Encore faut-il s’entendre sur la 
            définition d’une civilisation. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le 
            concept de « civilisation » servait à désigner toute société 
            évoluée, notamment en terme matériel et institutionnel par 
            opposition aux sociétés dites « barbares ». Ce n’est évidemment pas 
            le sens que prend le terme « civilisation » dans l’ouvrage d’Huntington. 
            Il n’étudie pas « la civilisation » comprise dans un sens 
            universaliste. Il critique même cette conception purement 
            occidentale à certains passages du livre. Au contraire, il étudie « 
            les civilisations » caractérisées selon lui par divers éléments :
            - Premièrement, une civilisation 
            est une entité culturelle. Parmi les éléments culturels clés qui 
            définissent une civilisation, Huntington dénombre le sang, la 
            langue, la religion, la manière de vivre. Il constate que de tous 
            les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus 
            important est en général la religion. Beaucoup de civilisations se 
            sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions 
            du monde. Au contraire, des populations faisant partie de la même 
            ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent 
            s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le 
            subcontinent indien.
            - Deuxièmement, les civilisations 
            sont englobantes, c’est-à-dire qu’aucune de leurs composantes ne 
            peut être comprise sans référence à la civilisation qui les 
            embrasse. Pour reprendre les termes de Toynbee, « les civilisations 
            englobent sans être englobées par les autres ». Une civilisation est 
            ainsi le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus 
            haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se 
            distinguer des autres espèces. Les civilisations sont les plus 
            gros « nous » et elles s’opposent à tous les autres « eux ».
            - Troisièmement, Huntington 
            constate que les civilisations sont mortelles mais qu’elles sont des 
            réalités d’une extrême longue durée. Les Empires naissent et 
            meurent, les gouvernements vont et viennent, les civilisations 
            restent et survivent aux aléas politiques, sociaux, économiques et 
            même idéologiques.
            - Enfin, puisqu’une civilisation 
            est une entité culturelle, elle ne revêt pas de fonctions politiques 
            telles que maintenir l’ordre, dire le droit, collecter les impôts, 
            mener des guerres, négocier des traités, etc. Seul le Japon est à la 
            fois une civilisation et un Etat tandis que la Chine est une 
            civilisation qui se veut être un Etat. Nous rajouterons que dans les 
            cercles de Synergies Européennes, nous affirmons que l’Eurosibérie 
            est une civilisation qui doit être un Etat !
            Enfin, après avoir donné sa 
            définition de ce qu’est une civilisation, Huntington dénombre sept 
            grandes civilisations contemporaines (ou plutôt six et demi) :
            - La civilisation chinoise qui 
            daterait au moins de 1500 av. J.-C., voire de mille ans plus tôt.
            - La civilisation japonaise, dérivée de la civilisation chinoise et 
            apparue entre 100 et 400 ap. J.C.
            - La civilisation hindoue depuis 1500 av. J.C.
            - La civilisation musulmane, née dans la péninsule arabique au VIIe 
            siècle ap. J.C., elle s’est étendue en Afrique du Nord, en Espagne, 
            et à l’est, en Asie centrale, dans le sous-continent indien et en 
            Asie du Sud-Est. En conséquence de quoi, on distingue au sein de 
            l’Islam plusieurs cultures ou sous-civilisations : l’arabe, la 
            turque, la perse et la malaisienne.
            - La civilisation occidentale dont Huntington date l’apparition à 
            700-800 ap. J.C. L’Occident regroupe l’Europe, l’Amérique du Nord et 
            les autres pays peuplés d’Européens, comme l’Australie et la 
            Nouvelle-Zélande.
            - L’Amérique latine qui possède des caractéristiques propres suite à 
            une évolution différente. Huntington parle d’une culture 
            corporatiste et autoritaire différente de la démocratie occidentale. 
            L’Europe et l’Amérique du Nord ont subi les effets de la Réforme et 
            ont combiné culture catholique et culture protestante. 
            Historiquement, l’Amérique latine a seulement été catholique. Enfin, 
            la civilisation d’Amérique latine inclut des cultures indigènes, 
            lesquelles n’existaient pas en Europe et ont été éliminées en 
            Amérique du Nord.
            - La civilisation africaine, si possible. Huntington émet 
            l’hypothèse que l’Afrique subsaharienne pourrait s’assembler pour 
            former une civilisation distincte dont le centre de gravité serait 
            l’Etat d’Afrique du Sud.
            En analysant la figure n°1 (= 
            carte 1.3 [4]) fournie par Huntington, on remarque que le 
            géopolitologue laisse la place à deux autres entités qu’il classe 
            également sous le titre de civilisation : l’espace orthodoxe et 
            l’espace bouddhiste. Toutefois, il considère que le Bouddhisme et 
            l’Orthodoxie bien que ce soient deux grandes religions, n’ont pas 
            été à la base de grandes civilisations. Remarquons également que 
            dans son analyse, Huntington opère une distinction très nette entre 
            l’Europe et la Russie orthodoxe (cf. figure n°3 = carte de ligne de 
            partage entre l’Europe et le monde orthodoxe[5]) Certes, la Russie 
            se différencie du reste de la population européenne par son origine 
            slave et sa religion orthodoxe mais les peuples slaves sont 
            majoritairement chrétiens, ils sont indo-européens, blancs et leur 
            histoire est étroitement liée depuis plusieurs siècles déjà à 
            l’histoire européenne. La distinction religieuse est d’ailleurs 
            plutôt simpliste pour ne pas dire fausse quand on sait qu’aux yeux 
            de la religion catholique, les protestants sont considérés comme 
            hérétiques alors que les orthodoxes sont simplement schismatiques. 
            Comment ne pas voir dans cette séparation une habile manœuvre 
            politique destinée à théoriser auprès de nos « élites » européennes, 
            une frontière culturelle qui est loin d’être évidente. Comment ne 
            pas y voir la peur sous-jacente d’une alliance euro-russe, peur 
            déjà bien présente à l’esprit des Américains en 1939 lors du Pacte 
            Molotov-Ribbentrop. Comment ne pas y voir un voile discret jeté sur 
            l’idée d’une alliance continentale que tous les stratèges 
            britanniques ou américains ont cherché à combattre depuis Mackinder 
            en passant par Mahan, Spykman, Brzezinski et plus récemment 
            Kissinger. Il suffit de lire leurs ouvrages pour comprendre que le 
            cauchemar américain est effectivement la réalisation d’un bloc 
            politique eurasiatique s’étendant de Reykjavik à Vladivostok tel que 
            l’ont théorisé Thiriard ou Guillaume Faye. Nous aurons l’occasion de 
            revenir dans notre conclusion sur cet élément important.
            Après avoir dénombré les 
            différentes civilisations contemporaines, Huntington souligne un 
            détail essentiel. En quoi la situation a-t-elle changé par 
            rapport au passé ? Les civilisations existent depuis longtemps. 
            Pourquoi tout d’un coup pointer du doigt le risque d’un choc des 
            civilisations alors que certaines d’entre elles sont plusieurs fois 
            millénaires ? Tout simplement parce qu’aux rencontres limitées entre 
            civilisations a succédé une période d’intenses interactions. Au XVe 
            siècle l’influence puissante et unidirectionnelle de l’Occident sur 
            les autres civilisations a commencé à se manifester. Pendant quatre 
            cents ans, les relations intercivilisationnelles se sont résumées à 
            la subordination par l’Occident des autres civilisations. « 
            L’expansion de l’Occident a été facilitée par la supériorité de son 
            organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de 
            ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses 
            soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans 
            la révolution industrielle. L’Occident a vaincu le monde non parce 
            que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais 
            plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les 
            Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais. 
            »[6] Cependant cette supériorité a commencé à s’estomper à partir de 
            la Première guerre mondiale. Au XXe siècle, les relations entre 
            civilisations sont passées d’une période dominée par l’influence 
            unidirectionnelle d’une civilisation en particulier sur les autres à 
            une phase d’intenses interactions multidirectionnelles entre toutes 
            les civilisations. L’expansion de l’Occident s’est arrêtée tandis 
            que la révolte contre celui-ci a commencé. Par à coups, la puissance 
            de l’Occident a décliné relativement à celle des autres 
            civilisations. Cette situation laisse donc la place à l’émergence 
            des sociétés non occidentales qui redeviennent les actrices de leur 
            propre histoire, surtout depuis la fin des conflits idéologiques. 
            Dans ce contexte et vu les échanges de plus en plus soutenus entre 
            les différentes civilisations à l’échelle mondiale, un choc entre 
            civilisations a beaucoup plus de chance de se produire que par le 
            passé ! Les Etats-Unis tentent de se substituer au rôle de gendarme 
            du monde autrefois tenu par l’Europe mais ils ne cessent de 
            s’attirer la haine des peuples. Une haine lourde de conflits à 
            venir.
            Chapitre III : Existe-t-il 
            une civilisation universelle ? Modernisation et occidentalisation
            La civilisation universelle ?
            Samuel P. Huntington est très 
            critique vis-à-vis du concept de civilisation universelle que l’on 
            apparente souvent à la culture de Davos. Sont convertis à cette 
            culture nombre de nos hommes politiques, dirigeants d’entreprise, 
            banquiers, hauts fonctionnaires, intellectuels et journalistes. « 
            Ils partagent tous la même foi dans les vertus de l’individualisme, 
            de l’économie de marché et de la démocratie politique. »[7] Cette 
            culture est extrêmement importante parce que les personnes qui la 
            partagent possèdent des responsabilités dans presque toutes les 
            institutions internationales, dans plusieurs gouvernements, dans 
            l’économie mondiale, dans la défense et dans les universités. 
            Cependant, souligne Huntington, que représentent ces convertis à 
            l’échelle mondiale ? Il est probable qu’en dehors de l’Occident, ils 
            ne sont qu’une petite poignée (1% [peut-être moins] de la 
            population) à partager ses valeurs et ils ne sont pas forcément en 
            position de force au sein de leur propre société. Il suffit pour 
            cela de prendre comme exemple la Jordanie durant la dernière guerre 
            du Golfe pour se rendre compte que seuls les dirigeants soutenaient 
            l’effort américain dans la région tandis que la population 
            jordanienne y était largement hostile. Cette culture de Davos est 
            donc loin de former une culture universelle.
            De même, Huntington critique 
            l’idée selon laquelle la diffusion des structures de consommation et 
            de la culture populaire occidentale à travers le monde crée une 
            civilisation universelle. Entendez l’idée selon laquelle, puisqu’un 
            hindou boit du coca-cola et porte des blue-jeans, il est forcément 
            converti aux valeurs consuméristes de la société américaine. En 
            effet, nous sommes assez d’accord avec Huntington lorsqu’il affirme 
            que nous ne pouvons identifier les simples aspects matériels d’une 
            culture avec ses valeurs et ses idéaux profonds. « Seule 
            l’arrogance, dit-il, incite les Occidentaux à considérer que les 
            non-Occidentaux « s’occidentaliseront » en consommant plus de 
            produits occidentaux. Le fait que les Occidentaux identifient leur 
            culture à des liquides vaisselle, des pantalons décolorés et des 
            aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. »[8] 
            Cependant nous rajouterons qu’il ne faut pas sous-estimer, sur 
            certains esprits plus faibles, le pouvoir attractif de toutes nos 
            cochonneries. La colonisation massive de peuples allochtones que 
            l’Europe connaît à l’heure actuelle n’est hélas pas là pour le 
            démentir. Quoique, la capacité d’intégration de la société 
            occidentale tende à diminuer à mesure que le nombre d’étrangers y 
            est plus important. Le regroupement communautaire massif de ces 
            populations favorise en effet la conservation des pratiques 
            culturelles issues du pays d’origine. Face à un peuple s’identifiant 
            aux marques de shampoing et aux voitures de luxe, il est normal que 
            des cultures plus fortes comme la culture arabe prennent 
            progressivement le dessus à l’extérieur, comme à l’intérieur de nos 
            frontières !
