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La reconstruction de l'homme ...    par Alexis Carrel    

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Extraits de L'Homme cet inconnu d'Alexis Carrel ( édité en ....1936                  p

 

P 323 ....La société moderne ignore l'individu ( hcq : ...le couple f-h  ... ). Elle ne tient compte que des êtres humains. Elle croit à la réalité des Universaux et nous traite comme des abstractions. C'est la confusion des concepts d'individu et d'être humain qui l'a conduite à une de ses erreurs les plus graves, à la standardisation des hommes. Si ceux-ci étaient tous identiques, il serait possible de les élever, de les faire vivre et travailler en grands troupeaux, comme des bestiaux. Mais chacun d'eux a une personnalité. Il ne peut pas être traité comme un symbole.

P321...C'est également grâce à son ignorance de l'individu que la société moderne atrophie les adultes. L'homme ne supporte pas impunément le mode d'existence et le travail uniforme et stupide imposé aux ouvriers d'usine, aux employés de bureau, à ceux qui doivent assurer la production en masse. Dans l'immensité des villes modernes, il est isolé et perdu. Il est une abstraction économique, une tête du troupeau. Il perd sa qualité d'individu. Il n'a ni responsabilité, ni dignité. Au milieu de la foule émergent les riches, les politiciens puissants, les bandits de grande envergure. Les autres ne sont qu'une poussière anonyme. Au contraire, l'individu garde sa personnalité quand il fait partie d'un groupe où il est connu, d'un village, d'une petite ville, où son importance relative est plus grande, dont il peut espérer devenir, à son tour, un citoyen influent. La méconnaissance théorique de l'individualité a amené sa disparition réelle.

NECESSITÉ D'UN CHANGEMENT D'ORIENTATION INTELLECTUELLE- L'ERREUR DE LA RENAISSANCE

P331....Nous ne pouvons pas entreprendre la restauration de nous-mêmes et de notre milieu avant d'avoir transformé nos habitudes de pensée. En effet, la société moderne a souffert dès son origine d'une faute intellectuelle. Faute que nous avons répétée sans cesse depuis la Renaissance. La technologie a construit l'homme, non pas suivant l'esprit de la science, mais suivant des conceptions métaphysiques erronées. Le moment est venu d'abandonner ces doctrines. Nous devons briser les barrières qui ont été élevées entre les propriétés des objets. C'est en une mauvaise interprétation d'une idée géniale de Galilée que consiste l'erreur dont nous souffrons aujourd'hui. Galilée distingua, comme on le sait, les qualités primaires des choses, dimensions et poids, qui sont susceptibles d'être mesurées, de leurs qualités secondaires, forme, couleur, odeur, qui ne sont pas mesurables. Le quantitatif fut séparé du qualitatif. Le quantitatif exprimé en langage mathématique nous apporta la science. Le qualitatif fut négligé. L'abstraction des qualités primaires des objets était légitime. Mais l'oubli des qualités secondaires ne l'était pas. Il eut des conséquences graves pour nous. Car, chez l'homme, ce qui ne se mesure pas est plus important que ce qui se mesure. L'existence de la pensée est aussi fondamentale que celle des équilibres physico-chimiques du sérum sanguin. La séparation du qualitatif et du quantitatif fut rendue plus profonde encore quand Descartes créa le dualisme du corps et de l'âme. Dès lors, les manifestations de l'esprit devinrent inexplicables. Le matériel fut définitivement isolé du spirituel. La structure organique et les mécanismes physiologiques prirent une réalité beaucoup plus grande que le plaisir, la douleur, la beauté. Cette erreur engagea notre civilisation sur la route qui conduisit la science à son triomphe, et l'homme à sa déchéance.

Afin de redresser notre direction, nous devons nous transporter par la pensée au milieu des hommes de la Renaissance, nous imprégner de leur esprit, de leur passion pour l'observation empirique et de leur dédain pour les systèmes philosophiques. Comme eux, nous devons distinguer les qualités primaires et secondaires des choses. Mais il faut nous séparer radicalement d'eux en accordant aux qualités secondaires la même réalité qu'aux primaires. Nous rejetterons aussi le dualisme de Descartes. L'esprit sera réintégré dans la matière. L'âme ne sera plus distincte du corps. Les manifestations mentales seront aussi bien à notre portée que les physiologiques. Certes, le qualitatif est d'une étude plus difficile que le quantitatif. Les faits concrets ne satisfont pas notre esprit, qui aime l'aspect définitif des abstractions. Mais la science ne doit pas être cultivée uniquement pour elle-même, pour l'élégance de ses méthodes, pour sa clarté et sa beauté. Elle a pour but l'avantage matériel et spirituel de l'homme. Nous devons donner autant d'importance aux sentiments qu'à la thermodynamique. Il est indispensable que notre pensée embrasse tous les aspects de la réalité. Au lieu d'abandonner les résidus des abstractions scientifiques, nous utiliserons à la fois résidus et abstractions. Nous n'accepterons pas la supériorité du quantitatif, de la mécanique, de la physique et de la chimie. Nous renoncerons à l'attitude intellectuelle enfantée par la Renaissance et à la définition arbitraire qu'elle nous a donnée du réel. Mais nous garderons toutes les conquêtes que l'humanité a faites grâce à elle. L'esprit et les techniques de la science sont notre bien le plus précieux.

