Qui dit « réflexion anthropologique » dit réflexion sur
l’expérience humaine.
En quoi la phrase du Christ, thème des conférences du
Carême de cette année , rejoint-elle notre expérience ?
De quelle façon cette dernière permet-elle d’éclairer
l’affirmation évangélique ?
Tel est le fond de tableau du présent exposé.
Dans un premier temps il importe de préciser le sens
des mots . « Qu’est-ce que la vérité ?» se demandait Pilate face à
Jésus. « Qu’est-ce que la liberté ? » ajouterons-nous.
La compréhension du lien entre ces deux réalités
dépend des réponses apportées à chacune de ces questions. Le fait de
les traiter sous l’angle anthropologique laisse la porte ouverte à
d’autres types de réflexion qui ont été ou qui seront développés tout
au long de nos conférences .
LA VERITE : Elle est le plus souvent
perçue soit comme la négation du mensonge, soit comme la conformité
entre ce qui est pensé, dit, et ce qui est. Cette première approche
relève du bon sens et de l’éthique la plus élémentaire. Comment vivre
en société si toutes les relations sont basées sur le mensonge ?
Comment pourrions-nous communiquer et donc vivre si chacun juge les
choses, les événements et les autres en fonction de son seul
imaginaire et non de la réalité, de ses seuls intérêts et non de ceux
de la collectivité?
Dans un autre domaine les progrès scientifiques et
techniques impliquent des expériences sur lesquelles savants et
techniciens doivent s’entendre en vue de développer les connaissances
et les conséquences pratiques qui en découlent et d’améliorer ainsi
notre environnement et nos conditions de vie. Une telle conception de
la vérité a cependant ses limites. Toute vérité n’est pas bonne à dire
comme l’affirme le sens populaire. L’annonce d’une mort inévitable à
une personne atteinte d’une grave maladie, ou l’avis de décès d’un
proche qui cause beaucoup de peine à son entourage exigent d’y mettre
des formes, parfois d’attendre plus ou moins longtemps avant
d’annoncer la nouvelle, voire d’y renoncer. Récemment un de mes amis
suivi au plan psychiatrique depuis une vingtaine d’années , faisant
tout ce qu’il peut pour sortir de son mal-être, s’est vu signifier
brutalement par ses soignants qu’il était incurable. Les effets ont
été plutôt désastreux. Un discernement s’impose pour prendre
l’attitude qui sera la plus juste eu égard des situations vécues et
des capacités des uns et des autres à les assumer. La visée
fondamentale reste néanmoins d’établir la clarté la plus grande entre
tous les protagonistes car on ne voit bien les choses que dans la
lumière et non dans la pénombre, encore moins dans les ténèbres Par
exemple les personnes qui sont au seuil de la mort sont la plupart du
temps conscientes de cette échéance, mais la cachent à leurs proches
pour ne pas les peiner lesquels en font autant pour ne pas les
affoler. Cette occultation réciproque de la réalité manifeste un
louable souci d’alléger la peine de chacun. Elle n’en demeure pas
moins préjudiciable aux uns et aux autres car elle empêche aux
premiers de vivre ce passage avec plus de sérénité, fortifiés par
l’accompagnement des leurs, et à ces derniers d’amorcer leur travail
de deuil dans de bonnes conditions. Par contre si seul l’un des
protagonistes est conscient de la situation, il lui appartient d’en
parler ou non dans l’esprit de ce qui est dit plus haut. Il existe par
ailleurs des secrets de famille, d’état, ou en d’autres domaines, qui
risquent d ’avoir de graves conséquences s’ils sont dévoilés : « qui
dévoile des secrets ruine la confiance et ne pourra plus trouver d’ami
selon son coeur. » (Siracide 27/16). L’Eglise en ce domaine n’hésite
pas à rendre absolu le secret du sacrement de réconciliation. Dans le
cas du mariage, nous ne remettons pas directement aux futurs époux
leur certificat de baptême car ils peuvent révéler des situations
délicates comme une adoption ignorée des intéressés. Mentir sera
parfois nécessaire pour préserver la vie de quelqu’un menacé de la
perdre comme y furent contraintes des familles ayant accueilli des
enfants juifs durant la dernière guerre, ou encore pour sauver un
résistant poursuivi par l’ennemi. Toutefois peut-on parler ici de
mensonge ? Dissimuler une vérité, être parfois obligé de déformer la
réalité pour sauvegarder un 2 secret important au bénéfice d’autrui
devient paradoxalement une attitude vraie au service de la vie et des
relations humaines. Mais si en cette conduite dominent la volonté de
puissance sur les autres et l’égocentrisme, aucune relation positive
ne peut en découler et tout sonne faux. Par ailleurs est-il réaliste
de définir la vérité comme la conformité entre la pensée, le discours,
et la réalité objective ? Deux exemples nous montreront la non
