Respire, tu es vivant
… Thich Nhat Hanh
Conférence du 2 avril
1996 à la Mutualité, Paris
Dans le bouddhisme on
parle de salut par la connaissance. Cette connaissance
compréhension, prajna, est le fruit de la méditation. Quand on
pratique le regard profond dirigé vers le coeur de la réalité. On
pratique la résurrection à chaque instant. . . Le seul moment où
l’on est vivant, où l’on peut toucher la vie, C’est le moment
présent , l’ici et maintenant. . .
La pleine conscience
est l’énergie du Bouddha. Il faut s’entraîner par la pratique de la
respiration consciente pour faire naître l’énergie de la pleine
conscience et la maintenir vivante. Cette énergie-là nous éclaire,
nous permet d’être concentré et d’être vraiment là ; elle nous
permet aussi de regarder profondément dans le coeur des choses. Et
de ce regard profond naît la vision profonde ; la pleine conscience
amène la compréhension, l’amour et aussi la libération de la
douleur.
La graine de la
pleine conscience est le bébé Bouddha qui est en nous. Et il faut
lui donner tout notre amour car cette précieuse graine peut être
enfouie très profondément sous plusieurs couches de souffrance et de
douleur. Dans la pratique, nous commençons par rechercher, par
identifier et par toucher cette graine de la pleine conscience que
tout le monde possède. Nous avons cette graine en nous. Quand nous
buvons de l’eau, si nous sommes présent au fait que nous sommes en
train de boire de l’eau, l’énergie de la pleine conscience est là.
La pleine conscience est l’énergie qui nous permet d’être conscient
de ce qui se passe dans le moment présent.
Il n’y a que de la
tendresse . Si vous inspirez et que vous savez que vous inspirez,
alors la pleine conscience est là, la pleine conscience de
Satipattana, ou Sutra de la respiration. Quand nous sommes en colère
et que nous savons que nous sommes en colère, la pleine conscience
est là. La colère est une énergie ; la pleine conscience en est une
autre. Et cette deuxième sorte d’énergie va se manifester pour
prendre soin de notre colère comme une maman va prendre soin de son
petit enfant. Il n’y a pas de combat contre la colère.
La pratique de la
méditation c’est être conscient de la douleur.
Donc chaque fois que
vous avez une énergie négative comme la jalousie, le désespoir ou la
peur, alors la pleine conscience doit se manifester pour prendre
bien soin de cette énergie négative. Si vous ne voulez pas que cette
énergie vous détruise, touchez la graine de la pleine conscience et
invitez-la à s’épanouir ; embrassez tendrement votre douleur. Quand
une maman entend son bébé crier, elle pose ce qu’elle est en train
de faire, elle entre dans la chambre et prend le bébé. Une maman
sait ce qu’est l’énergie de la pleine conscience ; dès le moment où
l’enfant est dans ses bras, cette énergie de sagesse commence déjà à
pénétrer son corps. La maman ne sait pas encore ce qui ne va pas
avec le bébé, mais par sa présence, il obtient déjà un soulagement.
Ensuite la maman naturellement pratique le regard profond et il lui
faut seulement deux ou trois minutes pour se rendre compte de ce qui
ne va pas avec le bébé : peut-être que ce sont les couches,
peut-être que le bébé a une petite fièvre, peut-être qu’il a faim. .
. Alors la compréhension vient et la maman peut transformer la
situation...
C’est la même chose
avec la méditation. Quand nous avons une douleur en nous, la
première chose est de générer l’énergie de la pleine conscience pour
embrasser et prendre soin de cette douleur, pour générer de l’amour,
de la tendresse et de la compassion.
Si vous regardez
profondément dans la nature de votre colère, vous découvrirez sa
vraie nature. Cette découverte et cette compréhension vous
libéreront de votre douleur. Et il faut prendre l’habitude de
pratiquer cela, non seulement avec la colère, mais aussi avec les
autres émotions comme le désespoir, la peur...
On a peur de la vie,
on a peur surtout de la mort.
Le Bouddha nous a
recommandé de méditer comme ceci en ce qui concerne la peur.
« J’inspire, je sais que je vais mourir ; j’expire, je sais que
personne ne peut échapper à cette nature, je sais que personne ne
peut échapper à la mort. » Le Bouddha nous a enseigné cela parce
qu’il sait bien que cette graine de la peur est enfouie très
profondément en nous et que nous ne voulons pas qu’elle se manifeste
parce que ça fait mal.
