IL y aura 
        exactement, quatre-vingt dix
        ans, 
        le 24 décembre 
        prochain, 
        que  Daniel Halévy publiait, 
        dans les 
        célèbres 
        Cahiers 
        de la 
        quinzaine 
        qu'avait 
        fondée 
        Chartes 
        Péguy, un 
conte 
        philosophique ayant la forme 
        d'un roman d'anticipation, une 
        fable en quelque sorte,
        Histoire de 
        quatre 
        ans. 1987--2001.
        
        Daniel 
        Halévy. t1872-1982) (1) appartient 
        à une 
        famille qui, par les dons 
        et talents éclatants dont 
        témoignèrent les membres des 
        générations - successives,
        traverse en une chaîne 
        ininterrompue 
        les XIX' et XX' siècles français. 
        
        ........
        
        Voici
        donc un texte de moins
        de 150 pages- que Péguy,
        comme Sorel tenait pour
        un 
        chef-d'oeuvre, et qui 
        en une langue limpide, fait le 
        récit de l'effroyable 
        catastrophe qu'allait 
        connaître la société française
        à la fin de ce siècle, 
        c'est-à-dire justement dans les 
        années où 
        -nous entrons, 
         il arrive que
        les propres, petits-fils 
        de Daniel Havely - tel Pierre Joxe
        - soient 
        aux commandes. Une catastrophe qui 
        vient de 
        loin; 
        mais 
        dont 
        l'écroulement est bref, resserré en 
        quatre 
        années.
        
        Qui vient 
        de loin, de la disparition de 
        la paysannerie, dont ce grand 
        bourgeois parisien qu'était 
        Daniel Havély tenait à juste titre 
        qu'elle avait été l'assise 
        sociale, la « force dure 
        et sécrète 
        » sur laquelle avait pris 
        appui 
        la brillante histoire de France
        (2) 
        Or, cette France rurale s'était vidée,
        dépeuplée : 
        « Qu'elle était grandiose 
        et triste, 
        cette 
        campagne... elle étai
        déserte, et semblable à une brousse
        immense. Parfois, 
        on 
        distinguait au 
        milieu des arbres, 
        les arêtes
        d'un clocher ruiné 
        dominant les hauts mur d'une
        église. Des
        vestiges d'habitations 
        s'élevaient alentour,
        c'était
        l'emplacement d'un ancien village 
        (p. 13).
        
        Ce total 
        dépeuplement des campagnes, Halévy l'annonçait comme
        dû à l'abandon des anciens modes
        d'alimentation humaine, 
        depuis -que des savants  
        étaient parvenus à fabriquer 
        une matière organique, qui, 
        d'abord coûteuse, avait dans les 
        villes où ils s'entassaient, chassé 
        des centaines de milliers de 
        miséreux et d'indigents, mais 
        qui, par la  suite, était 
        devenue si bon marché, presque 
        gratuite, qu'il suffisait désormais
        qu'ouvriers et employés des 
        usines et des bureaux 
        travaillent quelque heures 
        par jour.
        
        Ainsi se 
        trouvaient libérées
        
        émancipées»,  des 
        foules énorme et oisives, 
        indifférentes, quoi qu'on leur proposât, à la culture dont s'honorait 
        une élite recrutée parmi les universitaires, 
        foules qui, démoralisées avilies, dégénérées, droguées, affolées, 
        se ruaient vers les lieux de plaisir 
        : 
        -« L'attention fut d'abord attirée
        par certaines déformations de 
        l'instinct sexuel, par une 
        licence à la fois, ordurière 
        et raffinée, et  partout répandue  (p. 17).
        
        C'est 
        alors qu'éclata une terrifiante 
        épidémie qui, par ,millions, enleva en quelques jours: en 
        quelques mois, en quelques saisons, 
        la majorité des vivants. Daniel Halévy , ne
        donne à cette épidémie aucun nom
        particulier :
        ni peste. ni choléra,ni 
        sida; Une épidémie si meurtrière que
        la France, puis les pays 
        voisins; et finalement le 
        continent européen, pour la 
        première fois depuis le XVI' 
        siècle, succombèrent devant les 
        attaques,que les musulmans, de
        Shanghai à Tanger, lancèrent 
        contre eux (p. 87).
        
