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      EXTRAITS du LIVRE 
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        INTRODUCTION  
        Impossible neutralité 
         
        Lorsqu'une société veut couper 
        l'homme de sa transcendance, 
        elle n'a pas besoin de s'attaquer 
        aux grands édifices des églises et des religions. 
        il lui suffit de dégrader 
        la relation entre l'homme et la femme I. 
        
        
        
        TROUBLE DANS LE GENRE ...  
        
          
            La différence entre l'homme et la femme se 
            manifeste dans son évidence la plus simple. Elle est ce qui se voit 
            en premier, tout de suite. Pourtant elle ne se réduit pas à la 
            différence anatomique entre le corps du mâle et celui de la femelle 
            (le sexe), ni à la différence culturelle entre les rôles masculins 
            et les rôles féminins que les sociétés ont construits dans 
            l'histoire (le genre). En intégrant ces deux premières dimensions, 
            il semble que l'écart entre l'homme et la femme renvoie à une 
            différence plus fondamentale, ontologique, une irréductible 
            dissymétrie entre ce que l'on pourrait appeler le génie féminin et 
            le génie masculin. Elle constitue sans doute l'une des énigmes 
            humaines les plus difficiles à déchiffrer. Tenir un discours 
            cohérent, raisonné et pacifié sur la différence des sexes est une 
            entreprise redoutable, que d'aucuns considèrent impossible. En 
            outre, avant même de chercher à qualifier la différence sexuelle, 
            n'en faisons-nous pas une expérience première, fondatrice? Nous 
            éprouvons la différence, avant même de chercher à la thématiser. 
            Elle se donne à vivre avant d'être un objet de réflexion. 
            p10 
             Pour autant, si le fait de la 
            différence s'impose à nous, le féminin en soi (isolé du masculin) et 
            le masculin en soi (isolé du féminin) semblent se dérober à 
            l'analyse, échappant au pouvoir de la définition. Isolés l'un de 
            l'autre, le féminin et le masculin deviennent insaisissables, 
            chimériques. Dans la rencontre et l'heureuse relation entre les 
            sexes, le génie féminin et le génie masculin apparaissent et se 
            révèlent en quelque sorte l'un face à l'autre, l'un par la grâce de 
            l'autre. D'où une première difficulté dans la mesure où 
            l'histoire des relations entre les sexes n'est jamais simple, 
            s'apparentant davantage à une guerre des sexes, à une lutte pour 
            exister, l'un contre l'autre, et générant une peur de disparaître, 
            d'être dominé par l'autre. Chez l'humain, la relation entre le mâle 
            et la femelle n'a rien de la simplicité triviale qui caractérise les 
            animaux. Cette relation, loin d'être enclose dans l'automatisme 
            de l'instinct, nécessite un travail, une élaboration, une invention, 
            une quête de sens, un acte d'interprétation. Comme toute entreprise 
            humaine, elle n'est pas sans risque et sans danger, impliquant le 
            nécessaire engagement de la liberté, et la prise de responsabilité 
            devant et pour autrui. Anthropologique, cette question a donc 
            des implications éthiques. Nous n'avons pas le choix : c'est à 
            partir de cette relation réelle à l'autre sexe, fragile, risquée, si 
            souvent malmenée, mais ô combien riche de sens, que nous devons 
            partir à la recherche de la signification de la différence. La 
            première difficulté est donc historique: elle relève de la situation 
            conflictuelle des femmes et des hommes dans le monde, situation de 
            rivalité et de lutte de pouvoir, mais aussi, heureusement, de 
            reconnaissance et d'amour. Cette difficulté tend à transformer tout 
            discours sur la différence des sexes en discours idéologique. 
             
            S'ajoute une autre difficulté qui n'est pas 
            conjoncturelle mais structurelle, constitutive de l'objet à penser. 
            Poser la question « Quel est le sens profond et ultime de la 
            différence hommefemme'? », c'est poser une redoutable question car 
            nul n'en est le spécialiste. Nul n'en a la totale maîtrise. Nul ne 
            peut prétendre avoir le monopole du sens sur cette question. Nul ne 
            peut dominer de l'extérieur le problème, en se situant soi-même 
            au-delà de la différence, comme s'il n'était pas lui-même engagé 
            dans son être dans la différence. « On » ne peut pas parler de la 
            différence, si « on » renvoie à un sujet neutre, indifférencié, en 
            retrait dans une attitude inauthentique'. « Je » ne pourrai en 
            parler en revanche que d'un point de vue nécessairement limité, 
            contingent, celuilà même d'où je parle, qui me donne de parler, et 
            qui me situe comme homme ou comme femme' C'est donc un éclairage 
            partiel, marqué par la limite, l'incomplétude, l'inachèvement qui 
            sera proposé ici. Sans doute un travail à deux voix,. l'une 
            masculine et l'autre féminine, aurait été plus convaincant. Gageons 
            que le recours à des sources tant masculines que féminines suffira 
            pour donner à entendre quelque chose de la différence elle-même.
             
            p11 
            C'est bien conscient de toutes ces difficultés, 
            qu'il nous faut partir, oser penser, oser éclairer, convaincu qu'en 
            la matière, ne rien dire, c'est laisser entendre que cette 
            différence est indécidable, indiscernable, et c'est, de ce fait, 
            déjà décider au moins de contribuer à une certaine confusion propre 
            à notre temps.  
            En effet, en matière de différence sexuelle, le 
            discours est foisonnant. S'il est un sujet qui fait parler, et de 
            fait dont tout le monde parle, c'est bien la différence homme-femme. 
            Combien de livres, d'articles récents sur la question ! Le discours 
            dominant oscille jusqu'à l'épuisement entre l'excès de détermination 
            des identités féminines et masculines (la série des ouvrages grand 
            public faisant l'inventaire des différences hommes-femmes est là 
            pour le prouver) et l'apophatisme (on ne pourrait et donc il ne 
            faudrait rien en dire). Trop en parler ou n'en jamais parler, voilà 
            l'écueil. Parler de la différence comme on parle d'un objet, alors 
            que c'est à partir d'elle que nous parlons, voilà la difficulté. Si 
            la différence est instituante de l'humain, trop en parler n'est sans 
            doute pas bon signe.! Il est étonnant qu'on éprouve aujourd'hui le 
            besoin de dire et de justifier un sens originel qui pendant des 
            siècles semblait aller de soi. Faut-il s'épuiser à démontrer ce qui 
            est de l'ordre du bon sens-'? Par ailleurs, le risque suprême 
            n'est-il pas de voir le sens de la différence de l'homme et de la 
           
         
        I.Chr. SINGER, 
        Du bon usage des crises, Paris. Albin Michel. p. 57. 
        1. On peut ici appliquer au rapport à la différence 
        des sexes, ce que Heidegger affirmait du rapport à la mort: on parle de 
        la mort comme de quelque chose qui ne nous concerne pas, «comme quelque 
        chose d'indéterminé ». Telle est l'inauthenticité, car « le "on" ce 
        n'est personne ». M. HEIDEGGER, « L'Être et le Temps», dans Qu'est-ce 
        que la métaphysique ?, Paris, Gallimard, p. 144.  
        2. En l'occurence, pour nia part, j'en parlerai du 
        point de vue d'un homme!  
        3-Faut-il s'épuiser à démontrer par exemple qu'un 
        enfant a besoin pour se construire d'un père et d'une mère? 
        
          
            femme s'exténuer dans le discours comme dans les 
            comportements jusqu'à sombrer dans une inquiétante insignifiance ? 
            D'où vient cet essoufflement, ce « trouble 1 », cette perte 
            d'évidence du sens de la différence homme-femme ? Il est vrai que 
            toute différence est onéreuse et il en coûte de bien la vivre. Mais 
            est-ce une raison suffisante pour la relativiser, voire pour 
            l'évacuer de notre compréhension de l'humain? Au nom de quoi 
            faudrait-il opter pour la thèse d'une réalisation assexuée de 
            l'humain? Imaginer qu'une vie sexuelle et qu'une fécondité qui 
            feraient l'économie de la différence et même de la rencontre des 
            sexes soient possibles, souhaitables, voire normatives, relève de 
            quelle précompréhension de l'humain ? Comment ne pas voir que la 
            différence sexuelle est là, plantée au coeur de l'humanité, et 
            qu'elle se donne d'abord à vivre? Comment feindre d'ignorer qu'elle 
            existe et résiste à sa dénégation en s'offrant à un possible 
            déchiffrement, qu'elle est lisible? La différence des sexes serait 
            floue, modulable, évolutive, à réinventer en permanence, sur mesure, 
            au gré de nos caprices et de nos hésitations. Que nous est-il donc 
            arrivé pour ne plus être capables de lire, de déchiffrer, 
            d'interpréter le sens de cette étonnante et incontournable 
            différence inscrite dans la chair?  
            Apparemment la différence des sexes ne ferait plus 
            problème. Nous vivons dans un monde mixte de part en part, où dans 
            tous les domaines, la parité est de mise. Cette mixité est bien 
            évidemment, et il faut commencer par le dire, une richesse, une 
            chance, un bonheur, celui de vivre et de travailler en nous 
            complétant, en nous confrontant, en faisant jouer cette mélodie de 
            la différence en ses variations infinies. Mais la diversité fait 
            aussi bien la cacophonie2 que la symphonie ! Mixité n'est donc pas 
            mixage ! Il ne suffit pas de décréter la mixité, pour qu'elle 
            contribue réellement à la construction des personnes. Au-delà du 
            politiquement correct, cette systématisation du brassage des sexes 
            dans tous les lieux de la vie scolaire, sociale, professionnelle et 
            politique a aussi pour effet de masquer une difficulté propre à 
            notre temps, celle de la reconnaissance pacifiée de la différence 
            des sexes. Au-delà des peurs et des rapports de force, les 
            conditions  
           
         
        1. Voir Judith BUTLER, Gender trouble, 1990, traduit 
        en français en juin 2005 sous le titre Trouble dans le genre. Pour un 
        féminisme de la subversion, Paris, Éd. de La Découverte.  
        2. C. CHILIAND, «Sexe: polyphonie ou cacophonie?, » 
        Res Publica, n° 26 (septembre 2001).  
        
          
            d'une authentique rencontre des sexes sont-elles 
            vraiment et positivement recherchées et suscitées? La reconnaissance 
            sereine du bienfait de la différence homme-femme dans toute sa 
            radicalité est-elle visée, ce qui supposerait au minimum de 
            reconnaître concrètement la valeur respective et originale de 
            l'identité féminine et de l'identité masculine'! Sans doute en 
            sommes-nous encore loin.  
            Indifférence à la différence sexuelle et 
            brouillage des identités, telle semble plutôt être en réalité le 
            message largement médiatisé et savamment distillé, ce dont Tony 
            Anatrella nous a avertis dans un livre au titre percutant, La 
            Différence interdite 1. Il semble donc que la différence des sexes 
            n'aille plus de soi aujourd'hui. Il sera nécessaire d'analyser les 
            raisons d'un tel déni de la différence fondamentale des deux seules 
            identités sexuées existantes: masculine et féminine. Sans doute, 
            dans sa radicalité, la différence fait peur. En ce sens, notre 
            société serait probablement aussi hétérophobe, au sens propre du 
            terme, au sens où le désir de l'autre sexe serait l'objet d'une peur 
            spécifique, et à cause de cela, serait inhibé, voire refoulé. Nous 
            sommes devant des questions d'une grande complexité, qui touchent à 
            l'identité de la personne, aux confins du vécu corporel, 
            psychologique et spirituel, engageant le champ du social, du 
            culturel, du politique et du religieux. Tout se passe comme si le 
            contexte induisait un évitement de la question éprouvante et 
            révélante de la différence des sexes. Dans un tel contexte, on 
            comprend par exemple que la mixité scolaire connaisse un véritable 
            malaise, quand elle n'est jamais parlée. Le constat accablant de 
            Michel Fize2 dans un livre récent est que la mixité systématisée à 
            l'école mais non gérée, non parlée, accentuerait les clichés, les 
            stéréotypes, la domination masculine, le sexisme. l'inégalité, voire 
            la violence sexuelle3.  
           
