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Aymeric Chauprade
Chronique du choc des civilisations
Le livre d'Aymeric Chauprade est un bilan de l'état du monde
contemporain, de l'Amérique à la Chine, de Afrique au Moyen-Orient. On
peut s'y promener comme dans un livre d'images, au gré des goûts et des
intérêts du moment et observer les cartes, par exemple des tracés des
oléoducs et des gazoducs, plus éclairants sur la motivation des guerres
qu' une longue démonstration. On peut aussi scruter les visages,
tragiques des victimes du terrorisme, émouvants de ces pentes
chrétiennes enchaînées qui implorent à Karachi la liberté religieuse,
effrayants de ces manifestants sanglants de Kerbala la chiite, souvent
comiques de ces politiques signant des accords. Les photos, comme
diraient les Diafoirus de la nouvelle culture, ont une valeur
argumentative et pas seulement illustrative.
Chronique du choc des civilisations
« Chronique » est trop modeste, ou trompeur : on ne trouvera pas là
un recueil du faits historiques relatés dans l'ordre de leur
déroulement, mais une thèse étayée, et, comme toutes les thèses,
sujettes à débat. Après Huntington, Chauprade renoue avec « le choc des
civilisations » comme moteur de l'histoire : son histoire est celles des
grandes batailles, portées par l'essor de la conscience identitaire. Des
grands événements qui ont
leur logique transatlantique. Huntington y définissait l'Amérique
comme « le leader de la civilisation occidentale », et, face à une
Europe déclinante, comme « L'Etat-phare » chargé de garantir et définir
l'identité européenne. Il réactivait, fragilisant si l'Europe, la grande
fracture entre l'Orient et l'Occident, opposant une Europe marquée par
la chrétienté d'Occident, catholique romaine et protestante, et
l'Orient, orthodoxe ou islamique. Pour cela, il excluait de l'Europe la
Grèce, comme «l'étranger orthodoxe dans les civilisations occidentales
». Chauprade au contraire, face à la volonté de puissance qui fait
l'histoire, déplore la léthargie des Européens depuis les deux guerres
mondiales, « endormis par les beaux principes de Kant, et son rêve de
"paix perpétuelle» », et les invite à l'indépendance à l'égard de
l'Amérique et aux alliances naturelles avec l'Est.
L'affaire Chauprade
Son livre, c'est aussi « l'affaire Chauprade ». Elle fut déclenchée
dans Le Point du 4 février par Jean Guisnel qui lui reprochait pêle-mêle
d'être villiériste, d'avoir participé à l'Université d'été de
Renaissance catholique, de désapprouver l'éventuelle entrée de la
Turquie dans l'Europe. Le motif de l'affaire, c'était l'ouverture du
livre en coup de tonnerre « 11 septembre : la version officielle
contestée ». Professeur de géopolitique au Collège interarmées de
Défense (CID), Chauprade est aussitôt carte dié de sa d faire par Hervé
Morin, ministre de la Défense. Il s'insurge et entame une procédure. ur
le 11 septembre, t9• «'= le droit au doute », dépore que la seule
analyse « conduise hu bûcher », et dénonce une' purge des partisans
d'une politique d'indépendance de la France et de a l'Europe vis-à-vis
des Etats-Unis au profit d'une politique de défense atlantiste et
néoconservatrice. Sans doute a-t-il raison ; mais fautil lui rappeler
que l'armée est restée la « grande Muette » et qu'il est paradoxal qu'il
enseigne à des officiers, alors qu'il est opposé à la politique de l'Etat
qu'ils sont chargés de servir, quelque mal que l'on puisse penser de
cette politique ? Une clé de lecture
Cette contestation de la version officielle, répond l'auteur, c'est
11 pages sur 240. Sans doute. Mais ces 11 pages sont la clé de lecture
de tout l'ouvrage. Si le 11 septembre ne s'est pas passé comme il a été
officiellement décrit, c'est toute la politique atlantiste qui
s'effondre.' Orc'est lus qu'un doute qu'insinue Chauprade. Il donne, à
l'indicatif, en étayant son propos, les impossibilités matérielles.
World Trade Center : « l'incendie ne peut être responsable de
l'effondrement de bâtiments aux structures d'acier » ; « )'onde de choc
ri a pas pu provoquer l'effondrement » de bâtiments qui se sont
affaissés à la vitesse maximale de la gravité. La conclusion s'impose,
toujours à l'indicatif : « Seule une démolition contrôlée par deg
explosifs permet d'obtenir un effo eurent aussi rapi de et parfait. »,,
Conclusion renforcée par le fait que bâtiment 7, qui n'avait été frap
par aucun avion, s'est brutalement , intégré. Contestation aussi vive
concernant l'attaque du Pentagone, argument du Renseignement israélien
qui connaissait les détails précis de l'opération en préparation ;
constat d'étranges spécus lavons financières dans les jours qui
précédèrent les attentats; absence du NORAD (chargé de.,la circulation
aérienne) qui a permis aux avions de n'être pas inquiétés. Fous ces
éléments, et bien d'autres, font plus qu'ébranler la thèse officielle.
Et l'hypothèse avancée au conditionnel risque d'apparaître au lecteur
comme une conclusion imparable : « Des avions pilotés à distance
auraient été téléguidés sur des tours qui devaient s'effondrer sous
l'effet de destructions contrôlées à l'explosif, orchestrées à partir du
centre de contrôle du bâtiment 7... Les événements tragiques du 11
septembre auraient alors constitué le premier acte d'une sorte de coup
d'Etat invisible limitant les libertés civiles (Patriot Act) et donnant
des marges de manoeuvres géopolitiques considérables tant à l'Amérique
(Asie centrale, Irak, Iran, etc.) qu'à Israël... ainsi que des
perspectives économiques nouvelles du complexe militaro-industriel et à
l'industrie pétrolière des Etats-Unis. » Comme Sylvain Gouguenheim
contestant les racines musulmanes de l'Europe, Chauprade n'apporte pas
de révélations fracassantes sur le 11 sep tembre : ce l'on leur reproche
à tous deux, c'est d'apporter leur,l4gitimité scientifique au débat-
v„s:'. Amérique m~ ,nt Louverture du livre "Utaupade est t risque : le
let* t y saisir le chiffre propre à d6c der lue, énigmes du théâtre du
monde, o, méfiant à l'égârd de toute thèse tomplotiste(même si l'auteur
rétorque que, aven-, rat islamiste ou opération sous' faux' drapeau, il
y eut de toute façon &U4 - plot), il peut estimer que ces È1 ae-' mières
pages décrédibilisént tout le reste de l'ouvrage. Je l'ai pour ma part
lu ,avec passion, mais l'esprit en alerte,.. car, derrière l'écheveau de
faits incontestables, Chauprade s'y montre, non seulement analyste hors
pair, mais. homme de convictions et de proposion. lamage qui il donne de
l'Amérique, on s'en doute, est un portrait charge, mais complexe. Il y a
la volonté de l'Amérique sur le monde, et il y a ce qui lui, échappe, ce
que Jules Mannerot aurait appelé l'hétérotélie, les effets pervers d'une
action, ses conséquences contraires au but recherché.. Ainsi « L'Empire
du Bien » en guerre contre « l'Empire du Mal » a déchaîné une « terreur
djihadiste frappant tous azimuts », que l'Amérique était incapable de
maîtriser, et qui a accéléré la disparition programmée des chrétiens
d'Orient. Elle pourrait pourtant se rappeler son passé d'apprenti-sorcier,