aliénation .. réification.......termes essentiels pour comprendre notre époque....

            dossier :                  

 

...du concept de marchandise et qui repose sur une analyse structuralo-historique du système capitaliste en tant que système d ’échange généralisé...

 

 

Extraits d' "Une histoire critique de la sociologie allemande" de Fréderic Vandenberghe

site: www.revuedumauss.com/pages/CR1.htlm   

les chiffres dans le texte renvoient à des références non reproduites... consulter le site ci-dessus

Pour mieux se situer les entêtes de pages ont été conservés  et ponctuent le texte.

Les parties en "gras" ...le sont du fait de l'Hqs...

 

Les aventures de la réification

......

1.2.LA PENSÉE DE L ’ALIÉNATION EN RACCOURCI

La théorie de l ’aliénation de Marx est fortement influencée par la théorie de

l ’aliénation de Hegel, tel qu ’il l ’a présentée dans la Phénoménologie de

l ’esprit ,et par l ’anthropologie philosophique de Feuerbach. Dans le chapitre

qui suit,je montrerai qu ’on peut dégager deux théories de l ’aliénation chez

Marx et que chacune correspond à un point de départ théorique différent. La

première,qui part du concept du travail et qui suppose une anthropologie phi-

losophique normative de l ’être générique de l ’homme, a trouvé son expression classique dans les Manuscrits économico-philosophiques de 1844.La seconde, qui procède du concept de marchandise et qui repose sur une analyse structuralo-historique du système capitaliste en tant que système d ’échange généralisé,est exposée dans le Capital. Dans le système capitaliste,qui est à proprement parler un système d ’exploitation,le travailleur ne réalise pas ses puissances spécifiquement humaines (autoréalisation dans et par le travail,sociabilité et affinement des organes de sens),mais il les nie et,par là,il se nie lui-même.

Son travail est aliéné parce que le produit du travail ne lui appartient pas ;il

appartient au capitaliste,par rapport auquel l ’ouvrier est également aliéné. Plus l ’ouvrier produit de richesses,plus il s ’appauvrit.C ’est ainsi que,selon Marx, le processus de travail est devenu le processus d ’aliénation du propre travail de l ’homme,car,en travaillant,le travailleur salarié et exploité a produit son contraire,le capital — cette richesse étrangère qui le domine et qui l ’exploite en usant de lui comme un moyen pour produire de la plus-value. Aliéné du processus de travail,de ses produits et des autres hommes,l ’homme est également aliéné de son essence.

Or,le capitalisme n ’est pas seulement un système de production basé sur

l ’exploitation et l ’aliénation de la classe laborieuse,c ’est aussi un système

d ’échange généralisé. La marchandise y est devenue,selon Marx,la forme

universelle du produit,par suite de quoi la valeur d ’échange de la marchandise supplante la valeur d ’usage au point que la valeur d ’échange apparaît,dans

UNE HISTOIRE CRITIQUE DE LA SOCIOLOGIE ALLEMANDE 16

l ’attitude naturelle des échangistes,comme inhérente à la nature même du produit, alors qu ’en réalité elle résulte du travail qui y est incorporé et qui s ’exprime comme un rapport de grandeur entre choses échangées. Le rapport social entre personnes est médiatisé par le rapport économique entre les choses au point de se confondre avec lui. C’est là l ’essentiel de la seconde théorie de l ’aliénation, celle du fétichisme des marchandises :«Un rapport social déterminé des hommes entre eux,revêt ici pour eux la forme fantastique d ’un rapport des choses entre elles.»Tout en présentant le marxisme comme une philosophie réaliste des relations internes,j ’insisterai,contre les interprétations «idéologisantes », sur le fait que l ’inversion des hommes et des choses ne relève pas de l ’illusion,mais qu ’elle renvoie à un rapport de domination structurel. Faute d ’un organisme institué qui règle à la fois la production et la distribution des produits du travail,les choses dirigent plutôt les hommes que les hommes ne dirigent les choses.

