L'inviolable, c'est l'inné .....Dr Francis Fukuyama   

 

L'Américain Francis Fukuyama avait défrayé la chronique en décrétant la fin de l'Histoire en 1989, peu avant la chute du mur de Berlin : avec l'effondrement du communisme, la démocratie libérale et l'économie de marché pouvait s'imposer sans rivales, dans un monde libéré de toute fracture idéologique.

 Aujourd'hui, contre l'article de 1989, le docteur Fukuyama « ne vois qu'un argument impossible à réfuter, écrit-il, il ne peut y avoir de fin de l'histoire sans fin de la science »....car la science est aujourd'hui capable d'altérer le comportement humain et de changer de ce fait toute la donne».

Pour lui le temps n'est pas loin où la science cherche à perfectionner la glaise dont nous sommes faits, corps et esprit.... « Les avancées vont remettre en cause ce que nous avons de plus profond enraciné, la notion d'égalité et l'aptitude à faire des choix moraux, écrit le docteur Fukuyama dans Our Posthuman Future. Elles vont offrir à la société de nouvelles techniques pour contrôler les comportement des individus. Elles vont changer notre perception de la personnalité et de l'identité humaine. Elles vont bouleverser les hiérarchies existantes (...) et affecter la politique à l'échelle planétaire. » Le cri d'alarme n'a rien académique. Francis Fukuyama appartient au Conseil de la bioéthique de la Maison-Blanche.

Il s'inquiète de ce que la connaissance s'apprête à  violer l'inviolable : la nature humaine.

INTERVIEW

Extraits

La fin de l'Histoire, disiez-vous ! Finalement, vous avez changé d'avis : il n'y aurait plus de fin possible parce que la science et les biotechnologies sont en train de changer la nature de l'homme. Sommes-nous au bord de nouveaux bouleversements ?

....de ce point de vue « une nouvelle révolution a commencé... Certains éléments de cette révolution appartiennent au futur, comme le génie génétique,... D'autres sont déjà là, autour de nous. Il suffit de regarder l'Europe. L'allongement de l'espérance de vie, couplée au déclin de la fécondité, a changé l'équilibre démographique. Les projections montrent qu'au niveau du siècle l'âge moyen se rapprochera de soixante ans, et que chaque nouvelle génération sera moins nombreuse, peut-être de 30 %.... Ces données démographiques, résultats des avancées de la science médicale, ont déjà changé la nature du débat politique (controverse sur l'immigration, les sociétés multiculturelles...) Ce n'est que le début.

Un autre chapitre est l'essor, la diversification des substances qui permet d'altérer le comportement humain, l'estime de soi, avec le Prozac, ou la concentration, avec le Ritalin (psycho stimulant). En fait, des médicaments de prescription courante. Ils permettent de modifier les émotions, l'activité cérébrale toute chose qui appartienne a l'inné. On peut adopter une personnalité un jour, une autre lendemain. Dans les prochaines années, d'autres substances seront ciblées sur le cerveau pour diminuer le besoin de sommeil, augmenter la mémoire ou accroîtra l'intelligence.

On ne peut pas parler de contrôle social,mais il y a plus aucune raison d'être malheureux, déprimé...... (mais)... lorsqu'on  manipule le comportement humain, le danger est de toucher à l'équilibre.

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les bouleversements de cette révolution  risque d'être plus profond que celles .... comme l'industrialisation ou l'informatique qui ont précédé. Les hommes ont modifié leur culture, changé leur mode de production, réorganisé la société. Mais ils n'ont encore jamais touché à leur nature, à leur héritage génétique. C'était jusqu'ici une donnée. Si cette porte est ouverte tout devient possible. Les biotechnologies peuvent nous transporter dans l'étape post-humaine de notre histoire.

....La peur la plus profonde que suscite des biotechnologies est que nous puissions finalement y perdre notre humanité....

Le dilemme devient pourtant politique, voire moral si l'on envisage des bébés sur mesure où des centenaires dopés qui refusent de passer la main...

 Le débat ne pourra pas être esquivé quand le génie génétique en arrivera là. Toutes sortes de groupes sociaux chercheront à « améliorer » leur descendance : les riches, bien sûr mais aussi les sectes religieuses ou certains groupes ethniques. Le risque, c'est une différenciation irréversible du patrimoine génétique, autrement dit de l'avènement de nouvelles discriminations..

...dans les salles de classe, des collégiens vont bientôt soupçonner ce qui réussissent trop bien d'avoir quelque chose en plus dans leurs gènes.... (NDHQS: les débats actuels au sujet du dopage préfigurent ce danger)...(et) les enfants, par définition non consultés, seront les premiers à trinquer de ces décisions de convenance.

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Que faut-il protéger, sacraliser contre le progrès des technologies ?

Lorsqu'on parle de la nature humaine, aujourd'hui la tentation est souvent de s'en tenir à quelque chose des trois, comme l'autonomie de décision ou l'attitude à faire des choix n'auront. Je suis persuadé qu'il faut étendre la définition. Elle doit inclure toutes les émotions proprement humaines, l'attitude à l'apprentissage, le langage, le besoin de vivre en société, le goût du politique. La nature humaine est complexe, est aussi fragile. Si vous touchez pas un élément, vous pouvez déstabiliser l'ensemble. Si la définition n'est pas bonne, nous risquons surtout de basculer dans le « post-humain» par inadvertance....

Il y a quelque chose de moralement unique, un lien serré entre la nature humaine, la dignité et les droits que nous nous reconnaissons en tant qu'homme.»

Francis Fukuyama croit que les scientifiques et les industriels de la biotechnologie sont aujourd'hui trop avancés pour qu'on leur laisse le choix de la route à prendre... Ce qui devrait rester intouchable : la nature humaine.

« Je n'ai jamais été à libéral forcené, ni en politique ni en économie, dit-il. Le monde a aussi beaucoup changé depuis la fin des années 1980. Il y a trop d'argent à prendre et trop d'intérêts particuliers. L'Etat a encore une mission à accomplir : user de son pouvoir et de sa hauteur morale pour poser la règle du jeu. »

 

Voir aussi: La fin de l'homme ?.....Francis Fukuyama

30.08.02

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