évidence de ce point de vue. 1er Exemple : Un auteur , un journaliste,
un prédicateur, un tribun, un artiste…et chacun de nous ont en commun
d’exprimer des messages dont nous espérons une exacte réception de la
part de ceux auxquels ils s’adressent. Or nous sommes marqués par nos
tempéraments , nos cultures, nos expériences, notre histoire, notre
époque. Ce sont autant de filtres à travers lesquels nous donnons
notre vision de la réalité et non celle-ci comme telle. Quant aux
médiations utilisées pour transmettre nos messages (mots, gestes,
oeuvres d’art….) elles n’épuisent jamais la complexité et la richesse
de ce qu’elles expriment. Enfin le récepteur les reçoit également en
fonction de sa propre sensibilité, de ses centres d’intérêt, de ses
préoccupations du moment. De ce fait sa perception ne coïncide jamais
totalement avec celle de l’émetteur. Le philosophe Paul Ricoeur a bien
mis en relief ce jeu constant entre « celui qui dit -quelque chose- à
quelqu’un -sur quelque chose », par la médiation de la parole ou de
l’écrit. Tous ces facteurs exercent leur propre influence sur la
compréhension du réel. De ce fait il n’y a jamais coïncidence entre le
point de départ, l’émetteur, et le point d’arrivée, le récepteur. (cf
les Essais herméneutiques –Le seuil 1986). Il nous faut renoncer à
être totalement objectifs et à posséder la vérité. Nous ne pouvons que
l’approcher. Pour illustrer ces propos, considérons les quatre
évangélistes : chacun présente Jésus-Christ d’une manière qui lui est
propre. Leurs mots, leurs citations, leurs genres littéraires parlent
bien du Christ mais sans en épuiser le Mystère. Quant aux lecteurs,
ils appréhendent leurs témoignages en fonction de leurs culture, de
leur situation personnelle, de leurs interrogations. Il en résulte de
nombreuses approches théologiques et spirituelles à travers le temps
et l’espace, constituant progressivement la « Tradition ». 2eme
exemple : Le temps du scientisme qui présupposait la parfaite
adéquation entre l’expérience et son énoncé, et pour qui tout le réel
peut être expliqué par les sciences a fait long feu, même s’il
conserve encore un certain nombre d’adeptes. Un de mes confrères
expert en physique et astrophysique avait coutume de dire qu’en
science « l’évidence n’est jamais critère de vérité » et que la
connaissance en ce domaine dépendait à la fois de l’objet observé ET
de la position de l’observateur. Si quelqu’un lâche une bille dans un
train qui roule et si je suis à côté de lui dans le wagon, je la
verrai tomber en ligne droite perpendiculairement au sol. Mais si je
suis sur le quai au moment où le train passe et où la bille est
lâchée, je la verrai tracer une courbe et non plus une droite. Dans
tous les cas de figure précédemment évoqués, la vérité ne constitue
pas un bloc aux contours bien définis opposé à ce qui serait le
mensonge. Elle se découvre et s’expérimente dans l’adaptation plus ou
moins aisée de chacun de nous avec son environnement . Elle dépasse
toujours les perceptions que nous en avons. Nous saisissons les
objets, les événements, les personnes selon les angles où ils
s’offrent à nous et selon nos dispositions intérieures. Elle ne se
manifeste donc jamais comme telle mais uniquement à travers nos
interprétations du réel en lesquelles elle se montre et se cache tout
à la fois. En langage savant on parlera d’herméneutique, science des
interprétations qui permettent d’approcher de la vérité sans jamais
l’objectiver parfaitement. De ce point de vue notre réflexion permet
de rejoindre une remarque surprenante de Jésus et de lui donner tout
son poids anthropologique : « celui qui fait la vérité vient à la
lumière » (Jean 3/21). Une dernière remarque s’impose. Comme le disait
déjà Socrate en son temps, plus nous avançons dans le champ des
connaissances, plus nous découvrons celui de nos ignorances. Jean
Gabin a repris ce thème dans un célèbre poème musical intitulé « Je
sais » : « Plus je cherchais moins je savais…Maintenant je sais qu’on
ne sait jamais…c’est tout ce que je sais, mais ça je le sais ». LA
LIBERTE : Comme pour la vérité, deux significations principales
peuvent être données à la liberté D’une part elle s’oppose à toute
forme de contrainte et de servitude. D’autre part elle exprime la
possibilité de faire des choix et de les assumer pleinement. 3
Concernant le premier point il serait illusoire d’espérer exister dans
un monde où nous pourrions agir selon notre seul bon plaisir et
rejeter tout ce qui ne nous convient pas. Nous n’avons pas créé ce qui
nous entoure. Nous n’avons pas choisi de naitre, et a fortiori de
vivre à telle époque, dans telle famille, dans telle contrée, dans tel
