l'heure des comptes  .....Yvan Rioufol

Dossier :

Extraits :   L'état de la nation, chamboulée par trente ans de politique constante, invite ses représentants à analyser les erreurs commises. L'exercice est attendu par les citoyens, qui n'ont plus confiance en leurs mandataires et leurs discours décalés. Mais le parler vrai ne peut s'arrêter à la seule description des faits. Il oblige à fouiller les causes ayant affaibli le pays, malgré ses richesses et ses technologies de pointe

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Source:    le Figaro

 

Le bloc-notes d'Ivan Rioufol

01 juillet 2005

L'heure des comptes

«Tout le monde doit rendre des comptes, être responsable de ce qu'il fait. Y a-t-il une profession qui peut être à part ?» Nicolas Sarkozy, disant cela (1), pensait aux magistrats ayant, en 2003, remis en liberté Patrick Gateau : condamné à perpétuité en 1990, il est présumé avoir assassiné Nelly Crémel le 2 juin. Comment, en effet, ne pas être choqué par la légèreté de la justice quand elle néglige le sort des victimes, au prétexte «de ne pas oublier la dette de réhabilitation due aux condamnés» (2). Mais les hommes politiques sont-ils prêts, eux aussi, à rendre des comptes ?

Les élites, désavouées le 29 mai par les Français, tardent à s'interroger sur leurs bilans. Quand le ministre de l'Intérieur et ses lieutenants choisissent, ces jours-ci, de dénoncer «les professionnels de la pensée unique», les «bien-pensants», les «nouveaux censeurs», ils parlent comme les nonistes qu'ils combattaient le mois dernier. Cependant, ce ralliement tardif et ces mots musclés («on va nettoyer au Kärcher» la cité des 4 000 de La Courneuve) ne suffiront probablement pas à renouer durablement les liens avec le peuple.

L'état de la nation, chamboulée par trente ans de politique constante, invite ses représentants à analyser les erreurs commises. L'exercice est attendu par les citoyens, qui n'ont plus confiance en leurs mandataires et leurs discours décalés. Mais le parler vrai ne peut s'arrêter à la seule description des faits. Il oblige à fouiller les causes ayant affaibli le pays, malgré ses richesses et ses technologies de pointe auxquelles s'est ajouté cette semaine le projet de réacteur expérimental à fusion nucléaire (Iter).

Quand Thierry Breton, ministre de l'Économie, reconnaît qu'«il y a vingt-cinq ans, il n'y avait pas de dette», il suggère un gaspillage qu'il se garde de corriger. Le démographe Alfred Sauvy constatait il y a vingt ans, parlant de «l'Europe submergée» par l'immigration du Sud : «Pour le moment, le grand vainqueur est l'insouciance.» Aujourd'hui, c'est la dissimulation et le mensonge. La philosophe Élisabeth de Fontenay déclarait en 2003 : «La plupart de nos concitoyens découvrent que, depuis quinze ans, les ministres n'ont pas cessé de leur cacher l'étendue de la déviation communautaire.»

La France est malade de décennies de raisonnements idéologiques, choix démagogiques, utopies fumeuses, fuites en avant et autres lâchetés collectives qui ont découragé les entrepreneurs, prolétarisé les salariés, asséché la culture, décérébré l'école, déshumanisé les relations, enlaidi les paysages, «ghettoïsé» les cités, radicalisé les exclus, fragmenté la nation. Une société à irresponsabilité illimitée, où 76% des jeunes rêvent d'être fonctionnaires, s'est progressivement constituée. La faute à personne ?

Il ne s'agit pas d'ouvrir le procès des élus, qui ont beaucoup de mérite à remplir leur mission – ou alors il faudrait mettre également sur la sellette les médias qui les ont accompagnés, les intellectuels qui les ont encouragés, les électeurs qui les ont choisis. Mais quitte à rompre avec l'Ancien Régime, autant que les hommes politiques conviennent précisément de ce qu'ils ne doivent plus faire.

Le bilan des belles âmes

Comment comprendre, par exemple, la décision du Parti socialiste, lundi, de ne pas se rendre à l'invitation de Dominique de Villepin, au prétexte que le Front national avait pareillement été convié par le premier ministre à exposer ses vues sur l'Europe ? Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a accusé le gouvernement de «courtiser le populisme et de faire des ronds de jambes» à l'extrême droite. Le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) a dénoncé, lui, un «affront à la démocratie». Ces postures sont les meilleurs soutiens de Jean-Marie Le Pen.

La gauche et l'extrême gauche ne cessent de mettre artificiellement le FN au centre de la vie politique. Alors que la France subit la honte d'avoir une extrême droite parmi les plus puissantes d'Europe, les belles âmes la protègent, en l'excluant d'un dialogue démocratique dans laquelle elle a tout à perdre au regard des solutions qu'elle propose. En réalité, le PS confirme son incapacité à s'affirmer à gauche autrement qu'en opposition à Le Pen. Les socialistes s'interdisent du même coup de sortir d'une pensée pétrifiée et d'aborder sans tabous des thèmes chers à leur électorat.