         
        1. T. ANATRELLA, La Différence interdite, Paris, 
        Flammarion, 1998.  
        2. M. Fine, Les Pièges de la mixité scolaire, Paris, 
        Presses de la Renaissance, 2003, voir notamment les pages 77, 111-115, 
        172. 179, 184 et 190-191.  
        3. Par 
        ailleurs, on sait que les enfants et les adolescents de sexe différent 
        ne se mélangent pas si facilement. Il faut souvent attendre le lycée et 
        c'est encore bien timide ! Sans doute, faut-il nuancer, et l'expérience 
        qui est la mienne me semble moins négative. Une petite enquête auprès 
        d'élèves de terminale d'un établissement mixte de l'enseignement 
        catholique, faite en novembre 2003, montrent comment les garçons et les 
        filles se perçoivent mutuellement: Qualités des filles selon les 
        garçons: douceur, sensibilité, attentives, exigeantes, délicatesse, 
        sincérité. discrétion, à l'écoute, intuitives, compréhensives, plus 
        aptes à la vie relationnelle, sentimentales, romantiques, maternelles, 
        sens de l'organisation, ouverture d'esprit, studieuses, soigneuses.
         
        Qualités des 
        garçons selon les filles : puissance, courage, protecteurs, forts. 
        rassurants, profonds, actifs, fonceurs, confiance en soi, simplicité, 
        sens de l'humour, détente, loyauté. franchise, honnêteté, capacité à se 
        mettre en avant. serviabilité.  
        S'agit-il de 
        simples clichés ? Peut-être en partie. mais les élèves ne font-il pas 
        aussi preuve de bon sens, de lucidité, révélant une relation à l'autre 
        sexe asse., sereine et vécue comme équilibrante ? 
        
          
            Où s'enracine un tel soupçon sur le lieu de la 
            différence hommefemme'? Certainement, nous ressentons la nécessité 
            de dépasser les stéréotypes superficiels qui ont souvent bloqué la 
            différence dans des rôles figés et enfermants, quand ce ne sont pas 
            des clichés qui ne font qu'exprimer un rapport de force, réduisant 
            la femme à une fonction de service et véhiculant une image de la 
            virilité bien fruste ! Historiquement, il est clair que le génie 
            féminin n'a pas encore été pleinement reconnu et accueilli. Sans 
            doute, de ce fait, l'identité masculine est trop souvent restée 
            bloquée dans des clichés caricaturaux. En réaction à ces clichés, un 
            féminisme militant s'est développé à bon droit. Mais cette première 
            réaction sous le signe de la polémique a été suivie rapidement d'une 
            lente mais profonde érosion du sens de la différence, laquelle 
            semble de plus en plus suspecte désormais, cachant on ne sait quel 
            archaïsme naturaliste à dépasser. D'où une nette préférence pour le 
            flou artististique en la matière.  
            Nous sommes confrontés en effet à la montée en 
            puissance d'un modèle neutre, androgyne, où les identités masculines 
            et féminines deviennent problématiques. Aujourd'hui, l'idée de 
            neutralité s'impose de plus en plus, avec la prétention de dépasser 
            la différence qui resterait alors du côté des contraintes 
            biologiques, des déterminismes naturels aliénants pour la personne, 
            dont il faudrait enfin s'affranchir. C'est tout le sens du mot 
            célèbre de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le 
            devient t. » En un sens, c'est vrai. Si on s'en tient à la seule 
            observation, on ne naît pas femme, mais seulement femelle. On ne 
            naît pas homme, mais seulement mâle, physiquement sexué. Néanmoins, 
            peut-on aller jusqu'à dire que la féminité et la masculinité sont 
            une pure invention culturelle, qui n'a aucun rapport avec le 
            
           
         
        I . S. DE
        Brnt volR, Le Deuxième Sexe, 1949,
        Paris, Gallimard, colt « Folio ». t. ll, p. 
        13. 
        
        
          
            
            donné biologique et avec le mode de relation 
            qu'il induit? Si on ne saurait réduire les signifiants homme et 
            femme à mâle et femelle, faut-il, pour autant, opérer une 
            disjonction totale entre les deux plans ? Est-ce que vraiment le 
            fait de pouvoir porter un enfant dans l'intime de sa chair et de le 
            mettre au monde n'a aucun rapport avec la féminité, sans pour autant 
            l'y réduire? S'il est évident que je reçois de la nature mon sexe 
            biologique, ce n'est pas pour autant que mes conduites sont 
            déterminées mécaniquement par ma physiologie. Mais à l'inverse, 
            puis-je m'inventer à partir de rien? Puis-je décider librement de 
            mon sexe? Comment articuler ici le donné et le sens, la nature et la 
            liberté'? Il nous faudra le préciser. 
            Pour penser correctement la différence homme-femme, il faudrait 
            commencer par éviter un double écueil. L'écueil de l'enfermement 
            dans la différence, sa chosification dans des particularismes qui la 
            trahissent, des rôles figés qui ne rendent pas compte de la 
            profondeur avec laquelle elle traverse l'être humain. Voilà le 
            schéma dont nous sortons, schéma caricatural mais encore bien réel, 
            n'exprimant en gros le plus souvent qu'un rapport de domination de 
            l'homme sur la femme, et sa réaction polémique féministe qui finit 
            par inquiéter les hommes. C'est trop clair: ce schéma ne conduit pas 
            à une heureuse rencontre des sexes, mais plutôt à la guerre des 
            sexes, et donc à une impasse. L'autre écueil est celui du déni de la 
            différence, de l'indifférenciation comprise comme l'illusoire 
            neutralité de la vie, de la culture et de l'esprit, selon le leurre 
            d'une réalisation neutre et asexuée de l'humain. C'est le schéma qui 
            tend à se généraliser dans tous les domaines aujourd'hui. Il semble 
            plus tolérant, plus généreux. Il s'agit de favoriser 
            superficiellement les relations immédiates entre les personnes, en 
            éliminant ce qui pourrait faire obstacle. Mais en réalité, le rêve 
            d'une relation simple car sexuellement indifférenciée, ne peut 
            conduire qu'à la plus violente des confusions. Des deux côtés, il 
            s'agit d'une redoutable perte de sens que Xavier Lacroix résume 
            clairement : « C'est bien parce que le féminin est porteur d'un 
            trésor de sens qu'il serait dommage qu'il s'aligne purement et 
            simplement sur le masculin ; que ce soit à la manière ancienne, par 
            subordination, ou à la manière moderne par imitation (ce qui conduit 
            à la neutralisation). Pour cela aussi, bien sûr, il serait dommage 
            qu'il reste purement et simplement, comme il l'a été si souvent, 
            séparé du masculin'. » C'est donc la relation concrète entre l'homme 
            et le femme qu'il faut sauver, notamment dans la conjugalité, en 
            l'identifiant comme le lieu d'un sens fondateur à scruter, à 
            interpréter, à manifester.  
            
            LE DÉSIR HOMOSEXUEL,  
            NOUVELLE NORME D'UNE SOCIÉTÉ NARCISSIQUE 
             
            
            Le recul du sens de l'identité sexuée (être homme ou être femme) 
            est indéniablement lié à une valorisation outrancière de 
            l'orientation du désir sexuel (désir hétérosexuel ou désir 
            homosexuel). L'identité de la personne est alors confondue avec le 
            désir et notamment le désir sexuel dans sa dimension pulsionnelle, 
            subjective et aléatoire. Cette différence d'orientation du désir 
            sexuel mise en avant a pour effet de masquer et de dévaloriser la 
            seule véritable différence qui concerne l'identité sexuée, être 
            homme ou être femme. L'identité sexuée fondamentale ne saurait se 
            réduire à la simple et fluctuante orientation d'un désir. Les 
            adjectifs « homosexuel » et « hétérosexuel » ne sont pas des 
            substantifs. Ils ne concernent pas l'identité de la personne. Seul 
            le fait d'être un homme ou une femme concerne l'identité de la 
            personne. Dans les débats actuels, derrière les bons sentiments et 
            l'argument politiquement très correct de la lutte contre les 
            discriminations, il faut lire en réalité le symptôme d'une 
            dangereuse indifférence à la différence.  
            Dans le sillage de ce brouillage des pistes, le lien essentiel 
            entre différence des sexes et filiation, différence des générations. 
            ne semble plus aperçu. Le concept étrange d'homoparentalité a été 
            inventée pour faire exister dans le langage ce qui n'existe pas dans 
            la réalité. Il laisse supposer qu'une filiation est possible et 
            humainement structurante en dehors de la différence des sexes 3.  
            
           
         
        1. X. LACROIx, L'Avenir c'est l'autre, Paris, Éd. du Cerf, 2000, p. 
        231.  
        2. Le mot « homoparentalité » a été fabriqué en 1997, à Paris, par 
        quelques intellectuels parisiens connus pour être de farouches 
        adversaires de la famille.  
        3. Quand on lit dans Le Monde du 16 février 1999, sous la plume 
        conjointe de D. Borillo, M. lacub et E. Fassin, l'expression « enfants 
        nés hors (le Ici di,l('rence des sexes », on est tout de même en droit 
        de se poser des questions 1  
        
        
          
            
            Il donne à penser qu'être parent ne suppose plus l'altérité des 
            sexes au cœur du couple. Une enquête sur la sexualité des Français 
            concluait en ces termes : « Homosexualité, hétérosexualité, où est 
            la différence' ? » Cette banalisation de l'homosexualité ajoute 
            encore à la confusion, quand elle est érigée en nouveau modèle 
            conjugal et parental, voire en « nouvelle chance pour la famille 2 
            ».  
            L'homosexualité s'imposerait en nouveau modèle normatif 
            équivalant à l'hétérosexualité, jusque et y compris quand il s'agit 
            de fonder le couple et la famille. Hétérosexualité, homosexualité, 
            deux modèles d'égale valeur, deux polarités symétriquement opposées, 
            mais équivalentes, et à la limite, interchangeables. Ce courant se 
            développe au mépris d'un siècle de psychanalyse, brutalement 
            discréditée pour les besoins de la cause. Pour sortir de cette 
            polémique récente, il nous suffirait d'interroger les mots, de nous 
            laisser enseigner par eux. « Il faut [...] se fier aux mots. Ils en 
            savent plus que nous sur les choses. Ils en savent plus que nous sur 
            nous3 », écrivait l'essayiste Claude Roy. Suivant sa leçon, nous 
            verrions en effet que « sexe » vient du latin secare qui signifie « 
            couper », « séparer », « différencier ». Le mot sexe implique donc 
            structurellement l'intégration de la différence. Un psychanalyste4 
            aurait dit à juste titre : « Homosexualité est une contradiction, 
            hétérosexualité est un pléonasme. »  
            L'homosexualité se présenterait désormais comme une orientation 
            possible équivalente et symétrique de l'hétérosexualité, comme il y 
            a des droitiers et des gauchers. La moindre amorce de réflexion 
            critique de ce phénomène est taxée d'homophobie et désormais 
            condamnée par la loi du 7 décembre 2004. Le terme « homophobie » est 
            une invention langagière récente. Le mot est discutable. En effet, 
            une phobie est une maladie psychologique.  
            
           
         
        1. Le Monde, 2 mars 2002.  
        2. Le titre du livre de Stéphane NADAUD. Homoparentalité, une 
        nouvelle chance pour la famille, Paris, Fayard. 2002, est éloquent.  
        3. Claude Roy, Descriptions critiques. Paris. Gallimard. 1950.  
        4. Il s'agit de Jean Bergeret qui l'écrit aussi. mais avec plus de 
        nuance : « Pour un psychanalyste, le terme "homosexualité" peut 
        apparaître comme contestable dans la mesure où le préfixe "homo", qui 
        signifie ici "semblable" se trouve rattaché au substantif "sexualité" 
        qui connote au contraire une radicale distinction existant entre modèles 
        objectaux, différents et complémentaires, d'états et de fonctionnements 
        imaginaires », dans Xavier LACROIX (dir.). L'Amour du semblable, L'homo-érotisme, 
        approche psychanalytique, Paris. Éd. du Cerf, 2001, p. 122. 
        
