CRÉPUSCULE
L'étang mystérieux, suaire
aux blanches moires,
Frissonne ; au fond du
bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds
et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à
travers la forêt ?
Avez-vous vu Vénus au
sommet des collines ?
Vous qui passez dans
l'ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont
pleins de blanches mousselines ;
L'herbe s'éveille et parle
aux sépulcres dormants.
Que dit-il, le brin
d'herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on
a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche !
aimez-vous ! la nuit tombe ;
Soyez heureux pendant que
nous sommes pensifs.
Dieu veut qu'on ait aimé.
Vivez ! faites envie,
Ô couples qui passez sous
le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe.
en sortant de la vie,
On emporta d'amour, on
l'emploie à prier.
Les mortes d'aujourd'hui
furent jadis les belles.
Le ver luisant dans
l'ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir,
au milieu des javelles,
Le brin d'herbe, et Dieu
fait tressaillir le tombeau.
La forme d'un toit noir
dessine une chaumière;
On entend dans les prés le
pas lourd du faucheur ;
L'étoile aux cieux, ainsi
qu'une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa
splendide fraîcheur.
Aimez-vous ! c'est le mois
où les fraises sont mûres.
L'ange du soir rêveur, qui
flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur
ses ailes obscures,
Les prières des morts aux
baisers des vivants.
Chelles, 18...