«
Ce que Dieu a mis sous le même joug, que l’homme ne le sépare pas. »
Tel est
littéralement ce que dit Jésus, en Matthieu 19, 6 et Marc 10, 9, et
que l’on a l’habitude de traduire : « Ce que Dieu a uni… » Or le
verbe grec, suzeugnumi, est composé de su(n) : ensemble, et zyg(on),
le joug. Il veut dire couramment mettre ensemble sous le joug,
atteler ensemble. Et au figuré : unir par le mariage, et par
extension unir étroitement. La célèbre phrase sur ce que Dieu a uni
est le seul endroit où l’on trouve ce verbe dans les évangiles. Il
serait bon que la traduction garde quelque chose de ce « joug ».

D’autant que ce
mot, de façon étonnante, se retrouve quasi-identique dans toutes les
langues indoeuropéennes, et même en arabe (sans doute par le grec)
où il désigne… le couple, ou le conjoint.
En fait le mot
grec zygon désigne le joug qui unit deux boeufs ou deux chevaux,
mais il y a un autre mot, zeugos, qui en est dérivé, et qui désigne
l’attelage de deux animaux, et par extension un couple,
spécifiquement un couple uni par les liens du mariage. Autrement dit
: des conjoints, traduction correcte du grec, car joindre vient
aussi de joug. La Vulgate dit « conjunxit », qui traduit exactement
le terme grec. Les époux sont donc des personnes qui se mettent
librement sous un joug.
Sous le joug du
mariage. « Au commencement de la création, Dieu les a faits mâle
et femelle, c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et
s’attachera à sa femme (collera étroitement, dit le verbe grec), et
les deux seront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais
une seule chair. Ce que Dieu a conjoint, que l’homme ne le sépare
pas. »
Au passage on
notera la façon dont le grec insiste sur le sexe, avec une biologie
sans pudeur, animale, qui détruit à la racine l’idéologie du genre:
il ne dit pas homme et femme, mais bien mâle et femelle.
Le joug du
mariage limite la liberté des deux individus qui se marient, et même
l’annihile sous un certain rapport. Chacun des conjoints est
indissolublement collé à l’autre, et tous deux ne peuvent que tirer
la charrue ou la charrette de la vie d’un même rythme et dans la
même direction: tirer à hue et à dia ne peut que faire très mal…
Mais comment deux
personnes libres peuvent- elles ainsi s’enchaîner ? L’évangile donne
la réponse: les deux ne sont plus deux, mais ils sont tellement
joints et collés qu’ils forment une seule chair. Puisqu’ils sont une
seule chair, il n’y a plus de dissension. Et c’est pourquoi ce joug
est doux, et le fardeau léger.
La seule fois où
Jésus utilise le mot joug, c’est quand il demande à ses disciples de
prendre son joug. Son joug, son fardeau: chaque chrétien doit donc
aussi s’unir au Christ sous le même joug. C’est le mariage mystique
de l’âme avec le Christ. Mystique ne veut pas dire éthéré.
S’unir au Christ
sous le même joug, c’est devenir une seule chair avec lui. Ou plutôt
un seul Esprit. C’est pourquoi il nous donne son corps à manger. Son
joug est khrèstos: bon, bienfaisant. Il a p r é c i s é : « Venez à
moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du
repos. » Prendre le joug pour avoir du repos… C’est un des
innombrables paradoxes de l’Evangile.
C’est que le sens
fondamental du mot joug, c’est union. L’union des deux. L’union avec
le Christ donne le repos, la paix, la joie. Et la liberté
authentique. Il en est de même dans le mariage. Ce qui compte dans
le joug, c’est l’union des deux. Et c’est l’union, la qualité de
l’union, qui donne la paix et la joie dans le mariage : quand les
deux font une seule chair, donc une seule volonté du couple, un seul
esprit.
Mais il s’agit
bien d’un joug, parce qu’il peut être pénible. Il s’agit bien d’un
fardeau, car il peut être lourd. D’abord, le joug, le fardeau du
Christ, c’est sa croix. Humainement, porter la croix, c’est
difficile, c’est pénible. Comme ce le fut pour Jésus sur le chemin
du Calvaire.
Pourtant son joug
est léger. Parce qu’il devient léger dans l’union, dans la
communion. En demeurant dans l’union à la Sainte Trinité, toute
peine devient très relative. Et s’il y a une véritable communion
entre les époux, aucune difficulté ne prend un poids insupportable.
Or tel est le véritable joug: il est union et communion.
Ainsi la
traduction habituelle (« ce que Dieu a uni ») est-elle juste, mais à
condition d’en discerner toute sa richesse.