        
          
            Discute-t-on avec un 
            malade'? On le soigne bien plutôt en lui administrant un traitement 
            adéquat. Mais de quoi est-on malade au juste ? On note ici une 
            confusion du psychologique et du social, que Tony Anatrella a 
            clairement analysée'. Par-delà le respect inaliénable dû à la 
            personne humaine, homme ou femme, quelle que soit l'orientation de 
            son désir sexuel, mais quels que soient aussi sa race, sa religion, 
            son milieu social, est en réalité violemment censurée ici toute 
            amorce de débat sur la valeur de la différence des sexes, de 
            l'alliance de l'homme et de la femme, comme principe fondateur de la 
            société elle-même. Cette dictature qui règne sur les esprits et 
            interdit la possibilité même d'un débat étonne dans une société où 
            le débat démocratique est supposé être à l'honneur. Il n'est donc 
            pas juste d'affirmer que n'importe quel lien privé structure la vie 
            sociale au même titre que le mariage qui a toujours été pensé comme 
            l'alliance d'un homme et d'une femme. Tous les pays du monde sont en 
            réalité unanimes sur ce point, à l'exception de quelques pays 
            (Espagne, Belgique, PaysBas, Canada) qui se privent de 
            l'anthropologie universelle en la soumettant aux aléas des majorités 
            parlementaires. Dans une société narcissique, le désir sexuel de 
            l'individu, en ses « orientations » possibles (hétéro, homo, bi, 
            trans...), ses troubles, ses ambiguïtés et ses hésitations, est 
            valorisé à l'extrême. Il finit par occulter le fait de la sexuation, 
            l'identité fondamentale de l'homme et de la femme. Il finit par 
            rendre inaudible le sens relationnel de la sexuation comme brèche 
            vers l'altérité2  
              
            L'INDIVIDUALISME 
            DANS L'IMPASSE À LA RECHERCHE DE LA PERSONNE  
              
            Une forme 
            d'individualisme radical, de plus en plus replié sur lui-même, 
            s'impose massivement, jusqu'à, in fine, se retourner paradoxalement 
            contre l'individu, touchant sa limite indéniable.  
              
          
        
        1. T. ANATRELLA, Le Règne de Narcisse, Les enjeux du déni de la 
        différence sexuelle, Paris, Presses de la Renaissance. 2005, p. 171-236.
         
        2. On lira avec profit plusieurs ouvrages récents et éclairants sur 
        les revendications homosexuelles actuelles, notamment: X. LACROix, La 
        Confusion des genres, Réponses à certaines demandes homosexuelles sur le 
        mariage et l'adoption, Paris, Bayard, 2005 ; Th. COLLIN, Le Mariage gay, 
        les enjeux d'une revendication, Paris, Eyrolles, 2005.  
        
        
          
            
            «L'individualisme actuel [...] est paradoxalement un sacrifice de 
            l'individu. Portée au bout d'elle-même, la liberté de l'individu est 
            la pure perte aussi bien de l'individu que de la liberté », écrit 
            J.-M. Ghitti 1. Exemple symptomatique de ce retournement, la 
            conception suicidaire du divorce soft, censé exprimer la liberté 
            individuelle, conduit à tout sacrifier sur l'autel de 
            l'épanouissement individuel : le couple, les enfants, la famille, 
            les amis, la liberté. «Le divorce révèle cette subsistance du 
            sacrifice dans une perspective purement nihiliste», poursuit J.-M. 
            Ghitti 2. L'individu se trouve paradoxalement sacrifié sur l'autel 
            de l'individualisme. L'ego, dominé par le «tyran Éros3 » se laisse 
            en effet facilement réduire en esclavage. Cette tyrannie du désir et 
            du plaisir4 est à coup sûr la plus subtile et la plus redoutable des 
            aliénations contemporaines. Dans ce schéma, l'individu idôlatré se 
            tient à lui-même lieu de transcendance, s'érigeant en source des 
            valeurs dans une position bloquée de narcissisme radical. 
            L'individualisme conduit à la mort de l'individus.  
            Au fond, interroger le sens de la différence des sexes, c'est 
            entrer nécessairement dans la question du rapport à l'autre, la 
            question de l'altérité. Et c'est peut-être là que le bât blesse le 
            plus aujourd'hui. Comme l'écrit avec lucidité David Simard, à propos 
            de la question du rapport entre les sexes : « Ce qui est engagé est 
            toute une conception des rapports entre les uns et les autres, 
            aujourd'hui fondés sur l'individualisme en même temps que sur le 
            communautarisme. Le point commun entre ces deux pôles paradoxaux 
            réside peut-être dans le fait que l'altérité n'est pas  
            
           
         
        I.J.-M. GHITTI, La Séparation des familles. Paris, Éd. du Cerf, 2003, 
        p. 31.  
        2.Ibid., p. 33.  
        3. L'expression est de Platon, République, 573d: «Celui qui a laissé 
        le tyran Éros s'installer dans son âme et en gouverner tous les 
        mouvements [...]chaque jour et chaque nuit, ne bourgeonne-t-il pas tout 
        autour nombre de terribles désirs, exigeants nombre de conditions ? »
         
        4. Voir J.-C. GUIELEBACD, La Tyrannie du plaisir. Paris, Éd. du 
        Seuil, coll. « Point», 1999.  
        5. Sur l'individualisme actuel, voir G. LIPOVETSKY. L'Ère du ride, 
        essai sur l'individualisme contemporain, Paris, Gallimard, col. «Folio», 
        1983: L. DUMONT, Essai sur l'individualisme, une perspective 
        anthropologique sur l'idéologie moderne. Paris, Éd. du Seuil, coll. « 
        Esprit», 1983; J.-C. GVILLI3BAUD, Le principe d'hmnanité, Paris, Éd. du 
        Seuil, coll. « Point », 2001 : C. MEt.MAs. L'Homme sans gravité, jouir à 
        tout prix, Paris, Denoel, 2002: C. GODIN, La Fin de l'humanité. Paris, 
        Éd. Champ-Vallon, 2003. 
        
        
          
            
            véritablement reconnue comme telle. Si la chose est claire pour 
            le communautarisme, elle l'est aussi pour l'individualisme_ dont le 
            centre est l'ego et pour lequel l'alter ego est toujours considéré 
            dans une relation de prédominance de l'ego. Ceci a des conséquences, 
            inévitablement, pour la sexualité, dans laquelle intervient le désir 
            de l'autre. Cela engage également une certaine conception du plaisir 
            et de l'amour'. » Sous le règne de Narcisse l'ego est un tyran qui 
            réduit l'autre au même. Cette réduction totalitaire de l'altérité 
            est source de graves transgressions anthropologiques. Penser la 
            différence des sexes, c'est donc au minimum penser la relation à 
            l'altérité. Le salut de la personne2 intégrale (et pas seulement de 
            l'individu) implique la capacité de se décentrer de soi-même et 
            l'ouverture réelle à l'altérité, laquelle s'exprime d'abord par 
            l'émerveillement devant l'altérité fondamentale des sexes et 
            ultimement par la nécessité d'entrer dans le dynamisme du don de soi 
            dont une expression privilégiée est à l'évidence l'engagement dans 
            une relation conjugale stable, fidèle (où l'altérité sexuelle 
            s'éprouvera concrètement) et ouverte à la perspective de la 
            fécondité (ouverture à l'être à venir, radicalement autre).  
            Les questions engagées par le fait de la sexuation croisent le 
            champ éthique. L'éthique peut se définir comme la science de l'agir 
            humain. L'éthique se demande en effet comment agir en tant qu'être 
            humain, comment qualifier l'agir digne de l'homme, l'agir conforme à 
            ce qu'est l'être humain. Dès lors, une certaine précompréhension de 
            la personne humaine, une certaine anthropologie, est requise. Sonder 
            les profondeurs de l'humain suppose de se mettre à l'écoute du 
            phénomène humain (phénoménologie), et d'oser une herméneutique de la 
            personne, laqueïic s'ouvrira nécessairement à des perspectives 
            métaphysiques. Les approches sont différentes mais inséparables. « 
            Une phénoménologie sans perspective métaphysique est décevante ; une 
            éthique 
           
         
        
        I . D. SIMARD, Res Publica,  n° 26 
        (septembre 2001), « Entre sexes ».
        2. Sur une anthropologie de la personne et du don. voir C.  
        BRUAIRE, L'Être 
        Ci 
        l'Esprit, 
        Paris, PUE, 1980; X. 
        LACROix, Le Coipps de chair,
        Paris. Éd. du Cerf. 1992 ; 
        E. LEVINAs, Totalité et 
        infini. La Haye-Boston-Lancaster. Martinu> Ni 
        jhoff, 1968: K. WOJTYLA,
        Personne et acte, (1980) trad. Gwendoline 
        Jarciyk. Paris, Éd. du Centurion. 1983.
        
        
          
            sans anthropologie est fluctuante' », écrit Xavier Lacroix. 
            Reprenant explicitement ces formules, Yves Semen complètera : « Une 
            éthique sans anthropologie est fluctuante : une anthropologie sans 
            phénoménologie est insatisfaisante, une phénoménologie sans 
            perspective métaphysique est décevante ; une métaphysique sans 
            théologie est insuffisante'-. » La crise actuelle de l'éthique 
            sexuelle plonge ses racines dans une crise plus fondamentale qui 
            concerne l'anthropologie de la personne sexuée, laquelle n'est pas 
            sans lien avec une crise du sens et de la transcendance. C'est le 
            chemin de cette anthropologie fondamentale de la personne sexuée que 
            nous voudrions dégager dans le présent essai, étant entendu que 
            c'est là que réside l'essentiel d'une tâche qui ne fera pas 
            l'économie des ressources de la phénoménologie et de 
            l'herméneutique. Dégager les retombées éthiques de cette 
            anthropologie fondamentale, tâche que nous n'esquisserons que 
            partiellement ici, restera néanmoins une tâche seconde, mais non pas 
            secondaire.  
            La tâche anthropologique première impliquera un acte 
            herméneutique d'interprétation du phénomène de la sexuation humaine. 
            Il s'agit de comprendre, plus que d'expliquer, au sens où Dilthey 
            opposait les deux démarches. L'explication est de l'ordre de la 
            connaissance scientifique par les causes, la compréhension est de 
            l'ordre de l'interprétation, qui vise à dégager un sens au triple 
            sens de signification, orientation et finalité. Si l'explication est 
            structurellement archéologique, l'herméneutique aura une orientation 
            nettement téléologique. Sans nier l'archè du sexe, c'est surtout par 
            le télos, l'accomplissement de la personne sexuée, que nous en 
            scruterons le sens. La tâche urgente est donc d'élaborer une 
            anthropologie fondamentale de la personne sexuée. Reconnaissons 
            simplement que nous sommes loin d'avoir épuisé la profondeur de sens 
            engagée dans la différence des sexes, tant dans la réflexion 
            philosophique et anthropologique que dans la réflexion théologique 
            et spirituelle 
              
            
            LA DIFFÉRENCE SEXUELLE,  
            L'IMPENSÉ DE LA PHILOSOPHIE  
            
            Il convient donc en premier lieu de s'étonner et de se demander 
            pourquoi la philosophie occidentale (notamment grecque) est passée à 
            ce point à côté de la différence sexuelle. S'étonner non pas qu'elle 
            ait omis d'en parler, mais qu'elle n'ait pas considéré comme 
            centrale cette question quand il s'est agi de construire une 
            anthropologie, une ontologie ou une éthique. Où trouver une 
            élaboration positive du sens de la différence sexuelle qui soit 
            fondatrice pour ces entreprises ? Certes la différence sexuelle 
            n'est pas un objet pour la pensée. Elle est ce qui nous précède, 
            associée à notre insaisissable origine. Elle nous travaille, nous 
            traverse tout entier. Impossible pour nous d'y échapper, de prendre 
            distance, pour la considérer de l'extérieur. Tel le poisson qui 
            chercherait à sortir de son bocal pour connaître l'eau, nous y 
            sommes entièrement immergés. Tout au plus, pouvons-nous la ranger 
            dans la catégorie du mystère, et accepter qu'elle ne soit pas 
            d'abord un problème à résoudre, pour reprendre la terminologie de 
            Gabriel Marcel. Devant le mystère, la philosophie peut sembler 
            échouer, comme l'explicite Nicole Chopelin : « Échec de la pensée 
            qui bute sur cette irrécusable différence des sexes, "ce à partir de 
            quoi l'on pense", mais qui demeure partout - y compris dans 
            l'histoire de la philosophie - "ce qui n'est pas pensé". Différence 
            irréductible donc, qui constitue encore le grand impensé de 
            l'humanité [...1. Mais échec aussi dans l'ordre du vécu, puisque la 
            domination a recouvert partout la différence et qu'ainsi l'histoire 
            des rapports entre les sexes pourrait bien être surtout celle de 
            leurs rendez-vous manqués et de leur mutuelle aliénation I, » Cet 
            échec n'est d'ailleurs pas à comprendre nécessairement comme une 
            défaite, voire une démission de la philosophie. C'est peutêtre même 
            cet échec de la philosophie qui manifeste sa grandeur. En effet, si 
            la différence sexuelle devait être trop vite totalisée dans une 
            synthèse systématique, ce serait à coup sûr là que l'échec serait le 
            plus catastrophique. L'échec désigne ici plutôt un impensé qui est 
            source de sens. Dans un entretien avec Richard  
            
           
         
        L Nicole CHOPELIN, « La différence des sexes: écart primordial, 
        chemin d'humanité ». Trajets, n'4, juillet 2002.  
        
