évoluer....
Auteur:
Xavier Mersch
Source:
texte communiqué aux membres du groupe IRIS du Vésinet
PEINTURE CHINOISE ET PEINTURE GRECQUE
François JULLIEN Grand Palais 10 juin 2004 (Exposition MONTAGNES
CELESTES)
Lao Tseu :"la
bonne chère fait s'arrêter le passant, mais le tao se présente fade et
sans saveur "
La peinture
européenne insiste sur l'être, la détermination; la peinture chinoise
constate le non-être, l'indéterminé. La représentation du nu, chez les
grecs, vise à la représentation d'un modèle idéal (eidos), celui
qui sculpte cet Apollon vise à travers la représentation de cette partie
du genre humain à montrer le tout. C'est un homme, et c'est un peu
l'homme.
Dans la langue
chinoise classique, le verbe être n'existe pas; on ne peut pas dire :
"Pierre est grand". N'existe pas, car on ne cherche pas à déterminer par
des qualificatifs.
Nous retiendrons –
en les durcissant pour la clarté de l'exposé – trois écarts entre peinture
grecque et peinture chinoise :
- la Forme grecque /
la Transformation chinoise
- la Perception
grecque / la Respiration chinoise
- la Représentation
grecque / l'Actualisation chinoise
FORME
GRECQUE / TRANSFORMATION CHINOISE
Le
chinois va essayer de peindre ("tracer") les paysages le soir, quand ils
perdent leur détermination; de même il les peindra lorsque le temps passe
du beau au mauvais; il va chercher à peindre "entre il y a et il n'y a
pas", au moment où ces paysages se transforment.
Il va peindre l'hiver
au moment où les jours commencent à l'allonger, quand l'hiver commence
déjà à faire place au printemps, déjà dans le surgissement du printemps,
et encore dans l'effacement de l'hiver. Car le fond des choses est flou,
évanescent, éphémère; la réalité tantôt disparaît, tantôt apparaît. Ce
n'est pas l'inverse, comme chez nous la création qui fait apparaître le
monde dans un big bang où tout apparaît, partant de rien. Non pour le
chinois, l'objet, et le monde disparaît d'abord, car il est en transition
entre il n'y a pas et il y a (pas l'inverse).
Plus je détermine,
plus j'exclus. Lao Tseu se pose la question : comment nommer l'absolu, le
Tao ? " Grand s'appelle partout, partout s'appelle éloigné, éloigné
s'appelle disparaît…" Chaque terme ne détermine pas, n'exclut pas,
chaque terme renvoie au suivant. La montagne est multiple, elle est
grande…et petite, elle est adret… et ubac.
En Occident, plus je
peins, plus je fais être; en Chine, en peignant je dois toujours rester
ouvert. "Au début, on peint de l'eau ou des nuages;…ensuite, on ne se
demande plus si c'est des nuages ou de l'eau; si l'on veut considérer que
ce sont des nuages, ce sera des nuages". La peinture est disponible,
elle est indéterminée; l'inachevé est plus parfait que le parfait.
Pline l'Ancien le
disait déjà : les œuvres "imperfectae" sont l'objet d'une admiration plus
grande; même la Joconde n'est pas achevée; pour Le Titien, l'important,
c'est d'engager la peinture, pas de l'achever. Pour Merleau Ponty : la
peinture inachevée renvoie à l'inachèvement même du monde. Mais dans la
pensée occidentale, plus je détermine ce que je peins, plus l'objet est.
Lao Tseu : " le
grand carré n'a pas d'angle,…le grand-œuvre évite d'être achevé
complètement."
PERCEPTION GRECQUE /
RESPIRATION CHINOISE
" Il faut du
vide pour que le plein puisse produire son effet". Le vide du
vase; le vide creusé dans les parois de la pièce. Il faut évider le plein.
La Chine ne vient pas seulement nous libérer du dualisme, et du
rationalisme; elle est beaucoup plus intéressante pour nous. En évidant le
tronc du bambou, le peintre permet que la vie passe, que la sève monte
dans l'arbre.
