génétique. Tout cela est loin désormais... ( rs ...si
loin que cela ??? si oui....quelle bonne nouvelle en ce début d'année
2002)
On commence à
connaître le fonctionnement du cerveau, le génome humain a été
révélé et les molécules livrent leur secret. Et quoi ! nous
resterions à pleurnicher, sans penser ces événements ?
Certes, mais
c'est sur ce point précis que vos propos peuvent choquer...
Ce serait bien,
non ? (Grand rire)
Comment des
découvertes purement biologiques peuvent-elles déboucher sur des
implications morales ? N'y a-t-il pas passage d'un ordre à un autre,
et risque d'une confusion dangereuse ?
Vous savez ce
que disait Victor Hugo : « Si l'homme descend du singe, moi pas. »
Or, n'en déplaise au poète, il descend lui aussi du singe. (
oui sans doute si on s'en tient à la morphologie ... et
encore.......mais d'une espèces particulière des ses
gènes qui sont demeurés les mêmes... qui sont toujours les nôtres et
dont nous ne connaissons pas à ce jour les ancêtres communs
...avec les singes actuels) L'homme
est un animal, mais un animal à part, comme les autres le sont à
leur manière.( rs ...mais alors il ne "descend" plus du singe ...
mais tous les deux descendent de l'arbre de vie... mais pas de la
même branche..) Nous savons beaucoup de choses sur l'esprit, sur la
manière dont le corps réagit et sur la marche des organes entre eux.
Question des questions : si je connais l'ADN de monsieur Tartempion,
cela m'explique-t-il qui il est, en profondeur ? Ses rêves, ses
désirs, ses amours, ses chagrins, ses espoirs, ses angoisses. son
envie de réussir, sa peur de la répond-elle à son être vrai. Ou
faut-il plutôt voir du côté de la philosophie ? Ou de la religion ?
Ou de la mystique ? Ou des représentations mythiques, telles qu'on
les trouve dans l'art ? Ou, au contraire, pourquoi pas, du côté du
matérialisme strict ?
Mais. selon
vous, tout se tient, en dépit de la fragmentation de notre monde.
Je suis en
vérité d'avis que bien loin de les opposer, on peut réunir quatre
aspects de la vie humaine qui la définissent dans l'usage quotidien
: l'écologie, l'éthique, la biologie et les sciences sociales. ( rs
... les sciences sociales ne seraient-elles pas des religions
sans Dieu ?? et les religions des sciences sociales sans Sciences
?.... La religion catholique chemine également vers cette rencontre
.. ne voila pas qu'elle a publié une "doctrine sociale" de
l'Eglise? ... une "corésiliance" ???
il me semble même qu'elle a fait beaucoup de chemin . Il faut
dire q'elle vient de loin... de beaucoup plus loin ... )
Et pourquoi
ces quarte-la ?
Prenons un
exemple parmi d'autres. Désormais, la moitié des lois qui sont
votées au Congrés américain impliquent des aspects scientifiques et
technologiques. La plupart des problèmes qui affectent l'humanité -
conflits ethniques, course aux armements, surpopulation, avortement,
environnement, misère pour ne citer que les plus fréquentes - ne
pourront être résolus sans prendre en compte des connaissances
issues des sciences de la nature ainsi que des sciences sociales et
humaines.
Toutefois,
lorsque vous élargissez la « consilience » au domaine de l'art, vos
propos laissent plutôt perplexe...
Les arts ont
pour dessein d'exprimer la condition humaine grâce à la sensibilité
et au sentiment, en faisant appel à tous les sens et en évoquant à
la fois l'ordre et le désordre. D'où vient l'aptitude de créer de
l'art ? Nullement de la logique. Ni de l'inspiration divine.(rs:
non simplement d'un fils de la création .... de l'arbre de Vie.) Ni
d'une étincelle qui viendrait déclencher le génie. Derrière Léonard
de Vinci ou Mozart se tient une immense légion de créateurs dont les
capacités forment un continuum dégressif qui va jusqu'à ceux qui
sont simplement compétents.
Autrement dit,
même l'art serait le produit de l’évolution !
L’origine
biologique des arts est une hypothèse de travail. De quelle
hypothèse s'agit-il ? Celle qui consiste à essayer de prédire, à
partir de la théorie de l'évolution, les thèmes et les règles épi
génétiques qu'on a le plus de chance de rencontrer en art. Nous
savons que de tels thèmes presque universels existent et forment le
matériau de la plupart des œuvres fictives, picturales voire
musicales. Leur généralité explique pourquoi les films américains
sont appréciés à Singapour et pourquoi on accorde des prix Nobel de
littérature à des Africains et à des Asiatiques, et pas seulement à
des Européens. Mais pourquoi il en va ainsi, nous ne saurions
l'expliquer. La théorie de l'évolution (rs: ... de quoi ? ... de
la VIE )est l'un des moyens d'y voir
plus clair.
Justement,
vous écrivez : « Supposons qu'au début du prochain siècle les
espoirs des biologistes moléculaires et cellulaires soient
pleinement réalisés. Supposons que les chercheurs réussissent à
décomposer une cellule humaine, à en déchiffrer tous tes processus
et a modéliser précisément le système dans son intégralité.
Supposons enfin que tes biologistes du développement, qui
s'intéressent aux tissus et aux organes, connaissent des succès
similaires. L'étape suivante consistera alors à livrer l'assaut
final contre les systèmes encore plus complexes que sont l'esprit et
le comportement » Seriez-vous la réincarnation (
rs...tiens quel raccourci ..!!!) de Méphistophélès ?
Non, parce que
Méphistophélès, c'est l'ignorance. Qu'est-ce que la science ? Le
phénomène par lequel je passe du plus complexe au plus simple.
Or nous sommes à l'orée d'une nouvelle époque où un deuxième
mouvement va se mettre en place, puisqu'on passera à l'inverse du
plus simple au plus complexe, dans l'espoir que cela produise un
bien commun supérieur. Vous avez donc compris pourquoi il est
urgent de faire appel à tous les pans de la connaissance humaine et
de viser une unité entre toutes les branches du savoir : la mise
en commun de ce que l'humanité a de meilleur est nécessaire.
Et où en
êtes-vous avec le Dieu de votre enfance baptiste ?
D'un côté,
l'éthique et la religion (rs...toujours cette même confusion
entre Loi naturelle et religion... où à présent ethique) sont encore trop complexes pour être
expliquées en profondeur par la science actuelle. De l'autre, ce
sont des produits (OK)d'une évolution autonome bien davantage que ne
le concèdent les théologiens....( rs : où les scientifiques en ce
qui concerne l'ethique)
Avec l'éthique
et la religion, la science est confrontée à ses défis les plus
intéressants, tandis que la religion doit en quelque sorte trouver
une façon d'intégrer les découvertes de la science afin de rester
crédible. Je pense que la religion reprendra une vigueur durable
si elle exprime les plus hautes valeurs de l'humanité, en
accord avec les connaissances. ( rs voir Résonances
ci-dessous)
Et que
répondez-vous au cri du Hamlet éternel qui ne cesse de redire ; «II
y a plus de choses dans le ciel que dans toute ta philosophie ! »
Nous sommes
d'accord ! ......C'est pourquoi il faut poursuivre la recherche.
(Rires)
• Les deux livres
d'Edward 0. Wilson l'Unicité du savoir. De la biologie à ..., une
même connaissance, traduit de l'américain par Constant Winter.
Robert Laffonl. 149 F ; Naturaliste. autobiographie, traduit de
l'américain par Corinne Chichereau. éd. Bartillat, 149 F.
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