La Haye : le 08 novembre 2004
L'assassinat du cinéaste et polémiste Theo Van Gogh, abattu par
balles, poignardé puis égorgé en pleine rue mardi dernier, n'a pas
fini de secouer la société néerlandaise. Le meurtrier présumé, Mohammed
B., 26 ans, de nationalité néerlandaise et marocaine mais né aux
Pays-Bas, et résidant de longue date à Amsterdam, n'aurait pas agi seul.
Il ferait partie d'une « cellule terroriste », selon le chef de la
police d'Amsterdam, Bernard Welten.
Van Gogh n'était pas le seul visé. Sur son corps, le meurtrier a
laissé une lettre ouverte de cinq pages en néerlandais menaçant de mort
la parlementaire libérale d'origine somalienne Ayaan Hirsi Ali.
C'est elle qui demanda à Van Gogh de réaliser le court-métrage
Submission, diffusé en septembre dernier par la télévision néerlandaise,
critiquant la violence contre les femmes engendrée par l'islam radical.

La lettre accuse aussi le chef des
parlementaires libéraux, Jozias van Aartsen, le maire d'Amsterdam, Job
Cohen, et le gouvernement de « terrorisme contre l'islam ». Lors de
son arrestation, Mohammed B. portait sur lui une seconde lettre,
d'adieu celle-là, indiquant qu'il s'apprêtait à mourir en martyr.
Se départant des procédures habituelles, le ministre de la Justice,
Piet-Hein Donner, et son collègue des Affaires intérieures, Johan Remkes,
ont divulgué jeudi le contenu des deux lettres. Selon eux, la lettre
ouverte reflète l'idéologie du Takfir wal-Hijra, une organisation
fondamentaliste islamiste liée à al-Qaida.
Depuis mardi, la police a interpellé plus d'une dizaine de jeunes
d'origine étrangère et sans papiers en relation avec le meurtre.
Dimanche matin, huit d'entre eux étaient encore sous les verrous,
accusés de « participation à une conspiration terroriste ». Deux autres
personnes ont été arrêtées pour avoir menacé de décapiter le
parlementaire indépendant Geert Wilders. Celui-ci a entre autre exigé
des mesures pour combattre l'islamisme fondamentaliste aux Pays-Bas.
Le meurtre de Van Gogh est « le début de la guerre sainte » aux
Pays-Bas, titrait le quotidien de centre gauche De Volkskrant
samedi. La veille, le vice-premier ministre Gerrit Zalm annonçait à
l'issue du Conseil des ministres que le gouvernement de centre droit
déclarait « la guerre en retour » à l'extrémisme musulman. L'assassinat
est « une attaque contre l'Etat de droit », affirmait-il.
Selon les services de renseignements (AIVD), entre 100 et 200
extrémistes islamistes seraient actifs aux Pays-Bas et tenteraient de
recruter des jeunes issus de l'immigration. Le gouvernement a annoncé
une série de mesures pour répondre à cette menace. Les services de
renseignements disposeront de plus d'hommes et de plus de moyens pour
assurer la protection de personnes menacées et pour placer sous
surveillance les extrémistes potentiels. Le gouvernement veut aussi
pouvoir déposséder de la nationalité néerlandaise les extrémistes ayant
une double nationalité. Enfin, il est question de fermer la mosquée
el-Tawheed à Amsterdam, soupçonnée de propager une idéologie islamiste
fondamentaliste et fréquentée par Mohammed B.
Le ministre de la Justice, Piet-Hein Donner, a prévenu que certaines des
mesures jugées nécessaires gêneront les citoyens. « La sécurité doit
primer sur la protection de la vie privée », a estimé le chef des
chrétiens-démocrates au Parlement, Maxime Verhagen, dans une interview
pour le quotidien NRC Handelsblad.
Et le libéral Van Aartsen de déclarer : « Nous avons franchi le seuil de
la mort. Ce qui est arrivé ici cette semaine arrive depuis bien plus
longtemps dans le monde qui nous entoure. L'islamisme radical a fait
plus de 2 000 morts à New York, près de 200 à Madrid et 1 aux Pays-Bas.
J'espère que nous n'allons plus nier le problème. »
Van Gogh achevait un film sur la vie du politicien populiste Pim
Fortuyn, assassiné en mai 2002. Fortuyn mourut de la main d'un
défenseur fanatique des animaux, un Néerlandais autochtone. Il
n'était pas visé pour ses vues critiques de l'islam et de l'immigration.
Les Pays-Bas pouvaient alors encore se croire à l'abri du fanatisme
islamiste. La mort de Van Gogh détruit cette illusion.
L'assassin présumé, un bon élève selon ses professeurs, est devenu un
musulman extrémiste aux Pays-Bas. Cela indique que l'islam
fondamentaliste est bel et bien devenu un problème néerlandais. Fortuyn
le disait déjà, mais n'avait pas été entièrement pris au sérieux. Le
meurtre de Van Gogh lui a donné raison.