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Présentation:
Voici illustrations éclatantes et pertinentes de l'application de la
pensée chinoise à l'économie moderne. Création ou procès... ?... il me
semble que la vision en flux plus proche de la réalité ... Elle correspond
à celle de homocoques... Elle devrait nous permettre de mieux nous
situer dans ce monde d'interrelations en "venirdevenir"
La première partie de l'article est une très belle introduction à la
pensée chinoise.
Extraits:
Métaphysique et Anthropologie : homme
relationnel et individualisme familial
.....La pensée chinoise ne se fonde pas sur la dialectique de la
création et de la destruction mais sur le principe de l'alternance du
manifeste et du caché : le yin et le yang.
Cette vision
du monde ne conçoit donc pas la discontinuité : tout est continuité,
continuation, lié, lien, flux, relation. Le fondement de la réalité, est
l'interaction, l'interdépendance : l'incitation réciproque, l'attirance
réciproque, qui naît de la différence, de ce qui s'oppose, met en
mouvement le monde et transforme l'altérité en harmonie. Cette différence
est toutefois relative car les existants ont un fondement commun, chaque
principe contient l'autre en germe ; c'est pourquoi elle ne suscite que
l'incitation et non la destruction ; la dualité qu'elle engendre peut être
régulée. Les deux aspects de toute différence ne sont donc jamais
envisagés séparément. Ils ne sont donc jamais opposés car ils sont tous
deux nécessaires.
.
.....Ainsi,
l'homme ne semble pas exister par lui-même mais par la somme de ses
relations. L'homme est impliqué dans une série de rapports sociaux qui
sont constitutifs de son existence humaine et qui lui accordent des droits
et des obligations.
Cosmologie économique :
fluence monétaire et capture des flux
La
conception naturelle de l'économie qui se dégage de la cosmologie chinoise
est celle d'une circulation ininterrompue des flux de richesse.
....économie de la capture ", laquelle repose sur le triptyque " Flux
monétaire, Capture, Vente ". ....Le contrôle des flux monétaires prime sur
la propriété. .... Tout arrêt de flux est arrêt de mort..... Si l'on se
rallie à cette vision de l'économie, alors, la pensée chinoise paraît
avoir engendré une mentalité économique particulièrement adaptée au
devenir du capitalisme.
en
io-relation
....
homocoques, interrelation, coques, famille,
venirdevenir, la vie est relation, modernité, le commerce, vendre,...
la Peinture : image ou
phénomène
....La peinture
européenne insiste sur l'être, la détermination; la peinture chinoise
constate le non-être, l'indéterminé ... Notes à propos d'une récente conférence
de
François Jullien
... Elles donnent, à travers la peinture, une
illustration intéressante de la pensée chinoise par rapport à la pensée
occidentale.... |
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Initiation à la mentalité économique chinoise
Auteur:
Thierry Paulmier
Source:
Liberté Politique N° 25
voir aussi le site: libertepolitique.com
CE PETIT ESSAI part de l'hypothèse
heuristique que les fondements métaphysiques et anthropologiques de la
civilisation chinoise peuvent contribuer à la compréhension de la
mentalité économique en Chine, ainsi que dans des pays se situant dans son
aire d'influence culturelle tels que la Corée ou le Japon. La métaphysique
traite de la question de l'être et du néant, et toute pensée humaine se
réfère plus ou moins explicitement à l'une des grandes options
métaphysiques — options en tout petit nombre mises en évidence notamment
par Tresmontant (1995) — qui façonnent la vision du monde et de l'homme,
dont dérivent pour une large part les valeurs, croyances et
représentations premières. Ces dernières influencent le comportement des
individus et partant, la mentalité économique.
