L’IDEOLOGIE
CONTRE LES SCIENCES HUMAINES
Auteur:
Roland HUREAUX
Source:
http://perso.wanadoo.fr/claude.rochet/philo/philoart/Sciendem.html
Que l’on puisse, sans risquer la
disqualification immédiate, étiqueter politiquement telle ou telle science
humaine , dire par exemple que l’économie politique est bourgeoise, la
sociologie marxiste, la psychanalyse juive ou la démographie fasciste ,
tient sans doute à l’ambiguïté intrinsèque du rapport du pouvoir et de la
science à l’époque moderne.
Rien ne caractérise mieux la modernité
que le prestige incomparable qu ’y a acquise celle-ci . Prestige légitime
fondé sur le progrès incommensurable des connaissances en tout domaine
depuis trois ou quatre siècles . Que ce prestige s’attache à la science en
tant que pur objet de connaissance ou bien en tant que fondement d’une
technique de plus en plus efficace , qu’importe : il est dans l’ordre des
choses .
Mais à partir de ces prémisses
raisonnables, certains n’ont pas résisté à la tentation de croire que la
science pouvait aussi fonder, désormais, l’exercice du pouvoir. Pour
Auguste Comte , après l’âge théologique, puis l’âge métaphysique , vient
l’âge scientifique où le pouvoir sera confié non plus aux prêtres ou aux
philosophes mais aux savants. Après la grande tentation d’unir le trône et
l’autel vient donc celle de conjoindre la République et le laboratoire, et
même , comme on le verra, de transformer la République en laboratoire !
Ces risques de collusion d’une science
ainsi ouverte au jeu des partis , justifie le procès en objectivité qui ne
manque pas de lui être fait ici ou là dès lors qu’elle est susceptible
d’intéresser de près ou de loin l’exercice du pouvoir.
D’autant que les sciences susceptibles
d’être les plus utiles au gouvernement des hommes , les sciences humaines,
sont aussi les plus incertaines . Incertaines dans leur principe : est-il
légitime d’assimiler l’homme , être libre , à la matière inerte , de le
réduire à un mécanisme ? Incertaines aussi dans leur pratique : trop
souvent conjecturales, objet de controverses entre les spécialistes
eux-mêmes , la plupart des sciences humaines semblent reposer sur des
données aléatoires , des expériences historiques difficilement vérifiables
et en tous les cas rarement répétables " toutes choses égales par
ailleurs " comme il en va dans les sciences dites " dures ".
La tentation idéologique
Mais tout cela ne serait rien si une
circonstance considérablement aggravante n’était encore venue obscurcir la
question : l’idéologie , au sens technique du terme tel que les critiques
des régimes totalitaires (Arendt, Aron, Besançon etc.) l’ont mis au jour.
L’idéologie est pour une part la
continuation des gnoses antiques et médiévales , qui prétendaient sauver
l’humanité par le recours à un savoir occulte , réservé à des initiés et
fondant ceux-ci à jouer un rôle dirigeant à l’égard de la masse ignorante.
Mais alors que les gnoses antiques se
greffaient sur les religions révélées , judaïsme et christianisme
principalement , l’idéologie, réalité moderne, se greffe, elle, sur le
savoir scientifique . Alors que la gnose se présentait comme une
révélation, l’idéologie se présente comme une science. Mais il s’agit
d’une fausse science .
Les caractères de l’idéologie sont
assez bien connus aujourd’hui pour qu’on s’y attarde : outre la prétention
scientifique et la hiérarchie d’initiation , elle se présente aussi comme
un savoir total sur l’homme , souvent assorti d’une vision eschatologique
( le Robert : étude des fins dernières de homme et du monde) de
la fin de l’histoire (l’homme se possédant enfin lui-même au travers d’une
pleine connaissance de soi, l’histoire s’accomplit ), d’une langue de bois
et d’une vision manichéenne du monde , celui qui résiste à l’idéologie
étant assimilé au mal absolu.
Les idéologies les plus perverses du XXe
siècle , le marxisme-léninisme et le nazisme ont prétendu se fonder sur
une science de l’homme . Le premier sur l’économie et la sociologie , le
second sur la biologie .Plus nettement dans le cas du marxisme, s’y
manifestait un projet de savoir total , dit matérialisme dialectique,
ambitionnant de recouvrir tous les ordres de réalité.