Pour Marx,l ’aliénation du travailleur et le fétichisme des marchandises

sont des phénomènes historiquement déterminés et,donc,passagers. Georg

Simmel,en revanche,le plus original des classiques de la sociologie qui fut

fortement influencé par la philosophie de la vie,estime pour sa part que

l ’objectivation et l ’autonomisation des formes socio-culturelles,n ’obéissant

qu ’à leur propre logique objective et immanente,relèvent de la fatalité universelle.

Et qui plus est,non seulement les contenus de la culture objective se sont

autonomisés par leur accumulation hypertélique,mais ils ont aussi pris une

telle ampleur qu ’ils ont fini par dépasser la capacité d ’incorporation et d ’as-

similation de quiconque. Ce conflit entre la culture objective et la culture

subjective se poursuit dans le conflit entre l ’individu et la société. À la diffé-

rence de Marx,Simmel ne propose cependant aucune solution. Ce qui se

comprend,car,comme nous le verrons au chapitre 3,pour Simmel,la tragédie

de la culture et de la société n ’est que la reproduction sur le plan historique du tragique de la vie,du flux de la vie qui pour s ’exprimer et se réaliser doit

s ’autoaliéner dans des formes fixes et figées qui l ’étouffent.Le caractère tragique de la culture et de la société,comme celui de la vie,provient donc de ce que sa négation est inscrite dans leur nature même.

Moins «philosophant » que Simmel,,Max Weber n ’est pas pour autant plus

optimiste que lui quant à l ’avenir de la société occidentale. D ’après Weber,la

généralisation de la rationalité formelle et sa tendance à pénétrer dans toutes les sphères de la vie est le propre de l ’Occident — de là le refrain wébérien ::

«seulement en Occident ».La rationalité formelle — formelle parce que liée à

aucun but substantiel — repose sur la calculabilité maximale des moyens et

des procédures,ainsi que sur la prévisibilité des règles abstraites et des activités dans une sphère particulière d ’action.Résultant de l ’objectivation de l ’activité rationnelle en finalité,cette forme de rationalité est désormais une propriété objective des structures sociales de la société moderne.  Elle se caractérise par l ’objectivité,l ’impersonnalité,l ’anéthicité et la discipline. Qu ’il s ’agisse de l ’économie capitaliste,de la bureaucratie monocratique ou de la justice formaliste, «sans le moindre égard pour les personnes » — phrase capitale pour

 

LES AVENTURES DE LA RÉIFICATION 17

comprendre la nature de la rationalité formelle objective —,selon Weber,la

rationalisation formelle menace impitoyablement la liberté et la dignité de

l ’homme.Dans ce sens,on peut dire que la rationalisation formelle de Weber est rigoureusement synonyme de la réification de Marx.

Historiquement,la bureaucratisation,la formalisation du droit,l ’expansion du marché et l ’émergence des sciences modernes ont toutes joué un rôle considérable dans la construction de la «cage de fer » de la modernité..Ces processus,qui ont

tous connus une dynamique autonome,ont été des processus partiels causale-

ment importants,mais,d ’après Weber,c ’est seulement leur combinaison et

leur conjonction avec l ’éthique protestante ascétique et intramondaine qui a pu mettre en branle la grande transition vers la modernité. Dans le chapitre 4,

j ’essaierai de montrer que la signification culturelle du protestantisme ascétique relève,en dernière instance,du fait qu ’il a favorisé «l ’esprit de dépersonnalisation » et la réification des relations interpersonnelles.. (NDL'Hqs... cela serait-il en relation avec le fait que la Hollande soit la prémière nation a légaliser l'euthanasie;;?)

Par la suite,Georg Lukács,ce philosophe hégélo-marxiste,révolutionnaire

et millénariste,que je critiquerai sévèrement dans le chapitre 5,reprendra la

théorie wébérienne de la rationalisation formelle et,en la rattachant à la théorie marxiste du fétichisme des marchandises,il formulera la théorie classique de la réification. Le point de départ de cette théorie,exposée dans «La réification et la conscience du prolétariat »,l ’essai central de son Histoire et conscience de classe ,est la généralisation de la théorie du fétichisme au-delà des marchandises.

