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CHRÉTIENS & MUSULMANS
Ce qui nous sépare, ce qui nous unit…
Ce qui nous
sépare tient sans doute en un mot : Credo, je
crois. Première personne du singulier. Relation de confiance, de
liberté, de conscience, inconcevable et même impie pour un vrai
musulman. Le christianisme reste la seule religion du monde qui
établisse un lien explicite, de personne à personne, entre l’homme et
Dieu. Un lien de filiation et d’amour, qu’exprime aussi les premiers
mots du Notre Père. Un lien de liberté évangélique, qui se traduit par
la liberté intérieure de préférer les promesses des Béatitudes aux
ruminations du “chacun pour soi” ou aux diktats des idéologies. –
Ce qui nous unit
sont des Vérités qui font partie intégrante de la “loi naturelle”,
accessibles pour les meilleurs esprits par les lumières de la raison :
des vérités consubstantielles au bien commun des sociétés humaines, et
sur lesquelles il est possible de construire ou reconstruire ensemble un
avenir moins sinistre à l’humanité. – Explications.
Un Français
sans
culture orientale
abordera l’islam comme une religion: une façon de se relier au mystère
des origines et à celui des fins dernières de l’homme, qui relève chez
nous – dans la doctrine républicaine – des ressorts du “libre arbitre“
et appartient au domaine de la “sphère privée”... (1)
Si ce Français
est journaliste ou politicien, donc convaincu que “toutes les
religions se valent” et que l’Etat doit les traiter sur un pied
d’égalité,
la martingale
du contre-sens intégral est bouclée :
l’islam sera considéré en toute bonne foi comme socialement et
politiquement aussi “neutre” que le catholicisme contemporain. Dans
cette perspective fermée au sens, la République peut donc
légitimement créer des aumôneries d’imams dans les centres de
détention, autoriser l’ouverture d’écoles coraniques et donner des
lieux de culte à tous nos musulmans !
Si ce Français
est
historien, philosophe, géopoliticien,
il décrira l’islam comme une entité politique d’un genre particulier,
pluriethnique et transnationale, comparable en bien des points à
l’empire que Staline avait fondé dans les années cinquante autour du
Parti Communiste d’Union Soviétique :
un empire
guerrier, sans foi ni loi, totalitaire avec ses sujets, esclavagiste
avec les autres, et toujours conquérant...
René Marchand montre fort bien, dans
La France en
danger d’islam
(éd. de L’Age d’Homme, Lausanne, 2002), que cet empire est entré
aujourd’hui dans l’enthousiasme des Espagnols du Moyen-Age, au XIe
siècle, lorsqu’ils lancèrent la
Reconquista.
Il a raison de s’en alarmer. Nous n’avons plus de Charles Martel, de
Cid Campeador, de saint Louis, de Père de Foucauld ou de maréchal
Lyautey à mettre en face. Plus de soldats chrétiens à croiser. Plus
d’instituteurs, d’infirmiers, de missionnaires. Plus de pasteurs en
chaire pour soutenir la cause d’une société chrétienne contre les
prétentions idéologiques et politiques des autres empires et des
autres religions.
L’aggiornamento
est passé par là. Les catholiques se taisent, quand ils ne se terrent
pas. S’ils vont chaque dimanche à la messe, leur héroïsme est saturé.
Dix siècles exactement séparent nos mentalités.
Religion,
culture, droit positif, civilisation, empire,
l’islam minusculaire des “cinq piliers de la foi” ou l’Islam
majusculaire des conquêtes arabo-musulmanes revendique de façon
légitime toutes ces dimensions, comme ce fut le cas du christianisme
en France, de Clovis à Napoléon III. Traiter de l’une en oubliant les
autres, c’est s’assurer d’avance de n’y comprendre rien.
Une religion “pas comme les autres” à 90%
Toute religion impose des vérités et des règles à ses adeptes, qui
peuvent être spirituelles ou simplement morales, pour fixer leur
devoir envers Dieu et guider leur comportement vis-à-vis du prochain.
