.........
La science naturelle moderne
a coopéré dans
une certaine mesure
à élargir notre vision de ce qui
qualifie un être humain, en
tendant à montrer que la plupart
des différences apparentes
entre les hommes sont
affaires de convention
plutôt que de nature. Là
où les différences
sont naturelles,
comme entre hommes et
femmes, elles affectent des qualités
non essentielles qui n'ont rien
à voir avec les
droits politiques.
Ainsi, malgré la piètre réputation
dont des concepts comme
les droits
naturels jouissent auprès
des philosophes académiques,
une bonne partie de
notre monde
politique repose
sur l'existence d'une «essence »
humaine stable
dont nous
sommes dotés par nature, ou
plutôt sur le
fait que nous
croyons en l'existence d'une
telle essence.
Nous sommes peut-être sur le
point d'entrer
dans un avenir
«posthumain», dans lequel la
technologie nous
donnera la capacité
progressive de modifier
cette essence avec
le temps.
Beaucoup accueillent ce
pouvoir
avec empressement, sous la bannière de la liberté humaine :
ils souhaitent maximiser la liberté pour les parents d’avoir le type
d'enfant qu'ils veulent; la
liberté
pour les scientifiques de continuer
leurs recherches sans entraves
;
et la liberté
pour les entrepreneurs
de faire usage des
technologies afin
de créer de la
richesse.
Reste que ce type de liberté
sera très
différent de toutes celle
dont les hommes
ont précédemment fait l'expérience. La
liberté
politique a
signifié, jusqu'ici, la liberté de
poursuivre des fins que
notre nature
avaient établie
pour nous. Ces finalités ne sont
pas rigidement
déterminées :
la
nature humaine
est très plastique et nous avons une vaste variété de choix
adaptables à cette
nature
;
mais elle n'est pas malléable à
l'infini, et les éléments
qui restent
constants -particulièrement la gamme
des réactions
émotionnelles typiques de notre
espèce
-
constituent un ancrage
sûr qui nous permet d'entrer potentiellement en relation avec
tous les autres êtres
humains.
Il se peut que nous soyons destinés, d'une façon ou
d'une
autre, à assumer ce nouveau
type de liberté,
ou que le prochain
stade de l'évolution soit
celui où
- comme
certains l'ont suggéré
- nous prendrons
délibérément en main notre propre constitution biologique au lieu
de l'abandonner aux forces
aveugles de la sélection naturelle.
Mais si nous en arrivons
là il
faudra le faire avec les yeux
grands ouverts.
Beaucoup présument que
le joli monde «posthumain » sera,
dans l'idylle, assez semblable au nôtre
- libre, égalitaire,
prospère, charitable et
compatissant, mais avec
de meilleurs soins de
santé, des vies plus
longues et (peut-être ?)
un peu plus d'intelligence
qu'aujourd'hui.
Toutefois, ce
monde pourrait
être aussi beaucoup plus hiérarchisé et ouvert
aux rivalités que le monde
où nous sommes actuellement,
avec la multitude de
conflits sociaux que cette situation
entraînerait inéluctablement. Ce pourrait être aussi un monde où toute notion d'«
humanité partagée» aurait
disparu, parce que nous aurions mêlé des gênes humains avec ceux
d'autres espèces que nous ne saurions plus
clairement ce
qu'est un être
humain. Ce
pourrait être encore un
monde où l'individu moyen vivrait «correctement » dans son
deuxième
siècle, installé dans
une maison de retraite pour attendre
une
mort qui
recule indéfiniment.
Ce pourrait être enfin un genre de tyrannie douce,
comme celle du
Meilleur des
montes,
où tous sont
heureux et
en bonne santé, mais où tous ont
oublié ce que veulent dire l'espoir,
la crainte et la lutte.
Nous n'avons à accepter aucun
de ces mondes
futurs sous
le faux étendard de la liberté,
qu'il soit celui
des droits de reproduction illimités ou celui de
la recherche
scientifique sans entraves. Nous ne
devons pas nous considérer
nous-mêmes
comme les esclaves obligés d'un
progrès technologique
inéluctable,
si ce
progrès
n'est pas mis au
service
des finalités humaines.
La liberté véritable
signifie la liberté,
pour les communautés
politiques, de
protéger les valeurs qui leur
sont les plus
chères ;
et c'est
cette liberté là qu'il nous faut
exercer à l'égard de la
révolution
biologique d'aujourd'hui.