            Enfin Huntington bat également en 
            brèche la thèse selon laquelle un surcroît d’interactions 
            (commerces, investissements, tourisme, médias, communication 
            électronique) engendrerait une culture mondiale. Et dans la mesure 
            où ce sont de grands groupes américains et européens qui dominent la 
            diffusion de l’information à l’échelle planétaire, cette culture 
            mondiale serait forcément occidentale. Premier argument critique 
            avancé par Huntington : les populations du monde ne perçoivent pas 
            les informations avec les mêmes schèmes de pensée. Chaque culture 
            possède sa grille de lecture. Les Chinois ne regardent pas Dallas de 
            la même manière que les Américains ! Deuxième argument, à notre sens 
            le plus important, sous forme de question critique : en quoi les 
            interactions de plus en plus nombreuses entre les peuples seraient 
            synonymes de paix et de solidarité ? On avait déjà argué par le 
            passé que si l’on augmentait les rapports commerciaux entre les 
            nations, la probabilité qu’une guerre éclate entre elles 
            diminuerait. Cette affirmation est évidemment totalement fausse et 
            tout le monde connaît à l’heure actuelle l’expression « guerre 
            commerciale » qui n’a pas besoin d’être commentée tant elle est 
            lourde de sens. De même, la sociologie a abondamment prouvé cette 
            règle très simple que beaucoup de nos « penseurs » contemporains 
            s’évertuent pourtant à oblitérer. : « On se définit par ce qu’on 
            n’est pas ». En psychologie sociale, la théorie de la distinction 
            montre que les personnes se définissent par leurs différences dans 
            un certain contexte. Autrement dit, comme les communications, le 
            commerce et les voyages multiplient les interactions entre 
            civilisations ; on accorde en général de plus en plus d’attention à 
            son identité civilisationnelle. « Deux Européens, un Allemand et un 
            Français, qui interagissent ensemble s’identifieront comme allemand 
            et français. Mais deux Européens, un Allemand et un Français, 
            interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un Egyptien, se 
            définiront les uns comme Européens et les autres comme Arabes. »[9]
            Huntington appuie sa critique du 
            concept de civilisation universelle en constatant un renouveau des 
            langues nationales au détriment des langues coloniales. En Inde par 
            exemple, il est plus facile pour un voyageur qui traverse le pays de 
            communiquer en hindi qu’en anglais. De même il constate une « 
            indigénisation » de langues comme le français ou l’anglais, deux 
            langues qui ont pourtant des prétentions universalistes. En effet, 
            l’anglais parlé au Cachemire ou le français de Côte d’Ivoire sont 
            loin d’avoir gardé les accents de leur métropole d’origine. Le 
            renouveau religieux notamment dans les pays musulmans est un autre 
            signe manifeste d’une plus grande conscience identitaire des anciens 
            pays colonisés.
            Les réactions à l’Occident et 
            à la modernisation
            Un autre versant intéressant de la 
            réflexion du stratège américain réside dans sa conceptualisation des 
            réactions des peuples traditionnels face à l’Occident et la 
            modernisation. Il en comptabilise trois :
            - Le rejet total de l’Occident, 
            c’est-à-dire le rejet par de petites communautés traditionnelles non 
            seulement des valeurs de l’Occident mais également des artifices de 
            la modernisation. Huntington affirme que ce rejet est quasi 
            insoutenable dans le monde « hyperglobalisé » dans lequel nous 
            vivons. Une société traditionnelle ne peut lutter avec des arcs à 
            flèches contre des chars !
            - Le kémalisme consiste à adhérer 
            à la fois à la modernisation et à l’occidentalisation. Il est fondé 
            sur l’idée que la modernisation est désirable et nécessaire, que la 
            culture indigène est incompatible avec la modernisation et doit être 
            abandonnée ou abolie et que la société doit être entièrement 
            occidentalisée afin de se moderniser convenablement. L’exemple le 
            plus frappant est celui de la Turquie de Mustafa Kemal. Le problème 
            des pays choisissant cette voie réside évidemment dans la déchirure 
            profonde et douloureuse entre les valeurs ancestrales et la société 
            moderne.
            - Le réformisme tente de combiner 
            la modernisation avec la préservation des valeurs, des pratiques et 
            des institutions fondamentales de la culture propre à la société 
            concernée. C’est la voie qu’ont choisie au XIXe siècle des pays 
            comme la Chine ou le Japon : « éducation chinoise pour les principes 
            fondamentaux, éducation occidentale pour la pratique. » - « esprit 
            japonais, technique occidentale. »[10] 
            Comme vous pouvez le constater, 
            l’ouvrage de Huntington est intéressant car il contient une foule de 
            concepts permettant d’abstraire et ainsi de comprendre la réalité. A 
            partir de ces concepts, l’esprit peut explorer de nouvelles voies. 
            Huntington constate par exemple que beaucoup de pays traditionnels 
            ont évolué du kémalisme vers le réformisme. En effet, durant les 
            premières phases du changement, l’occidentalisation favorise la 
            modernisation. Pendant les phases suivantes, la modernisation 
            favorise la désoccidentalisation et la résurgence de la culture 
            indigène de deux manières. « A l’échelon sociétal, la modernisation 
            renforce le pouvoir économique, militaire et politique de la société 
            dans son ensemble et encourage la population à avoir confiance dans 
            sa culture et à s’affirmer dans son identité culturelle. A l’échelon 
            individuel, la modernisation engendre des sentiments d’aliénation et 
            d’anomie à mesure que les liens et les relations sociales 
            traditionnelles se brisent, ce qui conduit à des crises d’identité 
            auxquelles la religion apporte une réponse. »[11] 
            La religion comme moteur 
            civilisationnel
            La place que Huntington confère à 
            la religion est importante. Il est évident que pour nombre de 
            personnes désorientées, surtout dans des sociétés vides de sens, la 
            religion peut constituer un refuge, voire une façon plus solide 
            d’appréhender la vie dans son ensemble. La religion rend aux gens la 
            fierté qu’ils avaient perdue, elle leur donne un passé, un présent, 
            un futur, une structure mentale et sociologique ainsi que des 
            aspirations communes. C’est ce qui fait la force des sociétés 
            culturellement homogènes et la faiblesse des Etats multiethniques et 
            multiculturels. Les pays à majorité musulmane sont un bon exemple de 
            ce phénomène. Les organisations islamiques y sont de plus en plus 
            présentes sur le terrain. Elles ont compris que pour prendre le 
            pouvoir, il fallait être les premières à agir en cas de problème et 
            s’imposer comme la seule alternative possible face au gouvernement 
            en place. Lors des tremblements de terre en 1992, au Caire, ces 
            dernières étaient souvent les premières à soigner les blessés tandis 
            que les secours gouvernementaux tardaient. Huntington note qu’en 
            1995, tous les pays majoritairement musulmans, sauf l’Iran, étaient 
            culturellement, socialement et politiquement plus islamiques et 
            islamistes que quinze ans auparavant. L’exemple irakien est encore 
            plus criant. Dans la détresse la plus totale, le peuple irakien se 
            retourne inexorablement vers ses racines sunnites ou chiites. Les 
            hôpitaux musulmans ne désemplissent pas car ils sont les seuls à 
            offrir un service de soins efficaces et gratuits ! La suppression du 
            régime laïc de Saddam a ouvert une voie royale à une réislamisation 
            du pays, la présence américaine ne faisant qu’exacerber davantage la 
            conscience identitaire de la population. Huntington assimile donc la 
            religion à un véritable moteur civilisationnel, source de dynamisme. 
            C’est une interprétation techniciste et bien américaine d’un 
            phénomène à notre sens plus profond. Cependant, ignorer superbement 
            cette donnée essentielle en politique internationale serait une 
            erreur. Elle a déjà coûté cher à l’Occident et risque encore de lui 
            poser des problèmes dans un proche avenir.
            Chapitre IV : L’effacement 
            de l’Occident : puissance, culture et indigénisation
            Si Huntington constate un déclin 
            de l’Occident, il est néanmoins d’accord pour dire qu’à l’heure 
            actuelle, après sa victoire contre le communisme, la société 
            occidentale profite toujours de sa position d’hyper puissance avec à 
            sa tête un leader américain incontesté. Ouvrons une parenthèse pour 
            remarquer au passage que Huntington prend bien soin de définir le 
            communisme vaincu comme un phénomène extra-occidental. Dans son 
            obsession de séparer la Russie de l’Europe, Huntington commet là une 
            faute grave. Considérer le communisme indépendamment de ses racines 
            occidentales est un non-sens historique. En effet, quoi de plus « 
            occidental » au sens traditionnel, que le progressisme et le 
            matérialisme historique qui caractérisent la société communiste ?
            
            Vu sa position de leader, les 
            sociétés appartenant à d’autres civilisations ont toujours besoin de 
            l’Occident aujourd’hui pour parvenir à leurs fins et protéger leurs 
            intérêts car les nations occidentales :
            - possèdent et animent le système 
            bancaire international ;
            - contrôlent les monnaies fortes ;
            - représentent les principaux pays consommateurs ;
            - produisent la majorité des produits finis ;
            - dominent les marchés internationaux de capitaux ;
            - exercent une autorité morale considérable sur de nombreuses 
            sociétés ;
            - contrôlent les voies maritimes ;
            - mènent les recherches techniques les plus avancées ;
            - contrôlent la transmission du savoir technique de pointe ;
            - dominent l’accès à l’espace ;
            - dominent l’industrie aéronautique ;
            - dominent les communications internationales ;
            - dominent le secteur des armements sophistiqués.[12]
            Mais qu’adviendra-t-il demain de 
            la société occidentale. Huntington inventorie aussi les signes 
            manifestes de notre déclin :
            - faible croissance économique ;
            - stagnation démographique ; (cf. figure n°2 = figure 5.2[13])
            - chômage ;
            - déficit budgétaire ;
            - corruption dans les affaires ;
            - faible taux d’épargne ;
            - déclin moral…[14]
            Parmi les plus évidentes 
            manifestations du déclin moral, Huntington cite avec une très grande 
            lucidité :
            - Le développement de 
            comportements antisociaux, tel que le crime, la drogue, et plus 
            généralement la violence.
            - Le déclin de la famille, se traduisant par l’augmentation du taux 
            des divorces, les naissances illégitimes, les grossesses 
            d’adolescentes et les familles monoparentales.
            - Le déclin du « capital social », tout du moins aux Etats-Unis, 
            c’est-à-dire la participation plus faible à des associations 
            bénévoles et, de fait, le relâchement des relations de confiance qui 
            s’y nouent.
            - La faiblesse générale de « l’éthique » et la priorité accordée à 
            la complaisance.
            - La désaffection pour le savoir et l’activité intellectuelle, qui 
            se manifeste aux Etats-Unis [comme en Europe] par la baisse du 
            niveau scolaire.[15]
            Il s’ensuit une certaine érosion 
            de la culture occidentale, tandis que les mœurs, les langues, les 
            croyances et les institutions indigènes, enracinées dans l’histoire, 
            sont réaffirmées. La puissance accrue des sociétés non occidentales 
            sous l’effet de la modernisation engendre le renouveau des cultures 
            non occidentales dans le monde entier. « Le lien entre puissance et 
            culture a presque toujours été négligé par ceux qui pensent 
            qu’apparaît et doit apparaître une civilisation universelle comme 
            par ceux pour qui l’occidentalisation est une condition nécessaire 
            de la modernisation. Ils refusent de reconnaître que la logique de 
            ces raisonnements les incline à soutenir l’expansion et la 
            consolidation de la domination de l’Occident sur le monde et que si 
            les autres sociétés étaient libres de façonner leur propre destin, 
            elles revigoreraient leurs croyances, leurs habitudes et leurs 
            pratiques, ce qui, selon les universalistes, est contraire au 
            progrès. »[16] Et pourtant, désormais, les Extrêmes-Orientaux 
            attribuent leur réussite économique non aux emprunts à la culture 
            occidentale mais à leur adhésion à leur propre culture. Ils 
            réussissent, pensent-ils, parce qu’ils sont différents des 
            Occidentaux. Cette résurgence des cultures non occidentales, 
            Huntington la désigne au moyen du concept d’ « indigénisation ». 