        
          
          INTRODUCTION 23  
          
            Kearney, Levinas précise : « Le fait que la philosophie ne peut 
            complètement totaliser l'altérité du sens dans une simultanéité ou 
            présence finale n'est pas pour moi une déficience ou une faute. Pour 
            le dire autrement, la meilleure chose concernant la philosophie, 
            c'est qu'elle échoue. Mieux vaut que la philosophie ne réussisse pas 
            à totaliser le sens - bien que. comme ontologie. c'est justement ce 
            qu'elle a essayé de faire -, car cela la garde ouverte à 
            l'irréductible altérité de la transcendance'. » L'impensé renvoie 
            souvent au plus fondamental, au plus originaire et pour cette raison 
            au plus oublié. Ainsi en est-il de l'être selon Heidegger. Toute 
            l'histoire de la métaphysique ne serait que l'histoire d'un oubli de 
            l'être, et même d'un oubli de l'oubli. Doit-on alors ériger la 
            question de la différence des sexes à un tel niveau ontologique? 
            N'est-ce pas trop lui demander, cette fois? Faut-il n'y voir qu'un 
            défaut de la perspective propre à notre époque ou, au contraire, 
            affirmer avec Luce Irigaray tout de go : « Chaque époque, selon 
            Heidegger, a une chose à penser. Une seulement. La différence 
            sexuelle est celle de notre temps2. »Si une telle affirmation est 
            vraie, il n'est pas étonnant que la différence sexuelle résiste à 
            une conceptualisation hâtive. « Impossible à définir, la différence 
            des sexes est à vivre », écrit encore Nicole Chopelin. Mais la 
            philosophie doit-elle se taire sur la vie? Entre la pensée et la 
            vie, faut-il se résigner à consommer la rupture'? Comment penser le 
            rapport à la vie? Si penser la vie, c'est réduire la vie à la 
            pensée, nous allons au-devant de tous les dangers, ceux de 
            l'idéalisme et de l'idéologie. Grande est alors la tentation de 
            passer à côté de la différence sexuelle, voire de la nier purement 
            et simplement dans une attitude de toute-puissance démiurgique. 
            Concluons avec ce propos pénétrant de Marguerite Léna, qui donne le 
            ton juste pour entreprendre une exploration philosophique de la 
            question : « Parce qu'elle est donnée, la différence sexuelle dément 
            le propos d'auto-position de l'homme par lui même; parce qu'elle est 
            une différence, elle interdit à la raison de "faire l'un" trop vite 
            et de céder au vertige de l'uniformité;  
             
           
        
        1. Richard KEARNEY, « De la phénoménologie à l'éthique. Entretien 
        avec Emmanuel Levinas », dans Esprit, n° 234, juillet 1997, p. 130.  
        2. L. IRIGARAY, Éthique de la différence sexuelle, Paris, Ed. de 
        Minuit, 1984, P. 13, faisant écho à ce qu'affirmait déjà le philosophe 
        russe Nicolas Berdiaev «la conscience de notre temps se tient sous le 
        signe de la révélation et de la connaissance du mystère sexuel en 
        l'homme ». 
        
        
          
            
            enfin parce qu'elle met en jeu la fO1,rmidable puissance d'aimer 
            en son obscure indétermination e°harnelle et spirituelle, elle 
            dérobe les conduites aux planificatiq-ns de l'entendement]. » 
            Prévenu des écueils et des difficultés irinhérents au sujet traité, 
            nou, choisirons de pousser aussi loin que possible l'investigation 
            philosophique, de manière à épro4 ver la grandeur mais aussi les 
            limites, voire les insuffisances dile la raison humaine. A cette 
            condition seulement, le recours aux lumières de la foi s'avérera 
            fécond et éclairant, dans la mesare ÇDù il sera exigé par la raison
             
            elle-même.  
            
            UNE HYPOTHÈSE THÉOLOGIQUE INTEMPESTIVE, 
             
            TROUBLE DANS LA PFENSÉE UNIQUE  
            
            À propos de la sexuation humaine et de sa signification, il 
            convenait d'abord de faire entendre, le silence ou du moins la 
            retenue de la philosophie, dès l'antiquité grecque. Mais il convien 
            drait aussi de s'étonner de l'apparent silence de la théologie 
            chrétienne traditionnelle sur ce suJetrt. Certes, la théologie 
            chrétienne s'est constituée en emprontant ses formes conceptuelles 
            aux représentations culturelles et philosophiques qui lui étaient 
            contemporaines et il est parfois difficile de discerner entre une 
            intuition théologique originale et le langage philosophique dans 
            lequel elle s'est formulée. Il reste que confondre platonisme et 
            christianisme est une erreur grossière, dans laquelle tombent encore 
            certains auteurs contemporain;ns2.  
            
           
         
        1. M. LÉNA, « Une différence créance, M. SCHUMACHER (dir.), Femmes 
        dans le Christ, carmélitaines ». 2003, p. 406.  
        2. Sylviane Agacinski n'y échappe pas du moins en partie, dans son 
        effort pour «traquer l'androcentrisme monothéiste chrétien », en 
        attribuant au christianisme l'idée que la différence des sexe serait un 
        malheur, cause du péché originel (là où la Bible y voit une bénédiction 
        explicite de Dieu), et en comprenant le salut chrétien en terme de 
        neutralisation de l'altérité des sexes. À I'évidence, on est ici dans le 
        sillage du mythe platonicien des androgynes, et non dans l'authentique 
        tradition judéo-chrétiennene. S. AGACINSKI. Métaphysique des sexes, 
        masculin-féminin aux sources du christianisme Paris, Éd. du Seuil coll. 
        « La librairie du xxr siècle», 2005.p' 26I .  
        
        
          
            
            Risquons une hypothèse théologique qui peut paraître à certains 
            égards intempestive, voire subversive  1 
            : la tradition judéo-chrétienne, quand elle est comprise à partir de 
            son centre, est riche d'un sens nouveau, essentiel bien que méconnu, 
            éclairant puissamment le mystère de la différence des sexes. Et si 
            le judéo-christianisme si souvent accusé d'avoir méprisé le corps, 
            le charnel et le sexe, et d'être à l'origine d'un patriarcat 
            machiste et misogyne, n'avait pas à nous apprendre du nouveau sur la 
            question ? Allons plus loin: l'intuition judéo-chrétienne provoque 
            la pensée sur la différence sexuelle à une conversion, en 
            l'arrachant à sa tentation totalitaire et en l'appelant à vivre une 
            ouverture sur ce vers quoi cette différence fait signe. La tentation 
            serait ici la prétention à vouloir mettre la main sur la différence 
            sexuelle pour la définir, la relativiser, la dépasser, la réduire, 
            l'instrumentaliser ou la nier. L'autre tentation serait de la 
            déclarer ineffable, au-delà de toute détermination, ou encore 
            définitivement trouble, ambiguë, et in fine insignifiante. Pour 
            dépasser ces écueils, nous proposons de réinterroger la tradition 
            judéo-chrétienne elle-même, paradoxalement mal connue. En quoi la 
            lumière de la Révélation judéo-chrétienne rend-elle possible un 
            renouvellement complet de perspective ? Et si cette tradition si 
            souvent décriée, caricaturée, accusée à tort d'être naturaliste et 
            archaïque, permettait au contraire d'ouvrir des voies nouvelles 
            d'interprétation de la différence des sexes ? Sans doute, le 
            refoulement contemporain par la civilisation occidentale de ses 
            propres racines judéo-chrétiennes rend difficile l'accueil de 
            l'altérité des sexes dans toute la richesse de sa signification 
            originelle et ultime. À l'inverse, nous voudrions montrer que la 
            théologie judéo-chrétienne n'est pas sans ressource pour penser 
            nouvellement le sens de la sexuation. 
            Enfin, une remarque importante pour finir: s'il est vrai que le 
            sens de la différence homme-femme se manifeste d'une façon 
            privilégiée au sein de la relation conjugale, de l'alliance 
            personnelle et stable entre un homme et une femme (ce qui appellera 
            une analyse particulière de la conjugalité), il ne s'agira en aucun 
            cas d'exclure les autres formes de manifestation de la différence 
            sexuelle, notamment dans la vie sociale ou religieuse, et 
            précisément dans le contexte du célibat, qu'il soit subi ou choisi 
            librement comme réponse à un appel personnel (célibat évangélique). 
            L'appel à se donner soi-même, à donner sa féminité ou sa masculinité 
            peut tout autant, bien que différemment, se vivre dans le célibat, 
            consacré explicitement ou non, que dans le mariage. Cette remarque, 
            qu'il ne faudra jamais perdre de vue, restera en toile de fond de 
            toutes nos analyses. 
              
            
           
         
        I. Le mot est de Shmuel TRIGANo : <,La différenciation sexuelle dans 
        la Bible. Une lecture juive subversive », Xlc Symposium du Collège des 
        études juives de l'Alliance israélite unisersclle. « La différence des 
        sexes dans l'égarement contemporain », 1999. Cette conférence a fait 
        l'objet d'un article dans la revue Études, n° 391 I-2. juillet-août 
        1999, p. 63-74.  
        
            
            
             P94 
        
          Chapitre IV 
        La sexuation, 
        figure d'altérité Par la sexualité, le 
          sujet entre en rapport avec ce qui est absolument autre I.  
          Si le concept de différence associé à la 
          problématique de l'égalité renvoie à du comparable, celui d'altérité 
          comme étrangeté absolue rend impossible toute comparaison. Comparer, 
          c'est toujours ramener l'autre au même, en quelque manière. Or, c'est 
          un fait, l'homme et la femme, si semblables et si différents, se 
          rencontrent, sur le lieu même de leur irréductible altérité, là 
          précisément où ils sont incomparables. Rien d'étonnant que cela ne se 
          fasse pas sans peine, sans épreuve. Égaux en dignité et en droits, 
          parce qu'appartenant à la commune humanité, hommes et femmes se 
          rencontrent sur le lieu de leur étrangeté réciproque. Le couple 
          travaille au sens où, en physique, un couple est un jeu de forces 
          opposées, qui, une fois couplées, produisent un effet dans une 
          troisième direction. C'est donc l'altérité des sexes qui est à 
          l'origine de cet inimitable dynamisme : « Ce qui rend le mariage si 
          lumineux et si cruellement thérapeutique, c'est qu'il est la seule 
          relation qui mette véritablement au travail », écrit Christiane 
          Singer2. Démaîtrise, imprévisibilité, mais aussi révélation de l'un 
          par l'autre, ouverture à un avenir nouveau, à une fécondité, telle se 
          présente la relation d'altérité. À ce titre, seule l'union d'un homme 
          et d'une femme peut légitimement constituer un couple. Si la 
          différence homme-femme médiatise l'altérité, c'est parce qu'elle y 
          donne accès, ouvrant à une nouvelle et plus profonde dimension de 
          l'existence.  
         
