L'homme, domaines d'activités  ..... Hannah Arrendt vu par Raynald Belay  

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vu par  M. Raynald Belay, agrégé de philosophie et réacteur  de l'introduction à l'oeuvre d'Hannah Arrendt  parue dans l'un des tomes de la collection Philosophie contemporaine, publié par France-Loisirs.

 

voir aussi: Origines du totalitarisme, oeuvre fondamentale d'Arendt au sens où elle y pose les fondements de toutes ses recherches ultérieures ....Hannah Arendt

 

 

Comment décrire de la façon la plus générale l'existence humaine ? Sur quoi fait-elle fond ? .... Arendt va chercher à examiner les conditions fondamentales de celle-ci, qui vont constituer les assises du «vivre­ensemble» humain. Pour cela, elle procède à une distinction entre trois domaines de notre activité : celui du travail, celui de l'oeuvre et celui de l'action. Si ces concepts sont bien dis­tincts, leur position abrupte doit être tempérée parce qu'on les rencontre toujours sous une forme mêlée.

Le travail est tout d'abord l'activité qui correspond au processus biologique du corps humain, et ce qui est exigé par la survie de celui-ci. Le travail est pris dans le cycle déterminé biologiquement de la production et de la consommation et ne peut en quelque sorte pas s'en extraire. Pour le dire grossièrement, le travail ne nous procure que les conditions de notre survie, et non ce qui fait de nous des hommes proprement dits. C'est la raison pour laquelle toute activité laborieuse était tenue en mépris dans l'Antiquité. Arendt s'inquiète de constater que cette forme, certes fondamentale mais inférieure, de notre activité tend à l'âge moderne à prendre le pas sur les deux autres. C'est elle qui nous enferme dans le cycle insatiable du travail et de la consommation.

L'oeuvre est l'activité par laquelle l'homme crée un monde, c'est-à-dire modifie l'environnement naturel qui lui est donné pour établir un séjour conforme à ce qu'il veut. Les oeuvres sont en ce sens tout ce par quoi l'homme a modifié le donné naturel et inscrit des traces durables de sa présence et de son activité. Il y a une différence temporelle importante entre le travail, qui ne s'effectue que pour disparaître dans la consommation et l'entretien de la vie, et l'oeuvre qui demeure, suscite ainsi un monde commun, une histoire et une tradition..... ( rs une civilisation ??)

Enfin, l'action, activité la plus haute selon Arendt, est celle qui met directement en contact les hommes entre eux sans intermédiaire matériel et grâce à laquelle ils organisent et prennent en main les formes collectives de leur existence. Pour que l'action soit possible, elle suppose la pluralité, c'est-à-dire des différences entre les hommes (y compris des oppositions), ainsi que le terrain commun sur lequel ces différences peuvent apparaître et être présentées, ce qu'Arendt nomme « espace d'apparence » et que la sphère publique va rendre possible.

Il y a une stricte hiérarchie de valeurs entre ces trois activités, qui fait que leur subordination ne peut s'exercer que dans le sens de cette hiérarchie. On doit cependant les articuler en tant qu'elles contribuent diversement et selon trois niveaux nécessaires à l'édification d'un monde humain, ayant stabilité et pouvoir de durer. Par opposition au processus indéfini du totalitarisme, il faut établir les conditions d'un séjour durable des hommes, la durée étant le critère de la réalité et du sens.

Le danger de la modernité tel que l'analyse Arendt consiste à renverser cette subordination et à régler l'action politique selon les procédés utilitaires de la fabrication, empruntés au niveau intermédiaire de l'oeuvre. La substitution de la gestion et de la simple administration des affaires publiques à l'authentique décision politique constitue un risque patent de voir disparaître toute forme de politique digne de ce nom au profit d'un contrôle de la sphère publique par les experts, dans une confusion du sens (« en raison de ») et de l'utile (« afin de ») qui est une négation du politique, sa dégradation au rang de technique instrumentale de fabrication. 

De même, la distinction fondamentale entre privé et public, acte de naissance du politique dans la Grèce de Périclès, tend, dans la modernité, à disparaître au profit de la notion confuse de « social », qui importe dans la sphère publique des considérations dont l'origine se situe dans la sphère privée, comme la prise en charge par l'État du bonheur des individus. C'est moins cette prise en charge comme telle que sa confusion avec l'activité politique digne de ce nom que déplore Arendt. Encore une fois, l'utilisation de la référence grecque n'a pas pour fonction d'établir un modèle du politique, mais seulement de fournir une pierre de touche pour questionner notre modernité

30.11.02

Résonances .....rs.