        Comment 
        cependant Halévy conçoit-il 
        le, salut qui,-au bout de 
        quatre ans, va tirer la France de 
        l'abîme ? Hélas ! à nos yeux 
        d'aujourd'hui, si son imagination 
        lui a dicté 
        bien des traits d'un mal et d'un 
        malheur qui effectivement sont les
        nôtres à la veille du second 
        millénaire, 
        en revanche sont bien dépassées 
        les formules sociales auxquelles 
        il se rallie et dont on croyait 
        pouvoir attendre, il y a un siècle, le retour 
        une société saine, en marche. Vers 
        le progrès.
        
        Halévy recense en effet  trois 
        groupes, et trois groupes seulement 
        très minoritaires 
        qui, pratiquant la 
        vertu, sont en mesure de constitues
        une élite destinée à
        régir autoritairement une société elle même à 
        trois vitesse.
        Trois groupes 
        ? Un petit groupe 
        d'abord, de 
        « vieux catholiques"
        ayant échappé au désastre 
        dans lequel l'Église 
        catholique s'est abîmée avec toutes les
        autres composante 
        d'un monde en perdition . Un second
        groupe, plus consistant, 
        encore que dispersé, de 
        savants  rassemblée
        dans des fédérations 
        de sociétés savantes, dans 
        des universités populaires, 
        dans des 
        laboratoires où s'impose, 
        la hiérarchie des savoirs 
        positifs : ce sont- eux qui, 
        mènent la lutte concrète 
        contre toutes les variétés 
        d'atteinte à l'hygiène publique.
        
        Enfin, le troisième groupe, le plus
        nombreux, est constitué par 
        les habitants de 
        «colonies» 
        ou vivent, 
        travaillent, ..prospèrent, libres,
        joyeux, sains, dignes,  égaux 
        entre eux, des 
        compagnons, et militants socialistes,
        socialistes certes, mais 
        socialistes libertaires, 
        c'est-à-dire des, proudhoniens, pour qui, loin de
        la dictature du prolétariat 
        de laquelle 
        se réclamaient Marx et les 
        marxistes autoritaires-, ce 
        qui comptait, c'était la 
        commune de basé, autonome, sans 
        ,Dieu ni maître, 
        abbayes de Thélème où, 
        dans des -vallées et
         les 
        valions des
        montagnes jurassiennes, on
        fabriquait gaiement laitages 
        et fromages. 
        A moins que, poussant plus loin encore
        ce fut de Nietzsche et du nihilisme 
        qu'on, s'inspirât
        
        Trois 
        groupes, donc, appartenant à 
        l'élite d'une société qui, elle, devait 
        fonctionner à trois vitesses. Car si 
        les élites étaient libres et
        saines, elles 
        avaient pour fonction, pour 
        obligation, d'encadrer, de 
        guider, de diriger, d'être 
        les maîtres de deux classes inférieures :
        la classe 
        intermédiaire 
        des  "stagiaires", qui, sur 
        le pourtour
        des colonies pouvaient être 
        accueillis dans 
        des 
        stations hygiéniques, 
        et, 
        au-dessous 
        encore, la classe des « astreints
        », appelée a
        peupler des sortes d'immenses
        goulags, où 
        , 
        de retour de vagues chantiers, ils finissaient 
        de mourir.
        
        Roman 
        d'anticipation`? Parfois pire , parfois moins 
        dur que notre réalité présente.
        Mais au total une 
        idée peut-être juste : 
        " le 
        bonheur, n'est-ce  
        pas une affaire de 
        bravoure? » (p.82).N'est-ce 
        pas là la valeur qui, en 
        priorité, a disparu au cours 
        du siècle ?
        
        A. K.
        
        
        (I) Cf la revue 
        Contrepoint n°
        20 
        février 1976. 
        Sous la direction de Geoges 
        Liebert. 
        
        
        (2) Daniel Halévy. 
        Visite aux Paysans du 
        centre. Grasset, 1934, 
        Réedition collection  
        "Pluriel ", 1970, 
        préface de Maurice Agulhon.
        
         
         Curieux ce même jour paraissait en dessous de 
        cet article un texte avec pour titre ... "Saddam Hussein, prix Nobel ?"  
        un article  de Patrick Wajsman ... s'élevant contre la 
        normalisation des relations avec le dictateur....  il y a prés de  
        dix ans....