            Cette indigénisation s’accompagne d’un renouveau religieux favorisé 
            notamment par la chute du communisme. Les civilisations voient le 
            communisme comme le dernier dieu laïc à avoir échoué. La religion 
            prend la place de l’idéologie, et le nationalisme religieux remplace 
            le nationalisme laïc. Nous sommes habitués dans nos pays d’Europe 
            occidentale à associer la pratique religieuse à la vieille 
            génération. Force est de constater que dans les pays musulmans ou 
            encore en Inde, ce sont les jeunes de la classe moyenne qui sont à 
            la tête de ce mouvement religieux qu’Huntington appelle aussi « la 
            revanche de Dieu. » Face à cette déferlante jeune et dynamique, à 
            forte conscience identitaire, Huntington n’a-t-il pas raison de 
            lancer un cri d’alarme, n’en déplaise à ses détracteurs ?
            [4] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des 
            civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.22.
            [5] Idem, p.231.
            [6] Idem, p.61.
            [7] Idem, p.71
            [8] Idem, p.72-73.
            [9] Idem, p.86.
            [10] Idem, p.97.
            [11] Idem, p.99.
            [12] Idem, p.107-108. D’après BARNETT (Jeffery R.), Exclusion as 
            National Security Policy dans Parameters, 24, printemps 1994, p.54.
            [13] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.127.
            [14] Idem, p.108.
            [15] Idem, p.458.
            [16] Idem, p.125-126. 
            Chapitre V : Economie et 
            démographie dans les civilisations montantes
            Ce chapitre n’est pas essentiel. 
            Il ne fait qu’appuyer, colonnes de chiffres à l’appui que l’économie 
            et la démographie occidentale régressent alors que plusieurs autres 
            civilisations émergent dans les deux domaines. Huntington écrit un 
            peu avant la crise financière asiatique et n’en parle donc pas.
            
            Chapitre VI : La 
            recomposition culturelle de la politique globale
            Une autre conséquence de la fin de 
            la guerre froide est la suivante. Alors qu’avant il était loisible à 
            un peuple de se définir comme non aligné, c’est-à-dire comme 
            n’appartenant ni à l’une ni à l’autre idéologie, il devient de plus 
            en plus difficile à l’heure actuelle d’échapper à cette question : « 
            Qui êtes-vous ? » Selon Huntington, tous les Etats doivent pouvoir 
            répondre à cette question au risque de ne pas trouver leur place 
            dans le concert des nations. Ce problème d’identité est évidemment 
            d’autant plus intense dans les pays où vivent d’importants groupes 
            de population appartenant à différentes civilisations. C’est un 
            élément crucial en effet. Lorsque l’Inde entre en conflit avec son 
            voisin pakistanais, les combats n’embrasent pas seulement les 
            frontières mais également les centres urbains où cohabitent hindous 
            et musulmans. Huntington a très bien compris le danger que pouvaient 
            représenter la cohabitation au sein d’une même entité politique de 
            plusieurs communautés d’origine différentes. La moindre étincelle 
            est susceptible de mettre le feu aux poudres. Nous croyons 
            d’ailleurs que les dirigeants européens commencent tout doucement à 
            comprendre le phénomène : leur refus de prendre part à la dernière 
            guerre du Golfe n’était sans doute pas seulement motivé par le 
            respect des institutions internationales.
            Si le livre d’Huntington a suscité 
            tant de cris de chattes effarouchées de la part de nos intellectuels 
            européens « immigrophiles », c’est sans doute parce qu’il est bâti 
            sur un principe très simple, tellement simple mais aussi tellement 
            dérangeant que la propagande émolliente caractérisant nos médias 
            tente chaque jour de nous le faire oublier : les affinités 
            culturelles facilitent la coopération et la cohésion, tandis que les 
            différences culturelles attisent les clivages et les conflits. C’est 
            pourquoi, pour répondre à ses détracteurs, Huntington dresse dans 
            son chapitre six, un argumentaire en six points appuyant ce principe 
            : 
            1. Dans un monde globalisé, les 
            entités culturelles les plus larges sont les civilisations. Il est 
            donc logique que les conflits entre groupes appartenant à 
            différentes civilisations soient centraux dans la politique globale.
            2. Dans la mesure où l’Occident ne se contente pas d’appliquer la 
            doctrine Monroe à seule sphère civilisationnelle mais cherche à 
            l’étendre au monde entier, il est logique que par réaction, les 
            cultures se radicalisent et adoptent une position défensive sinon de 
            combat.
            3. L’identité se définit toujours par rapport à l’autre. Si tout le 
            monde était blanc, il serait stupide de nous définir comme étant de 
            race blanche, c’est parce qu’il existe d’autres types de population 
            que cette distinction devient effective. Les exemples historiques ne 
            manquent pas pour prouver que l’attitude des peuples a toujours été 
            modelée selon ce principe. Dans la haute Antiquité, les Grecs se 
            distinguaient des barbares, au Moyen Age et durant les Temps 
            modernes, les règles régissant les relations entre nations 
            chrétiennes étaient différentes de celles dictant l’attitude 
            vis-à-vis des Turcs et des autres « infidèles ». Enfin le Coran 
            distingue clairement le Dar al-Islam et le Dar-al-Harb (c’est-à-dire 
            la zone des convertis et la zone à convertir) et la guerre sainte ne 
            sera jamais totalement terminée tant que l’Islam ne se sera pas 
            imposé à l’ensemble de la planète.
            4. Les différents culturels sont difficiles à résoudre car les 
            valeurs et les principes d’une culture ne sont pas négociables. Il 
            en va ainsi des problèmes territoriaux très aigus qui opposent 
            musulmans d’Albanie et orthodoxes serbes à propos du Kosovo ou bien 
            des Juifs et des Arabes à propos de Jérusalem, puisque ces lieux ont 
            pour chaque camp une signification historique, culturelle et 
            affective profonde. La question du foulard qui secoue la politique 
            française actuellement et qui pose également des problèmes en 
            Belgique, relève du même type de conflit. De tels problèmes 
            culturels appellent des réponses par oui ou par non, non des 
            demi-mesures.
            5. Les conflits ont existé, existent et continueront à exister. La 
            guerre est une dimension ontologiquement humaine même si elle est à 
            déplorer. Tout au plus l’homme peut-il diminuer la probabilité 
            qu’elle survienne.
            6. Huntington reprend enfin l’idée force de Karl Schmitt : l’essence 
            de la politique est de définir qui sont nos amis et qui sont nos 
            ennemis. Une entité politique qui n’a que des amis est une utopie.
            La structure des civilisations
            Parmi les concepts opératifs 
            majeurs présents dans son ouvrage, les plus importants à notre sens 
            sont relatifs à la structure des civilisations. Huntington propose 
            de classer les pays selon différentes catégories :
            - Etats phares : Une civilisation 
            possède en général un lieu au moins qui est considéré par ses 
            membres comme la source principale de sa culture. Ce lieu est 
            souvent constitué d’un Etat ou de plusieurs Etats. Huntington parle 
            dans ce cas d’Etat phare. L’Etat phare possède un rôle important 
            dans la sphère civilisationelle puisque c’est généralement lui qui 
            fédère les autres Etats autour de lui. Dans la civilisation 
            orthodoxe, c’est la Russie qui joue ce rôle. La civilisation 
            chinoise porte chez Huntington le nom de son Etat phare, la Chine. 
            Nous avons déjà mentionné précédemment que la Chine avait des 
            prétentions à réunir dans un même Etat l’ensemble de ce qu’elle 
            considère comme la civilisation chinoise. L’axe franco-allemand et 
            les Etats-Unis constituent les Etats phares de la civilisation 
            occidentale. Par contre, le problème de la civilisation musulmane, 
            note Huntington, est qu’elle ne possède pas d’Etat phare.
            - Pays isolés : Un pays isolé n’a 
            pas d’affinités culturelles avec d’autres sociétés. L’Ethiopie par 
            exemple, est isolée culturellement par sa langue dominante, 
            l’araméen, écrit en caractères éthiopiens, par sa religion 
            dominante, l’orthodoxie copte, par son passé impérial, par ses 
            différences religieuses vis-à-vis de ses voisins en majorité 
            musulmans. Le plus important pays isolé est le Japon. Aucun autre 
            pays n’a la même culture, et les émigrés japonais sont peu nombreux 
            dans les autres pays et guère assimilés culturellement.
            - Pays divisés : Ce sont des pays 
            dont le territoire est traversé par une frontière entre 
            civilisations. Ces pays sont confrontés à des problèmes aigus pour 
            préserver leur unité. De nombreux pays africains sont minés par des 
            guerres civiles interminables entre chrétiens et musulmans : Soudan, 
            Nigeria, Tanzanie, Ethiopie… Avec la chute du communisme, la culture 
            a bien souvent remplacé l’idéologie comme facteur d’attraction et de 
            répulsion. « L’effet de division a été particulièrement visible dans 
            les pays divisés dont la cohérence, à l’époque de la guerre froide, 
            était assurée par des régimes communistes légitimés par l’idéologie 
            marxiste-léniniste. La Yougoslavie et l’Union soviétique ont éclaté 
            et se sont divisées en entités nouvelles regroupées sur des bases 
            civilisationnelles : les républiques baltes (protestantes et 
            catholiques) [qui vont d’ailleurs bientôt rejoindre l’Europe], les 
            républiques orthodoxes et musulmanes de l’ex-Union soviétique ; la 
            Slovénie et la Croatie catholiques ; la Bosnie-Herzégovine 
            partiellement musulmane ; la Serbie-Monténégro et la Macédoine 
            orthodoxes en ex-Yougoslavie. Là où ces entités nouvelles 
            rassemblent encore des groupes appartenant à plusieurs 
            civilisations, des divisions de second ordre apparaissent. »[17] 
            Rappelons que le livre d’Huntington a été publié en 1996 et que la 
            guerre du Kosovo n’avait pas encore eu lieu ; pourtant l’auteur 
            écrit déjà à l’époque : « Le Kosovo, peuplé d’Albanais musulmans, 
            restera-t-il paisible au sein de la Serbie orthodoxe slave ? On ne 
            le sait pas. De même, des tensions apparaissent entre la minorité 
            musulmane albanaise et la majorité orthodoxe slave en Macédoine. 
            »[18]
            - Pays déchirés : Dans un pays 
            divisé, des forces répulsives éloignent les groupes culturellement 
            différents les uns des autres. Un pays déchiré, par contraste, a une 
            seule culture dominante qui détermine son appartenance à une 
            civilisation, mais ses dirigeants veulent le faire passer à une 
            autre civilisation. La Turquie est le pays déchiré type depuis que, 
            dans les années vingt, elle a tenté de se moderniser, de 
            s’occidentaliser et de s’intégrer à l’Occident.
            Chapitre VII : Etats 
            phares, cercles concentriques et ordre des civilisations
            Les rôles assumés par l’Etat phare 
            d’une civilisation sont multiples. Il est à la fois un leader, un 
            protecteur, un gendarme, un modèle et un centre autour duquel 
            gravitent les autres Etats. La création d’un bloc civilisationnel 
            uni politiquement autour de son Etat phare n’est pas si saugrenue 
            que certains voudraient le penser. Elle génère en effet dynamisme et 
            ordre au sein d’un vaste espace géographique et évite souvent nombre 
            de guerres intestines au sein d’une même civilisation. Dans la même 
            logique, l’absence d’Etat phare à l’intérieur d’une civilisation 
            condamne celle-ci à la stagnation et à la faiblesse face aux autres 
            réellement cohérentes. 
            Un cas particulier, le monde 
            arabe
            A la lumière de cette règle on 
            comprend mieux le manque d’unité du monde arabe. En effet, en 
            Occident, le parangon de la loyauté est depuis le XVIIe siècle l’Etat-nation. 