L’ère du soupçon
Le fait qu’à peine quelques décennies
après avoir fait leurs premiers pas , les sciences humaines aient donné
lieu à des contrefaçons aux conséquences criminelles a , on n’en sera pas
étonné , jeté la soupçon sur toute recherche à prétention scientifique
visant l’homme en général.
Que dans le projet totalitaire à
caractère idéologique , l’homme, défini comme sujet par la philosophie
classique , se prenne lui même pour objet , même si le projet est animé de
l’excellente intention d’améliorer la nature humaine ou la société ,
constitue à soi seul un danger . Que l’homme cherche à faire usage d’un
savoir pour en faire une application technique à lui-même implique le
risque d’oublier l’impératif kantien selon lequel l’homme ne saurait
être considéré comme un moyen mais comme une fin . Mais , à partir du
moment où l’idéologie pose que les uns disposent du savoir et les autres
pas , un risque encore plus grand est que certains hommes soient sujets et
d’autres objets. Longtemps préservée par la forte déontologie du serment
d’Hippocrate, la médecine elle-même , science de l’homme à vocation
pratique s’il en est , se heurte aujourd’hui , à mesure que progresse la
connaissance du vivant , à la difficulté de définir une bioéthique .
Risquée en elle-même , l’idée que
l’homme s’applique à lui-même la connaissance qu’il croit avoir acquise ,
se trouve grosse de catastrophes quand cette ambition prométhéenne se
fonde , non point sur un savoir authentifié mais sur science fausse , sur
une idéologie aux concepts outrageusement simplifiées . Si le chirurgien
est inexpert , il finit en charcutier .L’ingénierie sociale à fondement
idéologique s’est , en conséquence, presque partout terminée en massacre.
Que la prétention , plus naïve que
perverse à vrai dire , d’un Alexis Carrel (1), dont les thèses eurent un
si grand succès avant, pendant mais aussi après la dernière guerre,
d’améliorer l’humanité à partir d’un savoir pluridisciplinaire sur l’homme
, suscite aujourd’hui la plus grande méfiance est ainsi parfaitement
compréhensible .
Au demeurant , nul ne prétend plus
aujourd’hui à une science totale de l’homme . Michel Foucault (2) a montré
il y a déjà quelque temps , comment les sciences humaines , tout en
abolissant l’homme en tant que tel du fait de leur démarche objectivante ,
ne constituaient qu’un savoir éclaté entre différentes disciplines suivant
chacune sa logique propre et qu’il serait vain de vouloir les réunir en
une science de l’homme . " On ne peut connaître quelque chose des hommes
qu’à la condition de réduire en cendres le mythe philosophique de
l’homme " dit , au même moment, Louis Althusser (3).
Aux préventions grandissantes ,
particulièrement marquées à gauche , contre toutes les démarches
biologisantes (qu’ un mouvement comme le Grèce a cherché un temps à
remettre à l’honneur) , répondent les préventions non moins grandes d’une
certaine droite vis à vis de tout ce qui touche à la sociologie (pas
seulement marxiste) ou à la psychologie, et a fortiori à la psychanalyse.
Pour maints esprits conservateurs , qui se replient volontiers vers le
droit ou la philosophie , disciplines normatives et non empiriques , toute
science sociale se trouve soupçonnée d’être plus ou moins contaminée de
marxisme.
La seule science admise par les libéraux
fut longtemps l’économie politique . Mais on sait combien elle était en
revanche, dès le siècle dernier, suspecte aux théoriciens socialistes .
L’échec des expériences communistes, qui s’assignaient ouvertement pour
but de transgresser les lois du marché n’a qu’en partie levé ces
préventions.
Des développements plus récents ont
conduit une certaine gauche à remettre en cause , non seulement l’économie
politique mais encore la géopolitique , dont les débuts , avec notamment
l’écossais Mackinder et l’allemand Ratzel , furent contemporains de la
montée des nationalismes dans la seconde moitié du XIXe siècle , et même
la démographie dont l’essor serait , au gré de certains, liée aux
fantasmes de puissance de l’époque fasciste . De ce fait la démographie
entrerait elle aussi dans le périmètre des sciences suspectes.