On a peur de la peur.
Nous cherchons donc à
la rejeter. Nous cherchons à refouler la peur en invitant d’autres
émotions pour occuper l’espace afin que cette énergie de peur ne
puisse pas émerger. On allume la télé, pourquoi ? On lit des romans,
pourquoi ? On parle au téléphone, pourquoi ? Souvent seulement pour
empêcher la douleur de se manifester. C’est une politique de
refoulement et de répression. nous pratiquons un embargo sur les
graines négatives qui sont en nous, et créons ainsi une situation de
mauvaise circulation d’énergie. Par exemple, nous savons que parfois
le sang ne circule pas bien dans notre corps et que cela nous crée
des douleurs comme les maux de têtes ; nous faisons alors des
massages pour accélérer la circulation ou prenons des remèdes qui
nous soulagent. La même chose est vraie en ce qui concerne nos
peurs. Si on pratique une politique de répression, de refoulement,
alors on crée une situation de mauvaise circulation des formations
mentales telles que la peur, la colère, le désespoir ou la
souffrance ; et quand ces choses ne circulent pas bien dans notre
âme, dans notre conscience, alors émergent les signes de troubles
nerveux ou de stress profond et une dépression risque de
commencer... Il ne faut pas pratiquer une politique d’embargo. Il
faut ouvrir la porte pour que nos souffrances puissent se
manifester.
Mais nous avons peur
de la souffrance. Nous ne devons pas en avoir peur car nous
possédons cette énergie de la pleine conscience qui peut prendre
soin de notre douleur comme d’un petit enfant. Chaque fois que la
douleur se manifeste il faut lui souhaiter la bienvenue ; nous
sommes vraiment là pour elle, nous devons l’embrasser, « Chéri, je
suis là pour toi. . . » L’énergie de la pleine conscience est là
pour embrasser la souffrance.
La porte va s’ouvrir
et les formations mentales pourront alors circuler librement ; si
vous pratiquez cela pendant quelques semaines vous aurez alors une
situation de bonne circulation de votre psyché. C’est pourquoi le
Bouddha nous a enseigné d’inviter la colère. Il n’y a pas de combat
entre le bien et le mal, il y a seulement besoin d’un peu d’amour
pour découvrir cet état.
Il faut apprendre
l’art de transformer le compost en fleur.
Dans la méditation
nous devons observer et agir dans la non-dualité. Les déchets, les
ordures du mental peuvent toujours être transformés en leurs de
compassion, d’amour et de paix. Notre conscience est quelque chose
de vivant, de nature organique. Il y a toujours les déchets comme il
y a toujours les fleurs en nous. Le jardinier qui pratique l’art de
la culture biologique tâche de conserver les déchets parce qu’il
peut les transformer en compost et le compost en fleur. Ce jardinier
qui regarde un tas d’ordures voit déjà les légumes et les fleurs.
Donc on ne jette rien et un peu de pratique et de temps suffisent
pour transformer le tas d’ordures en compost. . . Et dans le compost
on peut voir des fleurs. Donc conservez vos énergies négatives,
conservez votre souffrance, vous allez en avoir besoin.
Regardez une fleur ;
la fleur est belle, elle est parfumée, le fleur est saine. Si vous
la regardez profondément vous pouvez déjà voir les ordures et le
compost qui sont en elle. . . Nous pouvons dès maintenant voir des
fleurs dans nos colères, nos ordures et nos déchets. . . La même
chose est vraie avec nos formations mentales : il y a des fleurs
comme la foi, l’aspiration, la compréhension ou l’amour, mais il y a
aussi des déchets comme la peur, le doute ou la douleur. C’est le
principe de non-dualité qui est en nous.
Si une personne n’a
pas souffert, cette personne-là ne peut jamais connaÎtre le bonheur.
Si une personne ne sait pas ce qu’est la faim, elle ne peut jamais
connaÎtre la joie de manger chaque jour. La souffrance est une
condition de compréhension de notre bonheur. Il faut donc savoir
apprendre de la souffrance, il faut savoir se servir de la
souffrance pour toucher l’énergie de la compassion, de l’amour, de
la compréhension. La méditation est la pratique de la non-violence,
de la non-dualité. Si je sais que l’amour c’est moi et que la
douleur c’est aussi moi, que la compréhension c’est moi et que la
souffrance aussi, alors je vais en prendre soin. Je ne vais pas
supprimer ma souffrance parce que je sais que je peux la transformer
en fleur... La fleur existe parce que la souffrance est là.
