Le bloc-notes d'Ivan Rioufol
Le Figaro 06 janvier 2006
L'année s'annonce rude pour le
bien-pensisme : son aveuglement sur l'état du pays a rendu nombre de
Français hostiles au discours unique. Il a interdit de critiquer, sous
peine de bannissement, l'insouciant assistanat et l'angélique
mélangisme, qui ont conduit au surendettement et à l'éclatement
ethnique. Banqueroute et guerre civile ne sont plus des scénarios
farfelus. C'est pourquoi les lucides veulent rompre avec ces
démolisseurs qui pontifient encore.
Depuis la fronde du 29 mai, qui a vu
les électeurs tenir tête aux oukases des politiques et des médias, le
bon sens est redevenu une vertu. Comme le remarquait Voltaire en 1762
dans son Traité sur l'intolérance : «Chaque jour la raison pénètre en
France, dans les boutiques des marchands comme dans les hôtels des
seigneurs. Il faut donc cultiver les fruits de cette raison, d'autant
plus qu'il est impossible de les empêcher d'éclore.»
Le vacarme des réalités oblige nos
mandarins à sortir de leur «Cité interdite» et à écouter le peuple. Ce
qu'il dit ébranle l'idéologie «antiraciste» et ses fausses bontés. Un
sondage du Monde (15 décembre) a révélé que 73% des Français estiment
que leurs valeurs traditionnelles ne sont pas assez défendues, tandis
que 63% jugent qu'il y a trop d'immigrés. Un sondage du Figaro (1er
décembre) a montré que 64% défendent les «aspects positifs» de la
colonisation.
Le déballage iconoclaste ne fait que
commencer. Les donneurs de leçons vont avoir du mal à museler ce
mouvement de fond, né en réaction à leur dogmatisme liberticide. Même
des historiens de gauche dénoncent les repentances obligées de
l'histoire officielle, tandis que les attaques contre l'esprit
critique tombent à plat : le lynchage d'Alain Finkielkraut, coupable
d'avoir décrit le caractère «ethnico-religieux» de la rébellion des
cités, a souligné le sectarisme des bons apôtres.
Au-delà de la redécouverte du
patriotisme, défendu par Jacques Chirac lors de ses voeux télévisés,
2006 pourrait être l'année d'un tournant conservateur, préfigurant la
tonalité de la campagne de 2007. Les censeurs croient y voir la marque
des «néo-réacs» et d'une «lepénisation des esprits». Cette
diabolisation illustre le refus d'abdiquer des faussaires. Malgré eux,
une révolution des esprits est en marche. Puisse-t-elle se dérouler
sans excès et sans heurts.
Nerfs à vif
La propagande des adeptes du parler
faux est intacte. Les illusionnistes font passer le cogneur Joe Starr
pour un modèle de civisme auprès des «jeunes», mais assimilent Nicolas
Sarkozy à Jean-Marie Le Pen. Ils acquiescent quand Jamel Debbouze
déclare «Je suis fier de mon appartenance» (Figaroscope du 21
décembre) mais hurleraient à la xénophobie si ce propos était tenu par
un «Gaulois». Ils accablent la colonisation française mais chantent
l'occupation musulmane de l'Andalousie.
Ceux qui retrouvent la vue se
lassent de ces bourrages de crâne et culpabilisations. Ils ne
comprennent pas que le président Bouteflika choisisse de se faire
soigner à Paris après avoir insulté la République pour sa présence
passée en Algérie, comparant ses méthodes à celles des nazis. Ils
s'interrogent sur les «blessures» des anciens colonisés, qui
s'installent massivement en France pour y bénéficier de sa
civilisation.
Bref, les gens ne veulent plus
être pris pour des poires. Y compris par une gauche qui s'entête à
penser de travers. Une note des Finances fait apparaître (Le Point,
22-29 décembre) que 38% de la dette nationale sont dus aux coûts de la
retraite à 60 ans, aux 35 heures et aux embauches supplémentaires de
fonctionnaires. Après Hewlett-Packard et Bosch, c'est la société
Fenwick qui propose de renoncer aux 35 heures pour préserver l'emploi.
L'arrogance des «consciences» ne
passe plus, auprès d'une population prête à reprendre son destin en
main. Aussi faut-il redouter d'autres tensions, répondant à celles
qui sont apparues l'année dernière, notamment à travers les conflits
sociaux et le soulèvement des cités. Ces violences ont inspiré
dernièrement les chasseurs à Rouen et les étudiants à Rennes, tandis
que les usagers des transports ne cachent plus leur exaspération pour
les revendications catégorielles. De part et d'autre, les nerfs sont à
vif.
Désirs et réalités
Face à ce constat, la tentation est
grande pour les autorités de relativiser l'insécurité. En novembre,
des observateurs se disaient effarés par la haine de certains
émeutiers, mentalement prêts à tuer. Une autre sauvagerie s'est
manifestée dans le train Nice-Lyon, le 1er janvier. Une poignée de
voyous a pu terroriser 600 passagers, en agressant deux femmes, dans
l'indifférence des «droits-de-l'hommistes». A celui qui protestait, la
racaille lançait : «Tu vas crever, t'es mort.»
Or ces scènes inouïes n'ont donné
lieu qu'à deux incarcérations. Et elles n'ont été rendues publiques,
fortuitement, que mardi après-midi. Le jour même, le gouvernement
décidait de suspendre l'état d'urgence : «La situation semble s'être
largement apaisée» (Jean-François Copé). Dimanche, 425 voitures
avaient néanmoins été brûlées, en augmentation de 27,6% par rapport au
réveillon de 2005. Le gouvernement semble prendre ses désirs pour des
réalités.
Les raisons d'une absence
De nombreux lecteurs se sont
inquiétés de l'absence du bloc-notes (cinq semaines). En réalité, j'ai
dû être hospitalisé le 26 novembre pour une opération relativement
bénigne, qui a été suivie de complications. Dieu merci, tout est
rentré dans l'ordre. Que ceux qui m'ont écrit leur soutien trouvent
ici mes remerciements amicaux. Excellente année à tous.
irioufol@lefigaro.fr