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Existe-t-il une civilisation universelle  par Samuel P. Huntington 

Universalisme

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Certains soutiennent que nous assistons à l'émergence de ce que Vidiadhar S. Naipaul a appelé une « civilisation universelle ». Que signifie ce terme ? La culture de l'humanité tendrait à l'universalité et, de plus en plus, on accepterait dans le monde entier les mêmes valeurs, les mêmes croyances, les mêmes orientations, les mêmes pratiques et les mêmes institutions.

 

. Vâclav Havel, par exemple, a soutenu l'idée que « nous vivons désormais au sein d'une seule et même civilisation globale » et que ce n'est « rien de plus qu'une mince couche » qui « recouvre et cache l'immense variété de cultures, de peuples, de mondes religieux, de traditions historiques et d'attitudes héritées de l'histoire, lesquels en un sens se tiennent "sous" elle »

Le terme « civilisation universelle » peut désigner les principes, les valeurs et les doctrines auxquels adhèrent nombre d'Occidentaux et de représentants d'autres civilisations. C'est ce que l'on pourrait appeler la culture de Davos. Chaque année, une centaine environ de dirigeants d'entreprise, de banquiers, de hauts fonctionnaires, d'intellectuels et de journalistes venant de divers pays se retrouvent au Forum de l'économie mondiale, à Davos, en Suisse. Presque tous sont diplômés en sciences, en sciences humaines, en gestion, en droit, travaillent sur des mots et/ou des chiffres, parlent anglais, sont employés par des gouvernements, des sociétés ou des universités très ouverts sur l'étranger et voyagent souvent hors de leur pays. Ils partagent tous la même foi dans les vertus de l'individualisme, de l'économie de marché et de la démocratie politique, lesquelles sont très répandues chez les Occidentaux. Les personnes qui viennent à Davos ont des responsabilités dans presque toutes les institutions internationales, dans plusieurs gouvernements, dans l'économie mondiale et dans la défense. La culture de Davos est donc extrêmement importante. Dans le monde entier, cependant, combien de personnes partagent cette culture ? Ailleurs qu'en Occident, il est probable qu'elle prévaut chez moins de cinquante millions d'hommes et de femmes, c'est-à-dire 1% de la population mondiale, et peut-être même seulement un dixième de ce 1 %. Elle est donc loin de former une culture universelle, et les dirigeants qui la partagent ne sont donc pas nécessairement en position de force dans leur propre société. « Cette culture intellectuelle commune, souligne Hedley Bull, concerne seulement une élite : elle est peu implantée dans de nombreuses sociétés [et] il n'est pas certain que, même au niveau diplomatique, elle corresponde à ce que l'on a appelé une culture morale commune ou un ensemble de valeurs communes, par opposition à la culture intellectuelle commune. »

 

 

 

Il en résulte que le mot culture et le mot civilisation sont désormais pratiquement synonymes et que ni l'une ni l'autre ne peuvent être présentées comme des modèles.

«Nous sommes à une phase, écrit Raymond Aron, où nous découvrons à la fois la vérité relative du concept de civilisation et le dépassement nécessaire de ce concept... La phase des civilisations s'achève et... l'humanité est en train, pour son bien ou pour son mal, d'accéder à une phase nouvelle», celle, en somme,d'une civilisation capable de s'étendre à l'univers entier.» (Cité par Braudel)
 

La civilisation au singulier revient sous la forme de la civilisation industrielle

Cependant la «civilisation industrielle exportée par l'Occident n'est qu'un des traits de la civilisation occidentale. En l'accueillant, le monde n'accepte pas, du même coup, l'ensemble de cette civilisation, au contraire. Le passé des civilisations n'est d'ailleurs que l'histoire d'emprunts continuels qu'elles se sont faits les unes aux autres, au cours des siècles, sans perdre pour autant leurs particularismes, ni leurs originalités. Admettons pourtant que ce soit la première fois qu'un aspect décisif d'une civilisation particulière paraisse un emprunt désirable à toutes les civilisations du monde et que la vitesse des communications modernes en favorise la diffusion rapide et efficace. C'est dire seulement, croyons-nous, que ce que nous appelons civilisation industrielle s'apprête à rejoindre la civilisation collective de l'univers . Chaque civilisation en a été, en est, ou en sera bouleversée dans ses structures.» (Aron)

Ainsi donc après une parenthèse relativiste, caractérisée par le mot civilisations au pluriel, on est revenu au singulier celui de la civilisation industrielle. Si ce singulier est accepté, alors que celui de Suarès ne l'est pas, c'est parce que la civilisation industrielle est présentée comme un fait neutre et universel, auquel on peut accéder par des méthodes rationnelles, tandis que la civilisation de Suarès est un idéal dont on se rapproche par l'ascèse et la purification.

La question de cet idéal continue toutefois de se poser. Il existe des groupes humains où l'on mange n'importe quoi, n'importe quand, n'importe comment et où l'on jette plats et ustensiles après usage. Il en est d'autres où l'on prend ses repas en commun, selon des rites favorisant la convivialité, dans le respect de la nourriture et des objets. Comment distinguer, hiérarchiser ces deux coutumes, sinon en recourant au concept de civilisation ou à un autre concept ayant le même sens?

Respect d'autrui, respect des objets, voilà deux critères, transposables dans tous les domaines, sur lesquels il devrait être possible d'établir un consensus; deux critères dont l'importance est telle que la civilisation industrielle, dans le mesure où elle n'en tient pas compte, peut être qualifiée de barbare.
 

  02/03

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Résonances .....rs.  

20.02.03

Quelques paroles prononcées par Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, à la séance de clôture du forum économique mondial Davos-New-York, le 4 février 2002.

"Dans bien des cas, les gouvernements ne trouvent le courage et les ressources pour faire ce qu'il faut, que lorsque les entreprises ont pris l'initiative. ».

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20.02.03

Nous avons là aussi une description parfaite de la civilisation universelle prônée par les "tranches du haut" de notre civilisation occidentale universalistes ... avec sa contrepartie qui se rend à Porto Alegre puis à Davos.

voir aussi:

Samuel Huntington et le choc des civilisations

Misère de la prospérité

les religions des ensemble-HOMENTRANCHE

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