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L'AU-DELA, ICI ET MAINTENANT.
ESSAI SUR LA MORT DANS LA PENSEE DE MAURICE
ZUNDEL
« Le vrai
problème n'est pas de savoir
si nous vivrons
après la mort,
mais si nous
serons vivant avant la mort"
M.
Zundel, A
l'écoute du silence, Paris,
Etude pour la revue de la Société de Thanatologie :
Juin 2005
L'anthropologie de Maurice Zundel est celle des premiers temps du
christianisme. Et sa Vision de la mort aussi. Que sa conception de
l'homme soit purement ternaire, les quelques lignes que voici le disent
clairement : « L'homme est un être à trois étages. Le premier étage est
physiologique, le deuxième étage psychologique, le troisième est une
simple possibilité : une aimantation, une Vocation. Les deux premiers
sont préfabriqués : les étages physiologique et psychologique. C'est au
troisième étage que se situe tout l'humain et tout le divin. Notre Vrai
moi nous attend au troisième étage, car c'est là que la connaissance (le
Dieu est inséparable de la connaissance de l'homme »
(cf.'
R.Hahachi,
Panorama de la pensée de Maurice Zundel,
2003, p. 159).
« On n'a pas le temps, la vie passe si vite, on est occupé par les
soucis matériels, ou par les divertissements ... et finalement la mort
arrive et c'est devant la mort que l'on prend conscience que la vie
aurait pu être quelque chose d'immense, de prodigieux, de créateur...
Mais c'est trop tard... Et la vie ne prend tout son relief que dans
l'immense regret d'une chose inaccomplie. Et les survivants sont là, à
pleurer ceux qui ne sont plus, qui n'ont rien fait jaillir de leur
existence et a la réalisation desquels les vivants ont si peu collaboré.
C'est alors que la mort, justement parce que la vie a été inaccomplie,
apparaît comme un gouffre... »1
Ainsi Maurice Zundel introduit-il son essai sur l'expérience de la
mort. Ce texte comporte seulement une dizaine de pages, mais, comme en
témoignent les lignes ci-dessus l'art de M. Zundel est de savoir, en
quelques mots à peine, dire l'essentiel. Car il tiens que, concernant
l'expérience possible de la mort, l'essentiel ici est dit. Mais quel est
donc cet « essentiel » qui, sans doute, tient à cette « chose
inaccomplie » ? Que signifie précisément cet « inaccomplissement de la
vie » qui toujours est à la clé de la peur de la mort ? Telle est la
question que je désire examiner plus particulièrement dans ce bref
essai. Sachant qu'il y a là l'un des moyens les plus excellents de
pénétrer au coeur de la pensée de Maurice Zundel sur la mort et
l'au-delà. Sachant aussi que de faire connaître la manière dont Zundel
concevait la condition humaine, ainsi que l'homme qui doit la subir, est
l'une des fins les plus excellentes a laquelle une anthropologie,
libérée de tout présupposé, puisse se consacrer aujourd'hui.
Maurice Zundel (1897-1975) naquit en Suisse. Prêtre sans paroisse,
devenu prédicateur itinérant, il donna en France comme à l'étranger, en
Angleterre, en Egypte et au Liban notamment, plusieurs centaines
d'enseignements, conférences, homélies, retraites, causeries,
discours... Auteur d'une vingtaine d'ouvrages, il resta néanmoins
pratiquement inconnu de son vivant. Orateur hors du commun, penseur
d'une profondeur exceptionnelle, qui toujours déjoue le piège des
apparences pour aller droit aux essences qu'il éclaire d'une lumière
incomparable, M. Zundel est aussi un esprit d'une rare culture,
possédant des connaissances étendues dans de multiples disciplines et
langues - il maîtrisait parfaitement le latin, le grec ancien, l'hébreu,
l'arabe, ceci sans parler des langues courantes. Il est encore un esprit
d'une tournure fondamentalement réaliste et qui sait, et qui ose,
qualité inappréciable, appeler un chat un chat quelles que soient les
circonstances. Mais tout ceci peut faire figure d'accessoire comparé à
l'essentiel qui reste à dire, et qui tient au fait que Maurice Zundel
est un mystique immense. Certainement l'un des plus importants des temps
modernes. Ses intuitions, ses illuminations sont fulgurantes. A certains
égards, et jusque dans leur formulation même, elles rappellent celles de
Maître Eckhart. Ainsi que l'avait bien compris le pape Paul VI, qui le
connut très tôt, Zundel est un véritable génie spirituel. Là est sans
doute la raison, paradoxale, pour laquelle M. Zundel fut totalement
incompris par ses supérieurs et demeure encore aujourd'hui si peu connu
du monde. Car, l'histoire nous l'apprend, il faut aux hommes ordinaires
souvent des dizaines d'années, voire plusieurs siècles, pour se
familiariser avec de tels génies et commencer à en prendre la vraie
mesure.
