Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers ordinands,
chers frères et sœurs,
La première Lecture et l'Evangile du
Dimanche de Pentecôte nous présentent deux grandes images de la
mission de l'Esprit Saint. La lecture des Actes des Apôtres raconte
comment, le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint, sous les signes d'un
vent puissant et du feu, fait irruption dans la communauté des
disciples de Jésus, en prière, et donne ainsi origine à l'Eglise. Pour
Israël, la Pentecôte, de fête des moissons, était devenue la fête qui
faisait mémoire de l'établissement de l'alliance au Sinaï. Dieu avait
montré sa présence au peuple à travers le vent et le feu et il lui
avait ensuite fait don de sa loi, des dix Commandements. Ce n'est
qu'ainsi que l'œuvre de libération, commencée avec l'Exode de
l'Egypte, s'était pleinement accomplie: la liberté humaine est
toujours une liberté partagée, un ensemble de libertés.
Une liberté commune ne peut
régner que dans une harmonie ordonnée des libertés, qui ouvre à chacun
son propre domaine. C'est pourquoi le don de la loi sur le Sinaï
ne fut pas une restriction ou une abolition de la liberté, mais le
fondement de la véritable liberté. Et, étant donné qu'une juste
organisation humaine ne peut exister que si elle provient de Dieu et
si elle unit les hommes dans la perspective de Dieu, les
commandements que Dieu lui-même donne ne peuvent manquer à une
organisation ordonnée des libertés humaines. Ainsi, Israël est
pleinement devenu un peuple précisément à travers l'alliance avec Dieu
au Sinaï. La rencontre avec Dieu au Sinaï pourrait être considérée
comme le fondement et la garantie de son existence comme peuple. Le
vent et le feu, qui frappèrent la communauté des disciples du Christ
rassemblés au Cénacle, constituèrent un développement supplémentaire
de l'événement du Sinaï et lui donnèrent une nouvelle envergure. En ce
jour, se trouvaient à Jérusalem, selon ce que rapportent les Actes des
Apôtres, «des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le
ciel» (Ac 2, 5). Et voilà que se manifeste le don caractéristique de
l'Esprit Saint: tous comprennent les paroles des Apôtres: «Chacun les
entendait parler en son propre idiome» (Ac 2, 6). L'Esprit Saint leur
donne de comprendre. En surmontant la rupture initiale de Babel — la
confusion des cœurs, qui nous élève les uns contre les autres —
l'Esprit ouvre les frontières. Le peuple de Dieu qui avait trouvé au
Sinaï sa première forme, est alors élargi au point de ne connaître
plus aucune frontière. Le nouveau peuple de Dieu, l'Eglise, est un
peuple qui provient de tous les peuples. L'Eglise est catholique
dès le début, telle est son essence la plus profonde. Saint Paul
explique et souligne cela dans la deuxième lecture, lorsqu'il dit:
«Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés
en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous
nous avons été abreuvés d'un seul Esprit» (1 Co 12, 13). L'Eglise
doit toujours redevenir ce qu'elle est déjà: elle doit ouvrir les
frontières entre les peuples et faire tomber les barrières entre les
classes et les races. En son sein, il ne peut y avoir de personnes
oubliées ou méprisées. Dans l'Eglise, il n'y a que des frères et des
sœurs de Jésus Christ, libres.
Le vent et le feu de l'Esprit Saint
doivent sans relâche ouvrir ces frontières que nous les hommes
continuons à élever entre nous; nous devons toujours repasser de
Babel, de la fermeture sur nous-mêmes, à la Pentecôte. Nous devons
donc prier sans cesse pour que l'Esprit Saint nous ouvre, nous donne
la grâce de la compréhension, de façon à devenir le peuple de Dieu
issu de tous les peuples — saint Paul nous dit encore davantage: dans
le Christ, qui comme unique pain nous nourrit tous dans l'Eucharistie
et nous attire à lui dans son corps torturé sur la croix, nous devons
devenir un seul corps et un seul esprit.
La deuxième image de l'envoi de
l'Esprit, que nous trouvons dans l'Evangile, est beaucoup plus
discrète. Mais c'est précisément ainsi qu'elle fait percevoir toute la
grandeur de l'événement de la Pentecôte. Le Seigneur Ressuscité entre
dans le lieu où se trouvent les disciples, en traversant les portes
closes et il les salue deux fois en disant: que la paix soit avec
vous! Quant à nous, nous fermons sans cesse nos portes; nous
voulons sans cesse nous mettre à l’abri et ne pas être dérangés par
les autres et par Dieu. C'est pourquoi nous pouvons sans cesse
supplier le Seigneur, uniquement pour cela, pour qu'il vienne à nous
en franchissant nos fermetures, et qu'il nous apporte son salut. «Que
la paix soit avec vous»: ce salut du Seigneur est un pont, qu'il jette
entre le ciel et la terre. Il descend sur ce pont jusqu'à nous et
nous, nous pouvons monter sur ce pont de paix, jusqu'à lui. Sur ce
pont, toujours avec Lui, nous devons nous aussi arriver à notre
prochain, jusqu'à celui qui a besoin de nous. C’est précisément en
nous abaissant avec le Christ, que nous nous élevons jusqu'à Lui et
jusqu'à Dieu: Dieu est Amour et la descente, l'abaissement, que
l'amour demande, est donc en même temps la véritable ascension. C’est
justement ainsi, en nous abaissant, en sortant de nous-mêmes, que
nous atteignons la hauteur de Jésus Christ, la véritable hauteur de
l'être humain.
