Les débats entre les deux candidats à
l'élection présidentielle l'ont montré : ce sont deux visions de
l'Amérique qui s'opposent. Et ces visions divisent l'Amérique en deux
groupes de taille à peu près égale
......
... Ils ne pardonnent pas au président
Bush d'avoir gouverné comme s'il disposait d'un fort mandat populaire,
en particulier en abaissant fortement les impôts, en diminuant les
dépenses sociales et d'éducation, en divisant les alliances des
Etats-Unis, en dissipant le capital de sympathie mondiale dont
bénéficiait le pays après le 11 septembre, en restreignant la recherche
médicale sur les souches cellulaires, et en limitant les conditions
d'interruption de grossesse.
Mais les Républicains estiment avoir
le vent en poupe sur le plan intellectuel, et être en mesure de revenir
sur les changements sociaux et éthiques intervenus depuis les années 60.
Le fait que les fondamentalistes protestants se soient, depuis les
années 80, impliqués dans la politique, a en effet permis l'apparition
d'une coalition qui les dépasse largement, et qui fait des questions
éthiques l'un des éléments les plus importants du débat politique.
Les Américains sont ainsi divisés sur
presque tous les grands sujets, intérieurs comme internationaux. Aux
différends politiques s'ajoute ce que l'on qualifie de « guerres
culturelles » elles opposent des conceptions fondamentales de la vie en
société. Les « libéraux » sont « européens », déchristianisés,
favorables au mouvement de la société vers l'individualisme et la
liberté de choix, hostiles à l'action unilatérale de l'Amérique sauf
dans le cadre strict de la légitime défense ou au service d'idéaux
humanitaires. Les « conservateurs », du moins ceux d'entre eux qui ne
sont pas prioritairement intéressés par l'enrichissement personnel, sont
dans l'ensemble « insulaires », manifestant un intérêt limité pour
l'étranger, partageant une vision de la politique fortement inspirée de
valeurs religieuses, favorable à une défense étroite des intérêts du
pays, même contre le reste du monde. Il n'est pas surprenant dans ces
conditions que des questions comme l'avortement ou le mariage homosexuel
jouent un tel rôle dans la campagne électorale. Ce sont deux conceptions
du monde qui s'affrontent.
Cette division se traduit sur le plan
géographique. Là encore, « deux Amérique » coexistent celle des grandes
villes, dominée par les « libéraux », et celle des campagnes et des
petites villes dominée par les « conservateurs ». ....
... Cette élection se jouera dans
quelque onze Etats, sur les cinquante de l'Union. Ce sont donc le
Midwest, terre des industries traditionnelles, et les banlieues des
grandes villes, qui constituent le terrain d'affrontement entre les deux
grands partis. Ils cherchent donc à séduire l'électorat ouvrier. Mais
l'électeur le plus recherché est une électrice : la « soccer mom »,
c'est-à-dire la mère de famille tolérante. Le 11 Septembre l'a conduite
à s'inquiéter pour la sécurité nationale, alors qu'elle n'était
traditionnellement concernée que par la sécurité des personnes.
......
Ce phénomène suffit à expliquer
comment le système politique américain a récemment accentué et favorisé
les divisions idéologiques, alors qu'il aurait été préférable de les
apaiser. C'est ainsi qu'ont éclaté si vite le consensus et même
l'unanimisme qui avait fait suite aux attentats du 11 Septembre. La
démocratie américaine traverse aujourd'hui une crise. Elle a de plus en
plus de mal à traiter les vrais problèmes du pays.
...
Le patriotisme demeure d'autre
part vivace en Amérique. On l'a vu après le 11 Septembre : à tort ou à
raison, les Américains savent faire taire leurs divisions quand
l'étranger les critique. Plus l'Amérique est divisée au quotidien, plus
elle sait qu'elle a besoin de donner à l'extérieur le sentiment de son
unité dans les moments forts.
Surtout, les mouvements structurels de
population auront tôt ou tard raison des forteresses de certitudes
actuelles. L'immigration hispanique, si elle continue au rythme actuel,
affectera les habitudes de vote. On calcule ainsi que même le Texas
pourrait redevenir favorable aux démocrates d'ici la fin de l'actuelle
décennie. De même, la croissance démographique de l'Ouest intérieur
-jusqu'ici presque uniquement dominé par le parti républicain - pourrait
y modifier les comportements électoraux à terme relativement rapproché.
.....
* Directeur du Centre français
sur les Etats-Unis (CFE) à l'Ifri.
Ph. G. le Figaro du 02 novembre 2004
L'IRAK
George W.
Bush
«Le président avait un choix à faire, explique le programme du Parti
républicain : s'en remettre à un fou ou défendre l'Amérique. Il a choisi
de défendre l'Amérique.» Après avoir transféré le pouvoir à un
gouvernement intérimaire fin juin, George W. Bush s'apprêterait à lancer
l'armée américaine contre les foyers de la résistance sunnite, afin
d'organiser des élections au plus tard fin janvier. Il prône le
transfert progressif des tâches de sécurité à l'armée et à la police
irakiennes et compte sur l'aide de l'Otan pour la formation de
troupes locales. Il n'a pas fixé de date pour le retour des 130 000
soldats américains déployés en Irak.