            Les groupes qui transcendent les Etats-nations - communautés 
            religieuses, linguistiques ou civilisations - requièrent une loyauté 
            et un engagement moins intense. Dans le monde islamique, au 
            contraire, les deux structures fondamentales, originales et durables 
            sont d’une part la famille, le clan, la tribu et d’autre part la 
            Religion et l’Empire à plus grande échelle. Les tribus ont été 
            centrales dans la vie politique des Etats arabes, tandis que les 
            gens se sentaient unis par de-là les différences tribales dans une 
            même communauté de langue, de culture, de style de vie et surtout de 
            religion, la communauté des croyants, la Oumma, transcendant les 
            particularismes. 
            Cependant, l’Islam est divisé en 
            plusieurs centres de pouvoirs concurrents, chacun tentant de 
            capitaliser à son profit l’identification des musulmans avec la 
            Oumma afin de réaliser la cohésion islamique sous son égide. Le 
            concept de Oumma présuppose que l’Etat-nation n’est pas légitime, et 
            pourtant la Oumma ne peut être unifiée que sous l’action d’au moins 
            un Etat phare fort qui fait actuellement défaut. Pour que l’Islam 
            comme communauté religieuse se matérialise, il faudrait que les 
            suprématies religieuse et politique (califat et sultanat) soient 
            combinées en une seule entité gouvernementale. Ce manque d’unité a 
            été savamment entretenu tout au long de l’histoire coloniale, 
            d’abord par les Britanniques puis après la Deuxième guerre mondiale 
            par les Etats-Unis et leur allié israélien. On sait maintenant que, 
            dans la guerre fratricide qui a opposé l’Iran et l’Irak durant de 
            nombreuses années, la politique des Etats-Unis ne consistait pas à 
            s’engager pour un camp ou pour l’autre mais à en entretenir le 
            conflit afin d’éviter l’émergence de tout Etat phare dans la région.
            
            Il est devenu banal d’affirmer que 
            les Etats-Unis sont partis en guerre contre l’Irak pour s’accaparer 
            les ressources pétrolières du pays. Il l’est peut-être moins 
            d’affirmer que les stratèges américains éliminaient de surcroît un 
            pion gênant sur l’échiquier proche-oriental, cet Irak à l’idéologie 
            ouvertement panarabe et où les discours présidentiels surfaient de 
            plus en plus sur la vague du renouveau islamique. Lorsque les 
            dirigeants européens accusaient l’Amérique de ne pas ramener la paix 
            dans la région mais de semer un trouble encore plus grand, sans 
            doute ne se doutaient-ils pas qu’ils étaient fort proches de la 
            vérité. En prétendant devant les caméras du monde entier, vouloir 
            ramener la paix et la sécurité au Proche-Orient, les Etats-Unis 
            poursuivaient sur le terrain l’objectif inverse : diviser pour 
            régner. Parmi les Etats susceptibles de jouer le rôle de centre au 
            sein de la civilisation islamique, Huntington cite l’Indonésie, 
            l’Egypte, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et la Turquie. Il 
            prend bien soin de ne pas mentionner l’Irak ! Notons que les groupes 
            islamistes transnationaux tels les moudjahidin participant au djihad 
            partout où leur foi leur dicte de combattre, ont bien compris la 
            politique du « Grand Satan » et tentent aujourd’hui de fédérer la 
            communauté des croyants par de-là les frontières.
            Chapitre VIII : L’Occident 
            et le reste du monde : problèmes intercivilisationnels
            Huntington précise sa théorie du 
            choc des civilisations en hiérarchisant les relations entre les 
            grands blocs civilisationnels. Les aspirations universelles de la 
            civilisation occidentale, la puissance relative déclinante de 
            l’Occident et l’affirmation culturelle de plus en plus forte des 
            autres civilisations suscitent des relations généralement difficiles 
            entre l’Occident et le reste du monde. Cependant leur nature et leur 
            degré d’antagonisme varient considérablement et se décomposent en 
            trois catégories (cf. figure n°4 = figure 9.1. [19]). Avec ses 
            civilisations rivales, l’Islam et la Chine, l’Occident risque 
            d’entretenir des rapports très tendus et même souvent très 
            conflictuels. Ses relations avec l’Amérique latine et l’Afrique, 
            civilisations plus faibles et dans une certaine mesure dépendantes 
            vis-à-vis de lui, impliqueront des conflits moins forts, en 
            particulier avec l’Amérique latine. Les relations de la Russie, du 
            Japon et de l’Inde avec l’Occident risquent, quant à elles, de se 
            situer entre ces deux autres groupes. Ce sont des civilisations qui 
            hésitent entre l’Occident, d’un côté, et les civilisations islamique 
            et chinoise, de l’autre.[20] 
            Huntington dénoue en les 
            explicitant plusieurs nœuds de problèmes attisant les conflits entre 
            l’Occident et le reste du monde. 
            La prolifération des armements
            Vu l’avance technologique acquise 
            par les Etats-Unis dans le domaine de l’armement, il existe peu de 
            moyens d’empêcher sa domination. Un bon raccourci pour les Etats 
            consiste à acquérir des armes de destruction massive (bombe 
            nucléaire) avec les moyens de les utiliser (vecteurs tels les 
            missiles). Celles-ci leur permettent tout d’abord d’établir leur 
            domination sur les autres Etats de leur civilisation et de leur 
            région, et, ensuite, elles leur donnent les moyens d’empêcher une 
            invasion de leur civilisation ou de leur région par les Etats-Unis 
            ou d’autres puissances extérieures. Huntington avoue que si l’Irak 
            avait attendu deux ou trois ans pour envahir le Koweit, le temps de 
            posséder des armes nucléaires, il en aurait très probablement pris 
            possession et se serait peut-être même emparé des champs de pétrole 
            saoudiens. Ainsi, le résultat de la Guerre du Golfe n’est pas la 
            réduction de la prolifération des armements mais l’inverse puisque 
            les Etats non occidentaux ont tiré les leçons du conflit. Désormais, 
            des pays comme la Corée du Nord ou l’Inde savent qu’il ne faut pas 
            se battre avec les Etats-Unis à moins d’avoir des armes nucléaires. 
            « Cette leçon, déclare Huntington, a été apprise par cœur par les 
            dirigeants politiques et les généraux dans tout le monde non 
            occidental, avec son corollaire : « Si vous avez des armes 
            nucléaires, alors les Etats-Unis ne se battront pas avec vous. » 
            »[21] Nous le rappelons, ce livre a été écrit en 1996. Peu de temps 
            après se déroulaient effectivement les premiers essais nucléaires 
            indiens. Et dernièrement, la Corée du Nord a relancé son programme 
            nucléaire ! Autre conséquence évidente de ce principe. Alors que son 
            armée est en pleine déliquescence, la Russie compte toujours parmi 
            les grandes puissances parce qu’elle a réussi à maintenir un arsenal 
            nucléaire suffisant en état de marche. Paradoxalement, la possession 
            de quelques armes nucléaires devient l’arme des faibles. Le 
            terrorisme constitue également une arme privilégiée des faibles ; la 
            plupart des Etats étant démunis quant à la réponse à apporter à ce 
            type d’agression. L’Etat ne peut réagir en attaquant un autre Etat 
            comme dans une guerre classique : le conflit possède désormais un 
            caractère asymétrique !
            Ce type de conflit est d’ailleurs 
            tellement embarrassant pour les Etats modernes qu’il est souvent 
            dénoncé comme « injuste ». Les Américains parlent souvent, à propos 
            de l’usage des armes de destruction massive ou d’attentats 
            terroristes, d’attaques « non conventionnelles », « lâches », « 
            contraires aux lois de la guerre » parce qu’elles s’en prennent à 
            des civils. Cette technique de propagande n’est pas neuve et il ne 
            faut pas se laisser prendre à ce genre de jeu sémantique sur le 
            caractère « juste » ou « injuste » des armes employées. Peut-être 
            faudrait-il d’ailleurs rappeler aux Etats-Unis que ces attaques « 
            non conventionnelles » étaient considérées il n’y a pas si longtemps 
            par leur Etat-Major comme tout à fait conventionnelles, notamment 
            dans le cadre de leur opération « Little Boy » à Nagasaki et 
            Hiroshima. Ces attaques « non conventionnelles » sont en réalité la 
            conséquence logique de l’hyper puissance américaine puisqu’elles 
            sont à ce jour les seuls moyens de résistance réellement efficaces 
            des peuples qui ont choisi de résister au diktat U.S. Toutefois, 
            Huntington met en garde l’Occident : « Isolément, le terrorisme et 
            les armements nucléaires sont l’arme des faibles hors d’Occident. 
            S’ils les combinent, les faibles non occidentaux deviendront forts. 
            »[22] 
            Les Etats-Unis ont toujours 
            soutenu, depuis qu’ils maîtrisent l’atome, une politique de 
            non-prolifération des armes nucléaires tant à l’extérieur de 
            l’Alliance Atlantique qu’en son sein. Seuls les Britanniques ont pu 
            bénéficier de cette technologie qu’ils ont toutefois dû développer 
            en partenariat avec leurs cousins d’outre-Atlantique. La fronde 
            française, face à cet état de fait, a permis à un autre pays membre 
            de l’OTAN de développer son propre arsenal. Selon Huntington, à 
            cette politique de non-prolifération doit logiquement succéder une 
            politique de « prolifération négociée ». C’est ce qu’il appelle « la 
            diffusion lente et inéluctable de la puissance dans un monde 
            multicivilisationnel. »[23] De plus, le politologue américain 
            souligne que les Etats-Unis pourraient profiter de ce changement en 
            stimulant la prolifération dans l’intérêt des Etats-Unis et de 
            l’Occident. En d’autres mots, certains Etats alliés recevraient 
            l’autorisation de développer un arsenal nucléaire. Huntington pense 
            notamment au Japon qui pourrait ainsi contrecarrer la puissance 
            nucléaire chinoise, permettant ainsi de sanctuariser leur propre 
            pays et de placer en première ligne leurs alliés dans le cadre d’une 
            guerre nucléaire. Un exemple contemporain de l’efficacité de la 
            prolifération négociée est l’arsenal nucléaire israélien permettant 
            de contrebalancer toute volonté de puissance arabe au Proche-Orient.
            
            Les droits de l’homme et la 
            démocratie
            L’auteur reconnaît honnêtement que 
            les droits de l’homme et la démocratie ne sont pas des valeurs 
            partagées par l’ensemble des peuples de la planète et qu’il devient 
            illusoire, voire même dangereux, vu la puissance déclinante de 
            l’Occident, de vouloir absolument imposer ces valeurs. Non seulement 
            cette influence diminue, mais le paradoxe de la démocratie atténue 
            aussi la volonté occidentale de défendre la démocratie dans le monde 
            d’après la guerre froide. « Le présupposé occidental selon lequel 
            des gouvernements élus démocratiquement seront coopératifs et 
            pro-occidentaux pourrait bien se révéler faux dans les sociétés non 
            occidentales où la compétition électorale peut porter au pouvoir des 
            nationalistes et des fondamentalistes anti-occidentaux. » C’est sans 
            doute la raison pour laquelle les Etats-Unis ne mettent pas trop 
            d’ardeur à l’heure actuelle pour transmettre le pouvoir à un 
            gouvernement de transition élu démocratiquement par l’ensemble du 
            peuple irakien. S’ils sont allés au feu, ils entendent bien 
            préserver quelques avantages sur le terrain ![24]
            L’immigration
            Lorsqu’il lit le chapitre d’Huntington 
            consacré à l’immigration, le lecteur se rend vite compte qu’il n’a 
            pas affaire à un auteur de gauche. Un auteur belge ou français 
            s’autorisant de telles assertions aurait tôt fait d’être taxé de 
            raciste et de fasciste, voire d’être traduit devant un tribunal pour 
            incitation à la xénophobie. Huntington ne fait pourtant que 
            constater des évidences. 