          1. E. 
          LEVINAS, Totalité et infini, La Haye-Boston-Lancaster, Martinus 
          Nijhoff, 1968, p. 254.  
        2. Ch. SINGER, 
        Éloge du mariage,, de l'engagement et autres folies, Paris, Albin 
        Michel, 200 
       
          p92 
          
        
          
          LA RELATION DIALECTIQUE   
          DE L'HOMME 
          ET DE LA FEMME  
          Le jésuite Gaston Fessard a cherché à dégager le 
          sens de l'altérité sexuelle selon une perspective historique et 
          sociale. Dans le sillage de Marx et de Hegel, il a pensé les relations 
          fondamentales qui engendrent et structurent la société. Le premier 
          type de relation qui saute aux yeux de l'historien, c'est la relation 
          conflictuelle, la lutte pour exister, le rapport de forces. La 
          violence de l'histoire est là pour le rappeler. Mais une société 
          peut-elle naître, vivre et se développer dans le pur rapport de 
          forces, la lutté violente pour la reconnaissance? Complétant la 
          fameuse dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, Fessard 
          introduit une autre relation dialectique qui intègre l'altérité la 
          plus fondamentale, l'altérité sexuelle. Il l'appelle naturellement la 
          dialectique de l'homme et de la femme. Ces deux dialectiques sont 
          structurées par un double rapport: politique d'abord (rapport 
          homme-homme, entre des libertés opposées, d'où la lutte) et économique 
          ensuite (rapport homme-nature, d'où le travail qui humanise la nature 
          et permet à l'homme de subvenir à ses besoins).  
          La dialectique maître-esclave vise d'abord la 
          reconnaissance de soi par l'autre, au terme d'une lutte à mort. La 
          reconnaissance obtenue passe par la négation de l'autre et instaure un 
          rapport à la nature marqué par la violence : l'esclave qui travaille 
          est frustré du produit de son travail et angoissé, le maître qui ne 
          travaille pas jouit du produit du travail de l'esclave. Cette double 
          division (politique et économique) produit une situation instable, qui 
          risque de provoquer un retournement dialectique violent l'esclave 
          maîtrisant la nature qu'il connaît par son travail, se transforme peu 
          à peu, s'humanise jusqu'à pouvoir devenir maître du maître. Mais ce 
          retournement n'est que le début du cycle de la violence, qui, de 
          retournement en retournement, de révolution en révolution, s'avère 
          stérile et mortifère.  
          À l'inverse, la dialectique homme-femme vise d'abord 
          la connaissance de l'autre sexe, au titre de son altérité même. Le 
          désir malgré son ambiguïté s'éveille au-delà du besoin. Il est désir 
          de rencontre de l'autre comme sujet sexué choisi librement, d'où le 
          jeu de la séduction dans la lutte amoureuse. Ce désir de l'autre 
          pousse l'autre à exister, à manifester sa valeur propre. La liberté 
          s'éveille et s'oriente vers la connaissance de l'autre, en particulier 
          au sens le plus immédiat, biblique, où connaître une femme, c'est 
          s'unir charnellement à elle. Dans ce premier moment qui aboutit à 
          l'union, de liberté à liberté, le corps est connu dans son altérité et 
          confirmé dans ses désirs. La femme fécondée par l'homme entre alors en 
          travail, donnant sa matière à l'enfant avant de le mettre au monde par 
          une séparation vitale. Alors seulement l'enfant comme sujet incarnera 
          objectivement leur unité : non seulement l'unité de l'homme et de la 
          femme, mais aussi l'unité des deux rapports (à la nature et à 
          l'homme), d'où une reconnaissance d'amour, unifiante et confirmante 
          pour l'homme et pour la femme  
          La reconnaissance qui a lieu grâce au travail 
          d'enfantement unit non seulement deux êtres divers, mais elle en fait 
          éclore un troisième qui, également lié à chacun d'eux, est le témoin 
          de l'unité ontologique et indissoluble du double rapport de l'homme à 
          l'homme et de l'homme à la nature. Ainsi l'amour, avoir-lieu et 
          être-là de cette reconnaissance, est-il le lien de leur trinité. Et 
          l'apparition de ce troisième être ouvre devant les deux autres la 
          possibilité et la promesse, non seulement d'un accroissement illimité 
          du nombre de ceux qui participent à cette unité, mais aussi d'un 
          progrès sans fin de leur liberté'.  
          La dialectique de l'homme et de la femme, alliant 
          dès l'origine l'altérité de sexes, se révèle puissamment unifiante 
          pour la société tout entière, lui donnant d'advenir, de s'ouvrir à un 
          avenir2.  
          1. G. FESSARD, L'Actualité historique, t. I, « Le 
          mystère de la société. Recherche sur le sens de l'histoire », Paris, 
          Éd. Culture et vérité, 1960, p. 169.  
          2. C. LÉvl-STRAUSS parlera quant à lui de relation 
          de subordination et de relation de communication. É. POUSSET, « 
          Sexualité et morale dans les relations constitutives de l'homme», 
          polycopié du Centre d'études et de recherches philosophiques, 1972, p. 
          93. 
          Les deux dialectiques développées par Fessard 
          peuvent être synthétisées par le tableau suivant  
          
          
          
            
            
          Ces deux dialectiques ainsi schématisées n'opèrent 
          pas indépendamment l'une de l'autre. Elles ne sont jamais chimiquement 
          pures. Elles interfèrent constamment et travaillent l'une et l'autre, 
          en profondeur, la société. La question se pose de savoir quelle est la 
          plus fondamentale, la plus structurelle, à l'origine de la société, 
          selon le critère énoncé par Fessard, à la suite de Marx « L'unité de 
          la société humaine et son progrès ne sont possibles que dans la mesure 
          où politique et économique se mettent en interaction réciproque, 
          chacun se faisant alternativement moyen et fin par rapport à l'autre 
          2. » A première vue historique, la dialectique maître-esclave, 
          instaurant un violent rapport de forces semble triompher, et même 
          venir à bout de la dialectique de l'homme et de la femme. Ne 
          faisons-nous pas le constat historique affligeant de la domination 
          violente de l'homme sur la femme ? Le sexe dit fort profitant de sa 
          supériorité physique, ne manifeste-t-il pas une tendance récurrente à 
          réduire le sexe dit faible à un rôle d'esclave ? La guerre des sexes 
          tout au long de l'histoire semble montrer que c'est bien la lutte 
          violente qui a le dernier mot. Et ce n'est pas le féminisme quand il 
          est compris comme une revanche du sexe faible sur le sexe fort qui 
          aidera à sortir de la violence, puisqu'il ne fait que retourner la 
          situation. Le féminisme historique semble se présenter comme un 
          interminable règlement de compte des femmes à l'égard des hommes3. 
          Fessard ira jusqu'à dire que même si historiquement ce constat est 
          indéniable, il n'empêche qu'on n'a déjà plus à faire à une pure 
          relation maître-esclave.  
         
          1. Le 
          tableau s'appuie sur le texte central dans lequel Fessard expose ces 
          dialectiques : L'Actualité historique, t. I, « Le mystère de la 
          société. Recherche sur le sens de l'histoire », Paris, Culture et 
          vérité, 1960, p. 163-170, notamment page 166. Pour plus de détails, 
          outre le texte de Fessard, nous renvoyons aux synthèses anciennes mais 
          très éclairantes d'Édouard Pousset, notamment l'article « homme » du 
          Dictionnaire de spiritualité, Vlvl, Paris, Beauchesne, III. « 
          Réflexions actuelles sur l'homme », col. 637-646, ou encore l'article 
          « Luttes des classes et société », Cahiers de l'actualité religieuse 
          et sociale, 44, 15 octobre 1972. On peut enfin consulter dans la 
          collection «Que-sais Que-sais-je ? », n° 363, chez PUF, la synthèse de 
          C. BRUAIRE, La Dialectique, 1985, p. 109-114.  
        2. Cité par E. 
        PoussET, s. j., Un chemin de la foi et de la liberté, polycopié de la 
        faculté de théologie de Fourvière, 1971, p. 25.  
        3. À ce sujet, 
        le moment est peut-être venu de poser des actes solennels de repentance. 
        L'homme pourrait demander pardon à la femme, pour les siècles de 
        misogynie, de rapports de forces, de domination qu'il a imposés à la 
        femme, comme l'a suggéré Jean-Paul II dans sa Lettre aux femmes, 1995, § 
        5. 
          
            
          Le rapport 
          des sexes, fût-il violent, est comme travaillé de l'intérieur par une 
          autre logique, qui intègre de fait l'altérité, et qui la convertit en 
          rapport de don et de reconnaissance d'amour. Malgré l'opacité de 
          l'histoire, ce serait donc bien la dialectique homme-femme qui serait 
          première. En effet, la dialectique maître-esclave est radicalement 
          insuffisante pour penser l'engendrement du corps social. D'ailleurs, 
          comment justifier que l'affrontement violent initial ne s'achève pas 
          par la mort du plus faible, auquel cas «la lutte n'aurait été qu'un 
          fait divers de la jungle t » ? D'où vient cette retenue, ce scrupule 
          devant la suppression de l'autre? Et si l'esclave demande grâce, c'est 
          qu'il espère encore, lui aussi, quelque chose de son vainqueur. 
           
          Cela nous 
          conduit à penser que la dialectique maître-esclave n'est intelligible 
          comme puissance d'engendrement social qu'interprétée à la lumière de 
          la dialectique homme-femme. La dialectique homme-femme serait plus 
          originaire que la dialectique maître-esclave. « La relation 
          homme-femme est, on le voit, à la fois "base établie" à toute autre 
          relation sociale et promesse de réunification ou réconciliation 
          par-delà les concurrences et luttes diverses qui tissent aussi 
          l'histoire2. » Sans elle, aucun lien social n'est pensable. Pour qu'un 
          rapport de forces s'instaure, encore faut-il qu'un lien d'humanité 
          existe au préalable, qu'une unité plus originaire le rende possible. « 
          La générosité et la fécondité de la dialectique homme-femme 
          est'l'horizon de tout déchirement et de toute lutte. Elle est aussi la 
          condition d'actualité de toute réconciliation puisqu'elle révèle en 
          acte la communion originaire 3. » La dialectique homme-femme serait 
          donc plus originaire que le rapport de forces, la recherche du 
          pouvoir, ce qui s'oppose à la thèse de Michel Foucault. L'horizon de 
          la communion n'est pas un voeu pieux, simplement idéaliste, puisque 
          celleci est révélée comme étant plus originaire que le conflit. 
           
         
        1. G. FESSARD, 
        L'Actualité historique, p. 142.  
        2. J.-Y CALVEZ, 
        « Homme et femme », dans Études, 3774, (1992), p. 358.  
        3. A. 
        MATTHEEUWS, S'aimer pour se donner. Le sacrement du mariage, Bruxelles, 
        Lessius, colt. « Donner raison », n° 14, 2004, p. 94.  
        
            
          Il est par 
          ailleurs étonnant de constater que, dans un texte de jeunesse, les 
          Manuscrits de 1844, Marx a eu clairement l'intuition de la dialectique 
          homme-femme et de sa priorité naturelle et nécessaire sur la 
          dialectique maître-esclave, bien qu'il n'ait jamais tiré les 
          conséquences d'une telle intuition  
         
        
          
          Le mystère du rapport de l'homme à 
          l'homme (Mensch) trouve son expression non équivoque, décisive, 
          manifeste, sans voiles, dans le rapport de l'homme (Mann) à la femme, 
          et dans la manière dont sont compris leur rapport générique, naturel, 
          immédiat. Le rapport immédiat, naturel, nécessaire de l'homme à 
          l'homme (Mensch) est le rapport de l'homme (Mann) à la femme. Dans ce 
          rapport générique naturel, le rapport de l'homme (Mensch) à la nature 
          est immédiatement son rapport à l'homme (Mensch), de même que le 
          rapport de l'homme à l'homme (Mensch) est immédiatement son rapport à 
          la nature, sa propre détermination naturelle 1.  
            
          Ce texte 
          très dense résume parfaitement l'essentiel, à savoir que la relation 
          entre l'homme et la femme unit ce que le rapport de force 
          maître-esclave disjoint: l'économique et le politique, on pourrait 
          ajouter la nature et la liberté, le corps et l'esprit. , Cette 
          conjonction engendre la vie sociale. La vie conjugale et familiale est 
          donc le lieu où l'homme et la femme peuvent vivre cette coïncidence du 
          politique et de l'économique, car elle est ordonnée au don de la vie. 
          Elle se déploie en maternité, paternité, fraternité. Par elle, le 
          dynamisme du don vient visiter et travailler de l'intérieur la logique 
          de l'affrontement violent et mortifere entre les hommes. Elle seule 
          est porteuse d'une promesse de réconciliation qui préfigure 
          l'accomplissement de l'histoire. C'est ce qui manquait tragiquement à 
          la réconciliation hégélienne et à sa reprise marxiste. De la seule 
          lutte violente, ne peut sortir aucune fin réconciliée de l'histoire.
           