Au salut de paix du Seigneur suivent
deux gestes décisifs pour la Pentecôte: le Seigneur veut que sa
mission se poursuive à travers les disciples: «Comme le Père m'a
envoyé, moi aussi je vous envoie» (Jn 20, 21). Après quoi il souffle
sur eux et dit: «Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les
péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils
leur seront retenus» (Jn 20, 23). Le Seigneur souffle sur les
disciples, et il leur donne ainsi l'Esprit Saint, son Esprit. Le
souffle de Jésus est l'Esprit Saint. Nous reconnaissons tout d'abord
ici une allusion au récit de la création de homme dans la Genèse, où
il est dit: «Alors Yahvé Dieu modela homme avec la glaise du sol, il
insuffla dans ses narines une haleine de vie» (Gn 2, 7). homme
est cette créature mystérieuse, qui provient entièrement de la terre,
mais dans laquelle a été placé le souffle de Dieu. Jésus souffle
sur les apôtres et leur donne de manière nouvelle, plus grande, le
souffle de Dieu.
Chez les hommes, malgré toutes
leurs limites, se trouve à présent quelque chose d'absolument nouveau
— le souffle de Dieu. La vie de Dieu habite en nous. Le souffle de
son amour, de sa vérité et de sa bonté. Ainsi, nous pouvons voir ici
également une allusion au baptême et à la confirmation — à cette
nouvelle appartenance à Dieu, que le Seigneur nous donne. Le texte de
l'Evangile nous invite à cela: à vivre toujours dans l'espace du
souffle de Jésus Christ, à recevoir la vie de Lui, de façon à ce qu'il
nous insuffle la vie authentique — la vie qu'aucune mort ne peut ôter.
A son souffle, au don de l'Esprit Saint, le Seigneur relie le pouvoir
de pardonner. Nous avons précédemment entendu que l'Esprit Saint unit,
franchit les frontières, conduit les uns vers les autres. La force,
qui ouvre et permet de surmonter Babel, est la force du pardon.
Jésus peut donner le pardon et le pouvoir de pardonner, car il a
lui-même souffert des conséquences de la faute et il les a faites
disparaître dans la flamme de son amour. Le pardon vient de la
croix; il transforme le monde avec l'amour qui se donne. Son cœur
ouvert sur la croix est la porte à travers laquelle la grâce du pardon
entre dans le monde. Seule cette grâce peut transformer le monde et
édifier la paix.
Si nous comparons les deux
événements de la Pentecôte, le vent puissant du 50e jour et le souffle
léger de Jésus le soir de Pâques, le contraste entre deux épisodes,
qui eurent lieu au Sinaï et dont nous parle l'Ancien Testament, peut
nous revenir à l'esprit. D'une part, il y a le récit du feu, du
tonnerre et du vent qui précèdent la promulgation des dix
Commandements et l'établissement de l'Alliance (Ex 19sq.); de l'autre,
l'on trouve le mystérieux récit d'Elie sur l'Horeb. Après les
événements dramatiques du Mont Carmel, Elie avait fui la colère
d'Achab et de Jézabel. Suivant le commandement de Dieu, il était
ensuite parti en pèlerinage jusqu'au Mont Horeb. Le don de l'alliance
divine, de la foi dans le Dieu unique, semblait avoir disparu en
Israël. Elie, d'une certaine façon, devait rallumer la flamme de la
foi sur le Mont de Dieu et la rapporter à Israël. En ce lieu il fait
l'expérience du vent, d'un tremblement de terre, et du feu. Mais Dieu
n'est pas présent dans tout cela. Alors il perçoit un doux et léger
murmure. Et Dieu lui parle dans ce souffle léger ( 1 R 19, 11-18).
N'est-ce pas ce qui se passe le soir de cette Pâque, lorsque Jésus
apparaît à ses Apôtres pour enseigner ce que l'on veut dire ici? Ne
peut-on pas voir ici une préfiguration du serviteur de Yahvé, dont
Isaïe dit: «Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas
entendre sa voix dans la rue» (42, 2)? N'est-ce pas ainsi
qu'apparaît l'humble figure de Jésus comme la véritable révélation à
travers laquelle Dieu se manifeste à nous et nous parle? L'humilité
et la bonté de Jésus ne sont-elles pas la véritable épiphanie de Dieu?