I-
METAPHYSIQUE CHINOISE
L'originalité de la métaphysique chinoise provient de ce qu'elle repose
tout entière sur la fluence : toutes choses fluent en permanence et la
discontinuité n'existe pas. En résulte une anthropologie qui repose sur le
lien, l'interaction et l'interdépendance plutôt que sur le sujet autonome,
l'individu. Par ailleurs, le projet d'accéder à la réalité par
abstraction, c'est-à-dire en se coupant du sensible, est contraire à la
nature des choses : la compréhension du réel ne peut être qu'inductive et
fondée sur l'intuition. Suivant cette perspective, il n'est pas
possible d'établir des lois générales.
Cosmologie : monisme de l'être et fluence
À la base de la vision chinoise du monde et de la réalité, est l'antique
traité de divination : le Livre des mutations (" Yi-King "). Ce livre
puise selon Cheng (1997) " dans un fonds très ancien qui a informé toute
la pensée chinoise. [...] De fait, à quelque époque et dans quelque
courant que ce soit, il ne se trouve pas un seul penseur chinois
d'importance qui n'ait été inspiré par les Mutations au point d'y projeter
sa propre vision des choses [...], c'est un livre de vie autant que de
connaissance qui contient toute la vision spécifiquement chinoise des
mouvements de l'univers et de leur rapport avec l'existence humaine ". Il
fournit un système de compréhension de la réalité capable de rendre compte
de sa complexité et de révéler que sa nature est d'être en perpétuelle
transformation, d'être un processus en cours, une structure globale en
transformation continue. Le monde est stable et en même temps en
perpétuelle transformation. Le Livre des mutations unit continuité et
mutation : le jour et la nuit, la chaleur de l'été et le froid de l'hiver.
Tout évolue toujours suivant un cours régulier.
La vision du monde qui en émerge est celle du Procès. Le monde est
perçu comme un processus continuel et régulier sans démiurge. La pensée
chinoise ne se fonde pas sur la dialectique de la création et de la
destruction mais sur le principe de l'alternance du manifeste et du caché
: le yin et le yang. La manifestation est actualisation, la
disparition est latence comme le rythme des saisons ; la disparition, la
contraction, sont riches du déploiement à venir, mieux, " qui n'est pas en
mesure de se contracter ne sera pas en mesure de se déployer ". Cette
alternance régit le cours du monde, elle est systématique et continue : un
existant disparaît, un autre apparaît.
Cette vision du monde ne conçoit donc pas la discontinuité : tout est
continuité, continuation, lié, lien, flux, relation. Le fondement de la
réalité, est l'interaction, l'interdépendance : l'incitation réciproque,
l'attirance réciproque, qui naît de la différence, de ce qui s'oppose, met
en mouvement le monde et transforme l'altérité en harmonie. Cette
différence est toutefois relative car les existants ont un fondement
commun, chaque principe contient l'autre en germe ; c'est pourquoi elle ne
suscite que l'incitation et non la destruction ; la dualité qu'elle
engendre peut être régulée. Les deux aspects de toute différence ne sont
donc jamais envisagés séparément. Ils ne sont donc jamais opposés car ils
sont tous deux nécessaires.
Anthropologie : homme relationnel et individualisme familial
Le terme d'" être " lui-même n'existe pas comme tel en chinois mais en
tant que " cours " et " fonctionnement ". Dans la pensée chinoise, la
relation est première alors que dans la pensée occidentale c'est
l'autonomie initiale du sujet : " Ne jamais penser la réalité du monde
à partir d'une seule instance, supposer toujours la priorité de la
relation d'interaction par rapport à la reconnaissance de tout sujet
individuel . "
Les parents personnifient le Procès en engendrant leurs enfants. Ils
prolongent l'œuvre du Ciel et de la Terre en remplissant la fonction de
médiation et de transition à l'égard de toute existence individuelle ; ils
assurent la continuité et la continuation. " On ne comprendra rien à
l'attachement invétéré de la tradition confucéenne pour ce qu'il est
convenu d'appeler “le culte des ancêtres” ou “la piété filiale” [...] sans
égard à l'importance qu'accorde la logique confucéenne à l'idée de
continuité, sans saut ni rupture [...] ". La piété filiale marque le
respect concret de la continuité et les enfants doivent, dès lors, imiter
leurs parents dans leurs qualités pour épouser le cours du Procès. De
même, lorsqu'un individu meurt, il passe du statut manifeste d'esprit
vivant au statut invisible d'esprit mort mais il demeure en rapport
d'interaction avec celui des hommes vivants après lui en raison de la
continuité de la condition humaine de sorte que l'esprit des ancêtres peut
encore exercer son influence sur sa postérité.