          Au coeur de 
          la dialectique homme-femme, l'union conjugale est le moment singulier 
          de cette réconciliation  
            
          
          L'union conjugale réalise l'intense 
          communion de l'être humain à l'être humain et à la nature, selon une 
          coïncidence des deux rapports qui ne se retrouve nulle part ailleurs 
          dans l'existence humaine. Dans l'union conjugale, le rapport de l'être 
          humain à l'être humain est immédiatement son rapport à la nature, de 
          même que le rapport de l'être humain à la nature est immédiatement son 
          rapport à l'autre être humain. La nature ici, c'est le corps de chaque 
          conjoint, cette fraction de l'univers en laquelle tout l'univers se 
          concentre et se récapitule pour chacun par l'autre. Dans l'union 
          conjugale, la liberté qui se donne s'identifie au corps dans lequel 
          elle s'incarne par lequel elle se communique. Pour  l'homme, il 
          n'y a pas la liberté de la femme et aussi le corps de la femme mais 
          une liberté incarnée, faite chair. Et de même pour la femme à l'égard 
          de l'homme. Cette coïncidence des deux rapports ne se réalise pas dans 
          tous les moments de la vie conjugale, mais elle se produit dans l'acte 
          même de l'union 2  
         
        1. K. MARX, 
        Manuscrits de 1844, trad. É. Bottigelli, Paris, Éd. sociales, coll. « 
        OEuvres complètes de Karl Marx », 1962, p. 86, cité par É. POUSSET, art. 
        « homme » du Dictionnaire de spiritualité, VII/ 1, Paris, Beauchesne, 
        1969, col. 640. 
        2. É. PoussET, 
        Union conjugale et liberté. Essai sur le problème traité par 
        l'encyclique Humanae vitae, Paris, Éd. du Cerf, 1970, p. 28.  
          
        
           Cette 
          conjonction fondamentale, union des contraires, exprimée au plus haut 
          point dans l'union conjugale, est le signe efficace, inscrit dans la 
          chair, du dépassement du rapport de forces (maîtreesclave), le signe 
          de la réconcilitaion de l'homme avec lui-même et avec la nature 
          dégageant l'horizon d'un achèvement réel de l'histoire et le signe de 
          l'ouverture à une fécondité pour le corps social tout entier. La 
          dialectique homme-femme se révèle donc première et plus fondamentale 
          que la dialectique maître-esclave. Au coeur de la société, le don et 
          la communion dans l'altérité sont premiers, avant la lutte pour le 
          pouvoir et le rapport de forces 2.  
          A la lumière 
          de ce qui vient d'être dit, nous sommes conduits à dépasser tout 
          schéma de rivalité, de rapport de forces ou de comparaison, schéma que 
          peut induire le concept de différence, surtout quand il est pensé au 
          pluriel, conduisant à énumérer les différences. Au-delà de tous les 
          soupçons d'inégalité, la différence homme-femme est d'abord un fait 
          qui se donne, avant même que nous cherchions à la qualifier. La 
          différence n'est pas de l'ordre d'une spécificité qui permettrait de 
          dresser le catalogue des qualités ou des rôles masculins et féminins. 
          La définition de l'homme et de la femme, du masculin et du féminin, 
          échappe toujours quelque peu à celui qui veut la saisir.  
             
          L'homme et la femme se définissent comme ils peuvent l'un par rapport 
          à l'autre, mais toujours dans l'événement singulier d'une rencontre 
          intersubjective. C'est de la rencontre réelle et donnée que jaillit la 
          vérité de la différence qui reste à déchiffrer. « La différence naît 
          de la rencontre entre l'homme et la femme,  
          de chaque 
          rencontre entre un homme et une femme 3. » Hommes et 
          femmes se rencontrent certes dans tous les domaines de leur 
           
         
        2. Voilà 
        clairement dépassée la lecture foucaldienne de la sexualité humaine en 
        terme exclusif de rapport de forces, de pouvoir et d'assujetissement.
         
        3. X. LACROIX, 
        L'Avenir c'est l'autre, Paris, Éd. du Cerf, 2000, p. 223 (c'est l'auteur 
        qui souligne).  
        
          vie 
          (sociale, professionnelle, familiale, culturelle, etc.), mais la 
          rencontre amoureuse exclusive entre un homme et une femme qui décident 
          de constituer un couple est incontournable. Il n'y a pas une seule 
          manière de vivre la rencontre amoureuse. C'est alors à chaque couple 
          d'inventer sa différence dans l'événement singulier qui fonde leur 
          alliance, l'un et l'autre révélant d'une manière unique sa masculinité 
          et sa féminité, chacun naissant à son identité sexuée dans la 
          rencontre intime et durable de l'autre sexe'. Il y aurait alors un 
          lien fondamental entre mariage et sens de la sexuation. A contrario, 
          l'expression incongrue « mariage homosexuel» se révèle absurde. C'est 
          un concept purement idéologique, forgé de toutes pièces pour faire 
          exister dans le langage une irréalité 2. Parler de mariage c'est plus 
          que de parler de couple, rencontre empirique de deux psychismes. C'est 
          parler d'alliance, de deux sujets qui se sont librement choisis dans 
          une solidarité durable qui impliquera combats et dépassements des 
          traits caricaturaux et superficiels de chaque sexe. Alors seulement se 
          révélera la différence en sa vérité, comme un don gracieux. La vie 
          conjugale est donc le lieu par excellence de la révélation de cette 
          différence, comme expérience d'altérité 3.  
          Cette 
          approche de la sexuation exigera un changement de méthode. Puisque la 
          sexuation est de l'ordre d'une donation fondatrice d'humanité, ses 
          manifestations seront repérables et descriptibles dans une perspective 
          phénoménologique. Il nous faut quitter le vocabulaire de la 
          détermination (caractéristiques naturelles, culturelles, rôles, etc.), 
          tendant à objectiver des qualités, voire des clichés ou des 
          caricatures, de l'homme et de la femme,  
         
        1. Jean 
        LACxolx a pu écrire : « C'est par le mariage que l'homme devient 
        pleinement homme et la femme pleinement femme », Forces et faiblesses de 
        la famille, Paris, Éd. du Seuil, 1948, p. 64. Ce propos nous semble trop 
        restrictif, laissant entendre qu'un célibataire ne sera jamais 
        pleinement homme ou pleinement femme, ce qui est inacceptable. 
         
        2. Voir à ce 
        sujet Th. CoLLIN, Le Mariage gay, Paris, 2005.  
        3. Certes, à 
        l'adolescence où les identités sont encore incertaines, cette rencontre 
        en vérité est rare. Aussi est-il utile de proposer à cet âge des temps 
        et des lieux non mixtes repérables pour qu'ose peu à peu s'exprimer 
        librement et sans peur l'identité sexuée, aussi bien entre filles 
        qu'entre garçons. Néanmoins, n'est-ce pas dans la rencontre elle-même 
        que l'un et l'autre sexes auront le plus de chance de se libérer de ce 
        que chacun peut avoir d'enfermant ou de caricatural? Dans une mixité 
        réussie, l'autre sexe me révèle qui je suis en vérité. Plus cette 
        rencontre de l'autre sexe en vérité a lieu, plus la différence se 
        manifeste comme une source inépuisable de sens. 
        
          p100 
          .....     
          .....   
          p276    
        LA 
        THÉOLOGIE DU CORPS SEXUÉ  
        SELON 
        JEAN-PAUL II  
        
          
          La théologie du corps qui, depuis le 
          début,  
          
          est liée à la création de l'homme à 
          l'image de Dieu,  
          
          devient aussi, d'une certaine manière 
          théologie du sexe,  
          
          ou plutôt théologie de la masculinité et 
          de la féminité'.  
            
          Le philosophe personnaliste Karol Wojtyla, devenu 
          pape en 1978, a élaboré explicitement, au début de son pontificat, une 
          anthropologie théologique de la personne sexuée qui constitue une 
          synthèse magistrale et audacieuse, susceptible d'éclairer puissamment 
          le sens de la sexuation. La réception de cet enseignement est encore 
          timide, notamment en France.  
          Signification sponsale du corps sexué.  
          L' apport majeur de la réflexion de Jean-Paul II est 
          d'avoir montré, à la lumière de la Parole de Dieu, que le corps en 
          tant qu'il est sexué acquiert une signification nouvelle. Dans le 
          cadre de sa philosophie personnaliste, Karol Wojtyla affirmait déjà 
          l'éminente dignité du corps : « C'est toute la transcendance dynamique 
          de la personne, laquelle en soi est de nature spirituelle, qui dans le 
          corps humain trouve le moyen et le terrain de son expression2. » Mais, 
          c'est par l'amour conjugal comme acte produisant la communion des 
          personnes, lequel commence par la rencontre de l'autre sexe, que la 
          signification du corps sexué apparaît le plus clairement. L'événement 
          de la rencontre de l'autre incarné de l'autre sexe et l'émotion devant 
          son corps sexué deviennent un lieu essentiel d'émergence de la vie 
          personnelle comme capacité de don et d'accueil, par quoi l'humain peut 
          être dit à l'image de Dieu. Jean-Paul II reconnaît dans le cri de 
          l'homme de la femme, « os de mes os, chair de ma chair ! »  
         
        1. JEAN-PAUL 
        II, Homme et femme Il les créa, Une spiritualité du corps, Paris, Éd. du 
        Cerf, 2005, Catéchèse du 14 novembre 1979, p. 55.  
        2. K. WOJTYLA, 
        Personne et Acte, Paris, Éd. du Centurion, 1983, trad. G. Jarczyck, p. 
        233.  
        
          (Gn 2,23), l'expérience inaugurale de l'identité 
          personnelle sexuée. « La profondeur et la force de cette première 
          émotion, de cette "émotion originelle" éprouvée par l'homme, "homme" 
          devant l'humanité de la femme et en même temps devant la féminité de 
          l'autre être humain est vraiment unique1 » Dans la rencontre la plus 
          incarnée entre un homme et une femme, se manifeste la profondeur de la 
          personne. «L'expression "chair de ma chair et os de mes os" acquiert 
          proprement cette signification : le corps révèle l'homme [...]. Dans 
          cette manière de s'exprimer de l'homme "chair de ma chair", il y a 
          aussi une référence à ce pour quoi le corps est authentiquement humain 
          et donc à ce qui détermine l'homme comme personne, c'est-à-dire comme 
          qui est "semblable à Dieu" également dans toute sa corporéité2. » L' 
          émotion de l'homme devant la femme manifeste à quel point le corps 
          sexué révèle la personne elle-même dans le mystère de son être créé à 
          l'image du Créateur. C'est donc jusque dans son corps sexué que l'être 
          humain est à l'image d'un Dieu qui, quant à lui, n'a ni corps, ni 
          sexe.  
          Nous arrivons au cceur de l'enseignement de 
          Jean-Paul II, qui est aussi l'aspect le plus original avec la notion 
          de « sacrement primordial». Il s'agit de penser la signification 
          ultime du corps sexué. Yves Semen résume ainsi la position de 
          Jean-Paul II : « Le corps humain avec son sexe et par son sexe est 
          fait pour la communion des personnes. Le fruit de cette communion 
          comme son rayonnement est la fécondité en une autre personne [...]. Ce 
          qui est premier, c'est la communion; la procréation est seconde car 
          elle est une fruit de la communion [...]. Telle est la signification 
          conjugale de notre corps : nous ne pouvons pas être une personne sans 
          nous donnera. » Le corps sexué indique une structure conjugale, ou 
          sponsale, en ce qu'il est ordonné à la communion des personnes, avant 
          même d'être ordonné à la procréation et au plaisir4.  
         
