Je suis heureux de recevoir
aujourd'hui les représentants d'une tradition philosophique qui a pris
une part si importante, en France et dans le monde, à l'élaboration et
à la diffusion des idées républicaines. Il est des histoires qui
contribuent à forger l'histoire, des événements qui font avancer la
cause de la liberté. La création, en 1728, de la première loge
française est de ceux-là (...)

affranchissement (?)
d'une lettre reçue en décembre 2003
En vous recevant aujourd'hui, j'ai
souhaité rendre hommage au rôle civique de vos sociétés de pensée. Un
rôle actif de défense et de réaffirmation des principes républicains,
un rôle de vigilance, un rôle de réflexion.
Cet anniversaire est aussi pour vous
l'occasion de donner une idée juste de la franc-maçonnerie, au-delà
des clichés et des idées reçues. Vous inscrivez votre engagement dans
l'héritage des Lumières.
Lumières de la raison, de la
tolérance, de la solidarité humaine, lumières de la liberté, la
liberté absolue de conscience, la liberté de douter, parce que le
doute est moteur de progrès. Une liberté que résume bien le triptyque
: « Provoquer et non imposer, suggérer sans proclamer, interroger
plutôt que répondre ». Bref, la vraie liberté de l'homme parvenu à
s'affranchir tant des passions que des carcans sociaux.
Alain Bauer, dont je salue
l'initiative qui nous réunit aujourd'hui, a évoqué la naissance de la
maçonnerie en France à l'aube du XVIIIe siècle, avec cette belle
formule que je lui emprunte : « C'est le peuple de l'encyclopédie qui
essaie de devenir celui des Lumières ».
Né dans les spasmes des guerres
civiles et religieuses anglaises, l'idéal maçonnique, celui d'Isaac
Newton, rêvait de substituer aux dogmatismes le débat sur le progrès
scientifique, de desserrer l'étreinte, de casser les rigidités, pour
instaurer un espace de liberté, hors des tabous et des index de
l'époque. Cette histoire, ces convictions, la franc-maçonnerie peut
les assumer avec fierté. Elles fondent son engagement. Elles marquent
ses traditions. Trois siècles ont passé et vous tenez à ce que vos
travaux continuent de s'accomplir dans la liberté, le refus des
certitudes, l'ouverture internationale, en recherchant toujours
l'indispensable sérénité dans laquelle doit être menée la réflexion,
loin de l'agitation du monde. Sa fidélité aux traditions, son
engagement au service de l'homme, la franc-maçonnerie les a chèrement
payés, persécutée par tous les totalitarismes.
Les heures noires de l'Occupation et
de la collaboration l'ont douloureusement marquée. Dès août 1940, une
législation anti-maçonnique était promulguée. Les obédiences étaient
dissoutes, leurs locaux occupés, leurs temples dévastés, leurs
archives détruites, leurs collections pillées. Les francs-maçons ont
été dénoncés, leurs noms livrés à l'occupant nazi. Beaucoup d'entre
eux furent déportés et trouvèrent la mort dans les camps. Jamais dans
son histoire, la franc-maçonnerie française, qui s'était toujours
développée dans le plus grand respect des institutions et des lois,
n'avait eu à subir un tel déchaînement de violence et de haine. Cet
acharnement ne peut s'expliquer que par l'indéfectible attachement des
francs-maçons à la République. La République, ils l'ont aidée à
naître, répandant les idées de raison et de progrès. Ils l'ont veillée
lorsqu'elle était fragile ou attaquée. Ils l'ont nourrie de leur
exigence et de leur réflexion. Ils ont toujours été au premier rang de
ses défenseurs. Au XVIIIe et au XIXe siècles, ils furent naturellement
de tous les combats contre l'autoritarisme. Dans les tavernes des
origines, ils ont contribué à diffuser les valeurs qui furent celles
de la Révolution française et que proclame la Déclaration des droits
de l'Homme et du Citoyen. Dans le grand élan de 1848, ils militent
pour les libertés politiques et syndicales, la liberté de la presse,
la liberté d'association, l'abolition de l'esclavage. Après avoir
contribué à faire naître la Ille République, ils sont nombreux à
s'engager dans la Ligue des Droits de l'Homme, pour que triomphe
l'innocence du capitaine Dreyfus. Quelques années auparavant, ils
avaient préparé, pour une très large part, et ardemment soutenu la loi
de 1882, loi capitale pour la République, qui créait un enseignement
primaire obligatoire, laïque et gratuit. Avec la même fermeté, le même
enthousiasme, ils appuient la loi de 1901, qui garantit la liberté
d'association, puis celle de 1905, qui sépare les églises et l'Etat.
Le Combat pour la laïcité doit
beaucoup à leur engagement. Combat de chaque instant, combat qui reste
toujours d'actualité. Combat pour la tolérance et pour une fraternité
fondée sur le respect de l'autre et qui ne s'arrête pas aux
différences, aux origines, aux religions.
Au fil du temps, à mesure que s'est
enracinée la République, que se sont imposées les valeurs universelles
qu'elle défend, la franc-maçonnerie française a su attirer des femmes
et des hommes engagés dans la vie sociale et représentatifs de la
France dans toute sa diversité.
Il n'est pas de grande question
sociale, touchant à la condition humaine, que les francs-maçons
n'aient abordée.
Récemment, individuellement ou de
manière concertée, Ils sont intervenus dans les débats sur la place
des femmes dans notre vie publique, sur la bioéthique, l'accueil et la
place des handicapés, l'avenir de l'école, la construction européenne,
le développement durable, la mondialisation, la diversité culturelle,
la question aussi du choc démographique et de l'adaptation nécessaire
de la société française et de ses structures.
Parce que les francs-maçons ont
d'abord à coeur l'exigence d'humanisme, Ils sont aux avant-postes de
la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, contre
les discriminations et tout simplement contre la violence. Il n'est
pour vous de progrès individuel et collectif, de véritable vivre
ensemble, qu'affranchis des passions et des intérêts particuliers,
des
communautarismes et des intégrismes, des ignorances et des
antagonismes qu'elles engendrent (...) Aujourd'hui, je veux saluer
votre action qui a joué un rôle essentiel dans l'enracinement de
l'idéal républicain en France. En vous recevant toutes et tous, je
souhaite vous témoigner le respect de la Nation pour ce que vous êtes
et pour ce que vous faites. "