Nous retrouvons là ...homocoques ...composé ici de trois coques.

L'homme complet et celui qui a la pleine jouissance de ces trois attributs ...

L'homme moderne est un homme éclaté...  un ensemble-HOMENTRANCHE. Le strate du travail étant confié au peuple... celui de l'oeuvre, aux entrepreneurs et des créateurs...aux intellectuels ... de l'action, celui des politiques (y compris les syndicalistes ...on remarquera d'ailleurs que bien souvent ), des médias, des religions... et je dirais même de l'Education nationale avec « l'instruction civique et sexuelle » et les exercices pratiques des élèves aux manifestations dans la rue...

le 30 octobre 2002

Les vivants voudraient que leur vie soit un film, et les personnages des films voudraient être vivants.   Woody ALLEN 

.de "l'espace d'apparence" ..au monde des apparences

 

Source  : Amazone.fr    en 05.06

LIVRE : Condition de l'homme moderne
de Hannah Arendt

 Notre prix :  EUR 7,51

 

Chroniques et points de vue

L'homme moderne perd sa vie à la gagner. Que fait-il, en effet ? Travailler pour subvenir à ses besoins ? Oeuvrer pour construire un monde d'objets dont les plus éminents sont les oeuvres d'art ? Agir au sens politique du terme pour instituer un monde commun régi par des valeurs communes ? Sans conteste, de ces trois modalités de la vie active (par opposition à la vie contemplative des Anciens), la dernière est désormais sacrifiée. Notre époque est ainsi marquée par le dépérissement du politique et le triomphe de l'économie. La condition de l'homme moderne est celle d'un homo laborans qui ne se reconnaît plus dans ce qu'il fait, et non celle de cet animal politique, comme le définissait Aristote, qui se construisait en construisant la cité.

L'horreur économique n'a pas attendu la mondialisation pour alerter les philosophes. Ne patientez pas jusqu'à la prochaine dépression boursière pour vous donner le loisir de lire ce classique résolument moderne ! --Paul Klein

--Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.

Idées clés, par Business Digest

La glorification de la vie active.

La modernité se caractérise essentiellement par un renversement, qui consiste à faire de la vie active, et non plus de la vie contemplative, ce qui constitue l'humanité de l'homme. Cette inversion est aussi ce qui fonde l'aliénation de l'homme moderne, qui finit par ne plus comprendre ce qu'il fait.

Travail, oeuvre, action : trois modalités fondamentales de la vie active.

La vie active désigne trois manières pour l'homme d'être lié au temps : l'homme travaille pour survivre, il produit des oeuvres pour conférer une permanence à son existence, ses actions sont la condition même de l'Histoire. En sur-valorisant le travail, la modernité condamne l'homme au caractère éphémère de la vie.

L'action comme condition du politique.

Sans l'action et le langage qui les sauvent de l'oubli, le travail et les oeuvres des hommes n'auraient aucun sens. En valorisant la production d'objets matériels au détriment de l'action des hommes dans le monde, la modernité aboutit nécessairement à une dégradation du politique : les hommes n'ont plus de monde en commun. --Ce texte fait référence à l'édition Broché.

Business Digest

Notre rapport au monde, au travail, à l'action, est gouverné par une idéologie d'autant violente qu'elle s'impose sur un mode implicite. Il va de soi que celui qui ne produit pas n'existe pas ; il va de soi que travailler c'est produire et que vivre c'est consommer ; il va de soi qu'il faut produire plus, plus vite, avec le minimum de coûts. Hannah Arendt expose (souvent sur un mode confus et moins opératoire que Marx) la réduction idéologique mortelle auquel le monde moderne s'est soumis comme s'il s'agissait d'une fatalité. Fatalité du marché, fatalité de la mondialisation, fatalité du progrès au nom d'une seule et même loi : la productivité... Et celui qui parfois tente de négocier avec cette soit-disant fatalité apparaît comme un réactionnaire dépressif ou un utopiste dangereux qui n'a ni le sens du terrain ni le sens de l'histoire.

La victoire de «l'homo faber» est proclamée, et l'époque moderne se caractérise par un certain nombre de croyances qui consignent cette victoire : confiance aveugle placée dans la technique, assimilation de l'intelligence à l'ingéniosité, soumission au principe d'utilité, instrumentalisation du monde et identification de la fabrication à l'action.