Dans le fond, ces donneurs de leçons d'antiracisme, d'antidiscrimination, de moralisme républicain devraient aussi rendre des comptes. Car c'est à cause de leur terrorisme intellectuel que les débats sur les grands sujets de société, liés notamment à l'accueil de populations nouvelles et aux droits de certaines minorités, ont été rendus impensables en France. Ces mêmes démocrates ferment encore les yeux sur le racisme anti-Blancs des cités, au prétexte qu'il est porté par des jeunes déshérités.

D'ailleurs, ce sont aussi ces bons apôtres qui portent une responsabilité dans l'endoctrinement «citoyen» qui a gagné l'Éducation nationale. Leur influence se lit jusque dans les sujets du bac. L'un d'eux proposait cette année de louanger l'IVG (3). Un autre invitait, à travers un texte du chanteur Pierre Perret (Lily), à dénoncer l'intolérance et le racisme des Français et à «argumenter» pour prouver que la France n'est pas «le pays de Voltaire et d'Hugo», comme s'en indignait heureusement, samedi dans Le Figaro, l'universitaire Marie-Christine Bellosta.

Juger les juges

Pour en revenir à la justice : quand elle en est à placer en détention des innocents et à relâcher des assassins, à faire arrêter des avocats et libérer des truands, elle ne tourne plus rond. Aussi n'y a-t-il rien de choquant à proposer que les magistrats puissent rendre des comptes et répondre de leurs fautes éventuelles. Le drame de cette mère assassinée par un récidiviste, ajouté à ceux des accusés d'Outreau et d'autres justiciables emprisonnés à tort, ne peut se contenter d'explications du genre: «Nous n'avons fait que respecter la loi à la lettre. Mais malheureusement, nous ne sommes pas maîtres du futur du prisonnier une fois celui-ci remis en liberté. On ne peut pas prévoir ce qu'il va devenir» (dans Le Parisien, propos d'un des juges ayant libéré Patrick Gateau).

La place prise par la justice (y compris par ses intrusions dans la sphère politique) et la compassion généralement portée par la profession à l'accusé plutôt qu'à la victime – de peur de faire voir une coupable «volonté de punir» – plaident pour une responsabilisation des juges. Quand le magistrat Denis Salas (2) estime qu'«on ne peut rendre responsable un juge des conséquences qu'il n'a pas voulues», l'argument revient à excuser des manques de discernement ou des incompétences. Dans ce contexte, la manifestation des magistrats, prévue aujourd'hui devant le Palais de justice de Paris pour dénoncer les propos de Sarkozy contre les juges, risque de ressembler à la mobilisation d'une corporation défendant son statut d'intouchable.

La leçon faite à Edgar Morin

Un cas de figure similaire – c'est-à-dire un groupe se réclamant de la «morale» et prétendant pour cela à l'impunité – se présente avec la pétition d'intellectuels de gauche publiée vendredi dernier par Libération, en solidarité avec Edgar Morin. Le sociologue a été condamné le mois dernier, avec Le Monde, pour «diffamation raciale» par la cour d'appel de Versailles, après une plainte de France-Israël et d'Avocats sans frontières.

Dans une tribune du 4 juin 2002, Morin avait notamment écrit : «Les juifs d'Israël, descendants des victimes d'un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés, humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens. Les juifs, qui furent victimes d'un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs victimes de l'inhumanité montrent une terrible inhumanité. (...). Et encore : «On a peine à imaginer qu'une nation de fugitifs (...) soit capable de se transformer en deux générations en peuple dominateur et sûr de lui et, à l'exception d'une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier.»

Ce texte, signé par un antisémite avéré, aurait vraisemblablement fait hurler la bien-pensance humaniste. D'autant que la liberté d'expression n'a jamais été sa préoccupation affichée, elle qui laissa caviarder des passages du Journal de Renaud Camus consacrés aux juifs, qui n'a jamais protesté devant les opinions poursuivies au nom de la loi Gayssot et que l'on n'a pas entendu dénoncer la pénalisation des propos homophobes. Aussi est-il piquant de voir les donneurs de leçons d'antiracisme trouver insupportable d'en recevoir à leur tour. Certes, ils ont raison de défendre la liberté de critiquer la politique d'Israël. Mais la justice a bien fait de rappeler la lourde ambiguïté de l'antisionisme, lorsqu'il exonère les Palestiniens de toute responsabilité et ignore les appels des islamistes à détruire Israël au nom de la haine antijuive.

L'Iran plonge

L'islamisme, encore : il vient de triompher en Iran avec l'élection du radical Mahmoud Ahmadinejad, élu avec près de 62% des voix, dans le cadre d'une loi électorale permettant aux gardiens de la révolution d'écarter les candidats indésirables (sur 47 millions d'inscrits, Ahmadinejad a recueilli 17 millions de voix). «Nous n'avons pas eu la révolution pour avoir la démocratie» a déclaré le nouveau président, qui entend me