régime politique et culturel. Nous ne pouvons nous faire pousser des
ailes pour nous envoler. Nous ne choisissons pas toujours les
événements qui nous concernent personnellement et collectivement et
par rapport auxquels il nous faut réagir. Le respect des lois écrites
ou tacites est indispensable pour gérer les relations humaines,
empêcher les plus forts d’écraser les plus faibles et canaliser les
envies de vengeance susceptibles d’animer ces derniers. Comme
l’exprime le bon sens populaire : la liberté de chacun s’arrête là où
commence celle des autres. Pourtant nous avons une capacité de dire
oui ou non à ces réalités, de les accepter ou de les refuser, de les
développer ou de les combattre au gré des circonstances et de notre
volonté. En fait sinon en droit, nous pouvons même décider de mettre
un terme à notre propre existence si nous ne supportons pas tel ou tel
de ses conditionnements. Cette possibilité s’appelle le « libre
arbitre ». Il nous différencie fondamentalement de tous les autres
vivants sur terre. Il fait corps avec nous. Le fait de ne pas vouloir
choisir est encore un choix. Dès lors porter atteinte au libre
arbitre, l’empêcher de s’exprimer ou le contraindre à des options
contraires aux convictions personnelles et valeurs collectives
auxquelles nous adhérons constituent une véritable mutilation de
l’être humain. Serions-nous « condamnés à la liberté ? » pour
reprendre une formule de Jean-Paul Sartre ? Non dans la mesure où le
libre arbitre n’est pas la liberté à proprement parler mais la
condition indispensable de son exercice et de son développement.
Lorsqu’avec notre libre arbitre nous décidons une orientation de notre
vie ou une action précise à mener, il nous faut encore les mettre en
oeuvre. Tant qu’elles ne le sont pas nous restons dépendants des
circonstances du moment et d’un manque à combler. Par contre la
réalisation de nos projets nous donne la satisfaction de nous sentir
mieux dans notre peau, de vivre en plus grande harmonie avec ce qui
nous entoure, et donc le sentiment d’être plus libre qu’avant. Plus
précisément, entre un manque ressenti, la décision du libre arbitre de
le combler, le choix des moyens pour y parvenir et la satisfaction une
fois le but atteint, se déroule un processus qui a pour nom :
libération. Prenons comme exemple la décision de se marier. Elle
appelle en premier un recul nécessaire pour bien en mesurer les
tenants et aboutissants dans la vie de chacun et pour l’avenir du
couple. Une telle attitude permet de prendre un engagement mieux
éclairé, donc plus libre par rapport à un mariage arrangé par les
familles ou décidé sur un coup de tête irréfléchi. Une fois célébré,
il reste une vie à construire ensemble impliquant à la fois les
exigences propres à l’amour pour le maintenir en éveil et
l’approfondir, et les contraintes extérieures, familiales,
professionnelles, environnementales…à travers lesquelles le couple
affermira et affinera ses liens. Dans tout ce cheminement les
exigences et contraintes de toute sorte, positives et négatives,
auront permis aux intéressés de se construire ensemble, de donner du
sens à leur vie, d’exister d’une manière plus adulte car plus
responsable au sein de leurs familles et amis. En couple ils créent de
nouveaux liens avec leur environnement. L’expérience de la paternité
et de la maternité leur donne comme un surcroît d’être sans cesse
enrichi par l’amour de leurs enfants. Toute cette aventure permet à
ceux qui la vivent de grandir en liberté, processus jamais achevé dans
le monde qui est le nôtre. Si le libre arbitre est donné au départ. la
liberté s’acquiert en cours de route grâce à la volonté des
partenaires de faire face ensemble à tous les évènements heureux et
malheureux se présentant devant eux. Ce serait impossible si chacun
restait sur son quant à soi. Seuls le dialogue, le don de soi et le
pardon quand il s’impose permettent à l’amour de grandir et de faire
reculer encore davantage tous les obstacles intérieurs et extérieurs
qui freinent et parfois bloquent le mieux vivre. En fait il s’agit de
libérer la liberté tout au long de la vie conformément au OUI initial
lié au libre arbitre. L’exemple du mariage est transposable à tous les
secteurs de notre existence. Il y a des domaines où nous pouvons
choisir directement de nous impliquer. Il y en a d’autres qui
s’imposent à nous. Dans les deux cas notre oui ou notre non peuvent
entraîner une libération dans la mesure où ils ne seront pas une
fuite, voire une trahison, mais répondront à la volonté de construire
avec nos frères en humanité des liens plus solides et solidaires : «
Etre libre ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est
vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ».
