p 17 Voici résumé et schématisé
l'ensemble des connaissances nécessaires à la compréhension du
bonheur.
Le cerveau est en quelque sorte le
quartier général, le siège social de l'organisme. C'est là que
remontent l'essentiel des informations utiles à la gestion de
l'individu, c'est là que se prennent les décisions stratégiques.
Le cerveau n'est pas
prioritairement divisé en deux parties comme on le dit parfois, la
gauche et la droite, cette représentation étant aujourd'hui
considérée comme incertaine ou à tout le moins beaucoup plus
subtile. On admet actuellement (il est probable que ces données
seront dépassées dans quelque temps ; c'est frustrant mais c'est
ainsi, et cela n'empêche pas la connaissance de progresser) que
le cerveau est composé de trois étages principaux correspondant à la
fois à des étapes de l'évolution, et à des niveaux d'organisation
spécifiques. On appelle ces trois « cerveaux » . le reptilien, le
limbique et le néocortical.
Au cerveau reptilien est
dévolue la gestion des fonctions physiologiques, comme par exemple
la respiration, la circulation sanguine, la fonction hépatique ou la
digestion. Il fait son travail discrètement, sans « en parler à
personne », c'est-à-dire sans que l'on en ait conscience, sauf
lorsqu'il lui faut une intervention extérieure : il exprime alors
quatre besoins physiologiques vitaux boire, manger, dormir et faire
l'amour.
La maintenance de l'intégrité
physique est le royaume du reptilien. Il gère l e besoin de sommeil
en fonction de l'état de fatigue de l'organisme, de même il régule
la qualité et la quantité de nourriture nécessaires au bon
fonctionnement du corps. C'est le reptilien qui nous donne soif, et
pas simplement soif : soif d'eau plus ou moins salée, plus ou -moins
fraîche, plus ou moins sucrée, en fonction des besoins de
l'organisme. De même pour la faim : faim de légumes, de viande, ou
de fruits, de cuit ou de cru. C'est lui aussi qui déclenche le
besoin de faire l'amour, et pas avec n'importe quelle personne,
l'explication des critères de sélection étant probablement à
rechercher au nive tu de l'espèce. Il est facile d'admettre que
l'envie de carottes plutôt que d'épinards ou de viande traduit des
besoins spécifiquement différents de l'organisme (oligo-éléments,
minéraux, vitamines, acides aminés), mais il est plus difficile de
le concevoir pour la relation sensuelle ou sexuelle : pourquoi
préférer « physiquement » telle personne plutôt que telle autre ? Ce
sont probablement les besoins d'évolution, de différenciation, de
complémentarité de l'espèce qui organisent ces systèmes d'attraction-répulsion-indifférence
sexuelles entre les individus.
Le cerveau reptilien est aussi à
l'origine de nos réactions face aux agressions, c'est lui qui
déclenche, en cas de besoin, les « états d'urgence de l'instinct »
que Laborit a découverts et répertoriés, à savoir la peur, la colère
et l'abattement. Il les a appelés « de l'instinct » parce que le
cerveau reptilien, qui trouve son siège essentiellement dans la
région de l'hypothalamus, était censé être le domaine des instincts
humains. Depuis, les progrès de la science ont mis en évidence que
les instincts sont l'apanage de chacun des trois cerveaux ; au
cerveau reptilien sont rattachés les instincts de survie
physiologiques et les signaux d'alarme en cas de danger ; au cerveau
limbique sont attribués les instincts grégaires qui nous
conduisent à vivre en groupe ; et le cerveau néocortical possède ses
propres instincts, en particulier celui de la découverte.
Le cerveau reptilien est incapable
de prendre des décisions d'action conscientes, cependant il
communique fidèlement aux autres cerveaux toutes les informations
nécessaires. Sous forme de désir ou de répulsion, de satiété, de
plaisir ou de souffrance. Le cerveau reptilien exprime, le plus
clairement possible, l'état de l'organisme et de ses besoins chaque
fois qu'il est utile ou nécessaire d'engager une action consciente
du type boire ou manger. Lorsqu'on ressent par exemple un creux à
l'estomac, il s'agit en fait de l'issue consciente d'une série
innombrable d'opérations sous-jacentes qui assurent aussi bien le
renouvellement cellulaire que l'homéostasie ou l'homéothermie, aussi
bien l'effort musculaire de la marche à pied que la respiration,
aussi bien la pompe cardiaque que la filtration rénale. Ces
opérations se traduisent par des échanges d'énergie, des
transformations de molécules, des transferts d'information sous le
contrôle du cerveau reptilien qui, au moment où c'est nécessaire,
exprime le besoin de « carburant » extérieur en envoyant un
stimulus, en l'occurrence la sensation de faim. C'est ensuite
l'ensemble néocortex-limbique qui prend le relais.
