Ces entretiens d’une quinzaine
de minutes chacun ont été diffusés d’avril à septembre 1995 à Moscou
par la chaîne ORT une fois tous les quinze jours. Ils sont très
critiques sur la situation de cette Russie d’avant Poutine.
Soljénitsyne rêve d’une vraie démocratie locale où le peuple aurait
son mot à dire dans des assemblées dites les Zemtsvo. Mais il se
plaint des faiblesses de l’Etat russe. Il dénonce l’abandon des
millions de Russes (7 millions) qui peuplent le nord du Kazakhstan
et qui, selon lui, subissent une forte discrimination. Il s’inquiète
beaucoup du mauvais fonctionnement des écoles et de ce qu’il appelle
« le saccage psychologique de nos adolescents ». Il dénonce le
conflit artificiel droite/gauche et la démagogie électorale. Il
insiste sur l’importance de la religion orthodoxe dans la définition
et la défense de l’identité russe : « Dans le peuple et l’histoire
russe, l’orthodoxie occupe une place absolument à part sous deux
rapports : le rapport historique d’abord car, sans l’orthodoxie, ni
notre grand Etat ni notre grand peuple n’existeraient ; le rapport
gnoséologique ensuite car c’est par la Weltanschauung orthodoxe que
toute notre culture et nos penseurs se sont frayés un chemin. Ces
deux mérites de l’orthodoxie, je l’espère, viendront contrebalancer
l’épouvantable état où l’a conduite le bolchevisme.
Pour Soljénitsyne, c’est le plus grave : le communisme a laissé la
Russie dans un état spirituel catastrophique. Il milite pour la
séparation d’avec le monde musulman : « Il est temps pour nous de
nous retirer complètement de Transcaucasie et d’Asie centrale.
L’Asie centrale et l’Azerbaïdjan brûlent de s’intégrer au monde
musulman, ils sont inévitablement appelés à s’y fondre. Le monde
musulman grandit, ce sera le phénomène marquant du XXIe siècle. Nous
n’avons rien à faire là-dedans. » Ce n’est pas Soljénitsyne qui
voudrait que la Turquie intègre l’Europe !
Son jugement sur l’Occident n’a pas varié : « En Occident, c’est
l’abondance, oui, tout est splendide, on a tout. L’Occident est
florissant, oui, sur le plan matériel. Mais les âmes, les âmes des
gens se changent en déserts, la facilité les prive de ressort. Le
XXIe siècle sera le théâtre d’un terrible conflit entre ce qu’on
appelle le tiers-monde, la plus grande part de l’humanité, et ce
qu’on appelle la race blanche. Il y aura des événements pénibles à
vivre. Tout le monde sera concerné et, si nous n’arrivons pas à
élever nos cœurs, à être affermis et purs intérieurement, nous tous,
l’humanité, serons condamnés à périr. »
Soljénitsyne réaffirme le bienfait du principe national : « Je me
réjouis qu’il y ait des nationalités ; j’estime qu’elles sont la
richesse de l’humanité, les différentes facettes du projet Divin,
(…). Il faut donc les préserver. En Occident, les Lumières depuis le
XVIIIe siècle ont propagé cette idée mensongère que toutes les
différences nationales seraient un jour gommées et que toute
l’humanité serait une, réunie. Le XXe siècle nous a montré avec une
évidence particulière qu’il n’en était rien. Les nationalités
essaient toutes de se renforcer et d’affirmer leur originalité.
C’est une bonne chose. » Sa conclusion est claire : « Notre tâche
majeure la plus haute c’est de préserver notre peuple déjà tellement
éprouvé, de préserver son être physique (la démographie !), mais
aussi moral, sa culture, ses traditions. »
Dans ce livre l’auteur reste lui-même : dénonciateur des crimes
communistes, défenseur de la Russie et de l’orthodoxie, critique de
l’Occident. Il ne cherche pas à plaire mais à transmettre des
vérités.
Yvan BLOT
© Polémia
29/04/08