            - « Si la démographie dicte le 
            destin de l’histoire, les mouvements de population en sont le 
            moteur. (…) S’il y a une « loi » de l’immigration, soutient Myron 
            Weiner, elle stipule que le flux migratoire, une fois qu’il a 
            commencé à couler, induit son propre flux. Les émigrés permettent à 
            leurs frères et à leurs proches restés au pays d’émigrer en leur 
            donnant des informations sur la façon de s’y prendre, en leur 
            fournissant des moyens pour se déplacer et de l’aide pour trouver un 
            travail et un logement. » Il en résulte selon ses propres termes, 
            une « crise migratoire globale ». »[25]
            Les citations ci-après prouvent 
            également que Huntington est particulièrement bien renseigné sur la 
            situation européenne :
            - « Au début des années 
            quatre-vingt-dix, les deux tiers des immigrés en Europe étaient 
            musulmans. La préoccupation des Européens en la matière concernait 
            par-dessus tout l’immigration musulmane. Le défi est démographique – 
            les immigrés représentent 10 % des naissances en Europe occidentale 
            et les Arabes 50 % de celles-ci à Bruxelles – et culturel. Les 
            communautés musulmanes, turque en Allemagne ou algérienne en France, 
            n’étaient pas intégrées dans leur culture d’accueil et, au grand dam 
            des Européens, ne semblaient pas devoir l’être. »[26]
            - « Vis-à-vis des immigrés, l’hostilité européenne est étrangement 
            sélective. Peu de gens en France s’inquiètent d’un afflux de 
            ressortissants de l’Est – les Polonais, après tout, sont européens 
            et catholiques. Les immigrés africains qui ne sont pas arabes ne 
            sont pour la plupart ni redoutés ni méprisés. Le mot « immigré » est 
            potentiellement synonyme de musulman, l’Islam étant aujourd’hui la 
            deuxième religion en France (…). »[27]
            - « L’opposition publique à l’égard de l’immigration et l’hostilité 
            vis-à-vis des immigrés se manifestent dans des cas extrêmes par des 
            violences perpétrées contre des communautés musulmanes et des 
            personnes. Ce fut en particulier un problème en Allemagne au début 
            des années quatre-vingt-dix. Plus significative est l’augmentation 
            des suffrages ralliés par les partis d’extrême droite, nationalistes 
            et anti-immigrés. En France, le Front national, négligeable en 1981, 
            est monté à 9,6 % en 1988 et s’est ensuite stabilisé entre 12 et 15 
            % aux élections régionales et législatives. En 1995, les deux 
            candidats nationalistes à la présidence de la République ont 
            rassemblé 19,9 % des voix (…). En Belgique, le Bloc flamand et le 
            Front national ont progressé de 9 % aux élections locales de 1994, 
            le Bloc obtenant 28 % à Anvers. (…) Ces partis européens hostiles à 
            l’immigration étaient pour une bonne part l’image en miroir des 
            partis islamistes dans les pays musulmans. C’étaient des outsiders 
            dénonçant un establishment social et politique corrompu. »[28]
            - « L’Europe ou bien les Etats-Unis peuvent-ils inverser la tendance 
            ? En France, le pessimisme démographique est de mise, depuis le 
            roman de Jean Raspail[29] dans les années soixante-dix jusqu’aux 
            analyses académiques de Jean-Claude Chesnais[30] dans les années 
            quatre-vingt-dix. Pierre Lellouche l’a bien résumé en 1991 : « 
            L’histoire, la géographie et la pauvreté montrent que la France et 
            l’Europe sont destinées à être noyés par la population des pays à 
            problèmes du Sud. L’Europe était blanche et judéo-chrétienne dans le 
            passé ; elle ne le sera plus à l’avenir. »[31] »[32]
            - « Les sociétés européennes ne veulent en général pas assimiler les 
            immigrés ou bien elles éprouvent de grandes difficultés à le faire. 
            Les immigrés musulmans et leurs enfants sont également ambigus quant 
            à leur désir d’assimilation[33]. Une immigration importante ne peut 
            donc que produire des pays divisés entre chrétiens et musulmans. Ce 
            phénomène pourrait être évité si les gouvernements et les électeurs 
            européens étaient prêts à payer le prix de mesures restrictives (…). 
            »[34]
             
            
            * * *
            
            [17] Idem, p.197. Si on possède l’honnêteté 
            intellectuelle suffisante pour admettre que les pays divisés sont 
            continuellement minés par des guerres civiles larvées, il devient 
            très facile d’appliquer cette règle simple à nos propres pays. 
            L’arrivée massive de populations d’origine étrangère ne saurait 
            effectivement qu’y multiplier la probabilité de conflits futurs 
            entre les communautés de culture différente.
            [18] Ibidem.
            [19] Idem, p.364.
            [20] Si nous parvenons à rétablir la Tradition en Europe, l’Inde 
            pourrait devenir un allié important, d’autant plus que nous 
            possédons des racines indo-européennes communes avec la civilisation 
            hindoue.
            [21] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.271.
            [22] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.272-273. Pensons notamment à l’usage de valises 
            nucléaires mises au point par les Russes pendant la guerre froide. 
            Ces armes combinent habilement le facteur nucléaire avec la 
            stratégie terroriste.
            [23] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.280.
            [24] Les Etats-Unis et l’Europe, « champions toute catégorie de la 
            démocratie », poursuivent dans ce domaine une politique 
            particulièrement hypocrite, condamnant les élections truquées ou 
            annulées par des juntes militaires opposées à leurs intérêts mais 
            fermant discrètement les yeux là où, comme en Algérie, l’armée 
            annule le résultat d’élections légitimant l’arrivée au pouvoir de 
            partis religieux tels le FIS algérien.
            [25] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.289-290.
            [26] Idem, p.292.
            [27] Idem, p.292-293. D’après ROBERSON (B.A.), Islam and Europe : An 
            Enigma or a Myth ?, dans Middle East Journal, 48, printemps 1994, 
            p.302
            [28] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.293-294.
            [29] RASPAIL (Jean), Le Camp des saints, Paris, Robert Laffont, 
            1973.
            [30] CHESNAIS (Jean-Claude), Le Crépuscule de l’Occident : 
            démographie et politique, Paris, Robert Laffont, 1995.
            [31] LELLOUCHE (Pierre), cité dans MILLER, Strangers at the Gate, 
            p.80.
            [32] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.298.
            [33] Notons que l’essor des moyens de communication n’a pas favorisé 
            l’intégration des communautés étrangères. Cablées sur les chaînes de 
            leur pays respectif et retournant au pays chaque fois qu’elles en 
            ont l’occasion, comment les familles musulmanes pourraient-elles 
            réellement se sentir européennes ?
            [34] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.298-299. 
             
            Chapitre IX : La politique globale des civilisations
            Etats phares et conflits 
            frontaliers
            Dans un monde reposant sur l’ordre 
            des civilisations, les relations entre entités appartenant à 
            différentes civilisations seront souvent conflictuelles, prophétise 
            Huntington. La paix froide, la guerre froide, la guerre commerciale, 
            la quasi-guerre, la drôle de paix, les relations agitées, la 
            rivalité intense, la coexistence dans la concurrence, la course aux 
            armements seront autant d’expression caractérisant les relations 
            intercivilisationnelles. La confiance et l’amitié seront rares. 
            Huntington prévoit deux grands types de conflit :
            - Au niveau local, les conflits 
            civilisationnels surviendront entre Etats voisins appartenant à 
            différentes civilisations comme dans l’ex-Union soviétique et 
            l’ex-Yougoslavie.
            - Au niveau global, les conflits entre Etats phares auront lieu 
            entre les grands Etats appartenant à différentes civilisations. Les 
            conflits surviendront par exemple lorsqu’un Etat phare d’une 
            civilisation donnée montera en puissance et mettra ainsi en péril la 
            position d’Etats phares appartenant à d’autres civilisations.
            L’Islam et l’Occident
            Huntington développe à propos de 
            l’Islam, et de sa relation avec l’Occident, toute une série d’idées 
            assez sulfureuses. Le fait que le politologue attribue à cette 
            relation un caractère problématique est une des raisons majeures 
            expliquant l’ire que son ouvrage a suscitée dans les milieux bien 
            pensant européens. Toutefois, vous allez pouvoir constater que ces 
            idées ne sont pas totalement dénuées de sens. « Certains 
            Occidentaux, déclare-t-il, comme le président Bill Clinton, 
            soutiennent que l’Occident n’a pas de problèmes avec l’Islam, mais 
            seulement avec les extrémistes violents. Quatorze cents ans 
            d’histoire démontrent le contraire. Les relations entre l’Islam et 
            le Christianisme, orthodoxe comme occidental, ont toujours été 
            agitées. Chacun a été l’autre de l’autre. (…) C’est la seule 
            civilisation qui a mis en danger l’existence même de l’Occident, et 
            ce à deux reprises.[35] »[36] 
            Les causes de cet affrontement 
            pluriséculaire et irréductible ne sont pas contingentes mais 
            résident dans la nature même des deux religions, déclare Huntington 
            : « Tous deux sont universalistes et prétendent incarner la vraie 
            foi, à laquelle tous les humains doivent adhérer. Tous deux sont des 
            religions missionnaires dont les membres ont l’obligation de 
            convertir les non-croyants. Depuis ses origines, l’Islam s’est 
            étendu par la conquête et, le cas échéant, le Christianisme aussi. 
            Les concepts parallèles de « Jihad » et de « Croisade » se 
            ressemblent beaucoup et distinguent ces deux fois des autres grandes 
            religions du monde. »[37]
            A l’heure actuelle, le conflit a toutefois changé de visage. En 
            effet, c’est moins contre l’Occident chrétien que les musulmans se 
            battent aujourd’hui que contre l’Occident athée, ayant élevé le 
            matérialisme au rang de religion universelle. Auparavant, l’ennemi 
            des musulmans était le matérialisme dialectique en provenance des 
            pays communistes. Désormais, l’ennemi principal des musulmans est le 
            matérialisme marchand.
            Dernier élément sur lequel 
            Huntington insiste dans la relation Islam/Occident : à mesure que 
            l’influence de l’Occident s’efface des anciennes colonies du 
            Proche-Orient, l’émergence d’Etats phares capables d’unir le monde 
            arabe se fait plus pressante, elle est aussi plus probable. On 
            considère trop souvent que les musulmans engagés dans la guerre 
            contre l’Occident ne représentent que la minorité. Les scènes de 
            liesse dans les rues de nombreux pays à majorité musulmane où dans 
            certains faubourgs musulmans de nos villes européennes le 11 
            septembre 2001 laissent présumer le contraire ! Soutenir et 
            applaudir, fussent-ils des actes passifs, constituent les premières 
            étapes de la résistance… et de la résistance à la lutte, le pas est 
            vite franchi.
            L’Asie, la Chine et l’Amérique
            Pour Huntington, l’Asie, 
            particulièrement l’Extrême-Orient, constitue le théâtre le plus 
            probable des conflits entre civilisations. Il donne d’ailleurs à 
            cette région le nom de « chaudron des civilisations ». En effet, « 
            rien qu’en Extrême-Orient, on trouve des sociétés qui appartiennent 
            à six civilisations – japonaise, chinoise, orthodoxe, bouddhiste, 
            musulmane et occidentale -, plus l’Hindouisme en Asie du Sud. Les 
            Etats phares de quatre civilisations, le Japon, la Chine, la Russie 
            et les Etats-Unis, sont des acteurs de poids en Extrême-Orient ; 
            l’Inde joue également un rôle majeur en Asie du Sud, tandis que 
            l’Indonésie, pays musulman, monte de plus en plus en puissance. 
            »[38] 
            Le risque de conflit généralisé 
            dans la région est encore aggravé par les interactions de plus en 
            plus nombreuses entres les sociétés asiatiques et les Etats-Unis. 
