PASCAL Pensées
«Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est
que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de
toutes choses ; je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens,
que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui
fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus
que le reste.
Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui
m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue,
sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un
autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est
assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a
précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de
toutes parts, qui m'enferment comme un atome et comme une ombre qui ne
dure qu'un instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois
bientôt mourir ; mais ce que j'ignore le plus est cette mort même que
je ne saurais éviter.
MACHIAVEL
La philosophie sociale moderne, depuis
Machiavel et Hobbes, présuppose un rapport d'hostilité entre des
individus désireux de s'assurer une place au soleil ou plus simplement
de garantir les conditions de leur survie. La société ne serait rien
d'autre qu'une collection d'individus. La fonction de l'Etat, dans ce
contexte, consiste à neutraliser leur antagonisme. La morale se trouve
ainsi instrumentalisée. Le jeune Hegel se démarque de cette tradition
en cherchant à comprendre les conflits humains dans la perspective
d'une demande de reconnaissance. Il met ainsi en lumière la dimension
morale inhérente à tout affrontement et reconstruit l'évolution
sociale selon une succession de luttes réelles ou symboliques, dans
lesquelles l'individu ne cherche pas tant à supprimer ou à abaisser
son adversaire qu'à être reconnu par lui dans son individualité.
L'amour, le droit, la solidarité offrent les cadres successifs où
s'inscrit, à mesure que s'enrichissent les rapports humains, ce lien
de reconnaissance. La psychologie sociale moderne permet de reprendre
cette approche pour l'enraciner dans les mécanismes de formation de la
personnalité humaine (les travaux de G. H. Mead et de D. Winnicott en
particulier). En distinguant trois formes de mépris - l'atteinte
physique, l'atteinte juridique et l'atteinte à la dignité de
l'individu -, correspondant aux stades de développement du rapport de
reconnaissance, Axel Honneth se dote d'un outillage conceptuel qui lui
permet d'articuler une véritable " grammaire morale des conflits
sociaux ", fondée sur une théorie intégrée de l'homme et de la
société. Ce faisant, il nous met aussi entre les mains un précieux
instrument critique.