Déclarant à la revue Science et Avenir
(n° 772, juin 2011) que « L’Afrique n’est pas le seul berceau de
l’Homme moderne », Yves Coppens fait voler en éclats le postulat
de l’exclusivité des origines africaines de l’humanité. Il évacue
également d’une phrase plusieurs dizaines d’années d’un hallucinant
« bourrage de crâne » scientifique construit autour du paradigme
d’« Out of Africa ». Pour mémoire, selon ce dernier, les Homo
Sapiens seraient sortis d’Afrique sous leur forme moderne entre
moins 100 000 ans et moins 60 000 ans et ils auraient partout
remplacé les populations antérieures, ce qui fait que nous sommes
tous des Africains…
C’est en prenant en compte les découvertes
récentes qu’Yves Coppens a radicalement révisé ses anciennes
certitudes. Désormais, pour lui, ni l’Homme moderne européen,
ni l’Homme moderne asiatique ne descendent de l’Homme
moderne africain puisqu’il écrit :
« Je ne crois pas que les hommes modernes aient
surgi d’Afrique il y a 100 000 à 60 000 ans (…). Je pense que les
Homo Sapiens d’Extrême-Orient sont les
descendants des Homo Erectus d’Extrême-Orient. »
Comment serait-il d’ailleurs possible de continuer
à soutenir que les Asiatiques ont une origine africaine quand, dans
une Chine peuplée en continu depuis 2 millions d’années, les
découvertes s’accumulent qui mettent en évidence la transition entre
les hommes dits archaïques et l’Homme moderne dont les
Chinois actuels sont les très probables descendants (Dong, 2008 :
48) (1). Il en est de même avec les Européens.
Les importantes découvertes archéologiques qui ont
permis une totale révision des modèles anciens ne sont pas des
nouveautés pour les lecteurs de L’Afrique Réelle. Dans un
dossier publié dans le numéro 11 du mois de novembre 2010 (2) il a
ainsi été montré que l’Homme moderne, qu’il soit
asiatique, européen ou africain, est issu de souches locales
d’hominisation ayant évolué in situ. Un peu partout dans le
monde, nous voyons en effet et clairement des Homo Erectus se
« sapiensiser » et donner naissance à des lignées locales, peut-être
les plus lointains marqueurs des « races » actuelles.
Ces « sapiensisations » observables à la fois en
Asie, en Europe, dans le monde méditerranéen et en Afrique,
réduisent à néant le postulat du diffusionnisme au profit de
l’hypothèse multi-régionaliste que je défends depuis de nombreuses
années (3). Les découvertes qui s’accumulent, de la Géorgie (4) à
l’Espagne (5), de la Chine au Maroc ou encore d’Israël à l’Australie
et à la Mongolie, vont ainsi toutes dans le sens d’hominisations
indépendantes de (ou des) l’hominisation africaine.
Cette déferlante ayant fait céder les fragiles
digues dressées par la pensée unique, ses derniers défenseurs en
sont réduits à jongler avec les faits. Le célèbre généticien André
Langaney n’a ainsi plus qu’un pauvre argument à opposer aux
nombreuses et très sérieuses études faites en Chine puisqu’il ne
craint pas d‘écrire : « Des scientifiques orientaux au
nationalisme mal placé veulent à toute force que l’homme de Pékin ou
d’autres fossiles chinois soient leurs ancêtres » (Science et
Avenir). Fin du débat !
Le dossier de Science et Avenir constitue
une étape essentielle dans la libération des esprits car il va
toucher le plus grand nombre. En dépit d’inévitables scories
idéologiques qui font surface ici ou là, et de concessions appuyées
au politiquement correct, sa publication signifie qu’il n’est
désormais plus possible de cacher au grand public une vérité que les
spécialistes connaissaient mais qu’ils conservaient prudemment dans
leurs tiroirs afin de ne pas désespérer le « Billancourt de la
paléontologie »… La théorie de « l’Eve africaine » et celle d‘« Out
of Africa » peuvent donc être désormais rangées dans le rayon des
idéologies défuntes, quelque part entre la « lutte des classes » et
le mythe de la « colonisation-pillage ».
Bernard Lugan
—Pour s’abonner à L’Afrique réelle :
http://afriquerelle:blogspot.com
(1) Dong, W., (2008) « Les premiers hommes vus de
Chine », Les Dossiers de la Recherche (n° 32,
août 2008).
(2) Pour les synthèses les plus récentes, voir
L’Afrique Réelle n° 11 (novembre 2010) et Lugan, B., (2009)
Histoire de l’Afrique des origines à nos jours (Ellipses).
(3) Notamment dans un livre paru en 1989 et
aujourd’hui dépassé sur plusieurs points qui a pour titre
Afrique, l’Histoire à l’endroit.
(4) Lieberman, D.E., (2007) « Paleoanthrepology :
1-toming-in on early homo ». Nature (n° 449, 20 septembre
2007.
(5 ) Carbonell, E et alii., (2008) « The First
European ? », Nature, (n° 452, 27 mars 2008).