            Or, constate Huntington, il existe des différences fondamentales de 
            valeur entre les civilisations asiatiques et la civilisation 
            américaine : « L’ethos confucéen dominant dans de nombreuses 
            sociétés asiatiques valorise l’autorité, la hiérarchie, la 
            subordination des droits et des intérêts individuels, l’importance 
            du consensus, le refus du conflit, la crainte de « perdre la face » 
            et, de façon générale, la suprématie de l’Etat sur la société et de 
            la société sur l’individu. En outre, les Asiatiques ont tendance à 
            penser l’évolution de leur société en siècles et en millénaires, et 
            à donner la priorité aux gains à long terme. Ces attitudes 
            contrastent avec la primauté, dans les convictions américaines, 
            accordée à la liberté, à l’égalité, à la démocratie et à 
            l’individualisme, ainsi qu’avec la propension américaine à se méfier 
            du gouvernement, à s’opposer à l’autorité, à favoriser les contrôles 
            et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les 
            droits de l’homme, à oublier le passé, à ignorer l’avenir et à se 
            concentrer sur les gains immédiats. »[39]
            Enfin, comme nous l’avons théorisé 
            ici plus haut, les Etats-Unis ne peuvent supporter l’émergence de la 
            Chine comme puissance régionale en Extrême-Orient car elle est 
            contraire selon Huntington, aux intérêts vitaux américains. Notons 
            au passage que le gros problème de la politique américaine est le 
            suivant : ils adoptent la doctrine Monroe à l’échelle de leur 
            continent mais ils ne supportent pas que les Etats phares des autres 
            civilisations fassent de même avec leur propre sphère de rayonnement 
            ! Précisons toutefois qu’une Chine trop dynamique au point de vue 
            démographique, serait contraire également à nos propres intérêts. En 
            effet, la Chine risque à terme de déverser son trop plein de 
            population en Europe ou dans les vastes espaces de la Sibérie, 
            riches en matière première. A l’inverse des Etats-Unis, nous ne 
            sommes pas opposés au rayonnement de la Chine en Extrême-Orient, du 
            moment que cette expansion ne déborde pas sur notre propre sphère 
            civilisationnelle qui comprendra nécessairement la Sibérie.
            Face à cette montée en puissance 
            de la Chine, les Américains espèrent jouer la carte du Japon, Etat 
            traditionnellement « suiviste » de la puissance U.S. depuis la fin 
            de la Deuxième guerre mondiale. Le « suivisme » est un des autres 
            concepts développés par Huntington. Selon lui, les Etats peuvent 
            réagir de deux manières à la montée d’une puissance nouvelle. « 
            Seuls ou alliés à d’autres, ils peuvent s’efforcer d’assurer leur 
            sécurité en recherchant l’équilibre avec la puissance émergeante, la 
            refouler ou, si nécessaire, entrer en guerre avec elle pour la 
            vaincre. Au contraire, ils peuvent se rallier à elle, se mettre 
            d’accord avec elle et adopter une position secondaire ou subordonnée 
            vis-à-vis d’elle dans l’espoir de voir leurs intérêts clés protégés. 
            »[40] Une solution médiane constituerait à alterner recherche de 
            l’équilibre et « suivisme » mais elle risquerait à terme de vexer à 
            la fois la puissance émergeante et les alliés alternatifs. On 
            comprendra aisément, suite à cette définition du « suivisme », que 
            la solution japonaise n’est pas idéale pour les Etats-Unis puisque 
            la particularité d’un Etat « suiviste » est d’abandonner la 
            puissance dominante, une fois qu’une autre puissance émerge. 
            Effectivement, suite au déclin de l’Occident, le Japon restera-t-il 
            fidèle à son allié américain ? Choisira-t-il l’orbite chinoise ? 
            Nous ne pouvons qu’espérer l’émergence d’une nouvelle puissance dans 
            la région : l’Empire eurosibérien qui saura séduire et rallier la 
            civilisation japonaise et son porte-avions insummersible.
            Chapitre X : Des guerres 
            de transition aux guerres civilisationnelles
            Caractéristiques des guerres 
            civilisationnelles
            Elles ont tendance à être très 
            violentes et sanglantes parce qu’elles mettent en jeu des questions 
            fondamentales d’identité. En outre, elles traînent souvent en 
            longueur ; il arrive qu’elles soient entrecoupées de trêves ou 
            d’ententes, mais en général ces dernières ne durent pas, et les 
            combats reprennent. « D’autre part, en cas de victoire militaire 
            décisive de l’un des deux camps, les risques de génocide sont plus 
            élevés lorsqu’il s’agit d’une guerre civile identitaire. (…) Les 
            conflits civilisationnels sont parfois des luttes pour le contrôle 
            des populations. Mais, le plus souvent, c’est le contrôle du sol qui 
            est en jeu. Le but de l’un des participants au moins est de 
            conquérir un territoire et d’en éliminer les autres peuples par 
            l’expulsion, l’assassinat ou les deux à la fois, c’est-à-dire par la 
            purification ethnique. »[41] Les exemples du Ruanda ou encore du 
            Kosovo sont éloquents à cet égard ! Retenons en tout cas ces deux 
            caractéristiques fondamentales :
            - Comme elles mettent en jeu des 
            questions fondamentales d’identité et de pouvoir, on a du mal à les 
            résoudre par des négociations ou des compromis. Un armistice obtenu 
            ne signifie d’ailleurs jamais la fin d’un conflit qui, tel un feu de 
            forêt maîtrisé, peut reprendre avec violence à tout instant.
            - Les guerres civilisationnelles 
            éclatent entre groupes qui font respectivement partie d’ensembles 
            culturels plus larges. Les risques d’extension de la guerre sont 
            donc énormes, surtout dans le monde « connecté » et « 
            internationalisé » qui est le nôtre. « Les migrations ont donné 
            naissance à des diasporas dans des tierces civilisations. Les 
            communications permettent plus facilement aux parties en présence 
            d’appeler à l’aide, et à leurs « proches parents » d’apprendre 
            immédiatement ce qui arrive à leurs alliés. Le rétrécissement permet 
            ainsi aux « groupes apparentés » de fournir un soutien moral, 
            diplomatique, financier et matériel aux parties en présence. (…) A 
            son tour, le soutien apporte un renfort aux parties en présence et 
            prolonge le conflit. »[42]
            Chapitre XI : La dynamique 
            des guerres civilisationnelles
            Les guerres civilisationnelles 
            sont particulièrement intenses, non seulement sur le terrain mais 
            également psychologiquement, puisqu’elles mobilisent tout autant 
            l’énergie des combattants que leur conscience identitaire. De par ce 
            caractère identitaire, elles ont des retombées néfastes sur 
            l’ensemble des habitants des civilisations concernées. Une menace 
            localisée est naturellement magnifiée et généralisée à l’échelle de 
            la civilisation. Au début des années quatre-vingt-dix, les Russes 
            ont ainsi défini les guerres entre clans et régions du Tadjikistan, 
            ou la guerre en Tchétchénie, comme des épisodes d’un affrontement 
            plus large, pluriséculaire, entre l’Orthodoxie et l’Islam, tandis 
            que les opposants musulmans étaient engagés dans un djihad, soutenus 
            par des groupes islamistes radicaux exploitant la conscience 
            identitaire des révoltés. De même une défaite locale d’un pays face 
            à un pays appartenant à une autre civilisation, peut résonner comme 
            un échec cuisant à l’échelle civilisationnelle. On comprend dès lors 
            l’acharnement que certains Etats phares mettent pour soutenir des 
            Etats secondaires dans des conflits locaux. La « théorie des dominos 
            » en vogue durant la guerre froide est remise à l’honneur : une 
            défaite dans un conflit local peut provoquer des pertes de plus en 
            plus lourdes et conduire ainsi au désastre à l’échelle de la 
            civilisation.[43] Huntington note également que les processus de « 
            diabolisation » sont particulièrement intenses dans les 
            affrontements de civilisations : les opposants sont souvent dépeints 
            comme des sous-hommes, ce qui donne le droit de les tuer. De même, 
            leur culture est vouée aux gémonies : tous les symboles, tous les 
            objets culturels de l’adversaire deviennent des cibles. On se 
            rappellera au Kosovo des mosquées détruites par les forces serbes 
            mais aussi des monastères orthodoxes saccagés par les Albanais. « 
            Dans les guerres entre culture, la culture est toujours perdante. 
            »[44]
            Les ralliements de 
            civilisation : pays apparentés et diasporas
            A la différence de la guerre 
            froide, les conflits de civilisation ne s’écoulent pas du haut vers 
            le bas. Ils bouillonnent à partir du bas. Les Etats et les groupes 
            ont différents niveaux d’engagement dans une guerre de ce genre (cf. 
            figure n°5 = figure 11.1.[45]) :
            - Niveau primaire : les parties 
            belligérantes qui s’entre-tuent. Ce sont parfois des Etats, parfois 
            des Etats embryonnaires comme en Bosnie ou au Nagorny-Karabakh ou 
            des groupes locaux.
            - Second niveau : Ce sont 
            généralement des Etats directement apparentés aux belligérants de 
            base. Par exemple l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Caucase. La 
            Serbie et la Croatie en ex-Yougoslavie.
            - Troisième niveau : Ce sont des 
            Etats éloignés du théâtre des affrontements mais qui ont des liens 
            de civilisation avec les belligérants, tels l’Allemagne, la Russie 
            et les Etats islamiques dans le conflit yougoslave ou tels la 
            Russie, l’Iran et la Turquie dans le cas du différend arméno-azéri.
            Dans le cadre d’un conflit 
            régional entre des factions appartenant à deux civilisations 
            différentes, les intérêts des gouvernements de deuxième et troisième 
            échelon sont plus compliqués que ceux des belligérants de base. Ils 
            apportent généralement leur soutien aux combattants élémentaires et 
            même s’ils ne le font pas, dit Huntington, ils sont soupçonnés de le 
            faire par les pays ennemis. Toutefois, ces gouvernements ont souvent 
            intérêt à contenir les tensions de la base, afin de ne pas être 
            entraînés dans un conflit civilisationnel plus large et plus 
            destructeur. De ce constat très ingénieux, Huntington élabore une 
            méthodologie de résolution des conflits.
            Arrêter les guerres 
            civilisationnelles
            Les parties de la base ont souvent 
            beaucoup de mal à s’asseoir à la même table des négociations. Les 
            enjeux et les haines sont trop aiguës pour espérer par ce biais une 
            résolution pacifique du conflit. Les guerres entre pays d’une même 
            civilisation ont l’avantage de pouvoir parfois être résolues par la 
            médiation d’une tierce partie désintéressée, ayant une légitimité 
            auprès des pays belligérants. Souvent l’Etat phare joue un rôle 
            d’arbitre au sein de la civilisation et limite les tensions entre 
            les communautés. Par contre, il est difficile dans un conflit 
            civilisationnel de trouver une tierce partie qui ait la confiance 
            des deux protagonistes. C’est pourquoi « les guerres 
            civilisationnelles ne sont pas interrompues par des individus, 
            groupes ou organisations désintéressés, mais par des parties 
            intéressées de deuxième et troisième échelon, parties qui se sont 
            attiré le soutien de leur parentèle et qui ont la capacité de 
            négocier des accords avec leurs homologues, d’une part, et de 
            convaincre leur parenté d’accepter ces accords, d’autre part. »[46] 
            C’est également la raison pour laquelle, « les guerres sans parties 
            de deuxième et de troisième échelon ont moins tendance à s’étendre 
            que les autres guerres, mais elles sont aussi plus difficiles à 
            arrêter, tout comme les guerres entre groupes appartenant à des 
            civilisations sans Etat central. »[47]
            Huntigton, grâce aux outils de 
            pensée qu’il a façonnés, modélise ainsi l’arrêt des combats complet 
            dans un conflit civilisationnel. Cet arrêt suppose :
            - « l’implication active des 
            parties de deuxième et troisième échelon,
            - des négociations entre parties de troisième échelon sur les termes 
            généraux d’un arrêt des combats,
            - l’utilisation par ces parties de troisième échelon de la carotte 
            et du bâton pour obtenir que les parties de deuxième échelon 
            acceptent ces termes et fassent pression dans le même sens sur les 
            parties de premier échelon,
            - le retrait du soutien venant du deuxième échelon et, en fait, la 
            trahison du premier échelon par les parties du deuxième échelon,
            - et, résultat de ces pressions, l’acceptation des termes par les 
            parties du premier échelon qui, bien entendu, les subvertiront quand 
            elles considéreront que c’est là leur intérêt. »[48]
             
            
            * * *
            
            [35] Au VIIIe siècle, l’invasion arabe n’ayant pu 
            être stoppée que par Charles Martel à Poitiers en 732 et au XVIe 
            siècle, le siège de Vienne en 1529 marquant un terme à l’avancée 
            arabe.
