Il s'est enfermé dans la petite
baraque qui faisait office de cuisine. Il a fiché le clou dans le mur,
y a fixé la corde, se l'est mise autour du cou et s'est laissé tomber.
Le 27 mars, Razvan Suculiuc, 10 ans, s'est pendu, dans le village de
Cirtesti, situé au nord-est de la Roumanie.
Razvan s'est suicidé parce que sa
mère, partie travailler en Italie depuis un mois, lui manquait. Il
avait laissé entendre à certains de ses condisciples qu'il était prêt
à tout pour rendre son retour inéluctable. Le projet d'Elena Suculiuc,
à l'instar de nombreux Roumains qui vont travailler dans les pays de
l'Union européenne, était de gagner un peu d'argent pour offrir un
ordinateur à son fils et lui donner une chance d'avoir un meilleur
avenir que le sien. Le père, Catalin Suculiuc, avait perdu son travail
depuis la restructuration du système d'enseignement.
La famille vivait du salaire
modique, 90 euros, de la mère de Razvan, vendeuse dans le magasin du
village. Mais en février elle croit avoir trouvé sa bonne étoile et
part en Italie pour un travail saisonnier, persuadée qu'elle va
pouvoir aider son fils dont l'intelligence avait impressionné ses
professeurs. Razvan lui téléphone une fois par semaine.
Deux jours avant la tragédie, son
père lui défend d'appeler celle-ci parce qu'il n'a plus les 6 euros
nécessaires pour acheter une nouvelle carte téléphonique. Razvan
décide de se pendre. "La séparation d'avec sa mère et l'impossibilité
de communiquer avec elle ont été la cause d'une grande frustration
affective", explique le psychologue Gabriel Crumpei.
Le suicide du petit garçon a
bouleversé la Roumanie et provoqué un débat sur le destin de ces
enfants quittés par des parents partis travailler à l'étranger. "Le
cas du petit Razvan n'est pas une exception, mais concerne des
milliers d'enfants, que leurs parents, poussés par le mirage de
l'argent, ont quittés, note l'éditorial du quotidien Evenimentul Zilei
("Evénement du jour"). Avant une paire de blue-jean, Razvan avait
besoin d'une mère."
Rien qu'à Iasi, chef-lieu de la
Moldavie, la région orientale de la Roumanie réputée pour sa pauvreté,
quelque 10 000 enfants vivent ce drame, selon l'inspection de
l'enseignement local. Environ deux millions et demi de Roumains sont
allés travailler dans l'espace Schengen de l'Union européenne, où ils
circulent sans visa depuis 2002. Officiellement, l'Italie accueille
300 000 Roumains migrants, mais leur nombre réel est estimé à un
million.
Après l'Italie, la destination
préférée des Roumains est l'Espagne, qui accueille officiellement 317
000 Roumains, mais le chiffre réel est d'environ un demi-million.
L'Allemagne et la France viennent ensuite sur la liste des pays que
les Roumains fréquentent pour travailler, principalement dans le
bâtiment, la restauration, l'hôtellerie et le baby-sitting pour des
salaires bien supérieurs à ceux qu'ils toucheraient dans leur pays
d'origine.
Malgré la forte croissance
économique que la Roumanie connaît depuis six ans, le pays qui devrait
intégrer l'Union européenne au 1er janvier 2007 n'offre à ses 22
millions d'habitants qu'un salaire moyen de 250 euros.
Selon la Banque nationale, les
Roumains qui travaillent à l'étranger ont envoyé dans leur pays
d'origine des sommes estimées à 3 milliards d'euros, un pactole qui a
fait exploser le prix du marché immobilier et permis au pays de se
développer assez rapidement.
Pourtant, le départ pour l'eldorado
de l'Ouest est parfois vécu comme un drame par les enfants qui restent
à la maison et sont généralement confiés à leurs grands-parents. "Ces
enfants manifestent un grand besoin d'affection, présentent des
troubles du sommeil et développent un comportement agressif, affirme
Camelia Gavrila, directrice de l'inspection de l'enseignement local.
Nous devons informer sans arrêt les parents sur les risques auxquels
ils exposent leurs enfants."
Entre-temps, le suicide de Razvan
Suculiuc secoue un pays qui attend toujours d'intégrer l'Union
européenne.
Mirel Bran
Article paru dans l'édition du
19.04.06