Ceci existe parce que
cela est...
Le Bouddha a dit.
« Ceci étant, cela est. . . » Donc il n’y aura pas de combat ni de
violence contre un élément de notre être. Il faut seulement prendre
soin de nous-mêmes, transformer notre souffrance et avoir une
attitude non violente vis-à-vis de notre douleur, de nous-mêmes et
de notre corps. Nous devons faire cela, non seulement avec nos
formations mentales mais aussi pratiquer exactement de la même façon
envers notre corps « J’inspire, je suis conscient de mes yeux,
j’expire, je souris à mes yeux. . . » Et nos yeux deviennent l’objet
de notre pleine conscience. Quand nous pratiquons ainsi nous
commençons à faire la paix avec nous-même parce que nous commençons
à comprendre la nature de nos yeux.
le paradis des formes
et des couleurs nous est offert
Si nous continuons à
pratiquer ainsi pendant quelques minutes, nous découvrirons que nos
yeux sont une des conditions de base pour notre bonheur... C’est une
chose merveilleuse. Nous n’avons qu’à ouvrir les yeux pour voir le
ciel bleu, les nuages blancs, les fleurs de cerisiers, le coucher du
soleil, le visage de notre enfant. . . Avec des yeux en bon état, le
paradis des formes et des couleurs nous est offert. Il y a des gens
qui ont perdu la vue et pour eux la retrouver serait un paradis ; et
nous qui avons des yeux, nous oublions cela. Vos yeux sont déjà une
des conditions de base de votre bonheur. Et la pleine conscience
suffit à toucher une de ces conditions-là. Nous pouvons pratiquer
cela avec chaque partie de notre corps.
La pleine conscience,
c’est la lumière du Bouddha
Si nous continuons,
nous verrons que notre corps est aussi une des conditions de base de
notre bien-être. Notre corps fonctionne normalement pour notre
bien-être, il travaille nuit et jour pour nous préserver vivant et
nous, pendant ce temps-Ià, nous avons le temps de dormir, de
méditer, etc. D’instant en instant notre cCEur irrigue toutes les
cellules de notre corps, sans relâche. Et pourtant nous n’avons pas
beaucoup d’attention ni de gestes amicaux envers lui ; il faut
retourner vers notre corps. En méditant comme cela nous aurons de la
sagesse, de la compréhension et de la compassion envers nous-même.
Et cette sagesse nous dictera la conduite, la manière juste de
diriger notre vie quotidienne.
Le Bouddha nous a
conseillé de pratiquer le toucher profond envers chaque partie de
notre corps. Nous pouvons balayer graduellement tout notre corps
avec l’énergie de la pleine conscience. Et le rayon n’est pas X,
c’est la pleine conscience, c’est là lumière du Bouddha. Il faut
balayer notre corps tout entier, profondément, pour pouvoir le
réveiller et faire la paix ; pour nous réconcilier avec lui. . .
Dans le bouddhisme on
pratique les cinq, les dix ou les deux cent-cinquante préceptes
parce qu’ainsi nous pratiquons le regard profond. Et les préceptes
nous protègent de notre souffrance. Si vous pensez que les préceptes
limitent votre liberté, vous avez tort : ils garantissent votre
liberté. Quand nous touchons notre corps avec la pleine conscience
nous commençons à l’entendre, et le message qui nous est envoyé est
très important, mais parce que nous ne sommes pas là, le message
n’arrive pas. Il faut être là et le toucher profond peut nous
révéler la situation exacte de notre corps ; si nous recevons ce
message nous cesserons toute conduite malsaine. . .
Sans la pleine
conscience, nous vivons comme des morts
Nous sommes tous des
rois et des reines et notre territoire est extrêmement vaste ; nous
régnons sur le domaine des cinq éléments. Et c’est la pleine
conscience de notre douleur qui peut nous aider à surveiller notre
territoire pour voir ce qui arrive, pour reconnaÎtre les graines du
conflit, les graines de la souffrance et de la dualité... Et c’est
seulement avec une vue aussi vaste de notre territoire que nous
ferons ce qu’il faut afin de rester roi et reine de ce domaine de la
forme, des sensations, des perceptions, des formations mentales et
de la conscience. Chaque fois que la pleine conscience naît, nous
naissons encore une fois dans la Terre de Bouddha, dans le royaume
de Bouddha. Nous redevenons vivant parce que nous touchons le moment
présent.
