La fin de l'Histoire, disiez-vous ! Finalement, vous avez changé
d'avis : il n'y aurait plus de fin possible parce que la science et les
biotechnologies sont en train de changer la nature de l'homme. Sommes-nous
au bord de nouveaux bouleversements ?
....de ce point de vue « une nouvelle révolution a commencé... Certains
éléments de cette révolution appartiennent au futur, comme le génie
génétique,... D'autres sont déjà là, autour de nous. Il suffit de regarder
l'Europe. L'allongement de l'espérance de vie, couplée au déclin de la
fécondité, a changé l'équilibre démographique. Les projections montrent
qu'au niveau du siècle l'âge moyen se rapprochera de soixante ans, et que
chaque nouvelle génération sera moins nombreuse, peut-être de 30 %.... Ces
données démographiques, résultats des avancées de la science médicale, ont
déjà changé la nature du débat politique (controverse sur l'immigration,
les sociétés multiculturelles...) Ce n'est que le début.
Un autre chapitre est l'essor, la diversification des substances qui
permet d'altérer le comportement humain, l'estime de soi, avec le Prozac,
ou la concentration, avec le Ritalin (psycho stimulant). En fait, des
médicaments de prescription courante. Ils permettent de modifier les
émotions, l'activité cérébrale toute chose qui appartienne a l'inné. On
peut adopter une personnalité un jour, une autre lendemain. Dans les
prochaines années, d'autres substances seront ciblées sur le cerveau pour
diminuer le besoin de sommeil, augmenter la mémoire ou accroîtra
l'intelligence.
On ne peut pas parler de contrôle social,mais il y a plus aucune raison
d'être malheureux, déprimé...... (mais)... lorsqu'on manipule le
comportement humain, le danger est de toucher à l'équilibre.
.....
les bouleversements de cette révolution risque d'être plus
profond que celles .... comme l'industrialisation ou l'informatique
qui ont précédé. Les hommes ont modifié leur culture, changé leur mode de
production, réorganisé la société. Mais ils n'ont encore jamais touché à
leur nature, à leur héritage génétique. C'était jusqu'ici une donnée. Si
cette porte est ouverte tout devient possible. Les biotechnologies peuvent
nous transporter dans l'étape post-humaine de notre histoire.
....La peur la plus profonde que suscite des biotechnologies est que
nous puissions finalement y perdre notre humanité....
Le dilemme devient
pourtant politique, voire moral si l'on envisage des bébés sur mesure où
des centenaires dopés qui refusent de passer la main...
Le débat ne pourra pas être esquivé quand le génie génétique en
arrivera là. Toutes sortes de groupes sociaux chercheront à « améliorer »
leur descendance : les riches, bien sûr mais aussi les sectes religieuses
ou certains groupes ethniques. Le risque, c'est une différenciation
irréversible du patrimoine génétique, autrement dit de l'avènement de
nouvelles discriminations..
...dans les salles de classe, des collégiens vont bientôt soupçonner ce
qui réussissent trop bien d'avoir quelque chose en plus dans leurs
gènes.... (NDHQS: les débats actuels au sujet du dopage préfigurent ce
danger)...(et) les enfants, par définition non consultés, seront les
premiers à trinquer de ces décisions de convenance.
.....
Que faut-il protéger, sacraliser contre le progrès des technologies ?
Lorsqu'on parle de la nature humaine, aujourd'hui la tentation est
souvent de s'en tenir à quelque chose des trois, comme l'autonomie de
décision ou l'attitude à faire des choix n'auront. Je suis persuadé qu'il
faut étendre la définition. Elle doit inclure toutes les émotions
proprement humaines, l'attitude à l'apprentissage, le langage, le besoin
de vivre en société, le goût du politique. La nature humaine est complexe,
est aussi fragile. Si vous touchez pas un élément, vous pouvez
déstabiliser l'ensemble. Si la définition n'est pas bonne, nous risquons
surtout de basculer dans le « post-humain» par inadvertance....
Il y a quelque chose de moralement unique, un lien serré entre la
nature humaine, la dignité et les droits que nous nous reconnaissons en
tant qu'homme.»
Francis Fukuyama croit que les scientifiques et les industriels de la
biotechnologie sont aujourd'hui trop avancés pour qu'on leur laisse le
choix de la route à prendre... Ce qui devrait rester intouchable : la
nature humaine.
« Je n'ai jamais été à libéral forcené, ni en politique
ni en économie,
dit-il. Le monde a aussi beaucoup changé depuis la fin des années 1980. Il
y a trop d'argent à prendre et trop d'intérêts particuliers. L'Etat a
encore une mission à accomplir : user de son pouvoir et de sa hauteur
morale pour poser la règle du jeu. »