Le cerveau limbique gère
quant à lui les programmes automatiques de comportement, les «
logiciels » de l'individu, tout aussi indispensables à sa survie.
C'est le cerveau de la mémoire programmante. C'est grâce à lui qu'on
peut parler, marcher sans avoir besoin d'y réfléchir, descendre un
escalier, conduire une voiture tout en écoutant de la musique. Grâce
à sa capacité d'enregistrer et de reproduire automatiquement des
attitudes ou des comportements, des mouvements, des actes et même
des pensées, il permet l'apprentissage de toutes les techniques. Il
gère de façon automatique toutes les informations reçues sans qu'on
ait forcément besoin d'en avoir conscience. Il est programmé soit
par la génétique (instincts grégaires comme l'instinct maternel ou
l'instinct de compétition), soit par le dressage et l'apprentissage
qui peuvent être volontaires ou involontaires, conscients ou
inconscients, et qui vont induire des réactions réflexes dans
certaines situations.
L'instinct grégaire (s'agréger)
associé au cerveau limbique est responsable du plus grand nombre de
nos comportements (comme de ceux des animaux) : c'est par exemple
l'instinct grégaire qui pousse inconsciemment les hommes à se
regrouper (familles, villes ou villages, places ou plages). Mais cet
instinct ne se limite pas à inciter au rassemblement ; il induit de
façon extrêmement précise l'organisation de la vie en société. Pour
que le groupe puisse fonctionner, il faut qu'il y ait un ordre, et
l'instinct grégaire pousse les individus à entrer en compétition
pour le pouvoir (en particulier les mâles, car les femelles doivent
être préservées du combat pour pouvoir procréer et ainsi protéger
l'espèce). Pouvoir de commander à la meute, ou pouvoir de choisir sa
femelle, ou pouvoir de manger avant les autres (sélection de
l'espèce). C'est cet instinct grégaire qui pousse les enfants à se
mesurer dans la cour de récréation, les hommes à se faire la guerre,
ou à s'affronter sur un stade. C'est aussi cet instinct qui pousse
les combattants à accepter la loi du plus fort, c'est-à-dire à
accepter la hiérarchie. Cette partie de notre cerveau est commune à
la plupart des espèces animales qui, elles, n'ont pas d'autre
cerveau pour réfléchir. Mais l'être humain, lui, n'est pas obligé de
suivre ces instincts « animaux » qui poussent à se rassembler, à se
mesurer et à se ressembler ; il a accès à d'autres moyens pour
définir sa voie, en l'occurrence la réflexion intelligente qui se
développe dans le néoCortex.
Le cerveau limbique est donc à la
fois le siège de l'instinct grégaire et de tous les instincts
dérivés, et également le centre de fabrication et de conservation
des conditionnements (mémoire programmante). Le cerveau limbique est
ainsi le gardien des comportements acquis et innés, c'est-à-dire
ceux acquis par l'espèce et ceux acquis par l'individu.
C'est par le dressage que Pavlov a
le premier mis en évidence l'acquisition de comportements répétitifs
programmables et déprogrammables chez l'animal, le chien en
l'occurrence, en lui apprenant que le tintement de la cloche
annonçait sa pitance. De même. les parents humains apprennent à
leurs petits ;des; codes de conduite qui vont les structurer,
quelquefois pour la vie entière. Cet apprentissage parents-enfants,
ou plus généralement groupe-individu, a pour objectif et cour
conséquence à la fois de préserver les acquis de 1'cspècc humaine au
fur et à mesure de sa progression, mais aussi de permettre
l'insertion de l'individu dans un tissu social déterminé. On
conditionne le petit de l'homme à manger sa soupe d'une certaine
façon, on lui apprend à pêcher. à chasser, à se nourrir, se vêtir,
déclarer sa flamme, travailler, considérer ses voisins, réagir à une
agression ; on lui apprend à se soigner, à témoigner son affection,
à cultiver sa spiritualité, à faire face à la mort: on le
conditionne d'une certaine façon à considérer l'univers et les lois
de la nature ; on lui dit comment croire, que croire et qui croire.
