LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Yves Roucaute, votre livre retrace l'histoire de l'Amérique depuis l'arrivée des Européens, à l'aune de ce qui constitue, à vos yeux, sa vocation messianique. Est-ce une apologie ?
Yves ROUCAUTE. - J'ai fait une apologie de la liberté. J'évoque la
naissance de cet espace de liberté qui se développe depuis la Grèce
mycénienne pour se déployer au cours des Siècles, notamment au Moyen Age à
travers l'Europe. Cet esprit de liberté se diffusera en Angleterre avec le
Bill of Rights au XVIIe siècle mais c'est en Amérique qu'elle ira trouver
asile à l'époque où l'Europe tombe sous la coupe des Etats qui céderont à
la tentation du Léviathan de Hobbes : celui de l'absolutisme. Si j'étais
hégélien, je dirais que l'esprit de la liberté « s'objective » aujourd'hui
dans les Etats-Unis d'Amérique. Même si celle-ci n'a évidemment pas le
monopole de la liberté ; l'Amérique constitue, à mes yeux, le navire
amiral des républiques libres.
Vous avez approuvé sans réserve la politique de George W. Bush en Irak.
Que pensez-vous de son revers ? Cette intervention était nécessaire
pour trois raisons : la première, et la plus importante, étant qu'il
fallait mettre hors d'état de nuire une tyrannie barbare. Les pacifistes
qui manifestent contre Bush ne se sont jamais manifestés pour protester
contre les massacres commis par ce régime dont les victimes sont évaluées
à 2 millions de personnes depuis que Saddam était au pouvoir. Deuxième
raison : la guerre contre le terrorisme que celui-ci finançait. Je pense
aux 25 000 dollars versés aux familles des kamikazes anti-israéliens, ou
au soutien apporté à des groupes comme celui d'Haaouri, l'un des plus
violents. Il avait aussi hébergé et financé, dès 1988, Abou
Nidal ainsi que le FPLP commandement spécial, crée des groupes connue
l'Ansar, qui, responsable d'attentats commis en Israël et en Jordanie,
s'apprêtait à en réaliser aux Etats-Unis. La troisième raison est celle
des armes de destruction massive. Saddam Hussein en avait puisqu'il les a
utilisées contre l'Iran. Nul ne sait s'il les a détruites, où, ni quand.
Tout cela explique que, lorsque les Américains sont arrivés en Irak, la
population les a acclamés. Néanmoins, ils n'ont pas fait assez confiance
aux démocrates irakiens ni donné, assez vite, le pouvoir aux civils. Ce
dont profitent les forces anti-américaines pour prendre du poids. Pour
autant, nul ne songe au départ des Américains parce que tout le monde sent
que s'ils partaient ce serait le chaos absolu.
« La Puissance de la liberté » est un plaidoyer néo-conservateur. Com ment définissez-vous ce courant qui domine le Parti républicain américain ?
Aux Etats-Unis, néo-conservateur correspond à ce que nous appelons «
libéral » en France. Alors que « libéral » signifie, là-bas, de gauche ou
« progressiste ». Il faut donc se méfier des confusions. Le
néo-conservatisme américain repose sur l'idée qu'il n'existe que des
individus concrets qui ont en commun une loi morale d'origine divine.
Cette loi, qui provient de l'Ancien et le Nouveau Testament, nous donne
des droits humains que nul ne peut nous retirer. Ce qui veut dire
qu'aucune majorité ni minorité politique, aucune oligarchie, ni aucun Etat
ne peuvent les abroger. La grande leçon de la démocratie américaine, c'est
d'avoir compris qu'en fondant les droits individuels sur un principe
transcendant, on les rendait inaliénables. C'est pour cela qu'il n'y a
jamais eu de régime totalitaire aux Etats-Unis, comme il y en a eu en
Europe.
Peut-on critiquer la politique américaine sans être anti-américain ? A vous lire, on en doute..
Ce que je dénonce ce n'est pas la critique d'une politique, mais la
manie qu'ont les Français de rabaisser les dirigeants américains, en
particulier George W. Bush, que l'on traite de crétin régulièrement.
C'est, en tout cas, ce que j'entends dans tous les dîners mondains où je
vais. G. W. Bush est quand même diplômé de Yale et de la Business School
de Harvard. Je peux vous dire que je n'ai pas un étudiant qui ait atteint
le niveau pour y entrer. Nous sommes un pays où l'on défile en brûlant le
drapeau américain, et où l'on insulte son président, mais où l'on trouve
scandaleux que les Américains nous critiquent. Regardez Marianne qui lance
une campagne de pétition contre l'élection de Bush. Vous imaginez si des
pétitions avaient lieu aux Etats-Unis contre l'élection de Chirac, le
tollé qui se produirait en France ?
Vous dressez un tableau calamiteux de l'histoire de France. Ne croyez vous pas qu'il vaudrait mieux aider les Français à se réconcilier avec leur passé ?
Non. Je pense qu'il est urgent de nous débarrasser des schémas de
pensée archaïque qui, à droite comme à gauche, ont dressé un véritable
culte à l'Etat à travers ce que j'appelle le modèle bonapartiste. Mise à
part la Russie, il n'y a plus qu'en France que l'on voue un culte à
Napoléon. Pour les autres pays d'Europe, c'est incompréhensible. Voilà
quand même quelqu'un qui a rétabli l'esclavage, dont les troupes ont
commis, en Espagne, des massacres comparables à Oradour-surGlane, qui a
fait des lois antijuives en France ! Il faudrait quand même avoir un jour
le courage de regarder le passé tel qu'il a été réellement.
Propos recueillis par P.-F. P.
La Puissance de la liberté d'Yves Roucaute PUF, 320 p.,
23 €.