Selon Lukács,le fétichisme,phénomène qu ’il identifie d ’ailleurs

d ’emblée à celui de la réification,constitue «le problème central,structurel,

de la société capitaliste dans toutes ses manifestations vitales ».L ’universalité

de la forme marchande,conçue comme prototype de toutes les formes d’objectivité, fonctionnant selon leurs propres lois et dissimulant toute trace des relations interhumaines qui les sous-tendent,conditionne, tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif, toute la vie extérieure et intérieure de l ’homme. Dans la sphère du processus de production et de reproduction matérielle, l’expression la plus achevée de la réification est la transformation de l ’homme en marchandise et en appendice de la machine.( ..nous y sommes...)

Ici,Lukács redécouvre,à la suite de Simmel,la théorie de l ’aliénation du

travail que Marx avait élaborée en 1844,mais jamais publiée,et cela en fusionnant la catégorie marxiste du travail abstrait avec la catégorie wébérienne de la rationalité formelle. En éliminant le caractère individuel,concret et humain du travail et en le réduisant à des paramètres quantitatifs,une organisation rationnelle et efficace,calculable et prévisible du travail devient possible (taylorisme).

L ’ouvrier est alors incorporé comme partie mécanisée dans un système méca-

nique qu ’il trouve devant lui,achevé et inhumain,fonctionnant dans une totale

indépendance par rapport à lui. Lukács estime que dans la société capitaliste la

réification se généralise. La forme intérieure d ’organisation d ’entreprise

industrielle se révèle alors comme le concentré de la structure de toute la

société. Exprimant le «messianisme des opprimés »,Lukács attend que la

révolution prolétarienne délivre le monde de la réification et de l ’aliénation,

restaurant ainsi la belle totalité dont Hegel avait rêvé autrefois.

UNE HISTOIRE CRITIQUE DE LA SOCIOLOGIE ALLEMANDE 18

La trajectoire de la soi-disant «Théorie critique de l ’École de Francfort »,

dont nous analyserons les représentants majeurs (Horkheimer,Adorno,

Marcuse)dans le second tome de cet ouvrage,peut être comprise en termes

d ’une désillusion croissante vis-à-vis des attentes lukácsiennes de la révolution.

Confrontés avec le fascisme européen,le stalinisme soviétique et la société de

masse américaine,les membres de l ’École de Francfort perdent tout espoir de

voir émerger une société émancipée et se réfugient dans une sorte de pessimisme culturel qui a trouvé son expression magistrale dans la Dialectique de la Raison ,ouvrage que Horkheimer et Adorno,exilés à Los Angeles,ont rédigé ensemble. Dans ce classique de la théorie critique,la théorie lukácsienne de la réification est coupée de toutes ses perspectives rédemptrices et radicalisée à tel point que la réification finit par apparaître comme un trait ontologique de la civilisation humaine. En effet,pour expliquer le totalitarisme,Horkheimer et Adorno développent une philosophie de l ’histoire négative qui voit déjà dans les premières tentatives protohistoriques pour maîtriser la nature les germes du déploiement fatal d ’une logique diabolique de réification croissante qui détruit tout sur son passage et qui trouvera son accomplissement dans les camps de la mort.Le problème de cette perspective négativiste est,comme nous le verrons, qu ’en identifiant d ’emblée la rationalisation à la réification,elle ne peut que mettre le doigt sur l ’échec permanent de la civilisation. Conséquemment,que ce soit sous le vocable de la «société unidimensionnelle » ((Marcuse,chap.3), de la «société totalement administrée » ((Horkheimer,chap.1)ou du «contexte d ’aveuglement » ((Adorno,chap.2),la sociologie francfortoise,fixée comme elle l ’est sur les processus de domination croissante de la nature et de l ’homme, ne peut que dénoncer la réification (au demeurant totale)qui réprime toute tentative d ’émancipation et qui,si elle n ’élimine pas simplement les individus, les étouffe en les réduisant à l ’état de suivistes dépersonnalisés.