Le cas de la démographie
Cette mise à l’index est d’autant plus
surprenante , s’agissant de la démographie, que son objectif étant le
dénombrement des hommes , elle paraît à première vue la plus égalitaire
qui soit . Quoi de plus respectueux de la dignité humaine que la stricte
arithmétique du démographe pour qui un américain égale un chinois ou un
indien. Quel racisme inavoué ne recèle pas en revanche l’idée ,
aujourd’hui répandue, que le nombre n’est plus qu’un critère secondaire de
la puissance !
Un autre motif d’étonnement est que
cette science est , au moins dans ses origines, relativement ancienne : ni
Quesnay ni Malthus , que l’on sache, n’évoluèrent dans un climat de
nationalisme déchaîné.
Mais ce qui rend le procès encore plus
surprenant est que la démographie est aujourd’hui une des sciences
sociales les plus rigoureuses - dans la mesure au moins où les
recensements sur lesquels elle se fonde sont eux-mêmes faits sérieusement
(4). Une rigueur qui ne tient pas tant à une avance particulière de cette
discipline qu’au fait que les mécanismes qu’elle étudie : la natalité, la
mortalité, la fécondité, la pyramide des âges sont relativement simples ,
à caractère universel, même s’ils demeurent souvent méconnus. Il est
difficile de tricher avec le nombre des hommes : sachant que 150 millions
d’enfants sont nés dans le monde en 1998 , on peut dire de manière
certaine qu’il n’y aura pas plus de 150 millions d’hommes et de femmes de
50 ans en 2048 : quelle science humaine peut se targuer de jugements aussi
apodictiques ?
Cette rigueur de la science
démographique , qui dans le champ des sciences humaines n’a sans doute
d’égale que certains chapitres de l’économie politique, se trouve
curieusement ignorée par nombre de nos contemporains, ce qui facilite bien
évidemment les soupçons que l’on peut jeter sur elle.
Récuser le relativisme
Cette atmosphère de soupçon , dont on a
vu qu’elle n’était pas au départ dépourvue de bons motifs, répandue tout
uniment sur l’ensemble des sciences de l’homme , tantôt à droite, tantôt à
gauche, aucune n’y échappant , pourrait conduire à une sorte de
relativisme généralisé . Puisque aucun discours sur l’homme, dira-t-on,
pour scientifique qu’il se prétende , n’est exempt d’arrière-pensées
idéologiques, c’est que les sciences humaines dans leur ensemble sont
aléatoires , conjecturales et le plus sage est dès lors de ne pas trop s’y
fier . La recherche fera bien de se cantonner aux sciences dures . La
politique ne se laissera pas influencer par les avertissements ou les
prédictions jugées exagérément pessimistes des démographes , des
économistes ou des sociologues (quand par exemple ils rappellent les
risques de la dénatalité, de taux d’intérêts réels trop élevés ou de la
désintégration de la cellule familiale ). Concentrons nous, dira-t-on, sur
l’affirmation de quelques valeurs fondamentales - les droits de l’homme -,
sur l’urgence - l’humanitaire - et point n’est besoin que les décideurs
politiques en sachent trop , que surtout ils ne cherchent plus à résoudre
les problèmes à partir d’une analyse approfondie : puisque toute analyse
sera de quelque manière idéologique, c’est là une ambition vaine !
Le discrédit des sciences humaines dans
nos sociétés complexes, devient ainsi l’alibi des politiques les plus
irresponsables . La politique n’a plus à se préoccuper des conséquences
des décisions qu’elle prend . Elle peut se libérer du principe de réalité
puisque il n’y a pas , croit-on, de réalité en dehors de l’idéologie !
Il faut récuser un tel relativisme .
C’est une chose , pour une science , d’être conditionnée dans son
développement par un environnement culturel ou social donné, peut-être
même par certains intérêts particuliers (mais en va-t-il autrement dans
les sciences de la matière ?) . C’en est une autre de virer à l’idéologie
ouverte , avec tous les caractères que nous avons relevés plus haut .
Personne ne niera par exemple que Quesnay, Smith ou, à sa manière,
Durkheim , furent conditionnés par la philosophie des Lumières , voire par
la mentalité d’une bourgeoisie en plein essor ou que Lévy-Brühl ait été
quelque part tributaire de l’expansion coloniale . Cela n’ôte rien à
l’honnêteté de leur démarche scientifique .
.
Vraie et fausse science
La ligne de démarcation entre la vraie
science , fut elle encore balbutiante comme le sont la plupart des
sciences humaines, et la fausse science idéologique existe . Cette ligne
de démarcation a été bien mise en relief par Karl Popper ou Alain Besançon
.
