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L'Humanité assiégée     

  la Vie

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De la course aux biotechnologies aux vertiges du cyberspace, des manipulations génétiques aux tentations eugénistes, de la marchandisation du monde à la chosification de la vie, la même question, obsédante, se trouve posée jour après jour : saurons-nous encore définir - et défendre - l’irréductible humanité de l’homme ? C’est à cette immense question que tente de répondre ce livre.

Jean-Claude Guillebaud tente de redéfinir clairement « le principe d’humanité » sans lequel il n’est d’autre avenir que barbare. « Il nous arrive quelque chose d’incroyable » s’étonne-t-il : les deux valeurs que nous célébrons et convoquons sans relâche, les deux principes que nous mettons constamment en avant, l’humanité et l’homme lui-même, sont aujourd’hui minés et menacés dans leurs fondements.  On n’hésite plus à mettre l’homme en question pour mieux le guérir…

. Les innombrables débats dans la presse ou devant les tribunaux concernant les avancées de la bioscience, clonage, recherche sur l’embryon, etc., sont traversées par une seule et même interrogation. Une interrogation si « énorme » « que devant elle la pensée hésite, la jurisprudence bafouille, les tribunaux s’égarent : où placer la vraie limite de l’humain, c’est à dire comment définir l’humanité de l’homme ? » Nous assistons à une révolution conceptuelle dont nous sommes les témoins muets. « Le fait nouveau, écrit Paul Ricoeur, est que l’homme est maintenant devenu dangereux pour lui-même en mettant en péril la vie qui le porte et la nature à l’abri de laquelle il découpait jadis l’enclos de ses cités ». On parle même d’humanité mutante, ce que le journaliste scientifique Hervé Kempf propose d’appeler « la révolution biolithique »(1).

( NDHqs ....et le Professeur Debré annonce dans un de ses livres:  L'homo scientificus ..venant remplacé l'homo sapiens.. prônant et glorifiant à cette occasion ...la Transgression..qui je crois est le titre de son livre....)

 « Aujourd’hui nous entrons dans une nouvelle ère, dominée par les techniques mariant le vivant au minéral. » Devant ce vide annoncé de l’homme nous sommes pris de vertige. ..... Il est devenu clair que l’homme ne devait plus jamais être assimilé ni à l’animal, ni à la machine, ni à la chose. L’humanité rétablie prit valeur de repère absolu. Le code de Nuremberg reformula un principe imprescriptible : tout homme, toute femme, tout enfant –même handicapé mental, même sans conscience, même sans langage, même agonisant- est membre à part entière de l’espèce humaine.

Devant l’importance de ces questions, J-C. Guillebaud s’étonne : « en toute logique, des interrogations aussi fondamentales devraient occuper la totalité de l’espace démocratique. » Or extraordinairement il semble que nous avancions dans une « frivole confusion » sans doute due à la complexité des problèmes posés, à l’incohérence manifeste de certaines décisions judiciaires, à l’hétérogénéité des cultures européennes et à une perplexité générale.

 

Une triple révolution

Nous assistons en fait à une triple révolution :

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révolution économique globale,

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révolution informatique ou numérique

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révolution génétique.

 Et c’est seulement en référence aux deux premières que l’on peut comprendre la révolution génétique, parce que « ces trois révolutions sœurs font déjà système. »

« Les vrais sujets d’inquiétude ne sont pas liés à telle ou telle de ces révolutions mais à l’interaction des trois, à l’interférence de l’une sur l’autre, à l’accélération intempestive de l’une sous l’effet mécanique des deux autres. » « Pour prendre un exemple, ce ne sont pas forcément les neurosciences ou la génétique qui posent problème, c’est l’arraisonnement de ces deux disciplines par les logiques financières hors contrôle. » L’auteur montre combien la compétition sans merci que se livrent les pays développés perçoit comme un handicap tout appel à la prudence ou toute objection éthique. L’essence et l’organisation de la recherche scientifique, sont peu à peu dénaturées sous l’effet de ce télescopage. Toute la question reste donc de savoir si nous acceptons d’abandonner la définition d’humanité aux « frénésies décervelantes d’un processus sans sujet ».

 

L’humanité assiégée

L’auteur passe ensuite en revue les différentes coups portés au principe d’humanité.

L’homme réduit à l’animal ?

L’homme est souvent défini aujourd’hui comme un animal comme les autres. Parallèlement on observe une très grande bienveillance dans l’opinion pour les animaux.

Mais la barrière des espèces étant ainsi levée, l’homme est descendu de son piédestal et ainsi insensiblement passe-t-on d’un écologisme militant à l’antihumanisme. Et de citer parmi les défenseurs de cette « deep écology » le philosophe australien Peter Singer pour qui « les défenseurs des droits de l’homme se rendent coupables d’un racisme sournois à l’encontre des autres créatures. » Avec Cavalieri il estime que si l’on accorde les droits liés au statut d’humain aux handicapés mentaux ou aux traumatisés cérébraux, alors il faut accorder le même privilège à certains animaux. Ainsi la volonté de minimiser la frontière entre l’homme et l’animal et de la remplacer par une gradation entre les deux conduit mécaniquement à l’hypothèse d’une sous humanité et donc ouvre la porte aux rapports de force et à la volonté de domination.