Il sera difficile de nous débarrasser d'une doctrine qui, pendant plus de trois cents ans, a dominé l'intelligence des civilisés. La plupart des savants ont foi en la réalité des Universaux, au droit exclusif du quantitatif à l'existence, à la primauté de la matière, à la séparation de l'esprit et du corps et à la situation subordonnée de l'esprit. Ils ne renieront pas facilement ces croyances. Car un tel changement ébranlerait jusque dans leurs fondations la pédagogie, la médecine, l'hygiène, la psychologie et la sociologie. Le petit jardin, que chacun cultive facilement, se transformerait en une forêt qu'il faudrait défricher. Si la civilisation scientifique quittait la route qu'elle suit depuis la Renaissance et revenait à l'observation naïve du concret, des événements étranges se produiraient aussitôt. La matière perdrait sa primauté. Les activités mentales deviendraient les égales des physiologiques. L'étude des fonctions morales, esthétiques et religieuses apparaîtrait comme aussi indispensable que celle des mathématiques, de la physique et de la chimie. Les méthodes actuelles de l'éducation sembleraient absurdes. Les écoles et les Universités seraient obligées de changer leurs programmes. On demanderait aux hygiénistes pourquoi ils s'occupent exclusivement de la prévention des maladies des organes, et non de celle des maladies mentales. Pourquoi ils isolent les gens atteints de maladies infectieuses, et non ceux qui communiquent aux autres leurs maladies intellectuelles et morales. Pourquoi les habitudes qui causent les affections organiques sont considérées comme dangereuses, et non celles qui amènent la corruption, la criminalité et la folie. Le public refuserait de se laisser soigner par des médecins qui ne connaissent qu'une petite partie du corps. Les pathologistes seraient conduits à étudier les lésions du milieu intérieur aussi bien que celles des organes. Ils auraient à tenir compte de l'influence des états mentaux sur l'évolution des maladies des tissus. Les économistes réaliseraient que les hommes sentent et souffrent, qu'il ne suffit pas de leur donner de la nourriture et du travail, qu'ils ont des besoins spirituels aussi bien que physiologiques. Et également que l'origine des crises économiques et financières peut être morale et intellectuelle. Nous ne serions plus obligés de considérer comme des bienfaits de la civilisation moderne les conditions barbares de la vie des grandes villes, la tyrannie de l'usine et celle du bureau, le sacrifice de la dignité morale à l'intérêt économique et de l'esprit à l'argent. Nous rejetterions les inventions mécaniques qui sont nuisibles au développement humain. L'économique n'apparaîtrait plus comme la raison dernière de tout. II est évident que la libération du préjugé matérialiste modifierait la plupart des formes de la vie présente. Aussi la société s'opposera de toutes ses forces à ce progrès de la pensée.

D'autre part, il est important que la faillite du matérialisme n'amène pas une réaction spiritualiste. Puisque la civilisation scientifique et le culte de la matière n'ont pas réussi, la tentation peut devenir grande de choisir le culte opposé, celui de l'esprit. La primauté de la psychologie ne serait pas moins dangereuse que celle de la physiologie, de la physique et de la chimie. Freud est plus nuisible que les mécanistes les plus extrêmes. Il serait aussi désastreux de réduire l'homme à son aspect mental qu'à ses aspects physiologique et physico-chimique. L'étude des propriétés physiques du sérum sanguin, de ses équilibres ioniques, de la perméabilité du protoplasma, de la constitution chimique des antigènes, etc., n'est pas moins indispensable que celle des rêves, des états médiumniques, des effets psychologiques de la prière, de la mémoire des mots, etc. La substitution du spirituel au matériel ne corrigerait pas l'erreur commise par la Renaissance. L'exclusion de la matière serait plus néfaste encore que celle de l'esprit. Le salut ne se trouvera que dans l'abandon de toutes les doctrines. Dans la pleine acceptation des données de l'observation positive. Dans la réalisation du fait que l'homme ( hcq ...l'humain ...) n'est ni moins, ni plus que ces données.

17.10.02

 dernière mise à jour: 15/10/14

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Sri Aurobindo ...ou l'aventure de la conscience par Satprem

 

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