«Acte d'amour» ou «homicide volontaire»? Le 10
novembre dernier, Jean Mercier, un octogénaire de Saint-Etienne,
dans la Loire,
a aidé son épouse à mettre fin à ses jours en lui donnant des
médicaments. Mis en examen pour «homicide volontaire» et
«non-assistance à personne en danger», cet homme est membre de
l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD),
raconte que lui et sa femme s'étaient mis d'accord pour abréger
les souffrances de l'autre si leur fin de vie était trop
douloureuse.
A bientôt 84 ans, cette dernière était
dépressive, souffrait d'arthrose et bougeait difficilement. «Il
est injuste de traiter des gens qui commettent des actes d'amour
comme des criminels», estime son avocat, Me Mickaël Boulay. Jean
Mercier est lui-même atteint d'un cancer de la prostate et de la
maladie de Parkinson.
Pouvez-vous expliquer votre geste?
Ma femme et moi avions décidé de longue date que
si l'un d'entre nous était en très mauvais état, l'autre
l'aiderait à partir. Elle allait mal depuis plusieurs années: elle
était dépressive et avait de l'ostéoporose. Elle s'est cassée le
poignet quinze jours plus tôt et avait du mal à guérir. C'est la
goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Elle souffrait et elle
était à bout. Elle m'a demandé de lui donner des médicaments pour
en finir.
Il s'agissait peut-être d'un épisode
dépressif. Comment s'assurer de la solidité de sa décision?
Elle avait déjà fait plusieurs tentatives de
suicide quand elle était plus jeune. C'était des appels au secours
et, à chaque fois, j'ai appelé le SAMU pour la sauver. Quand elle
m'a demandé de partir, j'ai essayé de l'en dissuader. Je lui ai
proposé de prendre un anxiolytique et d'attendre de voir si cela
pouvait l'aider. Elle m'a répondu qu'elle n'avait pas envie de se
sentir mieux l'espace de quelques heures. Elle voulait vraiment
mourir.
Comment avez-vous procédé?
J'avais des médicaments que j'avais cachés pour
qu'elle ne les prenne pas toute seule sur un coup de tête. Je les
ai décapsulés et je lui ai donnés. Je suis resté à ses côtés.
Pendant une dizaine de minutes, avant qu'elle ne s'endorme
doucement, nous avons parlé comme jamais nous ne l'avions fait de
nous, de nos enfants, de nos petits-enfants. C'était un moment
incroyable, très apaisé.
C'est une décision lourde et un acte
difficile...
Pour moi, c'est affreux. Nous avions tout fait
pour banaliser la mort. On a beau tout faire pour s'habituer à
cette idée, c'est très difficile. L'idéal serait de mourir
tranquillement dans les bras de ses proches sans avoir à prendre
ce type de décision.
Vous avez été mis en examen pour
homicide volontaire
Je savais que j'allais au devant d'ennuis
judiciaires mais je referai le même geste même si l'on me condamne
à 20 ans de prison. Je comprends que l'on fasse une enquête car il
arrive que des personnes puissent être tuées. Il faut bien
vérifier qu'il s'agit d'un suicide. Le juge m'a dit que
l'accusation d'homicide volontaire ne tiendrait pas forcément sans
éléments nouveaux.
Qu'en pensent vos enfants?
Ils étaient totalement d'accord et ils me
soutiennent. Je ne l'aurais pas fait sans eux.
Souhaitez-vous que la loi sur la fin de
vie évolue?
Oui, c'est une question incontournable. L'idéal
serait qu'un médecin puisse prendre ce genre de décision à la
place du malade même si je sais que c'est compliqué. Les soins
palliatifs peuvent être une solution mais pas pour tout le monde
car ma femme n'était pas hospitalisée et n'était pas en fin de
vie.