L’homme réduit à la machine ?

L’homme peut-il être assimilé à une machine ? Son cerveau peut-il être ramené au jeu complexe des connexions neuronales ? L’auteur montre ici combien l’influence des cognitivistes a été déterminante : ils soutiennent que ce que l’on appelle la conscience est en fait réductible à un processus que l’on pourrait reproduire artificiellement. L’humanité de l’homme est effacée. La machine peut aussi être conçue pour être greffée à l’intérieur même du vivant jusqu’à faire corps avec lui. Elle colonise alors l’homme.

L’homme réduit à la chose ?

Le vivant tout entier, du végétal à l’animal, puis à l’homme, risque de devenir un objet d’appropriation, de commerce et de profit. La certitude que l’homme est sa propre fin, qu’il n’est ni échangeable ni remplaçable est mise à mal. Le corps est devenu objet de commerce (vente d’ovules sur internet…) et objet de bénéfice. Nous assistons à une privatisation progressive du vivant. C’est l’enjeu considérable de la « brevetabilité du vivant » que l’auteur détaille. Le brevetage ne concerne plus seulement les inventions génétiques mais il est étendu aux simples découvertes. Plusieurs milliers de fragments d’ADN humain ont déjà été déposés aux Etats-Unis…

L’énigme de l’embryon

Toutes ces contradictions insurmontées entre éthique et loi expliquent la tournure que prennent les débats touchant au statut de l’embryon. Guillebaud constate que ce débat immémorial a été mis entre parenthèses lorsque les sociétés occidentales renoncèrent à pénaliser l’interruption volontaire de grossesse mais revient sur le devant de la scène grâce à la recherche scientifique.

Guillebaud fait valoir la contradiction dans laquelle nos sociétés avancent. D’un côté la science nous conduit vers une personnification sans cesse plus avancée du fœtus mais à l’opposé le droit à l’avortement et la recherche sur l’embryon font de ce dernier un objet à la disposition de la mère ou de la science. La contradiction est totale. Sauf à ruser avec le langage.

La modernité régressive

Abandonné à lui-même et appliqué à l’homme, le projet technoscientifique reconstitue des modes de domination et fonde un nouvel antihumanisme : colonialisme (brevetage pour les grands laboratoires pharmaceutiques), racisme (on évalue le profil génétique de chacun), eugénisme (en introduisant des degrés dans l’accession à l’humanité : concept de pré-embryon, clonage …)… L’auteur attire également notre attention sur l’influence néfaste et déterminante des idéologies sur la génétique. Du mythe du « tout génétique » à la tentation d’un « eugénisme positif » la génétique oscille entre orgueil et amnésie

 

 L’alliance retrouvée

Rompre l’enfermement scientiste, retrouver un chemin vers l’humanité de l’homme, tel est l’enjeu de ce livre. Ceux des scientifiques qui conservent une distance minimale à l’égard du scientisme refusent de réduire notre vie intérieure, produit de notre expérience de sujet, à la biologie. Aujourd’hui on assiste même à une crise du matérialisme. La vieille idée de matière est malmenée par la complexité du mouvement atomique. Dans le domaine de la biologie génétique et des neurosciences cette crise est encore plus frappante. La spécificité du gène ne vient pas de son aspect substantiel mais du message qu’il transmet, de son information. L’information génétique et immatérielle est un langage. Le principe de vie procède donc d’une certaine parole, que nous savons partiellement recopier, mais sans la comprendre. Cet extraordinaire retour de l’immatériel au sein de la pensée scientifique vient ruiner les vieilles intolérances scientistes. « La science ouvre désormais la porte à une possible réconciliation entre matérialisme et spiritualisme ».

En nous demeure un principe de liberté et d’humanité échappant à toute rationalité instrumentale. « L’handicapé mental comme le trisomique, (…), l’aliéné comme le mourant : tous me sont irréductiblement semblables. Ce n’est pas rien, puisque le reste, tout le reste, en découle.»

J. C. Guillebaud, Le principe d’humanité, Ed du Seuil, sept. 2001.

20.11.01

NOTES :
Confusion entre l'homme ...animal ...ordinateur

l'unicité du savoir ..."Je pense que la religion reprendra une vigueur durable si elle exprime les plus hautes valeurs de l'humanité, en accord avec les connaissances"..... Edward O. Wilson

5.12.05... lemond.... Demain, des athlètes seront génétiquement modifiés..."Le dopage génétique arrivera un jour, assure Olivier Rabin, directeur scientifique de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Certains scientifiques nous disent avoir été approchés par des sportifs ou leur entourage." Ainsi Lee Sweeney, chercheur à l'université de Pennsylvanie (Etats-Unis), qui est parvenu en 2004 à modifier génétiquement des souris et des rats pour les rendre plus musclés et plus forts.

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