            [36] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.306-307.
            [37] Idem, p.309.
            [38] Idem, p.322.
            [39] Idem, p.331-332.
            [40] Idem, p.342.
            [41] Idem, p.376-377.
            [42] Idem, p.379-380.
            [43] Idem, p.406-407.
            [44] Idem, p.408.
            [45] Idem, p.411.
            [46] Idem, p.442.
            [47] Ibidem.
            [48] Idem, p.445. 
             
            Chapitre XII : L’Occident, 
            les civilisations et la civilisation
            Dans son dernier chapitre, 
            Huntington développe sa réflexion sur le déclin de l’Occident. 
            Autant dire qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Nous avons 
            déjà évoqué plus haut les caractéristiques du déclin de l’Occident 
            et de l’Europe. Celui-ci touche les domaines moraux, démographiques, 
            culturels et partiellement militaires. Nous n’y reviendrons pas 
            davantage. Huntington insiste cependant sur le fait que « du déclin 
            naît le risque d’invasion « quand la civilisation n’est plus capable 
            de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le 
            faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares » qui viennent souvent 
            « d’une autre civilisation plus jeune et plus puissante. »[49] »[50] 
            Néanmoins « tout est possible, mais rien n’est inévitable : tel est 
            l’enseignement primordial qui ressort de l’histoire des 
            civilisations. Les civilisations peuvent, et ont pu, se réformer, se 
            renouveler. Le problème majeur pour l’Occident est le suivant : 
            indépendamment de tout défi extérieur, est-il capable d’arrêter le 
            processus de déclin interne et d’inverser la tendance. »[51]
            L’un des grands périls qui guette 
            notre civilisation d’après le politologue américain, c’est la 
            modification du substrat ethnique européen avec comme conséquence 
            l’émergence d’une société prétendument multiculturelle. Dans le cas 
            de l’Europe, la forte minorité arabo-islamique en pleine 
            progression, ne manifestant désormais plus aucun désir de s’intégrer 
            culturellement, devient un foyer de contestation et même de rejet 
            des valeurs européennes en terre européenne ! Aux Etats-Unis comme 
            en Europe, une coalition de politiciens irénistes et de gauchistes 
            utopistes prétendent y voir un enrichissement et les prémisses d’une 
            société multiethnique et multiculturelle harmonieuse. Face à ces 
            délires, le jugement d’Huntington est sans appel : « L’histoire nous 
            apprend qu’aucun Etat ainsi constitué n’a jamais perduré en tant que 
            société cohérente. (…) L’avenir des Etats-Unis et celui de 
            l’Occident dépend de la foi renouvelée des Américains en faveur de 
            la civilisation occidentale. Cela nécessite de faire taire les 
            appels au multiculturalisme, à l’intérieur de leurs frontières. (…) 
            Les Américains font partie de la famille culturelle occidentale ; 
            les partisans du multiculturalisme peuvent entamer, voire détruire 
            cette relation, ils ne peuvent lui en substituer une autre. Quand 
            les Américains cherchent leurs racines culturelles, ils les trouvent 
            en Europe. »[52]
            Huntington préconise aussi une 
            nouvelle construction géopolitique autour d’une zone de 
            libre-échange transatlantique, suivie d’une véritable intégration 
            politique, capable de donner les moyens d’un redressement 
            civilisationnel et de redonner à l’Occident son statut de puissance 
            hégémonique. C’est ici que l’on voit tout l’intérêt que les 
            Américains ont d’empêcher la création d’un bloc impérial 
            eurosibérien car selon lui : « le rejet des principes fondamentaux 
            et de la civilisation occidentale signifie la fin des Etats-Unis 
            d’Amérique tels que nous les avons connus. Cela signifie également 
            la fin de la civilisation occidentale. Si les Etats-Unis se 
            désoccidentalisent, l’Ouest se réduira à l’Europe et à quelques 
            zones d’implantation européenne, faiblement peuplées. Sans les 
            Etats-Unis, l’Occident ne représente plus qu’une fraction minuscule 
            et déclinante de la population mondiale, abandonnée sur une petite 
            péninsule à l’extrémité de la masse eurasienne. »[53]
            Clefs pour l’avenir
            L’auteur, après avoir dressé un 
            tableau de l’état déplorable de la civilisation occidentale, 
            préconise toute une série de solutions mais il insiste surtout sur 
            le fait que l’Occident doit renoncer à « sa prétention à 
            l’universalité, [qui] tient pour évident que les peuples du monde 
            entier devraient adhérer aux valeurs, aux institutions et à la 
            culture occidentale parce qu’elles constituent le mode de pensée le 
            plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel, 
            le plus moderne. Dans un monde traversé par les conflits ethniques 
            et les chocs entre civilisations, la croyance occidentale dans la 
            vocation universelle de sa culture a trois défauts majeurs : elle 
            est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. (…) 
            L’impérialisme est la conséquence logique de la prétention à 
            l’universalité. »[54] Il constate que les prétentions dans ce 
            domaine pourraient mener à des conflits graves avec les autres 
            civilisations et conduire éventuellement à la défaite de l’Occident. 
            « En résumé, pour éviter une guerre majeure entre civilisations, il 
            est nécessaire que les Etats phares s’abstiennent d’intervenir dans 
            les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur. 
            C’est une évidence que certains Etats, particulièrement les 
            Etats-Unis, vont avoir, sans aucun doute, du mal à admettre. »[55] 
            C’est la règle de l’abstention. Cette règle préconise aussi que les 
            Etats phares s’entendent pour contrôler et réduire les conflits 
            frontaliers entre leur civilisation respective.
            Huntington propose aussi que les institutions internationales soient 
            profondément remaniées afin que le Conseil de Sécurité de l’ONU 
            cesse d’être le club des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale et 
            qu’il accueille la nation phare de chaque grande civilisation, 
            créant ainsi un forum permanent de dialogue intercivilisationnel.
            Analyse : Ce que nous 
            retenons, ce que nous critiquons
            Ce que nous retenons
            Nous considérons cet ouvrage comme 
            fondamental et très stimulant pour une pensée prospective dans les 
            relations internationales et civilisationnelles. Les nombreux 
            concepts opératifs contenus dans son livre se révèlent précieux et 
            peuvent être repris dans nos propres analyses et nos propres 
            théories. Le caractère essentiel du livre n’a pas échappé à la 
            critique universitaire et médiatique qui comme à son habitude, 
            incapable qu’elle est de répondre à une pensée bien construite, 
            s’est contentée de falsifier et de diffamer l’auteur et sa thèse 
            afin de le discréditer. 
            Si Huntington ne cite pas des 
            géopoliticiens comme Carl Schmitt ou Karl Haushofer, il nous a 
            semblé que le concept de « civilisation » qu’il développe n’est pas 
            sans lien avec celui de Großräume (Grand Espace) présent dans 
            l’œuvre des deux théoriciens allemands. « Il [Carl Schmitt] souhaite 
            surtout que différents grands espaces se constituent entre lesquels 
            un nouveau nomos [en grec : la Loi, le Principe ordonnateur] devrait 
            voir le jour. (…) La rivalité de ces grands espaces au sein d’un 
            droit international reconnu[56] assurerait la présence d’amis et 
            d’ennemis et maintiendrait l’histoire en mouvement. »[57] Contre la 
            vision économico-matérialiste des libéraux, Carl Schmitt rejoint le 
            schéma huntingtonien d’une unité politique basée sur une culture 
            civilisationnelle : « Mais si l’idée de Großräume, de « Grand Espace 
            », est née de la conviction que les Etats étaient devenus trop 
            petits au regard du développement de la technique et de l’économie, 
            les théoriciens de ce « Grand Espace » ont également dit que 
            celui-ci ne pouvait être ni bâti ni organisé en priorité sur 
            l’économie. La conservation de la multiplicité des cultures est 
            désormais un acte politique. »[58] Cependant Carl Schmitt va 
            plus loin que la conception immanente d’Huntington car il insuffle à 
            sa théorie une dimension transcendantale : « L’Etat universel 
            technicisé et normalisé lui semble l’œuvre de l’Antéchrist : contre 
            cette possibilité, il entend mobiliser la puissance « catéchontique 
            » d’un nouvel ordre juridique liant entre eux les grands espaces. 
            »[59] De même il semble qu’on puisse rapprocher le concept 
            huntingtonien d’ « Etat phare » avec le concept schmittien d’ « 
            Hegemon » qui doivent tous deux être le moteur de la création d’un « 
            Grand Espace » (ou Etat civilisationnel) : « (…) L’idée d’unir 
            plusieurs Etats sans qu’il n’y ait de puissance hégémonique est une 
            impossibilité sociologique. Aucune véritable fédération, au sens 
            propre du terme, ne peut voir le jour sans hegemon. »[60] Toute 
            cette analyse mériterait cependant une recherche plus approfondie, 
            nous nous bornons ici à tracer des pistes.
            Huntington fait une analyse très 
            intéressante de la méthode par laquelle les élites islamiques ont 
            entrepris la reconquête de leur sphère civilisationnelle. Alors que 
            les milieux néo-droitistes nous ont gavé de théories sur la prise de 
            contrôle du pouvoir culturel, sans grande réussite effective 
            d’ailleurs, les Islamistes, eux, nous donnent l’exemple d’une 
            réussite indéniable dans le domaine. Tout comme les Musulmans, nous 
            devons faire de la métapolitique (gramscisme) efficace en 
            investissant non seulement la sphère politique mais surtout la 
            sphère sociale et culturelle. L’idéologie révolutionnaire ne doit 
            pas seulement s’exprimer dans le domaine intellectuel 
            para-universitaire mais doit répondre aussi aux questions et aux 
            problèmes concrets des gens. Elle doit ensuite montrer sur le 
            terrain que ses idées sont efficaces au contraire de celle du 
            pouvoir, raison majeure pour laquelle la population doit la 
            soutenir. Prendre le pouvoir, c’est s’imposer comme la seule 
            alternative possible, y compris en cassant les autres mouvements 
            contestataires. D’ailleurs, selon le mot d’ordre de Guy Debord dans 
            ses Commentaires sur la société du spectacle : « Le premier mérite 
            d’une théorie critique exacte est de faire instantanément paraître 
            ridicule toutes les autres. » « Mais il faut aussi qu’elle soit une 
            théorie parfaitement inadmissible [par le système et son discours]. 
