Le dilemme des deux fidélités se trouve ces temps-ci
évoqué par cinq phrases de Dominique Strauss-Kahn reprises sur
internet par plusieurs sites. Il s’agit d’une déclaration faite par
l’actuel directeur du FMI en 1991, à la
revue de géopolitique Passages. Nous étions alors dans le
contexte de la guerre du Golf et voici ce que, rentrant d’un voyage en
Israël, déclarait DSK.
« Je considère que tout juif dans la diaspora, et
donc c’est vrai en France, doit partout où il peut apporter son aide à
Israël. C’est pour ça d’ailleurs qu’il est important que les juifs
prennent des responsabilités politiques. Tout le monde ne pense
pas la même chose dans la communauté juive, mais je crois que c’est
nécessaire. Car, on ne peut pas à la fois se plaindre de ce qu’un pays
comme la France, par exemple, ait dans le passé, et peut-être encore
aujourd’hui, une politique par trop pro-arabe, et ne pas essayer de
l’infléchir par des individus qui pensent différemment en leur
permettant de prendre le plus grand nombre possible de
responsabilités. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de
tous les jours, au travers de l’ensemble de mes actions, j’essaie de
faire en sorte que ma modeste pierre soit apportée à la construction
de la terre d’Israël. »
Après avoir lu cela, les électeurs français peuvent
légitimement se demander si, en briguant (de façon fantomatique) la
fonction suprême, le mari d’Anne Sinclair ne le fait pas (entre autres
raisons bien sûr) dans la perspective de pouvoir ainsi « apporter sa
pierre » de façon plus conséquente et déterminante à la construction
d’Israël ? « C’est pour ça qu’il est important que les juifs
prennent des responsabilités politiques. » Cela, pour beaucoup de
Français, allait déjà sans dire. Mais cela va encore tellement mieux
(dans le sens de la clarté) quand c’est Dominique Strauss-Kahn qui le
dit lui-même. Et qui le dit sans barguigner. Il incite ses
coreligionnaires à prendre des « responsabilités politiques » en
France dans un objectif proclamé : pour « infléchir » la politique
étrangère de cette dernière en faveur d’Israël. Voilà un homme
politique français qui, s’il était élu président de la République,
aurait sans doute quelques difficultés à obtenir la confiance des
dirigeants arabes ? Mais qu’importe si c’est au détriment des intérêts
français pourvu que…Voyez plus haut !
Deux défenseurs d’Israël pour le prix d’un ?
A noter, il le dit lui-même, dans la communauté
juive, « tout le monde ne pense pas » comme lui. Certains de ces
Français de confession juive trouvent-ils ce zèle pro-israélien
excessif ? Voir déplacé ? Ce qui signifie en somme que Strauss-Kahn
appartient à la frange la plus activement et la plus étroitement
pro-israélienne de cette communauté ?
Un socialiste qui avait eu l’occasion de fréquenter
un peu DSK, pour lequel il semblait
d’ailleurs garder une certaine sympathie, m’expliqua un jour, lors
d’une rencontre chez un ami commun, que ce dernier était certes
résolument pro-israélien, mais d’une façon beaucoup moins ardente et
bien plus nuancée que son épouse Anne Sinclair. Si cela est vrai, et
si DSK devait être le prochain président de
la République, nous aurions donc à l’Élysée une Première dame de
France encore plus passionnément pro-israélienne que son mari ? Le
monsieur dont on vient de lire ci-dessus la profession de foi
enflammée ? Ça donne à réfléchir…
Et puis, quel paradoxe absurde il y aurait pour une
partie de l’électorat de gauche, qui, conscient des dégâts de la
globalisation, réclame une « démondialisation » à se donner comme
candidat le plus euro-israélo-mondialiste des candidats ?
• En page 2, une autre histoire de double fidélité :
le cas Jonathan Pollard.
JEAN COCHET
L’actualité politique, durant la trêve des
confiseurs, est généralement pauvre. Cette année ne fait pas
exception. Sil n’y avait pas eu quelques flocons de neige à ramasser
on aurait pu se demander avec quoi les médias allaient faire leur JT ?
Dans cette actualité sonnant le creux, la demande de grâce faite
officiellement par Israël à Barack Obama pour obtenir l’élargissement
de son espion, Jonathan Pollard, a sans doute retenti plus fortement
que prévu.