La famille est donc conçue comme le lien social auquel toutes les autres
relations sont subordonnées. La piété filiale est l'impératif moral
central. L'individu n'a pas le recours à une loi divine supérieure pour
contester l'autorité paternelle et s'émanciper d'une famille captative. De
ce fait, la famille l'emporte sur toutes les autres formes d'association ;
la loyauté s'adresse avant tout à sa propre famille, non aux autorités
politiques ou économiques.
La relation père-fils sert de modèle à tous les autres types de
relations sociales. Son principe hiérarchique est décliné pour les
relations entre générations, entre subordonnés dans l'entreprise ou
l'État. Les modèles d'autorité entre les membres de la famille sont pris
comme modèles pour ceux entre gouvernants et gouvernés . Les demandes
d'obéissance et de subordination à l'Empereur et ses mandarins en Chine
étaient fondées sur la piété filiale due au père comme chef de famille ;
essentiellement, la fidélité à l'autorité politique centrale était
demandée comme une extension de la fidélité familiale. Les similitudes
entre la famille et l'État avaient été notées par Max Weber : " La Chine
est un “État familial” : la famille est un État miniature; l'État, une
famille élargie . " Le pouvoir est ainsi calqué sur le modèle de la
famille ; le souverain est considéré comme le père de la nation et chacun
entretient avec lui une relation personnelle.
Ainsi, l'homme ne semble pas exister par lui-même mais par la somme de
ses relations. L'homme est impliqué dans une série de rapports sociaux qui
sont constitutifs de son existence humaine et qui lui accordent des droits
et des obligations.
Absence de théorie de la connaissance
Du fait qu'il n'y a pas de créateur et de création, il n'y pas de cause
externe. La pensée lettrée chinoise s'appuie sur " l'élucidation de la
seule expérience. Elle se refuse à toute construction au-delà d'elle ". La
parole introduit déjà une rupture avec l'expérience concrète de la nature.
Le Sage n'a donc pas à parler, à communiquer son enseignement ; ses
disciples n'ont qu'à l'observer agir et l'imiter car " il n'y a pas de
“sens” à développer indépendamment de l'évidence donnée, puisque tout sens
est définitivement inclus, —confondu — dans l'immédiateté de cette
évidence ". En revanche, l'influence qui résulte de l'exemplarité (celle
du Sage par exemple) est seule vraiment générale car le Sage épouse la
logique interne du Procès en prenant modèle sur les manifestations
naturelles (de la Terre comme du Ciel). Ceci explique le double sens du
mot xue (étudier-imiter) : c'est continuer en prolongeant l'ancien par
le nouveau. " Je n'ai rien créé, je n'ai fait que transmettre " dit
Confucius. L'imitation est conçue comme créatrice ; la dimension de
l'innovation est étroitement et indissolublement intégrée à celle de
l'imitation.
La tradition lettrée chinoise ne théorise pas ; elle ne s'enferme jamais
dans un système conceptuel rigidifié par des vérités absolues.
Contrairement à la démarche scientifique occidentale qui se fonde sur la
logique, le raisonnement déductif, la démarche confucéenne de
compréhension du réel est inductive et fondée sur l'intuition ; elle part
de l'évidence la plus commune et tente de l'élucider progressivement.