Pratiquer la pleine
conscience c’est ramener corps et esprit vers le moment présent et
chaque fois que l’on pratique cela on redevient vivant. Si on jette
un regard autour de nous on peut voir les gens qui vivent comme des
morts. J’utilise une phrase d’Albert Camus. « II vit comme un
mort. » Il y a des milliers de gens qui circulent autour de nous,
transportant leur propre cadavre.
Nous n’avons pas
besoin de beaucoup de temps. Une fraction de seconde suffit pour
revenir à la vie, parce qu’être vivant c’est être là, dans le moment
présent, dans l’ici et le maintenant ; et cela est possible avec une
seule respiration consciente.
Respire, tu es
vivant...
Avec la méditation,
on pratique la résurrection à chaque instant. C’est la pratique de
vivre au quotidien. Il ne faut pas se perdre dans le passé ni dans
le futur. Le seul moment où l’on est vivant, ou l’on peut toucher la
vie, c’est le moment présent, l’ici et maintenant.
Quand nous pratiquons
la méditation marchée, chaque pas nous ramène au moment présent.
Quand on marche sans la pleine conscience on sacrifie le présent
pour une destination... quelque part... On ne vit pas ; on vit comme
un mort. Quand on parle de destination on pourrait se demander
quelle est notre destination finale ? Peut-être le cimetière !
Pourquoi on se hâte toujours pour rien ? La vie n’est pas là, la vie
n’est pas dans cette direction... La vie est juste dans chaque pas.
Il faut marcher de telle sorte que la vie soit possible à chaque
pas. Et c’est ce que nous devons pratiquer à chaque instant. Marcher
comme une personne libre, de telle sorte que le royaume de Dieu soit
possible dans l’ici et le maintenant. Marcher de telle sorte que la
paix, la joie soient possibles ici, que la terre pure soit
disponible sous nos pieds.
Arrêtez d’attendre
pour pouvoir vivre...
Ce que l’on arrête en
premier c’est l’attente ; quand nous contemplons la pleine lune, si
nous pensons, alors la pleine lune n’est pas vraiment là, et nous ne
sommes pas là non plus. L’attente nous empêche de vivre chaque
moment de notre vie quotidienne d’une manière profonde. Quand on
regarde la lune, on regarde seulement la lune, c’est la méditation.
L’attente nous empêche de toucher la vie profondément : « Je pense
donc je ne suis pas vraiment là... »
La méditation nous
aide à toucher la non-peur
Et le plus grand
soulagement obtenu, c’est quand vous pouvez toucher le nirvana,
quand la non-peur est devenue quelque chose de la vie de chaque
jour. Nous avons une grande peur en nous ; nous avons peur de tout,
nous avons peur de notre mort, de notre solitude, nous avons peur
d’être abandonnés, nous avons peur du changement. . . Et c’est
seulement grâce à la non-peur que nous pourrons expérimenter le
soulagement total, le nirvana total.
Nirvana, qu’est-ce
que c’est ? Nirvana, c’est la fondation de notre être... C’est la
base de l’être comme l’eau est la base des vagues. Nous sommes les
vagues. . . Au début nous croyons que nous avons un commencement et
une fin, une naissance et une mort et nous pouvons penser, nous
pouvons croire qu’avant notre naissance nous n’étions pas là ;
qu’avant la naissance est le non-être, qu’après la naissance est
l’être, et qu’après la mort nous redevenons non-être. Regardons
ensemble dans cette direction, regardons profondément la vague qui
descend et qui monte. La vague vit sa vie de vague mais elle peut
vivre la vie de l’eau en même temps. Si la vague se penche vers son
fondement et touche sa substance qui est l’eau alors survient la
non-peur : le nirvana total.
Naissance et mort ne
peuvent pas toucher le bodhisattva
Nous vivons avec des
concepts tels que naissance, mort, être, non-être, unité, pluralité
mais nous n’avons eu ni la chance ni l’occasion de toucher la
fondation de notre être qu’est nirvana. On peut traduire nirvana par
extinction. Mais extinction de quoi ? Extinction, cela veut dire
tout d’abord extinction de toutes les naissances, y compris celle du
nirvana, du moi, de l’être, ou du non-être. . . La mort et la
naissance ne peuvent pas toucher la vague une fois que celle-ci est
redevenue de l’eau. Les concepts, les notions telles que naissance,
mort, être, non-être ne peuvent pas toucher l’eau. L’eau ne peut pas
être décrite et ses qualités ne sont pas exprimables. . .