La distinction la plus fondamentale est
que l’idéologie prétend , au moins dans ses formes extrêmes , à un savoir
total sur la réalité alors que la vraie science est ,elle, partielle et
lacunaire ; l’idéologie se présente comme un savoir achevé et définitif
alors que la vraie science procède par hypothèses toujours provisoires et
toujours révisables.
Si l’idéologie peut prétendre, du moins
en apparence, à un degré de certitude plus fort que la vraie science,
c’est que de manière pas toujours évidente au premier abord, elle est en
fait une immense tautologie , une équation qui se vérifie quel que soit x
, une théorie qui fonctionne (c’est en cela qu’elle paraît merveilleuse
aux esprits simples ) quel que soit le réel .
Le propre de la vérité scientifique dit
Karl Popper (5) est de pouvoir être fausse , de pouvoir être démentie par
l’expérience , bref d’être soumise aux faits . C’est précisément ce qui
manque à l’idéologie.
On pourrait sauver quelque chose de
celle-ci en disant qu’elle part la plupart du temps d’un noyau de vérité .
Même s’il n’est pas certain ( ou trop certain puisque personne ne pourra
le démentir) que l’histoire du monde est l’histoire de la lutte des
classes, la lutte des classes n’en existe pas moins . Oubliés les
fantasmes sur la supériorité de la race aryenne, il existe bien un fond
culturel commun indo-européen, comme Georges Dumézil l’a montré.
Pourtant même cet apparent noyau de
vérité ne saurait faire illusion . L’idéologie corrompt tout , y compris
ce qu’il pouvait y avoir de légitime à son point de départ. Pour le
marxisme soviétique, la lutte des classes est devenue , comme Engels
lui-même l’avait prédit, une " Vierge Marie " (6) . Les vérités qu’elle
emprunte à la science sont coupées de la chaîne de la logique
expérimentale où elles s’insèrent dans la vraie science, pour n’être plus
que le maillon d’un dogme rigide où elles perdent leur sens.
Alain Besançon a montré comment
l’idéologie, à la suite de la gnose, fonctionne sur le mode du
parasitisme. De même que la gnose parasitait la théologie, l’idéologie
parasite la science . Comme un parasite, elle corrompt son support .
L’idéologie ne laisse rien d’intact de ce qu’elle touche.
C’est pourquoi l’idéologie se distingue
aussi de la vraie science par sa stérilité radicale . On aurait pu
s’attendre à ce que le national-socialisme apporte quelque contribution ,
même sulfureuse, à la science des races humaines : il n’en est rien !
Quant aux nombreux savants qui se sont laborieusement dédiés à ajouter
leur pierre à l’édifice grandiose de la " science marxiste " , hélas pour
eux , il n’en reste rien , notamment dans le champ de l’économie et de la
sociologie où on les aurait attendus . Le seul marxiste qui soit encore
souvent cité, en dehors de Marx lui-même , Gramsci, l’est pour avoir
montré le rôle primordial de la culture , c’est à dire pour ce qu’il y
avait de moins marxiste en lui.
Il est ainsi facile de distinguer
l’idéologie de la vraie science. Il suffit que celle-ci témoigne d’une
certaine fécondité pour échapper au soupçon d’être de l’idéologie.
Un dernier discriminant de l’idéologie
et de la vraie science est le rapport au pouvoir lui-même . L’idéologie se
distingue par sa soumission absolue à une logique de pouvoir . Elle
interprète le monde en fonction d’une logique politique , à partir du
placage sur le réel de critères purement extrinsèques . Quand il s’agit
d’interpréter les autres savoirs, l’idéologie ne tient nullement compte de
leur logique interne et, le cas échéant, de leur vérité objective : elle
se contente d’en mesurer l’utilité politique. Il y a deux sortes de
science disait Joseph Staline : la science bourgeoise et la science
prolétarienne. Et encore le Petit Père des peuples , occasionnellement
soucieux de nuances , se payait-il le luxe de dire que certaines sciences
humaines , comme la linguistique, n’avaient pas de caractère de classe.
Cela ne l’a pas empêché , au travers de la lamentable affaire Lyssenko, de
vouloir plier la biologie elle-même, au mépris des faits les plus avérés ,
à la logique idéologique. On sait comment toute une génération
d’intellectuels marxistes se trouva engluée dans cette démarche perverse .