L’islam pourrait paraître ici la plus économe de toutes, en matière
proprement “religieuse”, puisqu’il n’impose comme pratique au croyant
que les
“cinq piliers
de la foi”
: la
profession d’allégeance insécable en Allah et Mohamed, les prières
quotidiennes à heures fixes face à l’Est, le jeûne du Ramadan,
l’aumône et le pèlerinage à la Mecque.
Cependant le
mot islam signifie “soumission”,
et musulman “personne
soumise”.
Le vrai croyant de l’islam est donc tenu de respecter aussi “à la
lettre” les quelque 20.000
hadiths
des paroles et des actes de Mahomet reconnus comme authentiques par
les docteurs musulmans. Ces 20.000 articles constituent un “corpus”
beaucoup plus abondant que notre code pénal, notre code civil et notre
droit du travail réunis.
“Si on veut
comprendre l’Islam,
explique fort justement Jean-Jacques Walter,
il faut
étudier son idéologie et non pas faire une étude ethnologique de ses
différentes variétés. Je dis bien idéologie, car pour les docteurs
musulmans, l’Islam est
Dîn, Dunya,
Daoula
: religion,
société, État... Khomeiny disait que 90% des règles islamiques
concernent la société civile et que dans une bibliothèque islamique,
90% des livres concernent la société et l’État, tandis que 10%
seulement portent sur la morale privée et les rapports à Dieu. Ce qui
fait problème dans l’Islam, ce n’est pas la religion, c’est la partie
civile de l’idéologie.“
(“Comprendre l’Islam”, conférence au Cercle Frédéric Bastiat.)
Le vrai
croyant de l’islam – en terre d’Islam – est donc soumis à des règles
cumulatives innombrables et extrêmement précises dans tous les actes
de sa vie : boire, manger, dormir, s’habiller, lire, travailler,
prier, voyager, négocier ses mariages, prendre des maîtresses ou des
concubines, battre ses femmes, les répudier, les traîner devant les
tribunaux de la Charia, châtier ses serviteurs ou ses enfants, marier
sa fille, passer contrat avec un Frère, secourir les pauvres
(musulmans), tromper ou voler les riches (Infidèles), etc., etc.,
etc... Allez trouver du temps, sous cette chape de plomb, pour
sourire, aimer, regarder l’autre, respirer un peu!
Jean-Jacques
Walter n’hésite pas à écrirequ’un musulman qui se respecte ne fera
jamais un Français. Il a raison d’insister sur l’incompatibilité des
valeurs proprement musulmanes, en terre d’Islam, avec celles de notre
civilisation. Je crois cependant que nous pourrions aussi nous réjouir
de ce que 95% des musulmans de France soient conquis par un modèle
respectueux de la femme, des droits de la conscience individuelle et
du libre arbitre en matière de religion... sans cesser de se dire
musulmans !
Sommes-nous
capables de les convertir aux mœurs chrétiennes, à défaut du
christianisme, en une génération? Dans l’état actuel des convictions
militantes des familles et du clergé catholiques, la réponse est
non.
Sont-ils
capables de nous aider nous-mêmes à faire un bout de chemin dans la
réhabilitation identitaire du catholicisme et de la société qui en est
issue ? La réponse est
peut-être,
pourquoi pas, réfléchissons-y...
Dieu souvent écrit droit avec des lignes courbes, savantes et
compliquées. Comme la calligraphie arabe, vous connaissez ?
Une
conviction commune : plus de devoirs que de droits
A force d’assister aux ripostes démesurées du sionisme en territoire
palestinien, comme aux violences de l’islamisme dans tout le Proche et
le Moyen-Orient, on en viendrait à oublier que les religions dites “du
Livre” (judaïsme, christianisme, islam) communient dans trois Vérités
fondamentales qui leur confèrent une mission spécifique, un
“challenge” spirituel commun dans le monde d’aujourd’hui. Des Vérités
qui font partie intégrante de la “loi naturelle”, accessibles pour les
meilleurs esprits par les lumières de la raison, mais que la majorité
des croyants reçoit en héritage par l’enseignement d’une Révélation :
1. – La foi en une Intelligence et une Volonté créatrice,
antérieure et supérieure à la vie, que les juifs appellent Yawhé, les
chrétiens Dieu et les musulmans Allah. – Pour les trois
doctrines, Adam est le premier homme et Abraham le premier prophète
chargé de révéler la parole divine aux humains. Le mystère de cette
élection et de cette filiation assumées leur donne de fait comme de
droit une vocation commune à résister aujourd’hui aux progrès
planétaires du matérialisme consumériste et de la société des “droits
de l’homme sans Dieu”.