        1. JEAN-PAUL 
        II, Homme et femme Il les créa, Une spiritualité du corps, Paris, Éd. du 
        Cerf, 2005, Catéchèse du 14 novembre 1979, p. 52.  
        2. Ibid., p. 
        54 et 55.  
        3. Y. SEMEN, 
        La Sexualité selon Jean-Paul Il, Paris, Presses de la Renaissance, 2004, 
        p. 109-111.  
        4. Cela 
        rejoint la position de Xavier Thévenot : des trois fonctions de la 
        sexualité (relation, plaisir, procréation), c'est la fonction de 
        relation et de communication interpersonnelle qu'il place en premier (X. 
        THÉVENOT, Repères éthiques pour un monde nouveau [ 1982], Paris, 
        Salvator, 2002, p. 22-24). Par ailleurs, le 
        
          Le point de départ d'une telle théologie du corps 
          est la notion de création comme donation première et fondamentale, 
          expression de l'amour divin t. À travers le mystère de la création 
          comme don originel, l'homme et la femme s'accueillent réciproquement 
          dans la vérité de leur corps et de leur sexe comme personnes unifiées 
          données l'une à l'autre. Cette situation ne connaît « ni contradiction 
          entre ce qui est spirituel et ce qui est sensible, ni rupture entre ce 
          qui humainement constitue la personne, et ce qui dans l'homme est 
          déterminé par le sexe: ce qui est masculin et ce qui est féminine ». 
          C'est donc dans la lumière de la générosité de l'acte créateur que la 
          signification de la sexuation est révélée. « Il y a un lien très fort 
          entre le mystère de la création, en tant que don qui jaillit de 
          l'Amour, et cette "origine" béatifique de l'existence de l'être humain 
          comme homme et femme, dans toute la vérité de leur corps et de leur 
          sexe, qui est simplement et purement la vérité d'une communion entre 
          les personnes 3. »  
          Jean-Paul II fait donc le lien explicite entre 
          l'acte créateur comme don originaire et le sens de la différence 
          homme-femme. Signe d'une donation originelle, le sexe comme limite 
          inscrite dans la chair prédispose au don de soi, à la communion, à la 
          fécondité. Il s'agit en effet de penser la richesse de la différence 
          homme-femme en son lieu vocationnel propre : le mariage comme mystère 
          de conjugalité, rendant possible un amour personnel, durable et 
          volontaire qui vise la communion des personnes. Mais terme « sponsal » 
          convient mieux que « conjugal ». Nous faisons nôtre ici la remarque 
          d'Yves Semen: «Le terme "conjugal" est purement factuel et désigne la 
          "conjugaison" des différences de tous ordres qui peut être vécue dans 
          le mariage. Ainsi l'union conjugale désigne la conjugaison des sexes. 
          Une traduction plus fidèle exige d'employer l'expression 
          "signification sponsale", même si le terme "sponsal" est peu usité en 
          français. Son étymologie est très significative: "sponsal" vient de 
          sponsa en latin qui veut dire "épouse". Ainsi le corps signifie la 
          vocation aux épousailles de la personne, c'est-à-dire au don d'ellemême, 
          ce qui dit beaucoup plus que la simple conjugaison des différences », 
          Y. SEMEN, La Sexualité selon Jean-Paul II, Paris, Presses de la 
          Renaissance, 2004, p. 108 et 109.  
         
        1. « "Dieu vit 
        tout ce qu'il avait fait et voici que c'était très bien". Ces paroles 
        nous font entrevoir dans l'amour le motif divin de la création, comme la 
        source dont elle jaillit: seul l'amour en effet engendre le bien et se 
        complaît dans le bien (voir 1 Co 13). Aussi la création comme action de 
        Dieu [...] signifie aussi [...] donation », Catéchèse du 2 janvier 1980, 
        p. 75.  
        2. JEAN-PAUL 
        II, Catéchèse du 2 janvier 1980, p. 73.  
        3. JEAN-PAUL 
        II, Catéchèse du 9 janvier 1980, p. 79.  
        
          c'est bien en tant qu'être incarné et sexué, 
          c'est-à-dire en tant que l'aptitude à la relation d'amour comme don de 
          soi est inscrite dans la chair, que l'homme est dit « à l'image de 
          Dieu ». Si l'auteur de Genèse 1, 27 écrit « mâle et femelle », là où 
          il aurait pu se contenter de « homme et femme », n'est-ce pas pour 
          insister sur cet ancrage charnel de l'image de Dieu ? À partir de ce 
          fondement originel, penser théologiquement la sexuation humaine 
          s'impose comme une tâche nécessaire : « La théologie du corps qui, 
          depuis le début, est liée à la création de l'homme à l'image de Dieu, 
          devient aussi, d'une certaine manière théologie du sexe, ou plutôt 
          théologie de la "masculinité" et de la "féminité" qui a son point de 
          départ dans le livre de la Genèse'. »  
          Dans ce contexte précis, la sexuation apparaît comme 
          le signe inscrit dans la chair du don originel et premier de la 
          création.  
          Voici ce qu'est le corps: un témoin de la création 
          en tant que don fondamental, donc un témoin de l'Amour comme source 
          dont est né le fait même de donner. La masculinité-féminité - 
          c'est-à-dire le sexe - est le signe originel d'une donation créatrice, 
          d'une prise de conscience de la part de l'être humain, homme-femme, 
          d'un don vécu, pour ainsi dire, de la manière originelle. C'est avec 
          cette signification-là que le sexe prend sa place dans la théologie du 
          corps 2.  
          L'expérience de la nudité originelle, réciproque, 
          sans honte, exprime le fait que la personne est libérée de l'aspect 
          instinctif, animal, déterminé de son propre corps sexué.  
          La signification sponsale du corps est alors une 
          révélation et une découverte à la fois  
          Le corps humain avec son sexe, sa masculinité et sa 
          féminité, vu dans le mystère de la création est non seulement une 
          source de fécondité et de procréation, comme dans tout l'ordre 
          naturel, mais il comprend depuis « l'origine » l'attribut « sponsal », 
          c'est-à-dire la capacité d'exprimer l'amour: cet amour, justement, par 
          lequel l'homme-personne devient don et - par l'intermédiaire de ce don 
          - réalise le sens même de son essence et de son existence3. 
          C'est donc le don désintéressé de soi-même, comme 
          signe d'une donation originelle, qui révèle la beauté et la valeur 
          éternelle de la sexuation, de la féminité et de la masculinité'. La 
          relation interpersonnelle entre l'homme et la femme se caractérise 
          comme don de soi à l'autre et accueil du don de l'autre. Éclairons en 
          nous inspirant de l'ontodologie de Bruaire. Le don de soi est un don 
          libre dans la mesure où le donateur est un être donné à luimême par 
          Dieu, donc libre. L'accueil de l'autre comme don est possible dans la 
          mesure où l'autre est donné par Dieu, comme un être donné à soi-même. 
          La signification sponsale (ou conjugale) du corps « indique une 
          capacité particulière d'exprimer l'amour dans lequel l'être humain 
          devient don » à laquelle correspond une « profonde disponibilité à 
          l'affirmation de la personne ». C'est une « capacité de vivre le fait 
          que l'autre - la femme pour l'homme et l'homme pour la femme - est, 
          par le moyen du corps, quelqu'un que le Créateur a voulu "pour 
          lui-même", c'est-à-dire l'unique, l'impossible à répéter, quelqu'un 
          voulu par l'éternel Amour2 ». C'est parce que l'homme et la femme se 
          reçoivent mutuellement des mains du Créateur qu'ils sont, en leur 
          corps sexué, l'un pour l'autre absolument uniques. Cette capacité 
          révèle la signification la plus profonde du corps sexué, et rend 
          possible la communion des personnes : « L' affirmation de la personne 
          n'est rien d'autre que l'accueil du don (l'homme est donné à la femme 
          par Dieu, la femme est donnée à l'homme par Dieu) qui par sa 
          réciprocité crée la communion des personnes3. »  
         
        1. « Le corps 
        humain, orienté intérieurement par le "don sincère" de la personne, non 
        seulement révèle la masculinité et féminité sur le plan physique, mais 
        il révèle une valeur telle et une beauté telle que la dimension 
        simplement physique de la sexualité est totalement dépassée », JEAN-PAUL 
        II, Catéchèse du 16 janvier 1980, p. 85.  
        2.Ibid., p. 
        85.  
        3. Ibid., p. 
        86. Une synthèse de la « signification sponsale » du corps sexué a été 
        donnée en 1995: « Masculinité et féminité sont des dons complémentaires. 
        De ce fait la sexualité humaine est partie intégrante de la capacité 
        concrète d'amour que Dieu a inscrite dans l'homme et la femme [...]. 
        Cette capacité d'amour comme don de soi est "incarnée" dans le caractère 
        sponsal du corps dans lequel s'inscrit la masculinité et la féminité de 
        la personne», CONSEIL PONTIFICAL POUR LA FAMILLE, Vérité et 
        signification de la sexualité humaine, 8 décembre 1995, 
        Droguet-Ardant-Mame, 1996, § 10.  
        
          La communion des personnes, échange de dons entre 
          l'homme et la femme.  
          La structure « donner-accueillir le don » conduit à 
          la révélation réciproque de l'homme et de la femme, de l'homme par le 
          don de la femme et de la femme par le don de l'homme. Cette structure 
          donne d'entrer dans la communion des personnes. La vérité de la 
          sexuation est interprétée par le don mutuel qui révèle les personnes à 
          elles-mêmes et à l'autre, ce qui créé la communion des personnes, en 
          vertu de la connexion entre don et accueil du don : « Donner et 
          accepter le don se compénètrent de sorte que le fait de donner 
          lui-même devient acceptation et celui d'accepter revient à donner'. »
           
          La communion des personnes induit un dynamisme 
          d'approfondissement du don mutuel et de révélation réciproque de sa 
          propre identité sexuée. Ce processus concerne d'abord l'être de' la 
          femme  
          La femme, qui dans le mystère de la création est « 
          donnée » à l'homme par le Créateur, est grâce à l'innocence 
          originelle, « accueillie » par lui, c'est-à-dire acceptée comme don 
          [...]. L'acceptation de la femme par l'homme et sa manière de 
          l'accueillir deviennent quasi une première donation, si bien que la 
          femme en se donnant [...] « se découvre elle-même », grâce au fait 
          qu'elle a été acceptée et accueillie, et en même temps, grâce à la 
          manière dont elle a été reçue par l'homme2.  
          Cette révélation de la femme à elle-même et à 
          l'homme, par son don et l'acceptation par l'homme de son don, génère 
          une dynainique particulière : dans « l'offrande de ce qu'elle est dans 
          toute la vérité de son humanité et dans toute la réalité de son corps 
          et sexe, de sa féminité, elle atteint la profondeur intime de sa 
          personne et parvient à la pleine possession de soi-même ». Le fait de 
          se trouver soi-même dans son propre don devient source d'un nouveau 
          don de soi, produisant la réciprocité et l'approfondissement du don. « 
          La femme est dès l'origine confiée à ses yeux, à sa conscience, à sa 
          sensibilité, à son "coeur" [...]. [L'homme] doit  
         
        1. JEAN-PAUL 
        II, Catéchèse du 6 février 1980, p. 95. 
         2. Ibid. 
        
          avec le Christ dont le Moi divin veut informer tout 
          leur être : Ceci est Mon Corps, Ceci est Mon Sang'. » Inversement, 
          nombreux sont les mystiques qui, à la suite du Cantique des cantiques, 
          utilisent le langage de l'amour humain pour traduire l'union 
          spirituelle à Dieu. Sainte Angèle de Foligno, méditant sur la croix, 
          ose écrire : « J'étais tellement enflammée que, me tenant debout à 
          côté, je me dépouillai de tous mes vêtements et m'offris tout à luit. 
          » Le mystère eucharistique serait essentiellement un mystère nuptial. 
          Selon la métaphore qui court tout au long du Nouveau Testament, 
          l'Église, communauté des croyants, est comme l'Épouse qui vient à la 
          rencontre du Christ-Epoux qui s'offre à elle.  
          Faut-il pour autant aller jusqu'à développer un 
          parallèle strict entre liturgie eucharistique et amour conjugal? 
          Peut-on retrouver dans l'échange intime des amants des étapes 
          comparables à celles qui rythment la liturgie eucharistique 
          (schématiquement : purification, pardon, écoute de la Parole, 
          profession de foi, offertoire, communion, envoi) ? En évitant de 
          durcir le trait ou de tomber dans un concordisme dé' mauvais aloi, en 
          prenant soin de laisser au langage des corps toute sa fantaisie et son 
          imprévisibilité, et en maintenant la distance dans ce qui ne peut être 
          qu'une analogie, on retiendra tout de même la signification symbolique 
          d'un tel rapprochement. Esquissons-le sommairement. Si dans l'amour 
          conjugal, une purification est requise, elle concerne l'âme mais aussi 
          le corps : « Le Christ a aimé l'Église: il s'est livré pour elle, afin 
          de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau3. » Se demander 
          pardon conduit à retrouver la communion des coeurs. Le dialogue, 
          échange de paroles, clarifie les désirs, les intentions, les attentes 
          réciproques. La parole permet de s'inscrire à nouveau dans une 
          histoire commune en renouvelant la confiance en l'autre, la confiance 
          en soi-même, la confiance dans l'amour qui nous lie, la confiance en 
          l'avenir. Il faut que cette confiance soit dite à l'autre, telle une 
          confession de foi. Après avoir constaté et vécu l'accord sur 
          l'essentiel qui fait tenir, peuvent alors survenir l'abandon, 
          l'offrande et le partage des corps. L'offrande des corps devient 
          offertoire. «L'homme et la femme deviennent le pain et le vin de 
          l'eucharistie », écrit le théologien orthodoxe  
         
        1. Ibid., p. 
        66 et 67.  
        2. Cité par M. 
        DUBOST, Les Femmes, Paris, Marne-Pion, 2002, p. 94. 3. Ep 5,25-26.
         