Et pourtant si l'on se veut homme de terrain et de décision l'on est bien obligé de constater que la vie active ne s'épuise pas dans la notion de travail-production, que l'essentiel dans les entreprises se joue dans ces autres modalités de la vie active que sont l'oeuvre et l'action. Le diagnostic d'Hannah Arendt garde-t-il sa pertinence à l'heure du management, de l'innovation, de la création de richesse immatérielle, de marché de l'information ? Autrement dit les entreprises opèrent-elles encore cette réduction de la vie active au travail produisant des objets périssables, de l'homme au producteur-consommateur ? Oui et non.

Non, parce que ceux qui sont amenés à diriger des hommes, à conduire des projets, à mobiliser des énergies, à innover, sentent que leur action se définit davantage selon les catégories de l'oeuvre et du «faire» que selon celle du travail. Assurer une certaine permanence et cohérence à un projet, gérer des conflits, créer des synergies et un authentique sens de l'équipe, imaginer de nouvelles façons de faire ou de nouveaux produits, de fait cela ressort plus de l'action que du travail de production.

Oui, parce que ce qui pouvait apparaître comme une perspective il y a une quarantaine d'années est devenu la réalité quotidienne d'une partie de ceux qui voudraient contribuer au cycle production-consommation et qui s'en trouvent exclus.

Oui, d'autant que les critères selon lesquels on évalue le «faire» de la production sont devenus les seuls critères de l'action. L'homme quoiqu'il fasse est assimilé à un homo faber (une ressource) ses «actes» doivent être productifs comme une machine.

Le problème aujourd'hui est sans doute moins une exclusion des deux dernières catégories qu'une confusion idéologique qui vise à évaluer et à déterminer l'oeuvre et l'action à partir des critères du travail.

La réduction de l'homme à l'homo faber n'a pas supprimé l'homme qui pense, qui agit, qui décide et qui contemple, elle a fait pire, en le soumettant à des catégories ou valeurs qui ne peuvent être les siennes. La révolution économique et technique, dont on ne peut ni ne doit sous-estimer les effets, nous contraint à une rationalité limitée à ce qui est quantifiable et mesurable. Elle opère donc une confusion (à son avantage) entre ce qui est de l'ordre de la technique et ce qui s'y refuse, entre ce qui appartient à l'objet (connaissance technique, production, consommation) et ce qui est du ressort du sujet (décision, innovation, instauration d'un monde). Et le théâtre le plus spectaculaire de cette confusion, c'est l'entreprise.

Elle prône le risque, l'innovation, le management participatif (catégories du sujet, de l'oeuvre et de l'action) mais elle les évalue avec les critères de la production et de la technique : les effets doivent être immédiatement visibles et utiles c'est-à-dire productifs et certains. Or, celui qui prend un risque, qui invente une nouvelle manière de faire ou d'être, sent bien qu'il lui faut du temps (un autre temps que celui de la production), une maîtrise (une autre maîtrise que celle de la technique), une confiance en ceux avec qui il se lance (qui est bien autre chose qu'un contrôle qualité), bref des critères qui ne sont pas ceux de l'homo faber.

L'enjeu de l'entreprise, c'est de sortir de cette confusion entre ce qui appartient au monde de la technique (application qui doit être parfaite et productive) et ce qui relève du monde de l'humain (implication toujours fragile à renouveler) en évaluant selon les critères adéquats ce qui fait la spécificité de chaque mode d'action. Par exemple ne pas demander au même moment d'être innovants et performants, de prendre des risques et d'assurer une prévisibilité parfaite, d'être spécialiste et ouvert à toute possibilité, d'être rapide et réfléchi, de penser et de produire.

Ce n'est qu'en renonçant à ces confusions que l'entreprise cessera d'exacerber nos contradictions pour devenir un lieu possible de sens. -- Christine Cayol --

--Ce texte fait référence à l'édition Broché.

Présentation de l'éditeur

Notre siècle a totalement transformé le statut de l'homme ; celui-ci est désormais un membre d'un ensemble qui le dépasse, et dont il ne peut s'échapper. Il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d'importance, et où le politique s'impose sans possibilité d'écart ou de fuite. Ce monde est également celui des pires violences, de la barbarie généralisée. Hannah Arendt commence ici sa réflexion sur l'originalité radicale de notre époque. Elle pose les bases d'une réflexion qui permettra, peut-être, de se donner les moyens d'éviter les dérapages vers la violence aveugle, en comprenant en profondeur la dimension de "l'homme moderne". Un nouvel humanisme ?

SDM

L'original américain a paru en 1958. Réflexion fondamentale d'anthropologie philosophique. Analyse trans-historique structurée autour de trois activités humaines fondamentales: le travail, l'oeuvre, l'action. --Ce texte fait référence à l'édition Broché.

 

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