Elie, sur le Mont Carmel, avait cherché à combattre l'éloignement de
Dieu par le feu et par l'épée, tuant les prophètes de Baal. Mais de
cette façon, il n'avait pu rétablir la foi. Sur le Mont Horeb, il doit
apprendre que Dieu n'est pas dans le vent, dans un tremblement de
terre, dans le feu; Elie doit apprendre à percevoir la voix légère
de Dieu et, ainsi, à reconnaître à l'avance celui qui a vaincu le
péché, non par la force mais par sa Passion; celui qui, à travers sa
souffrance, nous a donné le pouvoir du pardon. Telle est la façon dont
Dieu vainc.
Chers ordinands! De cette
façon le message de Pentecôte s'adresse à présent directement à vous.
La scène de la Pentecôte de l'Evangile de Jean parle de vous et à
vous. A chacun de vous, de façon très personnelle, le Seigneur dit:
paix à vous - paix à toi! Lorsque le Seigneur dit cela, il ne donne
pas quelque chose mais il se donne lui-même. En effet, il est lui-même
la paix (Ep 2, 14). Dans ce salut du Seigneur, nous pouvons également
entrevoir un rappel du grand mystère de la foi, de la sainte
Eucharistie, dans laquelle il se donne sans cesse lui-même et, de la
sorte, donne la paix véritable. Ce salut se place ainsi au centre de
votre mission sacerdotale: le Seigneur vous confie le mystère de ce
sacrement. En son nom vous pouvez dire: ceci est mon corps — ceci est
mon sang. Laissez-vous toujours attirer à nouveau dans la Sainte
Eucharistie, dans la communion de vie avec le Christ. Considérez comme
le centre de chaque journée le fait de pouvoir la célébrer de façon
digne. Reconduisez toujours les hommes vers ce mystère.
Aidez-les, à partir de celle-ci, à apporter la paix du Christ dans le
monde.
Dans l'Evangile que nous venons
d'entendre, retentit ensuite une deuxième parole du Ressuscité: «Comme
le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie» (Jn 20, 21). Le Christ
dit cela, de façon très personnelle, à chacun de vous. A travers
l'ordination sacerdotale, vous vous insérez dans la mission des
apôtres. L'Esprit Saint est vent, mais il n'est pas amorphe. C'est un
esprit ordonné. Et il se manifeste précisément en ordonnant la
mission, dans le sacrement du sacerdoce, avec lequel se poursuit le
ministère des apôtres. A travers ce ministère, vous êtes insérés dans
la grande assemblée de ceux qui, à partir de la Pentecôte, ont reçu la
mission apostolique. Vous êtes insérés dans la communion du
presbyterium, dans la communion avec l'Evêque et avec le Successeur de
saint Pierre, qui, ici à Rome, est aussi votre Evêque. Nous sommes
tous insérés dans le réseau de l'obéissance à la parole du Christ, à
la parole de celui qui nous donne la véritable liberté, car il nous
conduit dans les espaces libres et dans les amples horizons de la
vérité. C'est précisément dans ce lien commun avec le Seigneur que
nous pouvons et que nous devons vivre le dynamisme de l'Esprit. De
même que le Seigneur est sorti du Père et nous a donné la lumière, la
vie et l'amour, la mission doit sans cesse nous remettre en mouvement,
nous rendre soucieux d'apporter la joie du Christ à celui qui souffre,
à celui qui est dans le doute, et également à celui qui est hésitant.
Enfin, il y a le pouvoir du pardon.
Le sacrement de la pénitence est l'un des trésors précieux de
l'Eglise, car ce n'est que dans le pardon que s'accomplit le
véritable renouveau du monde. Rien ne peut améliorer le monde, si
le mal n'est pas surmonté. Et le mal ne peut être surmonté qu'avec le
pardon. Bien sûr, cela doit être un pardon efficace. Mais seul le
Seigneur peut nous donner ce pardon. Un pardon qui n'éloigne pas le
mal seulement en paroles, mais qui le détruit réellement. Cela ne
peut se produire qu'avec la souffrance et a réellement eu lieu avec
l'amour empreint de souffrance du Christ, d’où nous puisons le pouvoir
du pardon.
Enfin, chers ordinands, je vous
recommande d'aimer la Mère du Seigneur. Faites comme saint Jean, qui
l'accueillit au plus profond de son cœur. Laissez-vous renouveler sans
cesse par son amour maternel. Apprenez d'Elle à
aimer le Christ. Que le Seigneur bénisse votre chemin sacerdotal.
Amen!