Donc quand nous
parlons de naissance et de mort, d’être et de non-être, nous parlons
en terme de phénomènes. Dans le bouddhisme on appelle cela la
dimension historique. Quand nous parlons des vagues nous sommes dans
la dimension historique, mais quand nous parlons de l’eau nous
sommes dans la dimension ultime. Et dans la dimension ultime nous ne
pouvons parler de naissance et de mort, d’être et de non-être.
Quand je touche du
papier profondément, je touche un nuage
Si nous regardons
profondément dans la nature du papier, que voyons-nous ? Nous
pouvons d’abord voir un nuage. Parce que sans nuage il n’y aurait
pas de pluie et les arbres ne pourraient pas pousser. Donc quand je
touche du papier profondément, je touche un nuage. Et quoi encore ?
Il y a du soleil, parce que sans soleil les arbres ne peuvent pas
pousser, et il y a aussi la terre. . . Si nous continuons à
pratiquer le regard profond dirigé vers la feuille de papier, nous
pouvons voir le cosmos entier.
Alors nous pouvons
nous demander quelle est la nature de cette feuille de papier ?
Est-ce qu’avant de naÎtre la feuille de papier était le non-être ou
est-ce que la feuille de papier est de la nature du nuage ? Dans le
bouddhisme on enseigne que cette feuille de papier est libre de la
naissance et libre de la mort. Avant d’être feuille de papier elle
avait une autre forme comme nuage, comme soleil, comme terre, comme
arbre. . . La feuille de papier est seulement une forme constituée
des cinq éléments.
Nous aussi avant de
naÎtre avions déjà une forme, une autre forme. Le moment où la
feuille de papier est née n’est pas vraiment le moment de la
naissance. C’est juste un moment de continuité. Quand le papier
meurt, il ne redevient pas le rien ; le papier devient quelque chose
d’autre comme un nuage, comme la pluie... La pluie est la continuité
du nuage. . .
« Rien ne se perd,
rien ne se crée... »
Lavoisier n’était pas
bouddhiste mais il a pratiqué le regard profond dirigé vers la
nature des choses. Il a découvert la même chose : il n’y a pas de
vraie naissance, il n’y a pas de vraie mort. Sans naissance, il n’y
a pas de mort, il n’y a que transformation et continuité. C’est ce
qu’on trouve dans le Sutra du Coeur, l’essence de la Prajnaparamita.
Nous avons tous peur
de mourir. Mais est-ce que le papier peut mourir ? Prenons des
allumettes et regardons avec toute notre pleine conscience pour voir
si nous pouvons réduire le papier au néant, au non-être. Est-ce que
vous avez vu la fumée ? La feuille de papier est devenue une partie
d’un nuage. Peut-être qu’une prochaine rencontre avec la feuille de
papier aura lieu sous la forme de pluie ou d’eau ? Donc : au revoir
et à bientôt ! Une partie du papier est devenue une énergie de
chaleur, elle a déjà pénétré le cosmos et chacun d’entre nous. Et
les cendres, un moine les déposera dans un parc et peut-être que
dans quelques mois elles se transformeront en petites fleurs. . .
Donc le morceau de papier est déjà en voyage. Et ce n’est pas facile
de pouvoir suivre quelque chose comme les allées et venues d’une
feuille de papier. La même chose est vraie avec nous.
Notre vraie nature
est non-naissance et non-mort
Quand un maÎtre Zen
vous demande : « Quel était votre visage avant que votre grand-mère
soit née ? », c’est une invitation vers un voyage très profond à la
découverte de votre vraie nature. Notre vraie nature est la non
naissance et la non-mort. Nous sommes libres, nous ne sommes pas
pris dans la naissance et dans la mort car naissance et mort ne sont
que des notions que nous utilisons pour emprisonner la réalité.
Le Bouddha a déclaré
ceci : « II n’y a pas de monde, pas de naissance, pas de mort, pas
d’être, pas de non-être, pas de haut ni de bas... » Si ce monde-là
n’est pas là comment les mondes de la naissance et de la mort, de
l’être et du non-être, peuvent-ils être quelque chose de réel ?II a
parlé de la dimension ultime, il a parlé de l’eau mais en a juste
dit quelques mots car en ce qui concerne l’ultime nous ne pouvons
pas utiliser des concepts ou des mots. Nirvana ne peut pas être
décrit avec des concepts et des mots comme être ou non-être. Quand
on parle de Dieu, de la mort de Dieu, cela revient à dire qu’il faut
que la notion de Dieu soit morte pour que Dieu touche la vie. La
même chose est vraie avec le nirvana. Les théologiens érudits qui ne
se servent que de notions, de concepts et de mots et non de
l’expérience directe ne sont pas très utiles.