2. – La conviction que la vie humaine est un don de Dieu, sacré
du premier instant de la conception au dernier souffle de chacun
d’entre nous. – Les religions dites “du Livre” ont quelque
chose à dire ensemble aux promoteurs de l’interruption volontaire de
grossesse et de l’euthanasie légalisée, qui ne cessent de
gagner du terrain dans les droits et les mœurs des pays “développés”…
Quelque chose à dire sur le mariage, la fidélité, la famille,
l’autorité parentale, la liberté de choix des écoles et de façon plus
générale sur tout ce qui entoure et soutient l’amour et le respect de
la vie.
3. – La certitude que l’homme a plus de devoirs que de droits
dans toutes les circonstances de sa destinée. – Devoir de
piété filiale : honorer et respecter les parents. Devoir de charité
envers le prochain : accueillir les pauvres, défendre la veuve,
soutenir l’orphelin. Devoir de justice dans les relations de travail :
bien servir le patron qui m’embauche et rémunère mes services,
encourager le bon et fidèle collaborateur en partageant mes profits…
Certes, on n’empêchera pas le croyant catholique de penser que sa
religion est supérieure aux deux autres, ni l’historien
objectif de le constater avec lui. Le christianisme en effet a
profondément pacifié, civilisé et spiritualisé, à partir du Ve
siècle après J.C., les mœurs et les lois de l’Empire romain. Il a
permis Clovis, Clotilde, Charlemagne et la montée en puissance des
États de droit à travers toute l’Europe contre les assauts permanents
de la barbarie orientale. Il a donné Hugues Capet à la France pour
contenir l’orgueil des grands rapaces féodaux, saint louis pour
imposer la charité et la justice du Roi, Jeanne d’Arc pour nous
libérer des premières servitudes de l’Occupation. Il a mobilisé saint
Vincent de Paul et Mère Teresa pour nous faire honte d’être heureux
tous seuls. Il a confié à Charles de Foucauld et au maréchal Lyautey
la mission “impossible” d’apprendre aux chrétiens coloniaux à
respecter la légitime fierté des musulmans pour ce qu’il y a de grand
et de vrai dans leur tradition, sans renoncer à leur propre foi.
Clovis |
Hugues Capet |
Saint Louis |
Jeanne d'Arc |
Certes aussi, au chapitre hyper-sensible du respect porté à
l’honneur et à la beauté des femmes, parties prenantes avec Dieu
du mystère de la vie, la doctrine qui met une Vierge Sainte au centre,
mère du Dieu Vivant, avocate de tous les paumés de la terre,
médiatrice de toutes les grâces, cette religion évidemment prédispose
les civilisations qu’elle engendre à des mœurs infiniment plus douces,
plus “courtoises“ et plus raffinées… Chez nous, on ne donne pas de
coups de fouet aux filles ou aux servantes pour marquer son autorité.
On ne monte pas sur la mûle familiale en laissant sa femme trotte
derrière, pieds nus sur les cailloux du chemin, avec tous les paquets.
On ne brûle pas le visage de sa sœur parce qu’elle s’est entichée d’un
juif ou d’un chrétien. On ne lapide pas la mère qui a regardé
l’étranger… Mahomet respecte le caractère sacré de la vie à naître,
mais fait lapider la mère accusée d’adultère après qu’elle eut enfanté
et nourri l’enfant de son lait (Muslim, 17 ; 42-06). Avant même
que Jésus n’arrête le bras des Juifs, dans une circonstance identique,
en les renvoyant à la conscience de leurs propres péchés (Jn 8,
1-11), l’avènement historique du christianisme commence par la
décision de Joseph de ne pas livrer sa fiancée enceinte à la
lapidation (Mt 1,19).