Tous ces programmes d'apprentïssag ( ou de dressage sollicitent
le cerveau limbique qui travaille donc intensément pendant
l'enfance. lis forment comme une infrastructure qui favorise et
consolide notre développement jusqu'à ce que nous les remettions exn.
cause au fur et à mesure de notre prise de contrôle sur notre propre
vie ; et que nous décidions alors quels conditionnements nous
conservons, lesquels nous rejetons ou modifions. C'est le moment de
l'adolescence : révolte du moi néocortical contre les parents,
contre les autres =an général, contre la culture, contre le pouvoir,
c'est-à-dire en fait contre le surmoi limbique. C'est la prise de
conscience de sa capacité personnelle à diriger sa vie. Mais le
cerveau limbique ne lâche pas prise si facilement, d'où la
souffrance propre à cette période de l'adolescence.
L'expérience personnelle est
également à l'origine de nombre des programmes gérés par le cerveau
limbique, grâce au processus essentiel de l'apprentissage. Retenons
seulement pour le moment que cet apprentissage peut se faire
consciemment ou inconsciemment ; il peut donc recevoir ou non la
caution de l'intelligence néocorticale, c'est-à-dire de la puissance
de raisonnement et d'observation propre à chaque individu.
le néoCortex ....La partie néocorticale de notre
cerveau, et en particulier la partie préfrontale de ce
néocortex, recèle ce que le cerveau humain présente de plus évolué
par rapport aux autres espèces animales. C'est là que se
développe notre aptitude à raisonner, à calculer, à dessiner, à
faire de la poésie ou de la musique, à chercher notre destinée. Si
le limbique fait la part la plus belle au groupe, le néocortex donne
de l'importance à l'individu, au « je », c'est le siège de la
personnalité. Pour faire référence au schéma de Freud, le néocortex
pourrait représenter le moi, le limbique le surmoi, et le reptilien
le ça. La capacité d'analyse du néocortex est considérable. Sa
finalité principale semble être la découverte de nouveaux
territoires, qui donne à l'homme sa curiosité sans cesse exacerbée
d'en savoir toujours plus sur ce qui se passe làbas, là où l'on ne
voit rien encore. C'est par le néocortex que le dessein et le destin
de l'homme et de l'humanité commencent à se préciser.
On observe ainsi clairement une
progression qualitative et quantitative dans l'« intelligence » de
chacune des parties du cerveau qui évoque l'évolution et la
sophistication de la vie sur terre. Mais attention à ne pas tomber
dans le piège d'un jugement de
valeur entre les trois cerveaux. Chacun a sa place, chacun est
essentiel au bon fonctionnement de l'homme, et donc à son bonheur:
le
reptilien est responsable de la
surveillance et de la gestion de la physiologie organique, le
limbique de la conservation de l'espèce et de l'individu, le
néocortex étant la source du progrès et donc de l'évolution.
p24 Il ne semble pas y avoir de
réelle hiérarchie entre eux ils sont destinés à fonctionner
ensemble, probablement de façon collégiale. Ce qui signe la
personnalité spécifique de l'individu, c'est la symphonie, la
synergie entre les trois parties de son cerveau, dans une partition
qui reste à inventer à chaque instant (voir schéma).

p 25 Pour optimiser le
fonctionnement de sa « merveilleuse machine », l'homme doit dépasser
ses réactions instinctives ou conditionnées pour laisser la place à
la réflexion chaque fois qu'il lui est possible de le faire. Les
humains ont cette extraordinaire supériorité de pouvoir préférer la
réflexion au réflexe. Il ne s'agit pas de renier nos instincts
animaux, ni notre capacité à forger des automatismes ; nous devons
au contraire les aimer et les respecter pour leur inestimable
intérêt. On peut concevoir l'évolution de l'humanité comme un
immense escalier dont l'aboutissement nous est inconnu, et où chaque
marche correspond à un progrès du patrimoine culturel ou génétique
qui se traduit dans les capacités respectives des trois cerveaux. Et
chaque nouvelle marche de l'escalier suppose que toutes les autres
soient encore solides ; si on supprimait les marches qu'on a
gravies, c'est tout l'escalier que l'on détruirait.
A l'inverse, il convient de ne pas
mésestimer les progrès de l'évolution biologique et de bien donner
toute sa place à l'intelligence néocorticale. L'homme doit accepter
son animalité originelle et présente, mais au moins autant son
humanité qui représente sa véritable dimension spécifique et son
destin.