La connaissance a pour point de départ l'analyse du sensible puisque
seule l'activité des sens peut, comme l'explique Jullien (1989), relier
l'intériorité humaine à l'extériorité du monde et la mettre en prise avec
lui. L'abstraction, c'est-à-dire le projet d'accéder à la réalité en
se coupant du sensible contredit, pour la tradition lettrée, à la fois la
nature de la réalité et la nature du sensible. Leur écriture
idéographique, peu adaptée aux modes de pensée abstraits et au style
discursif, est à la fois la cause de cette vision du monde et le facteur
essentiel de sa reproduction.
II- MENTALITE ECONOMIQUE
Cosmologie économique : fluence monétaire et capture des flux
La conception naturelle de l'économie qui se dégage de la cosmologie
chinoise est celle d'une circulation ininterrompue des flux de richesse.
Conformément à la logique de Procès, l'économie est fluide. " Le grand
fleuve économique dépose le long de son cours des montagnes d'alluvions,
monnaie cristallisée en biens matériels. Le patrimoine est alluvionnement
" ou plus exactement, il n'est qu'un " dépôt de flux ". L'économie est
fluence, " fluence monétaire " : des flux qui n'ont ni origine ni fin, qui
traversent le monde, le transpercent de part en part, et ce faisant,
l'ouvrent et le renouvellent à l'infini : un continuum monétaire sans
origine et sans extrémité qui s'écoule en permanence.
Il s'ensuit que l'activité économique ne serait qu'une vaste entreprise de
capture du flux monétaire. Cette vision s'apparente à celle proposée par
Rachline (1991) " d'économie de la capture ", laquelle repose sur le
triptyque " Flux monétaire, Capture, Vente ". Dans la conception
traditionnelle occidentale, l'économie est fondée sur la séquence
Production-surplus-échange-monnaie : la production dégage un surplus qui
engendre l'échange que la monnaie facilite. Cette conception attribue à
la production un rôle dominant ; la circulation de richesse n'est que
la conséquence de la production ; la production est la source de tout
développement et le fondement de l'échange. La monnaie, dissociée de la
réalité, n'est qu'un voile qui recouvre les échanges physiques ; elle ne
fait que circuler au sein d'un espace qui en est indépendant (l'économie
réelle). Dans la perspective développée par Rachline et qui semble si
conforme à la pensée chinoise, le but de l'activité économique consiste à
capter les flux monétaires, et la vente est l'acte essentiel qui permet
cette capture. Cette approche permet de raisonner à partir des flux et
n'opère pas de dichotomie entre réel et monétaire. Il s'agit d'une vision
dynamique qui exclut l'équilibre.
L'observation du fonctionnement des entreprises chinoises semble confirmer
que les entrepreneurs chinois considèrent la vente comme le principe
actif de l'activité économique. L'approche traditionnelle des affaires
" à la chinoise " repose sur les proverbes : " Acheter à bon prix et
revendre vite " ainsi que " Ne dépenser que ce que l'on a gagné " . Pour
les entrepreneurs chinois, il semble que la production ne soit nullement
une fin en soi ; ils produisent et vendent afin de capturer des flux
monétaires. Certains de leurs proverbes peuvent surprendre : " Vendre à
prix coûtant ", " Acheter un produit à dix, le vendre à sept, rendre trois
et garder quatre " . Ils ne raisonnent pas, en effet, sur la marge ou
le bénéfice mais sur le " fonds de roulement ", en d'autres termes sur les
flux. Le plus important est la fluence : " faire tourner " le capital
le plus rapidement possible, lui conserver sa nature épidémique . La
circulation monétaire est essentielle, non pour que chacun s'approprie des
biens, mais davantage pour que toute l'organisation sociale soit irriguée
et que sa pérennité soit assurée et l'écoulement des flux ne pas se tarir.
