Il y a quelques mois, Vladimir Volkoff publiait une
Petite histoire de la désinformation. Ceux qui connaissent l'écrivain
français d'origine russe ne seront pas autrement surpris de voir ce thème
abordé à nouveau par l'auteur du roman Le Montage et du recueil La
désinformation : arme de guerre, tous les deux publiés par L'Age
d’Homme.
Ce nouveau livre, qui s'adresse tant aux professionnels
de l'information qu'au grand public, ne se veut nullement exhaustif, mais
est plutôt à considérer comme un outil pour ceux qui veulent à la fois
éviter d'être désinformés et désinformateurs involontaires. Il propose un
vaste balayage du sujet, depuis le Cheval de Troie jusqu'à Internet. Une
bonne partie est consacrée à l'Ère soviétique où, pendant plusieurs
décennies, le département A du KGB fut le maître incontesté en la
matière.
Depuis la chute officielle du communisme, le mal
s'est répandu partout. Il existe même des sociétés de relations publiques
qui proposent leurs services en désinformation à des clients, étatiques ou
non.
Ainsi l'Agence Hill and Knowlton qui fit
basculer l'opinion publique américaine en faveur d'une intervention contre
l'Irak, grâce au témoignage d'une fillette de 15 ans racontant comment les
soldats de Saddam Hussein débranchaient les couveuses dans les maternités
koweitiennes. Or la fillette en question n'était autre que la fille de
l'ambassadeur du Koweit auprès des Nations Unies et cela faisait plusieurs
années qu'elle n'avait plus mis les pieds dans son pays.
Ou l'exemple encore trop mal connu de l'Agence Ruder
Finn qui eut pour clients, de août 1991 à juin 1992, la République de
Croatie, de mai à décembre 1992 la République de Bosnie-Herzégovine, et
depuis octobre 1992, les terroristes albanais du Kosovo, chaque fois dans
le but de diaboliser les Serbes. Volkoff cite d'ailleurs James Harff,
le directeur de l'agence en question, qui explique ses méthodes et la raison
de leur succès auprès des médias et de l'opinion publique. Les récents
bombardements sur la Serbie et le Kosovo ont été les conséquences logiques
et même voulues d'une telle campagne de désinformation. L'Europe, qui
s'est engagée dans cette croisade morale avec une ferveur naïve, est loin
d'en avoir encore mesuré les conséquences sur les relations internationales.
Mais si Volkoff, par ses nombreux exemples, nous montre
à quel point la désinformation nous environne de toute part, il nous
rappelle aussi qu'aucune information ne titre jamais 100 % de vérité,
et ce, même si l'informateur et la personne informée n'ont pas de mauvaises
intentions, et si le moyen de communication n'est pas déficient. Il nous
donne ensuite une définition : « La désinformation est une manipulation
de l'opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée
par des moyens détournés. » Ce faisant, il nous explique en quoi la
désinformation n'est ni de la publicité, ni de l'intox, ni de la propagande.
Dans sa recherche pointue, Volkoff fait aussi une
analyse détaillée de la structure et des mécanismes d'une campagne de
désinformation. Il montre que sans étude de marché préalable, la
désinformation n'a aucune chance de s'implanter dans les esprits. «
Dites-leur ce qu'ils veulent entendre», disait Lénine. De plus, si
une campagne sans client et sans agent n'aurait pas lieu
d'exister, elle doit son efficacité aux nombreux relais
utilisés. Plus il y en a, plus elle sera efficace.
Lénine ne parlait-il pas des « idiots utiles »
?
Quant aux faits, s'ils ne sont pas tout
bonnement inventés, leur traitement peut être varié : affirmation,
négation, inversion, exagération, diminution, mise sous silence,
désapprobation. Le langage de la désinformation est lui-même passé au
crible par Volkoff. La diabolisation est fréquemment utilisée, tout
comme le manichéisme. Pour fonctionner, la désinformation doit suivre
une pente naturelle, et le thème doit être le plus simple possible.
L'opinion publique peut ainsi aisément se jeter dessus avec une
unanimité à caractère quasi psychotique proche de l'aveuglement.
Cet état irrationnel, basé sur des émotions
très fortes plus que sur un raisonnement réfléchi, va pousser les
désinformés à en rajouter et à devenir eux-mêmes désinformateurs.
Que faire alors si notre société tout entière est
pétrie de désinformation et si nos systèmes scolaires, en
formant les jeunes
générations à ne plus réfléchir, mais à apprendre par osmose, en
donnant la priorité au monde abstrait sur le tangible, affaiblissent
toute défense naturelle contre l'irrationnel, le faux et les passions
incontrôlées ? Que faire si nous sommes entourés de « médias de plus en
plus présents, de journalistes de plus en plus dociles et d'une information
de plus en plus médiocre » ?
Vladimir Volkoff termine son ouvrage par une
apologie en faveur de la Vérité, seule solution à ses yeux et qui n'est
pas sans rappeler de nombreux passages dans les psaumes : A vrai dire, je ne crois pas qu'il y ait la moindre
chance de lutter avec un plein succès ou même un succès considérable contre
la désinformation, tant qu'on n'aura pas appris à prendre la vérité de
l'information au sérieux, tant que le public tout entier n'aura pas acquis
le sentiment - mais d'où l'acquerrait-il ? - que la vérité est une chose
sacrée, intangible, la plus précieuse, peut-être, que nous ayons, que, si
elle est remise entre nos mains pour la communiquer à autrui, nous devons la
traiter avec une trémulation religieuse, comme l'arche d'Alliance, et
qu'attenter à sa pureté, c'est tomber foudroyé surplace.
Ce n'est pas demain la veille.
Un saint, saisi et dévalisé par des brigands, leur
demanda de le laisser partir parce qu'il n'avait plus un sou sur lui. Ils le
relâchèrent donc. S'étant éloigné, il retrouva un sou au fond de sa poche.
Alors, tout courant, il retourna sur ses pas pour le leur donner, parce
qu'il ne supportait pas qu'une fausse information eût franchi ses lèvres.
Voilà comme la décence exigerait que fût traitée la
vérité.
Nous en sommes loin.