            Il faut qu’elle puisse déclarer mauvais, à la stupéfaction indignée 
            de tous ceux qui le trouvent bon, le centre même du monde existant, 
            en en ayant découvert la nature exacte. »
            Ce que nous critiquons
            La question russe
            Dans son livre, Huntington pose la 
            question suivante : « La Russie doit-elle adopter les valeurs, les 
            institutions et les pratiques occidentales, et tenter de s’intégrer 
            à l’Occident ? Ou bien incarne-t-elle une civilisation orthodoxe et 
            eurasiatique différente de l’Occident et dont le destin serait de 
            relier l’Europe et l’Asie ? Les élites intellectuelles et politiques 
            et l’opinion sont divisées sur ces questions. D’un côté, on trouve 
            les partisans de l’occidentalisation, les « cosmopolites », les « 
            atlantistes », et de l’autre, les successeurs des slavophiles, 
            qualifiés diversement de « nationalistes », d’ « eurasianistes » ou 
            de « derzhavniki » (Etatistes). »[61] Huntington répond clairement à 
            cette question dans sa conclusion. Il faut selon lui intégrer à 
            l’Union européenne et à l’OTAN les Etats occidentaux de l’Europe 
            centrale, c’est-à-dire les Etats du sommet de Visegrad[62], les 
            Républiques baltes, la Slovénie et la Croatie. Il faut considérer la 
            Russie comme l’Etat phare du monde orthodoxe et comme une puissance 
            régionale essentielle, ayant de légitimes intérêts dans la sécurité 
            de ses frontières sud. Les intérêts des Etats-Unis seront mieux 
            défendus s’ils évitent de prendre des positions extrêmes en 
            cherchant par exemple à intervenir dans les affaires des autres 
            civilisations et s’ils adoptent une politique atlantiste de 
            coopération étroite avec leurs partenaires européens, afin de 
            sauvegarder et d’affirmer les valeurs de leur civilisation 
            commune.[63] Nous ne sommes pas d’accord avec Huntington pour deux 
            raisons :
            - Premièrement la Russie fait 
            partie intégrante de l’Europe. Huntington considère qu’il existe 
            une séparation entre ce qu’il appelle l’Europe occidentale et le 
            monde orthodoxe. Or nous ne voyons pas pourquoi la séparation entre 
            peuples latins catholiques et germaniques protestants d’une part et 
            peuples slaves orthodoxes d’autre part serait plus grave et plus 
            fondamentale que la séparation entre peuples latins et germaniques. 
            Au contraire, puisque Huntington affirme dans son ouvrage que la 
            religion est un élément primordial pour définir la culture d’une 
            civilisation, nous pourrions arguer que le catholicisme considère 
            les orthodoxes comme simplement schismatiques alors qu’il qualifie 
            les protestants d’hérétiques. L’histoire européenne elle-même vient 
            infirmer les thèses du politologue américain. En effet, la Russie 
            n’a-t-elle pas été au cours des derniers siècles un protagoniste 
            majeur dans les relations entre pays européens ?
            - Deuxièmement, l’Europe ne 
            fait pas partie de l’Occident. Comme l’avait déjà démontré dans 
            les années quatre-vingt Guillaume Faye, il n’y a pas identité entre 
            Occident et Europe. Les deux termes sont même antagonistes. Osons 
            l’affirmer, l’Occident tel que défini par Huntington, moderne, 
            héritier de l’Antiquité classique remise à l’honneur par la 
            Renaissance et les Lumières, caractérisé par l’Etat de droit, le 
            pluralisme social et l’individualisme, et spirituellement ancré dans 
            le catholicisme de Vatican II lié au protestantisme, cet Occident là 
            est une couverture répugnante qui étouffe le vieux brasier européen 
            sommeillant au plus profond de nous, un feu qui couve et qui ne 
            demande qu’à renaître. Nos cousins d’outre-Atlantique ne possèdent 
            pour culture que cette couverture odieuse, émergence cancéreuse de 
            nos racines profondes et saines. Marc Rousset, dans son livre sur 
            les Euro-ricains, dresse à la fin de celui-ci le portrait de 
            l’authentique Européen. En voici un petit florilège :
            - « Gouverner [pour un Européen], 
            c’est croire dans le politique, au sens noble et gaullien du terme 
            (…). Gouverner, ce n’est pas flatter l’opinion, mais faire les choix 
            qui s’imposent dans l’intérêt du pays ! »
            - « Etre Européen, c’est croire en des valeurs culturelles, 
            nationales, familiales, religieuses ou mythiques pour s’opposer à 
            l’envahissement de l’argent. »
            - « Etre Européen, c’est refuser la société multi-ethnique. »
            - « Etre Européen, c’est refuser l’économie hédoniste, 
            unidimensionnelle et futile des biens de consommation. »
            - « Etre Européen, c’est croire en des valeurs au lieu d’amasser et 
            de consommer. »
            - « Etre Européen, c’est accorder de l’importance à la mentalité 
            héroïque : tâche, désintéressement, abnégation, sacrifice, fidélité, 
            candeur, vénération, bravoure, remplir ses devoirs. C’est accorder 
            moins d’importance à la mentalité mercantile : utilitarisme, 
            hédonisme, droit au bonheur par l’argent, réclamer ses droits. »
            - « Etre Européen selon Nietzsche ce n’est pas être une brute blonde 
            ou un être avide de gains mais un individu avide de connaissances 
            qui se dépasse sans cesse. Le salut de l’homme [est] (…) de se 
            détacher du troupeau pour rejoindre Zarathoustra. »
            - « Etre Européen, c’est avoir le sens du beau. »[64] 
            Outre les propositions détachées 
            par Marc Rousset, nous rajoutons : ETRE EUROPEEN c’est :
            - Avoir le sens de l’honneur, de 
            la parole donnée et de la loyauté.
            - Avoir le sens de la honte (de déroger à ses propres yeux et aux 
            yeux de Dieu).
            - Savoir qu’avec les Musulmans, les Chinois, les Hindous, les 
            Japonais… nous partageons bien des valeurs communes mais pas celles 
            du genre des droits de l’homme !!!
            - Faire de sa vie (et de celle des autres) sa propre œuvre d’art.
            - Aimer le raffinement et le luxe sans jamais tomber dans le 
            snobisme et la préciosité.
            - Pouvoir vivre avec un esprit égal, dans un palais ou dans un 
            bivouac.
            - Aimer les femmes et les hommes, pas les PLAYBOY bellâtres « 
            homomorphes » ou les collectionneuses vulgaires et superficielles.
            - Vouloir des hommes toujours plus hommes et des femmes toujours 
            plus femmes.
            Donc vous l’aurez compris, à 
            l’inverse de Huntington, nous plaçons la séparation dans le monde 
            blanc, non sur la frontière superficielle entre le monde orthodoxe 
            et le monde catholique mais plutôt au niveau de l’Atlantique entre 
            d’une part la « Vieille Europe » et d’autre part le « Nouveau Monde 
            ». Les motivations réelles qui se cachent derrière cette séparation 
            artificielle sont clairement exprimées par Huntington lui-même à 
            deux endroits de son livre :
            « Depuis plus de deux cent ans, 
            les Etats-Unis s’efforcent d’empêcher qu’émerge une puissance 
            dominante en Europe. Depuis presque cent ans, avec la politique de « 
            la porte ouverte » vis-à-vis de la Chine, ils procèdent de même en 
            Extrême-Orient. Pour ce faire, ils se sont battus dans deux guerres 
            mondiales et dans une guerre froide avec l’Allemagne impériale, 
            l’Allemagne nazie, le Japon impérial, l’Union soviétique et la Chine 
            communiste. »[65]
            « Cela serait conforme à la 
            tradition, l’Amérique s’étant toujours souciée d’empêcher que 
            l’Europe et l’Asie soient dominées par une seule puissance. Ce n’est 
            plus d’actualité en Europe, mais en Asie, cet objectif reste valide. 
            En Europe occidentale, une fédération relativement lâche [ndlr. dans 
            les deux sens du terme], liée intimement aux Etats-Unis d’un point 
            de vue culturel, politique et économique ne menacerait pas la 
            sécurité américaine. »[66]
            D’un point de vue européaniste, 
            nous devons bien évidemment nous atteler à réaliser cet empire 
            eurosibérien que les Américains redoutent tant. Mais dès lors, une 
            question se pose :
            Une entité politique voulant correspondre avec une réalité 
            civilisationnelle peut-elle contenir des minorités n’appartenant pas 
            à la civilisation dominante ? A notre sens, un empire eurosibérien 
            majoritairement européen peut, dans un cadre institutionnel 
            impérial, englober des territoires ne faisant pas partie de sa 
            civilisation mais liés à lui historiquement et géopolitiquement, 
            telles les républiques musulmanes d’Asie centrale. A l’inverse la 
            présence massive d’une immigration bariolée dans nos ensembles 
            urbains ne peut être intégrée à un système fédéral basé sur les 
            peuples et les ethnies. Nous devons privilégier au sein de l’Empire 
            européen l’ancrage des peuples sur leur terre d’origine. Le concept 
            de civilisation n’est donc pas réducteur ! D’aucuns voudraient nous 
            faire croire qu’il enferme la diversité des communautés sous un même 
            vocable et finit par tuer cette diversité. Le fait qu’un Empire 
            s’identifie à une civilisation (Chine, projet de Synergie 
            Européenne) ne veut pas dire pour autant que les minorités y seront 
            automatiquement brimées. C’est la politique adoptée par les 
            dirigeants qui conditionne la bonne cohabitation des différentes 
            communautés. La Chine est certes un mauvais exemple qu’on nous 
            ressert d’ailleurs un peu trop souvent pour nous convaincre que 
            toute volonté de politique civilisationnelle rime automatiquement 
            avec impérialisme et disparition à long terme des minorités 
            culturelles tel le peuple tibétain au sein de la sphère chinoise. 
            Pourtant la Russie impériale (sauf durant la courte période de 
            russification intensive pratiquée au XIXe siècle sous l’influence du 
            nationalisme occidental) et surtout l’Empire austro-hongrois ne 
            sont-ils pas des beaux exemples de cohabitation réussie de 
            différentes communautés sous une seule et même autorité politique ? 
            Et au contraire, ne sont-ce pas justement le métissage, le 
            multiculturalisme, le « mélange » des civilisations bref la grande 
            soupe des peuples que nos « élites » politiques, culturelles et 
            médiatiques nous préparent en chantant un hymne à la tolérance, ne 
            sont-ce pas tous ces termes prononcés sur un ton solennel pour leur 
            donner le relief qu’ils ne possèdent pas, tous ces mots creux et 
            vides de sens qui seront dans le futur les véritables fossoyeurs des 
            cultures ?
            Les mouvements entre civilisations 
            sont comparables à la tectonique des plaques : Sur les pourtours des 
            sphères civilisationnelles se développent des zones de trouble 
            comparables aux failles volcaniques. Le fait de construire la 
            civilisation européenne n’impliquera pourtant pas automatiquement 
            l’absence de conflits également intracivilisationnels mais ces 
            conflits ne seront pas insurmontables dans la mesure ou deux régions 
            d’une même civilisation qui s’opposent doivent pouvoir s’entendre au 
            nom d’intérêts civilisationnels communs. Sauf si une civilisation 
            ennemie vient bien entendu exciter les antagonismes. Il faut faire 
            la promotion d’une généralisation de la doctrine Monroe au niveau 
            civilisationnel. L’Amérique aux Américains, l’Asie aux Asiatiques, 
            la Oumma islamique aux Musulmans et bien entendu l’Europe aux 
            Européens !
             
        
        voir aussi : 
        Universalisme et civilisation occidentale....et 
        la guerre entre civilisation ... 
         par Samuel 
        Hungtington
          
            
 
            
            * * *
            
            [49] QUIGLEY, Evolution of Civilizations, 
            p.138-139 et p.158-160.
            [50] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.456.
            [51] Ibidem.
            [52] Idem, p.461- 462.
            [53] Ibidem.
            [54] Idem, p.467- 468.
            [55] Idem, p.478. Les missions de sécurité et de défense définies 
            par les membres de l’UE sont également complètement opposées à cette 
            règle puisqu’elles prévoient de s’immiscer dans des conflits 
            étrangers où les droits de l’homme sont bafoués.
            [56] Et non imposé comme l’actuel droit international d’obédience 
            anglo-saxonne.
            [57] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la 
            technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les 
            philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 
            2003, p. 161.
            [58] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, 
            dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.42.
            [59] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la 
            technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les 
            philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 
            2003, p. 161.
            [60] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, 
            dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.43.
            [61] Idem, p.205.
            [62] Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie.
            [63] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.470-471.
            [64] ROUSSET (Marc), Les Euros-Ricains.- Paris, Ed. Godefroid de 
            Bouillon, 200, p.469-484.
            [65] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, 
            Odile Jacob, 2000, p.338.
            [66] Idem, p.344.