Bouteiller (1997, p.132-133) raconte comment en Chine, au XIXe siècle, "
n'importe quel agriculteur, coolie ou ménagère, évitait de thésauriser en
mettant ses maigres économies sous sa paillasse. Au contraire, il
cherchait autour de lui un débiteur potentiel auprès de qui placer son
surplus. Toute la population de l'empire était perpétuellement en train
d'emprunter et de rembourser ". Il ne s'agit donc pas de posséder mais de
détourner les flux monétaires pour in-fluer. Le contrôle des flux
monétaires prime sur la propriété.
L'esprit entrepreneurial
Cette représentation de l'univers économique génère un certain nombre de
principes d'action qui guident les acteurs économiques dans leurs choix
afin d'agir de manière efficace dans cet univers ; ces principes trouvent
leur meilleure expression dans l'Art de la guerre de Sun Tzu et le jeu de
wei chi.
1/ L'opportunisme
Dans un univers versatile et contingent, l'opportunisme est de rigueur. "
Dans l'art de la guerre, il n'existe pas de règles fixes. Ces règles ne
peuvent être établies que selon les circonstances . " Dans chaque
affaire, " [Tout] dépend du ciel, du lieu et des hommes " : il faut
que le moment soit propice (le ciel), l'endroit adéquat (le lieu) ainsi
que les partenaires et les collaborateurs disponibles (les hommes) ".
Un des traits de la stratégie chinoise consiste dans la recherche de l'"
in-fluence " (" Shih "), c'est-à-dire, dans l'identification d'une
capacité latente découlant d'une situation stratégiquement favorable : un
potentiel né de la situation. Tout l'art est de savoir tourner à son
profit l'inclination du cours des choses et non forcer la situation ou la
contrecarrer. " Aussi doit-on, quand on commande des troupes, tirer parti
de la situation, exactement comme lorsqu'on fait rouler une balle le long
d'une pente abrupte. La force fournie est minime mais les résultats sont
énormes . " D'après Bouteiller (1997), " l'action “à la chinoise” consiste
à discerner le potentiel à l'œuvre dans une situation donnée et à créer
les meilleures conditions pour que les choses évoluent d'elles-mêmes dans
la bonne direction ".
Il faut rechercher les situations ou les positions (sur un marché par
exemple) qui permettent de transformer les " forces normales " en " forces
extraordinaires " : " La force qui affronte l'ennemi, c'est la force
normale ; celle qui le prend de flanc, c'est la force extraordinaire.
Aucun chef d'armée ne peut arracher l'avantage à l'ennemi sans le recours
des forces extraordinaires . "
2/ L'aversion à l'immobilisme et aux immobilisations
Dans cette perspective, le danger, est dans l'attachement,
l'immobilisation et la réification. Même dans la situation la plus
favorable, il y a nécessité d'évolution : " Dragon s'immobilisant au
sommet aura à se repentir " ; " Ce qui est plein ne peut durer ".
Toute situation est transitoire. Toute fixation est stérilisante ; la
véritable constance est dans le devenir. Tout arrêt de flux est
arrêt de mort.
Cette vision se traduit par une aversion aux immobilisations. De ce fait,
le penchant naturel consiste à préférer investir dans des activités très
liquides et à limiter les actifs immobilisés [immobilisations
incorporelles (frais d'établissement, frais de recherche et développement,
concession, brevets, licences, marques), immobilisations corporelles
(terrains, constructions, installations techniques, matériels et
outillages industriels)] et même certains actifs circulants (stocks).
Selon Whitley (1992), même " les investissements technologiques tendent à
n'être engagés que dans le court terme si bien qu'ils peuvent être mis au
rebut après quelques années et ne pas contraindre sérieusement les choix
d'allocation des ressources ". De même, l'adoption de structures
organisationnelles très légères et la maximisation de la sous-traitance
permettent de limiter les coûts fixes. Les liquidités sont transformées en
actifs surtout lorsqu'ils sont reconvertibles rapidement en liquidités.
Les actifs les plus facilement revendables et en général tangibles (or,
matières premières, immobiliers.. ) sont davantage préférés. La
maximisation du potentiel de redéploiement des ressources assure une
grande rapidité de réaction et une grande versatilité dans l'action.