Certes encore, au chapitre non moins sensible des réussites
économiques et sociales, c’est dans les sociétés chrétiennes,
catholiques ou protestantes, que naissent et se développent depuis la
Renaissance les plus grands progrès de l’humanité : scientifiques,
médicaux, commerciaux, industriels et technologiques… Des sociétés qui
ont porté ces progrès matériels – avec leurs médecins, leurs
ingénieurs, leurs religieux, leurs enseignants – dans les parties du
monde qui en ignoraient tout, et qui devraient s’en repentir
honteusement aujourd’hui. De qui se moque-t-on ?
Certes enfin, le concept de “charité” reçoit des acceptions
sensiblement différentes d’une tradition à l’autre : amour surnaturel
de tous y compris les ennemis dans la doctrine évangélique, amour
religieux du frère de race et bienveillance pour les autres hommes
chez les juifs, solidarité de l’Oumma, tolérance sociale ou haine
active de “l’infidèle” pour les musulmans… Seul le christianisme
propose la vision et les grâces qui donnent la force de mettre en
pratique les exigences très supérieures de la loi d’amour universel du
prochain: “Aime ton prochain comme toi-même, pour l’amour de Dieu.”
Pour un œcuménisme du Bien Commun
Est-ce à dire que toutes les civilisations et donc les religions qui
les animent ne se valent pas, au chapitre des conséquences
qu’elles engendrent dans la société ? Historiquement, la réponse est
oui. Le postulat néo-libéral soutenant que les convictions
individuelles, les cultures “identitaires” et les religions du monde
appartiendraient à la “sphère privée” de chacun, de sorte qu’elles
méritent un égal respect, cette idée est sortie de cerveaux partisans,
aveugles et sourds aux écatantes démonstrations de l’Histoire depuis
près de 2000 ans… Les idées mènent le monde, qu’on le veuille
ou non. Plus elles sont “bonnes”, idéalistes et généreuses, plus le
monde est meilleur. Plus elles s’affadissent, se dépravent ou se
corrompent, plus l’égoïsme l’emporte, avec la volonté de pouvoir, et
plus le monde est mauvais.
Il reste que les trois religions dites “du Livre” ont aujourd’hui en
commun le sens du Bien et du Mal, qui se traduit par l’amour ou la
crainte de Dieu, le respect de la vie et le sentiment plus ou moins
large d’un devoir à l’égard du prochain. Que les fanatiques du
PPNPE (“Plus Petit Nombre Possible des Elus”), du Talmud et de
la Charia ne tiennent pas tous les hommes pour des frères de rang égal
est une autre question, où le Démon a sa place, les prêtres et les
docteurs aussi… Sur le triptyque que nous venons d’énoncer – fondement
de la résistance à toutes les formes de totalitarisme, et d’abord au
matérialisme libéral mondialisé –, entre croyants de bonne foi, on
peut s’ouvrir avec confiance, dialoguer, progresser… On peut
construire ou reconstruire ensemble un avenir moins sinistre à
l’humanité.
@Emmanuel Barbier / Sedcontra.fr, sept. 2010
(1) Sur la relégation libérale de la religion dans la “sphère
privée” : L’idée que la religion relève de la “sphère
privée” des seules consciences individuelles fait partie de la
dogmatique du relativisme et de l’agnosticisme “libéral”, qui permet
d’aplanir et cherche à neutraliser toutes les croyances dans le même
panier, en les déchargeant aussi de toute responsabilité civique et
politique dans l’action pour le bien commun de la Cité. Nous ne la
partageons aucunement. Le christianisme, qui distingue fortement
les responsabilités du pouvoir temporel de celles du pouvoir
spirituel, ne sépare aucunement l’un et l’autre au regard des
obligations issues du droit naturel, accessibles aux lumières de
la raison et seules capables de mobiliser les libertés individuelles
en direction du bien commun.