Finalement,dans sa grandiose Théorie de l ’agir communicationnel ,Jürgen

Habermas,chef de file de la seconde génération de la Théorie critique,reprendra et reformulera la théorie de la réification dans le paradigme de la philosophie de la communication. Dans cette perspective,la problématique de la réification n ’est plus immédiatement associée au problème de la rationalisation formelle en tant que telle,comme c ’était le cas chez les membres de l ’École de Francfort ;elle est plutôt liée au problème de la disjonction du système et du monde vécu,ou mieux,au problème de la «colonisation » du monde vécu par les sous-systèmes conjugués de l ’économie et de l ’État.En effet,pour Habermas, la disjonction du système et du monde vécu,rendue possible sur la base d ’un monde vécu culturellement rationalisé,ne relève pas encore de la pathologie sociale. Dans un monde hypercomplexe,le remplacement du langage dans les sous-systèmes économiques et administratifs par les médiums régulateurs

qui décrochent l ’action des processus d ’intercompréhension et la coordonnent au moyen des valeurs instrumentales généralisées (l ’argent et le pouvoir)qui facilitent l ’intégration et la différenciation des systèmes de l ’activité par rapport à une fin,est tout simplement indispensable. Cependant,dans la perspective de l ’agir communicationnel,la disjonction du système et du monde vécu devient pathologique lorsque la dynamique propre des sous-systèmes agit rétroactivement sur les formes de vie culturelles ;lorsque les mécanismes d ’intégration systémique (l ’argent et le pouvoir)refoulent les

formes de l ’intégration sociale (le langage)hors des domaines où la coordina-

tion de l ’action ne peut se faire que par le médium langagier ;bref,pour

Habermas,il y a réification lorsque le complexe monétaire-bureaucratique

touche et envahit les sphères qui ne sauraient être intégrées autrement que par la communication langagière.

 

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2. Le pathos idéologique de la critique de la réification

 

2.1.L ’AUTONOMIE RELATIVE DE LA SOCIOLOGIE

L ’expérience de l ’autonomie relative des ensembles socioculturels auto-

référentiels,fonctionnant selon des mécanismes rigoureux et capables,sinon

d ’imposer aux agents leur nécessité,du moins de limiter plus ou moins sérieu-

sement leur marge d ’action,est l ’expérience fondatrice de la sociologie en tant que discipline relativement autonome 12 .En effet,la sociologie,définie vaguement comme «science de la société »,est née au dix-neuvième siècle,suite à l ’effondrement de l ’Ancien Régime sous les coups de butoir que lui portaient la Révolution française et la révolution industrielle,de la découverte de la «société » en tant que formation relativement autonome 13 ..Ces deux révolutions simultanées qui lancent la civilisation occidentale dans l ’orbite de la modernité n ’ont pas seulement transformé le monde en accélérant l ’histoire, elles ont également bouleversé l ’expérience et la vision du monde traditionnelles.

Désormais,la société n ’est plus vécue et perçue comme un ensemble immuable, métasocialement garanti par Dieu ou le Prince,mais comme un ensemble de formations sociales en perpétuel mouvement,relativement aveugle et relativement indépendant par rapport aux individus 14 .

 

 

.........Les paragraphes suivants sont consultables sur le site:

.........www.revuedumauss.com/pages/CR1.htlm

2.2.ANOMIE VERSUS ALIÉNATION

2.3.LES ANTI-LUMIÈRES ÉCLAIRÉES

2.4.SYSTÈME ET «SURRÉIFICATION

....................

3. Petites querelles philologiques

 

4. Réification sociale et chosification méthodologique

4.1.LES PARADOXES DE LA RÉIFICATION

..................

