«Etes-vous certain de bien les
connaître ?» Le slogan du Forum Ipsos consacré aux enfants de la
rentrée 2005 (1), assorti du sourire ricanant d'une pré-ado, pourrait
presque introduire un nouvel épisode des Envahisseurs... L'objectif :
montrer que la génération des 6-14 ans est en totale mutation...
D'autant qu'avec la tendance aux KGOY (2), ces nouveaux
extraterrestres plongent plus vite dans le mystère de l'adolescence,
ses rituels, ses codes et sa mode. Un phénomène de «précocisation»
déjà repéré par les psys : obésité, conduites à risque de plus en
plus jeune. Ces enfants grandissent d'autant plus vite qu'ils sont
maintenant «éduqués» par Internet : «C'est la première génération née
avec le Net», précise Rémy Oudghiri, directeur du département
«tendances» chez Ipsos : si 28% des 6-8 ans sont déjà internautes, le
chiffre grimpe à 68% pour les 11-12 ans : l'âge où ils commencent à
télécharger de la musique. «Cette éducation virtuelle leur a donné un
certain nombre de réflexes : absence d'intermédiaire dans la recherche
d'infos, accès à la gratuité. Ils sont les rois du troc et de la bonne
affaire, n'hésitant pas à comparer les prix, à revendre leur ancienne
«Play» pour racheter la nouvelle !»
Bref, ces «enfants du Net» ont
développé seuls une culture «perso» : à 6-8 ans, 25% d'entre eux
possèdent leur propre télévision, et 18% un micro-ordinateur. A 13
ans, ils sont 25% à pouvoir surfer dans leur chambre, loin du regard
des parents. «Autant de facteurs qui les isolent totalement de
l'influence culturelle familiale», analyse pour sa part la sociologue
Dominique Pasquier (3), qui voit là les prémices d'une vraie «rupture
de transmission culturelle» entre parents et enfants. «Hier, analyse
la sociologue, les enfants étaient en rébellion contre la transmission
parentale. Aujourd'hui, ils évoluent dans une culture parallèle.»
Résultat ? La transmission n'est plus verticale (de parent à enfants)
mais horizontale (peer to peer), ce qui, d'après la sociologue, les
propulse dans un monde de diktats et de codes encore plus pointus :
«Hannah Harendt, dans les années 50, disait déjà que, «affranchi de
l'autorité des adultes, l'enfant n'a pas été libéré mais soumis à une
autorité bien plus effrayante : la tyrannie de la majorité». C'est
tout à fait le cas aujourd'hui.»
D'où l'émergence, dès la classe de
sixième, de ces fameuses tribus, avec leurs icônes et leurs marques.
«Désireux de voir leur enfant s'intégrer au groupe, les parents
cèdent», souligne encore la sociologue. Du coup, plus besoin de se
rebeller. «Nous avons été surpris de constater que ces nouveaux
enfants sont des anges d'obéissance, constate Rémi Oudghiri. Ils n'ont
plus à négocier la permission de minuit, puisqu'il leur suffit de se
retrancher dans leur chambre pour poursuivre leur vie parallèle sur
des chats et forums. Et s'ils obéissent à leurs aînés, c'est parce
qu'ils savent qu'un comportement «racaille» peut nuire à leur livret.
Or ils rêvent plus que jamais de réussite...»
(1) «Kids attitudes, l'observatoire
des 6-14 ans...» Etude réalisée auprès de 2 300 enfants et de leur
mère.
(2) «Kids Getting Older Younger»,
les enfants qui grandissent plus vite.
(3)Auteur de Cultures lycéennes, la
tyrannie de la majorité (éditions Autrement).