Il faut tuer la
notion de Bouddha pour que le vrai Bouddha puisse se révéler. Le
nirvana est à toucher, à vivre et non pas à décrire. Les notions,
les concepts déforment la réalité de l’ultime. . . Le Bouddha est
une chose, la notion de Bouddha en est une autre. Un maÎtre Zen a
dit ceci : « Si vous rencontrez le Bouddha sur votre route, vous
devez le tuer... »
La même chose est
vraie en ce qui concerne les concepts de naissance et de mort... La
peur naÎt de notre ignorance, de nos concepts concernant la vie et
la mort. Si nous pouvons nous débarrasser de tous ces concepts en
touchant la réalité en soi, alors la non-peur sera là, le grand
soulagement et le grand amour seront chose possible. Il faut
transcender la naissance et la mort, il faut se débarrasser de ces
notions parce qu’elles sont un obstacle à la réalité. . . Ces
notions ne peuvent pas être appliquées au monde non-né, au monde
non-mort.
Le nirvana n’est pas
quelque chose que nous devons rechercher parce que nous sommes déjà
le nirvana comme la vague est déjà l’eau. . La vague n’a pas à
rechercher l’eau parce que l’eau est la substance même de la vague.
Il nous faut vivre profondément puis toucher le nirvana, le monde de
la non-naissance, de la non-mort, le monde de la non-dualité. . . et
toute notre peur sera embrassée par cette connaissance directe de
notre vraie nature. . .
Etre ou ne pas être,
là n’est pas vraiment la question...
La vraie question est
d’avoir assez de concentration, assez de pleine conscience pour
pouvoir trouver la base de l’être, le nirvana. Et c’est pourquoi
nous devons faire en sorte que la pratique de la méditation, de la
pleine conscience soit la chose de la vie quotidienne. Quand nous
mangeons, quand nous buvons, quand nous marchons, nous pouvons
toujours pratiquer le calme, la concentration, le regard profond et
un jour nous pouvons toucher la réalité ultime de l’être.
la vie est une
éternité...
Méditer c’est générer
l’énergie de la pleine conscience pour que la vie soit là comme une
éternité et il faut vivre ces moments dans la vie quotidienne. Il
faut s’entraÎner un petit peu pour que la méditation devienne la vie
quotidienne. On inspire, on expire, on pratique la paix, et on
revient chez soi, dans sa vraie demeure, dans l’ici et le
maintenant ; on revient au moment présent pour toucher la Terre,
toucher notre territoire. . . Si tout le monde pratiquait cela alors
le monde deviendrait un monde de calme et de paix. . .
Nous devons nous
entraîner chaque jour à cultiver cette pleine conscience. Et il faut
des amis, des frères et soeurs dans le dharma pour pouvoir apprendre
cela facilement. C’est pourquoi on prend refuge en la sangha, car
pour pouvoir être initié à la pratique, il nous faut un soutien
c’est-à-dire une communauté de pratique.
Dans ma tradition on
dit qu’un pratiquant qui quitte sa sangha est comme un tigre qui a
quitté sa montagne pour descendre dans la plaine ; le tigre qui va
dans la plaine sera tué par les hommes. . . Si l’on pratique la
méditation sans prendre refuge dans une communauté de pratique,
alors on abandonnera sa pratique au bout de quelques mois. . .
Je vous souhaite à
tous, mes amis, d’avoir un frère ou une soeur qui pratique
sérieusement le dharma, peut-être aussi un maÎtre spirituel qui
possède la solidité de la joie, de la liberté, de la compréhension
profonde. . . Alors la pratique sera beaucoup plus agréable. . .
Conférence du 2 avril
1996 à la Mutualité (Paris), délivrée devant 900 auditeurs. Merci à
Karine Barbier de la revue DHARMA pour ce magnifique travail de
transcription Et merci à la revue pour l’autorisation de publier ce
texte.
Thich Nhat
Hanh
Village des pruniers
Centre Martineau
33580 Dieulivol
Téléphone :05 56 61 84 18
http://www.villagedespruniers.org/