4.2.DES CONCEPTS COUPLÉS

4.2.1.La chosification méthodologique

...............Retour en haut

4.2.2.La réification sociale

Dans la tradition du «marxisme occidental »,

les analyses de Marx sont combinées avec celles de Hegel,de Simmel et de

Weber. Histoire et conscience de classe de Georg Lukács est considéré comme

la «bible » ((Merleau-Ponty)de cette tradition intellectuelle importante  .La

notion de réification y est amplement utilisée pour critiquer l ’autonomisation

aliénante du système social,soit comme fait social,soit comme fait idéologique.

La critique de la réification sociale est proprement dialectique et,partant,

quelque peu paradoxale :c ’est en insistant sur l ’autonomie de l ’objet qu ’elle

vise à réactiver l ’autonomie du sujet. Une telle manœuvre dialectique n ’est

possible que si l ’on présuppose que l ’objet est sujet ou,autrement dit,que

l ’objet est un produit extériorisé du sujet. La métaphore hégélienne de la dif-

férenciation et de l ’inversion du sujet et de l ’objet constitue donc la «base

grammaticale » de la critique de la réification  ..Une fois qu ’on a compris cela,

on peut également comprendre la critique de la réification comme une critique

proprement transformatrice,c ’est-à-dire comme une critique qui vise à inverser

l ’inversion du sujet et de l ’objet.Pour paraphraser Freud :là où était l ’objet,le

sujet doit advenir.

Si l ’on reconstruit maintenant une version idéaltypique de la théorie de la

réification,qui,pensée jusqu ’au bout,débouche sur un modèle de la société

totalement administrée (total verwaltete Gesellschaft ),on peut distinguer trois

niveaux analytiques superposés,à savoir le niveau fondamental de la critique

proprement sociale (a)et,superposés à celui-ci,deux niveaux de la critique

idéologique,le premier ayant trait à la fausse conscience pré-réflexive (b),et le

second à la fausse conscience réflexive 90 (c).

 

(a)Critique de la société • Globalement,,la réification sociale a trait au

fonctionnement relativement autonome,aliéné et aliénant,des systèmes de la culture et de la société modernes et à leur transformation de moyens en fin pour soi. Certes,les mondes de la culture et de la société,des institutions et des

organisations,sont des objectivations de l ’homme,des produits de leur praxis.

Mais,dans le cours de leur développement,ces mondes se sont fatalement

complexifiés et ils ont été formellement ou fonctionnellement rationalisés à

telle enseigne qu ’ils se sont transmués en de véritables cosmos,fonctionnant

indépendamment de la volonté et des intentions des individus,croisant leurs

plans et leurs desseins,menaçant leur autonomie et même — à la limite — leur

existence. Comme l ’apprenti sorcier du Faust ,les hommes sont dominés par

les forces qu ’ils ont eux-mêmes déchaînées. Hiroshima et Nagasaki,Harris-

burg et Bhopal et,plus récemment,Tchernobyl,ces catastrophes qui ne sont

pas des catastrophes naturelles,mais des catastrophes socialement induites,

sont à tel point emblématiques de la modernité que,à en croire Ulrich Beck,il

faut désormais changer de perspective et analyser la société (post)industrielle

comme une «société du risque 91 ».Avec Sartre,on pourrait dire que la praxis

s ’est aliénée dans le «pratico-inerte » et que la finalité s ’est renversée en «contre-

finalité 92 ».La bureaucratie n ’en offre que l ’exemple le plus classique 93 .De

façon plus dramatique,les cercles vicieux de la «contre-productivité institu-

tionnelle »,dénoncés par Illich,illustrent le même problème. Passé certains

seuils critiques de développement,la production devient un obstacle à la réalisation des objectifs qu ’elle est censée servir :la médecine détruit la santé, l ’école abêtit, le transport immobilise et les communications rendent sourd et muet 94 .