A la réflexion, le courage de ce prêtre étonne grandement. Car sa
vision de l'homme et de Dieu ne fait rien moins que pulvériser
l'anthropologie et la théologie officielles, celles léguées par le
Concile de Trente et adoptées par l'Eglise moderne. En plein XXe siècle,
Zundel se fait l'apôtre d'une anthropologie, d'une théologie et d'une
thanatologie radicalement nouvelles. Radicalement nouvelles, certes,
mais aussi extrêmement anciennes, puisqu'elles ne sont autres - mais sous une forme différente et
approfondie - que celles l'Évangile et du christianisme originel, ainsi
que je le montrerai dans ces lignes.
La manière dont tout homme conçoit et éprouve la mort est le strict
reflet de celle dont il a conçu et vécu son humanité, de celle dont il a
conçu et conduit sa vie. Le rapport de la conception de la mort à la
conception de Dieu est lui aussi étroit, mais moins immédiat. C'est
pourquoi cette étude ne considérera pas la théologie de M. Zundel.
Cependant, afin que le lecteur en possède malgré tout une première idée,
pour que celle-ci soit juste et pour ensuite ne plus y revenir, je
rapporterai de la théologie zundelienne seulement quelques traits parmi
les plus décisifs. Au vrai, la théologie de Maurice Zundel nous
débarrasse d'un véritable cauchemar, cauchemar qui aurait dû être évacué
depuis deux mille ans, mais qui hante encore les nefs des cathédrales,
les sermons des prêtres, les pages des catéchismes et la foi des
fidèles. A ce propos, Zundel dit magnifiquement, et il fallait pouvoir
le dire : « Jésus, en nous révélant la Trinité, nous a délivré de Dieu »
2. Il nous a délivré de Dieu ! En effet, la révélation
évangélique délivre de l'image imparfaite et grossière de Dieu laissée
par l'Ancien Testament. Elle nous libère de ce Dieu qui est celui des
Nations et qui ne se soucie guère des personnes, de ce Dieu menaçant,
solitaire et impassible, de ce Dieu-empereur assis sur un trône et qui
se déplace dans un char, de ce Dieu Tout-Puissant et faiseur de prodiges
auquel l'univers tout entier est soumis, de ce «Dieu des armées », de ce
Dieu Seigneur et Roi, guerrier et vengeur, qui n'hésite pas à tuer et
massacrer, de ce Dieu magistrat et croquemitaine qui menace, juge et
châtie impitoyablement ceux qui transgressent les interdits qu'il a
lui-même édictés, de ce Dieu « plein de tendresse et de pitié » mais qui
ne pardonne qu'à ceux qui lui obéissent, de ce Dieu capable d'envoyer
ses propres créatures a la mort, de ce Dieu extérieur au monde et
étranger aux souffrances de l'homme, de ce Dieu illusion dont aucun
argument rationnel ne prouve l'existence et dont la simple éventualité,
pour un homme conscient de son humanité et fier de sa liberté, constitue
une injure insupportable puisque de .facto elle l'infantilise et le
réduit à n'être qu'un simple faire valoir, ou un vulgaire domestique.
Oui, Nietzsche eut cent fois raison de proclamer la mort de ce Dieu-là
et le faisant il fit oeuvre très chrétienne. Car, dans l'ordre de
l'essentiel, le Dieu de Jésus-Christ - le Vrai Dieu, dit Zundel -, avec
le précédent, n'a strictement rien à voir. Il en est même l'antithèse.
Et pour l'expliquer le prêtre suisse a des phrases et des expressions
admirables. Pour lui la « Bonne Nouvelle » apportée par l' Evangile est
justement : la fragilité, l'humilité, la pauvreté, la souffrance, l
éternelle innocence de Dieu. Il écrit ainsi « Dieu ne peut que ce
que peut l'amour » ; « Dieu est Dieu parce qu'il n'a rien »'3; «
Dieu justement est amour rien qu'amour. Sa toute puissance est dans
l'ordre de l'amour et elle devient toute impuissance, lorsqu'elle ne
rencontre pas l'amour 4; « Dieu est Dieu parce qu'il n'a rien et ne peut
rien avoir. Dieu est Dieu parce qu'il est incapable de rien dominer,
parce qu'il ne peut que se donner "5
Le Dieu de Zundel est celui de Jésus-Christ. Il est celui de saint
Jean : il est esprit, lumière et amour. Il est, dit-il, un « pur
dedans ». Un Etre purement intérieur qui ne peut s'exprimer
au-dehors, dans le monde, que grâce au consentement d'hommes qui,
l'ayant accueilli au plus intime d'eux-mêmes, l'aiment d'un tel amour
qu'ils parviennent à se dessaisir, à se désapproprier suffisamment
d'eux-mêmes pour qu'Il puisse, en eux, et à travers eux, comme par
transparence, rayonner et manifester ici-bas sa Présence. Ce Dieu si
dépendant de l'homme que ce dernier, suivant son bon vouloir, peut lui
interdire ici-bas toute existence, n'a, on le voit, plus rien
d'impérial. Il est même si peu « romain » qu'on comprend que Rome peine
encore à accepter la théologie zundelienne.
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