En 1985, les services de renseignement du Pentagone
appréhendaient un jeune juif américain, brillant analyste de l’US Navy,
qu’ils soupçonnaient d’avoir livré des informations « hautement
classifiées » à Israël. Reconnu deux ans plus tard coupable
d’espionnage par la justice des États-Unis, Jonathan Pollard se voyait
condamner en 1997 à la prison à perpétuité. Le pays qui exécuta jadis
les époux Rosenberg sur la chaise électrique pour avoir transmis des
informations nucléaires à l’URSS ne
plaisante pas avec les délits d’espionnage. Même quand ceux-ci, comme
ce fut le cas avec Jonathan Pollard, se font en faveur d’un pays
intimement ami. Le contenu des informations – « classées secrètes » –
livrées par l’analyste de l’US Navy à l’État hébreu n’a évidemment
jamais été révélé. Mais d’après certains journalistes américains il
s’agirait des codes secrets de la NSA
(l’agence de sécurité chargée des écoutes).
Cette demande « officielle » de grâce, qui intervint
vingt-cinq années après l’arrestation du coupable, suggère deux
réflexions. D’abord que la justice américaine, quelles que soient les
critiques qu’on peut lui adresser, est une justice solide, au service
de la loi, de la protection des citoyens et de la défense des intérêts
du pays. L’espion juif américain qui, à notre connaissance, n’a pas de
sang sur les mains, purge sa peine depuis un quart de siècle. En
France, le pire des assassins, même écopant d’une condamnation de
trente années (peine maximale) est libéré au plus tard au bout de
vingt ans, et souvent bien avant.
Deuxièmement cette affaire remet en exergue la
difficulté d’avoir deux patries, deux appartenances, deux fidélités.
Israël n’a évidemment jamais abandonné son espion,
auquel il a accordé la nationalité israélienne en 1995. Mais en 1985
cet espion ne venait pas d’Israël. Il était né, avait grandi et avait
été éduqué au États-Unis. Une première transaction pour libérer ce
dernier, sur le point de réussir sous l’ère Clinton, semble avoir été
bloquée par le double refus des dirigeants de la
CIA et de l’amirauté.
INTER
Une trahison en forme de poupée russe
Toujours selon les sources de la presse américaine,
à travers Jonathan Pollard, c’est aux dirigeants israéliens que les
Américains en charge de la défense de leur pays souhaiteraient
exprimer leur mécontentement et leur colère. Car, selon les initiés,
« une fois entré en possession des informations sur les codes
secrets de la NSA, l’État juif aurait offert
à l’URSS d’y avoir accès, dans le cadre de
la négociation secrète qu’il menait alors avec Moscou sur l’émigration
des juifs soviétiques ». Le Monde de vendredi commente :
« Cette thèse n’a jamais été démentie ni confortée. Elle présente
l’avantage de fournir une explication à vingt-cinq ans d’entêtement
américain, en particulier de la CIA, à
récuser toute requête en grâce israélienne. »
Néanmoins, si cette thèse est vraie, on peut
s’interroger sur le danger, pour les États-Unis, d’avoir un « ami »
qui, pour servir ses propres intérêts, n’hésite pas à les trahir avec
leur pire ennemi ? Comment peut-on, après ça, continuer à faire
confiance à un « ami » de ce perfide acabit ?
Soulignons que dans cette hypothèse Jonathan Pollard
serait aussi victime de la double trahison d’Israël. En trahissant les
États-Unis, dont il était le ressortissant, en faveur de celle qu’il
considérait comme sa véritable nation, il ne pensait sans doute pas
servir les intérêts du pays que ses compatriotes appelaient alors
« l’Empire du mal ». Il ne pensait peut-être pas qu’en trahissant les
États-Unis, sa patrie de circonstance, pour Israël, celle de son cœur,
il allait trahir le camp occidental.
Des activistes hébreux, mais aussi des extrémistes
juifs américains ont fait de Jonathan Pollard un héros et un martyr de
la cause israélienne. Et les lobbies en faveur de sa libération n’ont
cessé ces dernières années d’intensifier leurs actions. Il semble même
que Barack Obama, il y a quelques semaines, ait mis dans la balance
diplomatique la libération du détenu israélo-américain : « En échange
de la poursuite du gel israélien de la colonisation dans les
territoires palestiniens occupés, Washington aurait pu envisager cette
possibilité, en plus de la livraison d’une vingtaine de chasseurs
furtifs F35. » Mais on ne fait pas plier ainsi, surtout sur le dossier
de la colonisation, « le peuple au cou roide ». Benyamin Nétanyahou,
en guise de réponse, après avoir jeté une dose de glycol sur le gel de
la colonisation, s’est contenté de faire à Barack Obama et à ses
chasseurs furtifs F35 un magnifique bras d’honneur. Ce qui ne
l’empêche pas de demander aujourd’hui « officiellement » la grâce de
son concitoyen. En guise de présent pour Noël ? Les chasseurs furtifs
F35, ce sera pour un peu plus tard. Son cadeau pour la nouvelle année
peut-être ?
JEAN COCHET