Au XIXe siècle, on avait une raison
puissante de revêtir les écoliers et les collégiens d'un uniforme. Les
sociétés européennes étaient profondément travaillées et divisées par
la lutte des classes. Il fallait fédérer les individus autour de
l'idée nationale, cette utopie fragile et réversible. Dans le Peuple,
Michelet exaltait l'école vraiment commune où les enfants de toutes
classes, de toutes conditions, viendraient s'asseoir ensemble et où
l'on apprendrait rien d'autre que la France ». L'école a longtemps
rempli cette tâche par l'enseignement de l'histoire qui veillait sur
la mémoire des grands ancêtres, par l'instruction civique qui
diffusait les valeurs de patriotisme, et par un habit scolaire
homogène symbole d'un ordre fraternel où les inégalités de classes
s'estompaient. C'était cela, l'ethos de l'école républicaine un
effort, une ascèse pour « effacer la frontière entre la portion
éclairée et la portion grossière du genre humain », selon le programme
de Condorcet. Aujourd'hui, on aurait non plus une mais deux bonnes
raisons de dissimuler sous un uniforme les particularismes.
L'institution scolaire dessoûle à peine d'une ivresse de trente ans.
Traditionnellement lieu de transmission et d'autorité (au sens
arendtien du terme ce qui fait autorité), l'école a besoin de se
ressourcer dans ses principes fondateurs en redevenant un sanctuaire
isolé des bruits du monde, en créant un espace de neutralité soustrait
à la pression des valeurs de consommation, de loisir et aux urgences
médiatiques. Ne serait-ce que sur un plan purement symbolique, un «
vêtement pour tous » serait une manière de rappeler aux élèves qu'ils
appartiennent à une institution dédiée à l'universel. Mettre l' «
apprenant » (sic) au centre du système scolaire ? Oui, bien sûr...
Mais ne pas oublier, ce faisant, de garder l'universel en son coeur !
Et puis, il y a urgence. Partout, c'est l'incendie des identités
vindicatives. Il n'y a plus de frein à l'expression des différences
personnelles, à l'affichage de ses idiosyncrasies. Du piercing à la
compétition des marques, du fashion victim au « foulardisme »
fanatique, tout est occasion pour faire la promotion de soi. Une
alliance inquiétante entre le narcissisme de l'ère du vide et
l'intégrisme des identités recomposées rend incompréhensible à nos
contemporains la promesse d'un monde commun. Et le malheur, c'est que,
face à cette dérive, certains pédagogues prônent l'adaptation de
l'institution scolaire en faisant d'elle un simple reflet du patchwork
culturel et cultuel. Alors voilà... devant ces surenchères
additionnées, devant le forcing d'Aubervilliers, on redécouvre
finalement la pertinence d'un très vieux principe, fondateur de l' «
éducation de l'homme moderne », comme disait Eugenio Garin
l'extériorité façonne l'intériorité ; l'habit scolaire fait le
citoyen. Au frontispice de l'université d'Oxford, on l'a d'ailleurs
gravé dans le marbre : « Manners Make Man ».