John F. Kerry
Le sénateur du Massachusetts avait voté en faveur de la guerre, et
son programme se garde de condamner l'invasion elle-même. Mais il
dénonce les mensonges de l'Administration, son impréparation et
l'absence de véritable coalition internationale. Il propose donc
d'accroître le rôle de l'ONU et de l'Otan, notamment à travers la
nomination d'un haut commissaire des Nations unies. Il souhaite
également obtenir l'appui militaire des alliés européens traditionnels
de l'Amérique. Il promet d'entamer le retrait des troupes américaines
dans les six mois de son accession à la présidence et de ramener le
dernier GI avant la fin de son premier mandat.
LE
PROCHE-ORIENT
George W.
Bush
Le président
sortant soutient le projet de retrait unilatéral de Gaza d'Ariel Sharon,
auquel il a accordé des garanties unilatérales anticipant un accord de
paix final (pas de retour des réfugiés palestiniens, possibilité
d'annexer des portions de la Cisjordanie). Il a lancé une «Initiative
pour le Grand Moyen-Orient» par laquelle il entend soutenir les
réformes et la démocratisation dans la région. Il défend une position de
fermeté vis-à-vis de l'Iran, pivot de «l'axe du mal».
John F.
Kerry
Le candidat
démocrate s'aligne sur les positions de l'Administration Bush concernant
Israël et les Palestiniens. Mais il envisage de nommer un ambassadeur
spécial pour relancer des négociations de paix entre les deux camps,
mission qui pourrait être confiée aux anciens présidents Bill Clinton ou
Jimmy Carter. Il accuse l'Administration d'avoir entraîné le pays dans
une «diversion» en Irak.
LES
RELATIONS INTERNATIONALES
George W.
Bush
eorge Bush soutient la politique de la «Chine unique» mais n'exclut
pas de défendre Taïwan en cas d'attaque de Pékin. Il s'oppose à la
levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine prônée par Paris.
Il s'en tient aux pourparlers multilatéraux avec la Corée du Nord pour
amener Pyongyang à renoncer à la bombe atomique, mais refuse le dialogue
direct avec cet autre pays de «l'axe du mal». Il a décidé de retirer une
partie des troupes américaines de Corée du Sud, ainsi que d'Allemagne.
Il promet de repartir sur de «nouvelles bases» avec les Européens.
John F.
Kerry
John Kerry approuve les ventes d'armes américaines à Taïwan et la
politique de l'ambiguïté avec la Chine. Il se dit prêt à ouvrir des
négociations directes avec la Corée du Nord. Il souhaite accroître le
rôle de l'Otan en Afghanistan et doubler le financement de la lutte
contre le commerce de l'opium. Il met l'accent sur la lutte contre la
prolifération nucléaire et promet d'aider la Russie à sécuriser son
arsenal en quatre ans. Il entend restaurer des relations équilibrées
avec les alliés européens et s'engage à rompre avec l'unilatéralisme.
LA SÉCURITÉ
NATIONALE
George W.
Bush
Il veut rendre définitives certaines dispositions temporaires du
Patriot Act, loi sécuritaire adoptée après le 11 septembre 2001. Il
promet de lutter contre le bioterrorisme et d'élaborer un «Plan de
réponse national» en cas d'attaque sur le sol américain.
John F.
Kerry
Il insiste sur l'urgence d'améliorer la sécurité maritime et
ferroviaire. Il promet de mettre en oeuvre l'intégralité des réformes du
renseignement préconisées par la Commission d'enquête sur le 11
Septembre. Il s'engage à créer deux divisions professionnelles de plus
dans l'US Army (environ 40 000 hommes) pour alléger la charge actuelle
de la Garde nationale et de la Réserve.
LES
QUESTIONS DE SOCIÉTÉ
George W.
Bush
Le président sortant propose de modifier la Constitution pour
interdire les mariages gays, mais il se dit personnellement
favorable aux «unions civiles» pour les couples homosexuels. Il est
contre l'usage de fonds fédéraux pour l'avortement et souhaite
doubler le financement des programmes d'encouragement à l'abstinence. Il
a introduit une obligation de résultat pour les écoles primaires
assortie de sanctions pécuniaires, système qu'il souhaite étendre aux
lycées. Il dénonce les juges «activistes» et entend nommer des
magistrats qui partagent ses idées. Il est favorable à la peine de
mort, opposé au contrôle de la vente des armes à feu.
John F.
Kerry
Le candidat démocrate est opposé à l'amendement de la
Constitution sur le mariage. Il est favorable aux «unions civiles»
d'homosexuels et soutient qu'il faut laisser aux États le soin de
légiférer sur le mariage, comme ils le font depuis deux siècles. Il
approuve les principes de la réforme du système éducatif, mais promet
d'y consacrer 200 milliards de dollars supplémentaires. Chasseur, il est
pour l'interdiction à la vente des fusils d'assaut et contre
l'immunité des fabricants d'armes. Il est opposé à la peine de mort.