2/ La promptitude
Il convient donc de favoriser les formes organisationnelles qui offrent la
plus grande rapidité de réaction car comme Sun Tzu l'enseigne, " la
promptitude est l'essence même de la guerre " ; " s'il est une chose qui
compte, c'est bien la divine célérité " ou encore, " [les] experts en
l'art militaire se fient tout particulièrement à l'opportunité et à la
rapidité d'exécution. Ils ne font pas reposer sur leurs seuls hommes le
fardeau de l'œuvre à accomplir " . En Corée par exemple, on observe la
rapidité foudroyante avec laquelle les chaebols pénètrent dans une
industrie . De même, Paulmier (2000) a montré à partir d'une analyse des
brevets déposés aux États-Unis par les entreprises coréennes et
taiwanaises que celles-ci sont de rapides imitatrices : la moyenne d'âge
des brevets cités dans leurs propres brevets est inférieure à celle de
leurs concurrents dans l'industrie microélectronique.
Outre les conditions organisationnelles, la disposition d'esprit chinoise
est particulièrement favorable à la réactivité car la mentalité chinoise
se fie davantage à l'intuition, l'analyse et le raisonnement
déductif étant considérés comme trop lents. L'intuition permet
d'appréhender le phénomène dès ses premières manifestations ; ainsi "
[les] Chinois prennent en compte le mouvement dès sa première impulsion,
alors que les Occidentaux attendent d'en saisir la pleine manifestation
pour en délimiter la frontière ". L'action au stade embryonnaire est alors
facilitée par la malléabilité de la réalité.
3/ Concurrence, imitation et contestabilité
L'existence d'un marché atomisé et très compétitif de petites entreprises
privées constitue le système qui domina historiquement la vie économique
chinoise pendant de longs siècles, tant à la campagne qu'en ville.
La compétition et l'imitation sont plutôt perçues positivement : la
première, car elle est une émulation qui incite à s'améliorer ; la seconde
car elle est signe d'adéquation au sens du marché. " Il faut toujours
vendre la même chose que son voisin ". Mais l'inclination est plutôt à la
recherche des " marchés contestables ", c'est-à-dire, des marchés dont
l'entrée est libre, en ce sens que les firmes déjà en place ne disposent
d'aucun avantage par rapport aux nouveaux entrants ; et la sortie doit
pouvoir s'effectuer sans coûts irrécupérables, c'est-à-dire que les firmes
ne doivent pas supporter d'autres coûts que ceux correspondant aux coûts
d'usage et de dépréciation du capital, ces deux conditions rendant
possibles des entrées-sorties très rapides.
Autrement la conquête des marchés doit plutôt reposer sur une stratégie de
non-confrontation et être réalisée de manière très progressive : par
analogie avec la guerre, il faut d'abord se développer à la périphérie du
théâtre d'opérations puis se rapprocher progressivement du centre. Il n'y
a ainsi pas de moment décisif dans la conquête mais un long processus
d'érosion. On observe que les entreprises taiwanaises et les grands
groupes coréens ont généralement effectué leur pénétration des industries
lourdes et de haute technologie par la conquête des marchés périphériques
(Amérique latine, Afrique, Asie Pacifique).
