P 323 ....La société moderne ignore l'individu
( hcq : ...le couple f-h ... ). Elle ne tient
compte que des êtres humains. Elle croit à la réalité
des Universaux et nous traite comme des abstractions.
C'est la confusion des concepts d'individu et d'être
humain qui l'a conduite à une de ses erreurs les plus
graves, à la standardisation des hommes. Si ceux-ci
étaient tous identiques, il serait possible de les
élever,
de les faire vivre et travailler en grands troupeaux,
comme des bestiaux. Mais chacun d'eux a une
personnalité. Il ne peut pas être traité comme un
symbole.
P321...C'est également grâce à son
ignorance de l'individu que la société moderne atrophie les adultes.
L'homme ne supporte pas
impunément le mode d'existence et le
travail
uniforme et stupide imposé aux ouvriers d'usine,
aux employés de bureau, à ceux qui doivent assurer la production en masse. Dans
l'immensité des villes modernes,
il est isolé et perdu.
Il est une abstraction économique, une tête du troupeau.
Il perd sa qualité d'individu. Il n'a ni responsabilité, ni dignité. Au
milieu de la foule émergent les
riches, les politiciens puissants, les bandits de
grande envergure. Les autres ne sont
qu'une poussière anonyme. Au contraire, l'individu garde sa personnalité
quand il fait partie d'un groupe où il est
connu, d'un village, d'une petite
ville, où son importance
relative est plus grande, dont il peut espérer
devenir, à son tour, un citoyen
influent. La méconnaissance
théorique de l'individualité a amené sa
disparition réelle.
NECESSITÉ
D'UN
CHANGEMENT
D'ORIENTATION INTELLECTUELLE- L'ERREUR DE LA RENAISSANCE
P331....Nous ne
pouvons pas entreprendre la restauration
de nous-mêmes et
de notre milieu avant d'avoir transformé nos habitudes de pensée. En effet, la société
moderne a souffert dès son origine d'une faute intellectuelle.
Faute que nous avons répétée sans cesse
depuis la
Renaissance. La technologie a construit
l'homme, non pas suivant l'esprit de la science, mais
suivant des conceptions métaphysiques erronées. Le
moment est venu
d'abandonner ces doctrines. Nous
devons briser les
barrières qui ont été élevées entre
les propriétés des objets. C'est en une mauvaise
interprétation d'une idée géniale
de Galilée que consiste
l'erreur dont nous souffrons aujourd'hui.
Galilée distingua,
comme on le sait, les qualités primaires des
choses,
dimensions et poids, qui sont susceptibles
d'être mesurées, de leurs
qualités secondaires, forme,
couleur, odeur, qui ne sont pas mesurables.
Le quantitatif
fut séparé du qualitatif. Le quantitatif exprimé
en langage
mathématique nous apporta la science. Le
qualitatif fut négligé. L'abstraction des qualités
primaires des objets était légitime. Mais
l'oubli des qualités
secondaires ne l'était pas. Il eut des conséquences
graves pour nous. Car, chez l'homme, ce qui
ne se mesure pas est plus
important que ce qui se
mesure. L'existence de la pensée est
aussi fondamentale
que celle des équilibres physico-chimiques du
sérum
sanguin. La séparation du qualitatif et du
quantitatif fut rendue plus
profonde encore quand
Descartes créa le dualisme du corps et de l'âme. Dès
lors, les manifestations de l'esprit
devinrent inexplicables. Le matériel fut définitivement isolé du spirituel.
La structure organique et les mécanismes physiologiques
prirent une réalité beaucoup plus grande
que le plaisir, la douleur, la beauté. Cette
erreur engagea notre
civilisation sur la route qui conduisit la
science à son triomphe, et l'homme à
sa déchéance.
Afin de
redresser notre direction, nous devons nous
transporter par la pensée au
milieu des hommes de
la Renaissance, nous imprégner de leur esprit, de
leur passion pour l'observation empirique et de leur
dédain
pour les systèmes philosophiques. Comme eux,
nous devons
distinguer les qualités primaires et
secondaires des choses. Mais il faut nous
séparer radicalement
d'eux en accordant aux qualités secondaires
la même réalité
qu'aux primaires. Nous rejetterons
aussi le dualisme de
Descartes. L'esprit sera réintégré
dans la matière. L'âme ne sera plus distincte du
corps. Les manifestations mentales seront aussi bien à
notre portée que les physiologiques.
Certes, le qualitatif est d'une étude plus difficile que le quantitatif.
Les faits concrets ne satisfont
pas notre esprit, qui aime
l'aspect définitif des abstractions. Mais la science
ne doit pas être cultivée uniquement
pour elle-même, pour l'élégance
de ses méthodes, pour sa clarté et
sa beauté. Elle a pour but l'avantage matériel et
spirituel de l'homme. Nous devons
donner autant
d'importance aux sentiments qu'à la thermodynamique.