Le peintre chinois
laisse passer le concret : ni quitter, ni coller. Le paysage peint par un
chinois n'est pas "une portion de pays" (pays- age ; land – scape ; land –
schaft); paysage se dit en chinois "est-ouest ", comme une tension entre
Yin et Yang, comme l'interaction entre deux pôles, une corrélation entre
des opposés. Alors que notre peinture européenne est composition,
car nous avons une logique compositionnelle; la phrase chinoise n'a pas de
syntaxe, elle met les éléments les uns à côté des autres, en
corrélation.
REPRESENTATION GRECQUE /
ACTUALISATION CHINOISE
Le
peintre classique chez nous "apekasei", retire la figuration de son
support, pour la re-présenter. Pour le peintre chinois (Sue Tao chap 12) :
"quand les anciens traçaient les arbres, par 3, par 5, par 9,
ils faisaient en sorte que chacun par saillie ou retrait, en haut ou en
bas, ils se lèvent ou s'abaissent". Le peintre fait ressortir le
mouvement, laisse passer l'esprit = le mouvement d'animation qui traverse
le corps, ce qui vient imprégner la peinture (imprégner: pas
l'esprit séparé du corps). Il vise à la ressemblance, mais une
ressemblance ouverte, une semblance; le grand carré n'a pas d'angle, il ne
me limite pas, il ne me détermine pas. Comme la pensée chinoise, la
peinture est prégnance : la dimension animante traverse le ciel.
Le peintre exprime
aussi la variance de la nature ; il peint la montagne, en faisant
ressortir toutes les possibilités que permet la montagne; sa variance qui
est de l'ordre de la corrélation, et pas sa variété, qui serait de l'ordre
de la composition.
Le même terme (sheng(?))
se traduit par "image" et par "phénomène"; il y a une autre voie que la
représentation; cela se retrouve chez des peintres modernes comme Picasso
ou Matisse. "Pour peindre l'arbre, il faut monter comme l'arbre !"
La chance de notre
époque, c'est que nous pouvons circuler entre les rouleaux chinois et les
tableaux du Louvre, et nous laisser modeler par les uns comme par les
autres.
Questions
- Sur l'évolution
de la peinture chinoise à travers les âges
La pensée européenne
a toujours progressé par révolutions : chaque philosophe est venu rompre
avec le précédent, et dire : je vous propose autre chose; chaque peintre
aussi. La pensée chinoise, comme la peinture chinoise, a toujours
progressé dans la continuité.
- sur
l'existence de chacun dans la pensée chinoise
Il n'y a pas de verbe
"être" en chinois classique. Chang Tse se demande s'il est un papillon
regardant Chang Tse ou Chang Tse regardant un papillon. Cet exemple est
donné pour montrer comment mettre à égalité les choses et le discours.
L'indétermination n'est pas illusion (le maya de l'Inde);
l'indétermination accepte l'individuation, mais l'individuation n'enferme
pas dans l'exclusion du reste. Chang Tse veut se retirer des disputes;
cela se passe au 4° siècle avant JC, au moment où en Grèce les écoles de
pensée entraient en disputes. Se retirer des disputes: son
maître mot est YO :
évoluer.
texte hébergé
en 07/04
haut de page
______________________________
Image
ou phénomène ...
(titre de la conférence)
termes relevés lors du
développement des trois niveaux de rapprochement entre la vision
occidentale et la vision chinoise:
forme «--»
transition
retirer la
détermination aux choses ... vers la confusion ...le fade
prendre le monde
en processus
faire apparaître
le fonds universel
la disparition
précède l'apparition.
Plus je
détermine plus j'exclus
L'esquisse...
Le grand oeuvre
évite d'advenir...
La perfection de
l'imparfait
laisser venir
l'effet
la fadeur ...
la vue «--» la respiration
concrétions
...animation ...concrétions... animation...
le plein sature
le mal = blocage
le vide,
l'absence...= ouverture... permet d'advenir
l'un se
renouvelle dans l'autre
représentation
(ou destruction, peinture actuelle) «--»
actualisation
peindre des
vecteurs de vitalité
exercice
spirituel
animer
variété «--»
variance
prégnance
Robert
texte hébergé
en 07/04
haut de page
______________________________