4/ La non-appropriation de l'effet
La dualité cosmique sans cesse à l'œuvre fait que la fonction
d'initiateur, d'innovateur, n'est pas isolable, et ne peut constituer une
instance unique. Les Chinois perçoivent ainsi l'art comme avènement et
non comme création, conçu suivant le modèle du Procès et non celui de la
Création. Un poème, par exemple, est le résultat d'une dualité
d'instances en interaction réciproque (" paysage " et " émotion ") et non
la création d'un sujet hypostasié (le poète). L'œuvre est toujours
processus en cours. " Je transmets l'enseignement des Anciens, sans rien
créer de nouveau " disait Confucius. La conception de Schumpeter de
l'innovation est donc acceptable dans la vision chinoise lorsqu'il la
définit dans la Théorie de l'évolution économique (1912) comme "
l'exécution de nouvelles combinaisons productives ". L'innovation n'est
bien qu'une actualisation de connaissances latentes. Mais l'innovation
est toujours inachevée, elle est processus. En revanche, la pensée
chinoise ne peut que réfuter la figure héroïque du créateur qui se cache
derrière l'entrepreneur schumpeterien pour deux raisons principales. En
premier lieu, comme on l'a vu, elle n'identifie jamais une instance unique
agissante. En second lieu, le sage/stratège ne cherche pas à s'attribuer
l'effet (ici l'innovation supposée) car en se l'attribuant, il entre dans
une logique d'appropriation qui ne peut que le pénaliser par la
contestation et la rivalité qu'il va susciter : " Au lieu de se poser
soi-même comme l'auteur de l'effet, et d'en tirer prestige, on cède la
place aux facteurs porteurs de l'effet, pour les laisser pleinement jouer.
[...] Tout vise à laisser l'effet se couler dans l'évolution des choses
et y être absorbé [...] . "
5/ Une mentalité de marchand
Cette représentation de l'économie a pour conséquence de favoriser le
développement d'une mentalité de marchand. " L'entrepreneur chinois ne
conçoit une affaire que comme une transaction commerciale . " Il ne
s'intéresse qu'au potentiel commercial du produit et non à sa valeur
intrinsèque. Bouteiller résume cette attitude vis-à-vis du processus
industriel : " Une compagnie occidentale achète un produit de base et le
transforme en un bien qui se commercialise sur sa qualité et son image.
L'entreprise chinoise fait l'inverse. Elle achète un bien et le
transforme mentalement en un produit de base qui ne se vend que sur son
prix … "
L'industrie se caractérise par une certaine lenteur pour capter les flux
monétaires car c'est une activité qui s'inscrit dans le temps long. Or
cette mentalité économique a pour penchant naturel la recherche de
rentabilité rapide des investissements, ce qui ne la porte donc pas
naturellement vers les activités industrielles. Whitley (1992) remarque
ainsi que l'un des traits les plus frappants de l'entreprise familiale
chinoise est qu'elle ne s'engage pas dans les industries lourdes. En
effet, dans la quasi-majorité des branches, les entreprises-pionnières
furent des entreprises publiques à Taiwan, (dans les industries du ciment,
de la sidérurgie, de la construction navale, des fertilisants, des
machines lourdes, des machines-outils, de l'assurance, de la
micro-électronique …). En Corée, ce furent des entreprises privées
contraintes et subventionnées par l'État. La quasi-totalité des chaebols
était à l'origine des sociétés commerciales. Les entrepreneurs coréens
étaient des marchands auxquels il a été donné pour tâche par le
gouvernement de Park d'industrialiser le pays. Les PDG des chaebols ont
alors développé ce que Ungson, Steers et Park (1997) appellent une
mentalité de " grand magasin " ; leur préoccupation principale était
d'étendre leur gamme d'activités. Leur comportement se caractérise par un
changement continuel de centres d'intérêt. Selon Kang (1996), ce type
d'attitude est caractéristique de tous les PDG des grands chaebols.
En phase avec le capitalisme
Pour Rachline, " [dans] nos sociétés économiques, c'est-à-dire monétaires,
le flux monétaire est premier, et le capturer constitue donc l'essence de
l'activité. Pour plonger dans notre modernité, nous devons partir de la
fluence monétaire, et comprendre comment on cherche indéfiniment à la
détourner ". Si l'on se rallie à cette vision de l'économie, alors, la
pensée chinoise paraît avoir engendré une mentalité économique
particulièrement adaptée au devenir du capitalisme. Et comme l'affirme
Jullien (1989), " la culture chinoise est donc particulièrement bien
équipée pour penser la transformation ".
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texte hébergé
en 07/04
haut de page
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