Il est indispensable que notre pensée embrasse
tous les aspects de la réalité. Au lieu
d'abandonner les résidus des
abstractions scientifiques, nous utiliserons
à la fois résidus et abstractions. Nous n'accepterons
pas la supériorité du quantitatif, de la mécanique,
de la physique et de la chimie. Nous
renoncerons à l'attitude intellectuelle
enfantée par la Renaissance et à la définition arbitraire qu'elle nous
a donnée du réel. Mais nous
garderons toutes les conquêtes
que l'humanité a faites grâce à elle. L'esprit et les techniques de la science sont notre bien
le plus précieux.
Il sera difficile de nous débarrasser d'une doctrine
qui, pendant plus de trois cents ans, a dominé l'intelligence
des
civilisés.
La
plupart
des
savants ont
foi
en la
réalité
des
Universaux,
au
droit exclusif du
quantitatif à
l'existence, à la
primauté
de
la
matière, à la séparation de l'esprit et du corps et à la
situation subordonnée de l'esprit. Ils
ne renieront pas facilement ces
croyances. Car un tel changement
ébranlerait jusque dans leurs
fondations la pédagogie, la médecine, l'hygiène, la psychologie et la
sociologie. Le petit jardin, que
chacun cultive facilement,
se transformerait en une forêt qu'il faudrait
défricher. Si
la
civilisation scientifique quittait la
route qu'elle suit depuis la Renaissance et revenait à
l'observation naïve du concret, des événements étranges se
produiraient aussitôt. La matière perdrait sa
primauté. Les
activités mentales deviendraient les égales des physiologiques. L'étude
des fonctions
morales, esthétiques et religieuses apparaîtrait comme
aussi indispensable que celle des
mathématiques, de la physique et de la chimie. Les méthodes actuelles de
l'éducation sembleraient absurdes. Les
écoles et les Universités
seraient obligées de changer leurs programmes.
On demanderait aux hygiénistes pourquoi
ils s'occupent exclusivement de la
prévention des maladies des organes, et non de celle des maladies
mentales. Pourquoi ils isolent les gens
atteints de maladies
infectieuses, et non ceux qui communiquent
aux autres leurs maladies intellectuelles et
morales. Pourquoi les habitudes
qui causent les affections organiques sont considérées comme
dangereuses, et non celles qui amènent
la corruption, la criminalité et la folie. Le public refuserait de se laisser soigner par
des médecins qui ne connaissent qu'une
petite partie du corps. Les pathologistes seraient conduits à
étudier les lésions du milieu intérieur aussi
bien que celles des organes. Ils
auraient à tenir compte de l'influence des états mentaux sur l'évolution
des maladies des tissus. Les économistes réaliseraient
que les hommes sentent et souffrent, qu'il ne
suffit pas de leur donner de la
nourriture et du travail, qu'ils ont des besoins spirituels aussi bien que physiologiques.
Et également que l'origine des crises économiques
et financières peut être morale et intellectuelle. Nous ne serions plus
obligés de considérer
comme des bienfaits de la civilisation moderne les
conditions barbares de la vie des grandes villes, la
tyrannie de
l'usine et celle du bureau, le sacrifice de la dignité morale à l'intérêt
économique et de l'esprit
à l'argent. Nous rejetterions les inventions mécaniques
qui sont nuisibles au développement humain.
L'économique
n'apparaîtrait plus comme la raison dernière de tout. II est évident que
la libération du
préjugé matérialiste modifierait la plupart des formes
de la vie présente. Aussi la société s'opposera de
toutes ses
forces à ce progrès de la pensée.
D'autre part, il
est important que la faillite du
matérialisme n'amène pas une
réaction spiritualiste.
Puisque la civilisation scientifique et le culte de la
matière n'ont pas réussi, la tentation peut devenir grande de choisir le
culte opposé, celui de l'esprit.
La primauté de la
psychologie ne serait pas moins
dangereuse que celle de la physiologie, de la physique et
de la chimie. Freud est plus nuisible que
les mécanistes les plus extrêmes. Il serait aussi désastreux de réduire
l'homme à son aspect mental qu'à
ses aspects physiologique et physico-chimique. L'étude
des propriétés physiques du sérum sanguin, de ses
équilibres ioniques, de la perméabilité du protoplasma, de la constitution chimique des antigènes,
etc., n'est pas moins indispensable que
celle des rêves, des états
médiumniques, des effets psychologiques de la
prière, de la mémoire des mots, etc. La
substitution du spirituel au
matériel ne corrigerait pas l'erreur
commise par la Renaissance. L'exclusion
de la matière serait plus
néfaste encore que celle de l'esprit. Le
salut ne se trouvera que dans l'abandon
de toutes les doctrines. Dans la pleine acceptation des données
de l'observation positive. Dans la
réalisation du fait
que l'homme
( hcq ...l'humain ...) n'est ni moins, ni plus que ces données.