Dans la présente étude,j ’essaierai de reconstruire systématiquement le

développement de la théorie de la réification en effectuant une synthèse

progressive de Hegel,de Marx,de Simmel et de Weber. En anticipant et en

condensant à l ’extrême le développement qui suivra,je peux dire que,dans la

tradition du marxisme occidental,qui culminera dans la théorie critique de

l ’École de Francfort,la théorie simmelienne de la tragédie de la culture et la

théorie wébérienne de la rationalisation formelle seront reprises et rattachées à

la théorie marxiste de l ’aliénation.Dans cette optique,le capitalisme et la

rationalisation formelle s ’activent et se renforcent mutuellement à tel point

qu ’ils finissent par former un complexe infrastructurel systémique,dont le fonc-

tionnement se répercute sur toutes les sphères de la culture. Celle-ci n ’est alors

plus qu ’un épiphénomène passif de l ’infrastructure formellement rationalisée

de la société capitaliste. Totalement déterminée,elle ne détermine plus ;elle

reflète simplement la base et,partant,elle la renforce. Face à ce système

monolithique des systèmes,l ’individu s ’efface.Totalement impuissant,réduit

au rôle de support (Träger )de la structure,il perd sa puissance transformatrice.

Activé par des forces extérieures,il devient une simple fonction fonctionnante ;

désactivé,il est réduit à n ’être qu ’un spectateur passif de l ’énormité objective

qui l ’opprime.Par son activité passivisée, il maintient et reproduit le fonction-

nement aliéné/aliénant des structures sociales réifiées.

 

(b)Critique de la fausse conscience • Le sujet aliéné n ’est pas seulement

impuissant («perte de liberté »),il ne comprend plus non plus le sens de ce qui se passe autour et au-dessus de lui («perte de sens 95 »).Dans sa conscience,le fonctionnement autonome des structures socio-culturelles se reflète comme un

phénomène naturel et éternel,inhumain et inchangeable. Il est incapable

d ’aller au-delà des apparences immédiates pour appréhender les rapports dia-

lectiques sous la surface des choses,incapable de médiatiser les faits sociaux,

c ’est-à-dire de les placer et de les interpréter dans le cadre de la totalité de la

société en devenir (das Wahre ist das Ganze ),et ceux-ci sont fétichisés,c ’est-

à-dire fixés et figés dans leur facticité et immuabilité «pseudo-concrète 96 ».

Englué dans l ’illusion de l ’immédiateté,le sujet aliéné normalise,légitime et

renforce le fonctionnement aliéné/aliénant des structures sociales réifiantes/

réifiées. Ici,la théorie marxiste du fétichisme de la marchandise est reprise,

généralisée et rattachée à la théorie hégélienne de la positivité,constituant une

théorie de la «fausse conscience » ((Engels)ou de la «conscience réifiée »

(Lukács).Ensemble,superposées l ’une sur l ’autre,la théorie de la réification

comme fait social et la théorie de la conscience réifiée débouchent logique-

ment sur le constat (adornien)de la réification totale :fatalement,le monde

réifié apparaît comme le seul monde possible. Ce n ’est que si le triple voile de

la choséité,de la naturalité et de l ’éternité est déchiré (cf.infra ,chap.5),donc

si l ’aveuglement social est dépassé,que la réification cesse d ’être une fatalité.

perspective de la théorie de l ’action.

LES AVENTURES DE LA RÉIFICATION 41

Cependant,dans la mesure où la théorie de la réification sociale tend — à la

limite — vers une vision hyperobjectiviste du social et où la théorie de la cho--

sification méthodologique tend,à l ’inverse,vers une vision hypersubjectiviste

de la société,ces deux perspectives semblent s ’exclure mutuellement. De même

que la critique de la chosification méthodologique peut être retournée contre

les théories sociologiques de la réification sociale,la critique idéologique de la

réification sociale peut à son tour être retournée contre la critique de la chosi-

fication méthodologique. Tout se passe comme s ’il suffisait d ’adopter la pers-

pective de la réification sociale pour se voir réfuter par la perspective opposée,

et vice versa .Dans la conclusion du second tome de cet ouvrage,j ’essaierai

d ’échapper à la circularité des perspectives en développant une théorie néo-

objectiviste ou «structuriste » du social qui tient compte de la réification

 

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