        
          Jean Chryssavgis. S'offrir c'est s'abandonner, 
          lâcher prise, se laisser regarder par l'autre dans sa nudité, sans 
          crainte, comme une icône qui donne à goûter la présence de l'invisible 
          : « Il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans 
          tache ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée ; de la même 
          façon, les maris doivent aimer leur femmes comme leurs propres corps'. 
          » L'offrande mutuelle des corps exprime un sommet de l'amour, dans la 
          mesure où c'est l'offrande de toute la personne qui est en jeu. 
          L'offrande réciproque des personnes est alors comme plongée, vivifiée, 
          purifiée, personnalisée, dans l'Offrande amoureuse du Christ. Ce 
          mouvement du don mutuel des corps, et donc des personnes, est un 
          mouvement de désappropriation et d'abandon qui conduit à vivre 
          l'ouverture spirituelle à la source de tout don. « Ni le mari ni la 
          femme ne s'approprie ce que l'autre offre. Au contraire, chacun 
          l'offre en retour - en même temps que son propre être - à la source de 
          toute vie, à Dieu, que chacun de nous vient contempler, et rencontrer, 
          et aimer dans l'autre », écrit un théologien orthodoxe 2.  
          En maintenant fermement la distance entre 
          l'existentiel et le sacramentel, concluons qu'il y aurait une sorte 
          d'éclairage réciproque entre la communion eucharistique et la 
          communion conjugale. La communion eucharistique réalise et déploie le 
          don parfait, définitif et sans réserve du Christ aux hommes, en son 
          corps et son sang. Ce don premier introduit la personne dans le 
          dynamisme eucharistique de la vie trinitaire, dans l'action de grâce 
          éternelle du Fils au Père. C'est donc par la chair livrée du Verbe 
          incarné que l'eucharistie éternelle se communique sacramentellement 
          aux hommes et aux femmes. Ceux-ci sont alors rendus capables 
          d'exprimer par le don de leur personne, et en particulier, par le don 
          réciproque de leur corps, une communion qui vient de plus loin 
          qu'eux-mêmes. 
         
        1. Ep 5,27-28.
         
        2. Jean 
        CHRYSSAVGIS, « Amour, mariage et sexualité », première publication dans 
        Souroge, revue du diocèse du patriarcat de Moscou en Grande-Bretagne. 
        Traduit de l'anglais par le Service orthodoxe de presse, SOP n° 275, 
        février 2003. 
        
           Ainsi, la 
          communion conjugale pourrait tout entière être récapitulée (au 
          sens théologique qu'Irénée de Lyon donnait à ce terme dans sa doctrine 
          de la récapitulation) dans les paroles du Christ lues lors de la 
          consécration eucharistique : « Ceci est mon corps. » Saisi dans 
          l'offrande eucharistique du Christ, l'amour humain en son expression 
          chamelle et sexuée, par-delà ses fragilités, ses ambiguïtés ou ses 
          errances, retrouve son orientation originelle, sa signification 
          conjugale, sa capacité de don authentiquement personnel.  
          
            
              
                
                Ceci est mon corps
                 
                
                Blasphème ou réalité?  
                  
                
                Toute recueillie, je crois pouvoir aujourd'hui 
                prononcer devant toi ces mots divins  
                
                « Ceci est mon corps »  
                
                Je prends à deux mains ce corps,  
                
                avec sa pesanteur matérielle, ses élans et ses 
                résonances,  
                
                avec la profondeur de sa sensibilité, et la 
                richesse de son monde affectif... ses maternités, ses 
                engendrements sans fin... avec son insatiable soif d'éternité.
                 
                
                « Ceci est mon corps »... que je te donne en 
                nourriture.  
                
                Reçois-le en toi, comme le don le plus achevé que 
                je puisse te faire, de l'être que je suis, moi, ton épouse.
                 
                
                En échange, tu me donnes, et je te reçois 
                 
                
                ton corps d'homme, fait de vigueur et de 
                puissance.  
                
                Avec ses violences et ses fougues, ses tentations 
                et sa fécondité... Avec ses dons originaux, ses projets 
                exubérants, et sa poursuite essoufflante du but, du seul but de 
                ta vie. Avec ton âme tranchante comme une épée, pure comme un 
                lac. Et cette clarté de Dieu qu'elle reflète.  
                
                « Ceci est mon corps »  
                
                Quand nous communions l'un à l'autre, 
                 
                
                ce n'est pas un blasphème de dire que nous 
                communions au Christ dont chacun de nos êtres est pétri. 
                 
                
                En toi et moi, péchés et misères, joies et peines 
                du couple, deviennent unique Hostie à l'image du Christ. 
                 
                
                Qu'en Lui, par Lui, avec Lui, soit enfin 
                sanctifié l'amour d'un homme et d'une femme devenu Cantique 
                d'action de grâces, Messe à la gloire de Dieu 1.  
               
             
            
                  
             
           
          Une lecture précise du Cantique des cantiques 
          confirmerait le lien sacramentel entre rencontre amoureuse et 
          communion eucharistique, d'une façon aussi surprenante qu'audacieuse. 
          Ce poème, indissociablement érotique et mystique, exprime le désir et 
          la rencontre entre le bien-aimé et sa bien-aimée, mais aussi 
          indissociablement le désir et la rencontre entre l'homme et son Dieu.
           
          1. ANCELLE, 
          Le Mystère du couple, Éditions ouvrières, 1964. 
          .... cité 
          dans 
          Homme et 
          femme l’altérité fondatrice 
          de 
          François de Muizon Cerf  p 288 
          La langue hébraïque célèbre très concrètement le 
          corps de l'être aimé(e), jusqu'en son intimité. Citons un verset parmi 
          bien d'autres : « Ton nombril est une coupe arrondie, où le vin 
          parfumé ne manque pas ; ton ventre est un amas de froment, entouré de 
          lys 1. » Ce qui est traduit ici par « nombril » (shrrk) signifierait 
          aussi « creux, matrice, coupe dans laquelle on peut mettre le vin », 
          ou plus crûment « vulve » 2. Le corps de l'amante est présenté comme 
          le réceptacle de la semence masculine représenté par l'amas de froment 
          ainsi que le lieu de l'ivresse du plaisir symbolisé par le vin 
          parfumé. Dans l'amour conjugal, le don de la vie est symbolisé par les 
          attributs mêmes de l'eucharistie, le pain et le vin. Enfin, à l'instar 
          de la communion eucharistique, le temps de la communion intime est un 
          temps privilégié, mais qui s'ouvre sur l' après, sur le quotidien 
          d'une relation vécue dans l'opacité des corps et des situations3.
           
          Le rapprochement était audacieux, certes, et trop 
          vite esquissé, mais au moins a-t-il le mérite de prendre au sérieux le 
          réalisme du sacrement et d'indiquer l'horizon herméneutique ultime du 
          langage du corps et des gestes sexuels : l'offrande, l'action de 
          grâce, l'eucharistie éternelle vécue par le Fils en sa chair. La 
          prière « que l'Esprit saint fasse de nous une éternelle offrande à ta 
          gloire4 », ne doit-elle pas se vivre jusque dans l'offrande des corps 
          ? « Votre corps est le Temple du Saint-Esprit qui est en vous [...]. 
          Glorifiez donc Dieu par votre corps ! 5 » S'il s'agit  
         
        1. Ci 7, 3.
         
        2. La TOB y 
        voit « un euphémisme pour désigner le pubis, le sexe, partie du corps 
        qui peut être décrite comme un croissant et qui est ainsi représentée 
        sur les statuettes des femmes nues retrouvées au Moyen-Orient », 
        Traduction oecuménique de la Bible, Ancien Testament, Paris, Éd. du 
        Cerf, 1983, note w, p. 1608.  
        3. Ce 
        paragraphe s'inspire des intuitions du sexologue Olivier Florant, qui 
        développe un tel parallèle. Sans doute ne prend-il pas assez de 
        précautions et at-il tendance à sacraliser le plaisir d'une manière 
        ambiguë. Néanmoins l'idée est suggestive: « Dans l'effusion génitale, le 
        couple vit la joie d'être tout en soi et tout à l'autre. Bien sûr cette 
        communion ne dure qu'une fraction de temps. Puis une partie secrète de 
        chacun se referme, comme se referme l'iconostase. Chacun revient sur 
        terre et reprend sa route propre, comme lors de l'envoi final à la 
        messe. Il vit de nouveau l'absence physique de l'être aimé. [...] Cette 
        solitude ne fait pas peur; le conjoint est présent en esprit, dans 
        l'attente confiante de la suite. Chacun se sent plus fort pour affronter 
        le monde », O. FLORANT, Ne gâchez pas votre plaisir, il est sacré. Pour 
        une liturgie de l'orgasme, Paris, Presse de la Renaissance, 2006 p. 200 
        et 201.  
        4. Rituel 
        catholique de la messe, Prière eucharistique n° 3.  
        5. 1 Co 
        6,19-20. 
        
          d'abord de l'eucharistie éternelle du Fils qui rend 
          grâce au Père, dans le dynamisme de l'Esprit, celui-ci, Verbe incarné, 
          entraîne dans son mouvement l'humanité tout entière. Le mystère 
          eucharistique révèle qu'il nous faut chercher au coeur du mystère 
          trinitaire lui-même la lumière absolument décisive sur le sens de 
          l'altérité homme-femme.  
          p290 
          LE MYSTÈRE CONJUGAL, 
           
          PARTICIPATION AU MYSTÈRE 
          TRINITAIRE  
          
          Quand le mari et la femme s'unissent dans le mariage,
           
          
          ils ne forment pas une image de quelque chose de 
          terrestre,  
          
          mais de Dieu lui-même'.  
          
          Au caeur du mystère trinitaire.  
          Il n'est nullement question ici de développer toute 
          la richesse du dogme trinitaire, ni a fortiori de prétendre épuiser le 
          mystère. Remarquons d'abord que la philosophie rationaliste, avant 
          Hegel notamment, n'a pas considéré le mystère trinitaire comme digne 
          d'intérêt pour la raison2. Par ailleurs, les spéculations trinitaires 
          médiévales à dominante ontologique ayant insisté sur les propriétés 
          des personnes, et leur commune nature, ne semblent pas les mieux 
          adaptées pour entrer dans la profondeur du mystère. Suivons ici le 
          conseil de saint Augustin : « Pourquoi laisser papillonner çà et là ta 
          pensée ? Dieu n'est rien de tout ce que tu imagines, rien de tout ce 
          que tu crois comprendre. Tu veux en avoir quelque avant-goût: Dieu est 
          amour (caritas)3. » C'est donc sous l'angle de la charité et de la 
          relation que nous nous approcherons du mystère. Cette approche devrait 
          nous permettre d'articuler des concepts aussi centraux que ceux de 
          personne, de relation, de don, de pluralité et de différence, de 
          communion et d'unité.  
          1. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, PG 61/215 et 62/387.
           
          2. « Du dogme de la Trinité pris à la lettre, on ne 
          saurait tirer absolument rien pour la pratique », E. KANT, Le Conflit 
          des facultés, trad. A. Renaut, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 
          p. 841.  
          3. SAINT AUGUSTIN, Sermon 21, n. 2. 
         
         
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