Une logique analogue , encore plus grossière, se trouvait à l’oeuvre quand
les théoriciens du nazisme récusaient la relativité comme une théorie
juive.
L’idéologie est toujours
terroriste
Cette lecture politique, que fait
l’idéologie , des savoirs différents d’elle n’est pas une lecture neutre.
Même s’ils prétendent demeurer dans le registre scientifique, ceux qui
qualifient l’économie politique de science bourgeoise ou la relativité de
théorie juive, formulent , de leur point de vue, une insulte. Les
idéologies totalitaires eurent le chic de prononcer les injures les plus
grossières en les couvrant de l’alibi scientifique. L’invasion de la
sphère de la science par l’idéologie aboutit nécessairement à des
comportements terroristes.
C’est ce qui doit nous rendre prudents
face à la philosophie dite critique qui , au motif d’une critique radicale
des systèmes en place , sociaux ou institutionnels, se contente le plus
souvent d’appliquer à son objet une grille univoque , non susceptible
d’être démentie par l’expérience et donc en réalité non scientifique. Que
cette grille soit celle de la volonté de puissance , de la classe ou du
sexe, elle a l’effet d’un verre coloré au travers duquel on est d’avance
assuré de voir la réalité d’une certaine couleur . C’est pourquoi les
analyses qui partent du présupposé que tout est marqué par la lutte des
classes ou des races ou que tout est sexuel sont en réalité des
idéologies. Les différentes herméneutiques ( marxiste, nietzschéenne ou
freudienne) qui composent la " philosophie critique " (qui la plupart du
temps se prétendent scientifiques) se trouvent ainsi en concurrence sur un
marché d’affirmations non vérifiables . La seule stratégie qui permette à
l’une ou à l’autre d’assurer sa suprématie est dès lors un surcroît
d’intimidation terroriste . Manger ou être mangé est , dit-on, la loi de
la jungle . Interpréter ou être interprété est la loi d’une certaine
jungle à prétention intellectuelle . Pour y survivre, il ne faut qu’un
peu plus de culot que les autres . L’idéologie se reconnaît à ces
pratiques terroristes . Les vrais scientifiques n’ ont , est-il nécessaire
de le dire, point besoin de recourir à de tels procédés.
La vraie science respecte
l’autre
Récusant la logique du tout-politique,
la véritable attitude scientifique consiste à rechercher en tout discours
le noyau de vérité - jamais facile à délimiter - qui échappe aux logiques
de pouvoir et à se livrer non point à une herméneutique extrinsèque,
artificiellement plaquée et nécessairement irrespectueuse mais à une
tentative de compréhension de l’intérieur , partant de la logique
intrinsèque de ce discours .L’attitude scientifique est par définition
respectueuse et non terroriste. Elle regarde l’autre en face et lui répond
sur le même plan . Elle ne flaire pas, cyniquement , le ventre et le
bas-ventre .
En résumé, il y a science ou il y a
idéologie mais les deux ne se confondent guère . Dès lors qu’un discours
scientifique contient une information authentique , donc vérifiable, sur
le réel, il échappe aux pures logiques de pouvoir .
C’est pourquoi , pour revenir à un débat
d’actualité, cette science humaine par excellence qu’est la démographie ,
du fait de sa rigueur, de sa fécondité jamais démentie , du fait aussi
qu’elle touche à un sujet essentiel , ne saurait sérieusement être
qualifiée d’idéologique , surtout si cette accusation s’inscrit dans une
démarche terroriste qui est, elle, typiquement idéologique.
Roland HUREAUX
1. Alexis Carrel, L’homme, cet
inconnu, Plon, 1935 ; Livre de , 1965
2. Michel Foucault, Les mots et les
choses, Gallimard , 1966
3. Lois Althusser , Pour Marx ,
Maspero, 1966 , page 236.
4. Il est pourtant encore possible de
trouver dans des quotidiens qui se veulent sérieux des affirmations aussi
ahurissantes que celle-ci : " La démographie a un avantage sur l’économie
: on s’y ennuie peu tant la part du rêve est importante ! " (Le Monde , 7
avril 1998, supplément Economie , page II)
5. Karl Popper, La logique de la
découverte scientifique, Payot, 1973
6.Friedrich Engels , Littérature des
émigrés, III, 1874
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