(Nelson Mandela dans son livre : Un long chemin vers la liberté). Dans
certains cas tels ceux des malades mentaux et criminels dangereux , la
société se doit de limiter leur liberté au nom du bien commun. Comme
dans le fait de cacher parfois la vérité, la 4 décision de suspendre
la liberté d’une personne ou d’un groupe doit être animée non
seulement par la volonté de protéger leur entourage et la société mais
aussi par celle d’aider les personnes concernées à retrouver un chemin
d’humanité, donc de liberté, dans le temps de leur rétention. En
dehors de ces perspectives, toute atteinte à la liberté devient
intolérable. VERITE ET LIBERTE : A la lumière de ce qui précède nous
pouvons mesurer combien la vérité et la liberté forment un couple
indissociable. Comment pourrions-nous progresser dans la vérité sans
la liberté de choisir cette voie, et la volonté d’en écarter tous les
obstacles dont le principal est le mensonge délibéré au service
exclusif de notre ego ? Comment pourrions-nous grandir en liberté si
nous ne percevons pas le sens de notre vie et si nous n’avons pas le
recul nécessaire pour discerner ce qui est vrai, beau et bien pour
nous et pour notre environnement naturel et humain ? Dans les deux cas
il s’agit d’un processus en constante et mutuelle évolution et non une
possession à conquérir jusqu’à nous mettre à la place de Dieu.
N’est-ce pas la tentation qui nous habite depuis les origines
consignée dans les propos du serpent s’adressant à Eve : « Non vous ne
mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez vos yeux
s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de
ce qui est bon ou mauvais ? » (Genèse 3/3-5) La vérité et la liberté
ne sont pas données au départ de notre vie. L’enfant qui vient de
naître en est dépourvu. Tout au plus a-t-il en lui les capacités de
les faire siennes et de les développer. L’éducation bien conduite lui
permettra de grandir en elles et par elles jusqu’au jour où il prendra
davantage sa vie en main et poursuivra sa route vers toujours plus de
vérité et de liberté, du moins s’il choisit cette direction grâce à
son libre arbitre. Ce disant nous parlons de ces deux dimensions
constitutives de la vie humaine comme si elles étaient des réalités
objectives. En fait elles désignent les attitudes de chacun de nous et
des groupes auxquels nous appartenons dans leurs relations internes et
externes. en constante évolution. En ce sens elles relèvent de
l’expérience et non d’une définition préalable. Elles s’affirment et
se développent au sein des relations qui nous constituent comme êtres
humains au quadruple plan de la nature, des autres, de soi-même et de
la transcendance au sens large du terme. En examinant de plus près ces
divers liens par lesquels nous existons nous dégagerons plus
précisément le rapport unissant vérité et liberté. Nous comparerons
alors le résultat de cette réflexion avec la phrase du Christ : « La
vérité vous rendra libres » Nous avons la possibilité de détériorer la
nature comme de la développer dans le respect de ce qui la compose et
le souci du bien commun. Ce choix découle de notre libre arbitre
lequel pour s’exercer a besoin de connaître ce qui épanouit ou
détériore notre environnement et les répercussions qui en découlent
pour la vie humaine. Cette double attention fait appel à la vérité de
notre attitude envers la nature et nos frères humains. Si nous y
sommes indifférents, voire hostiles, les conséquences seront néfastes
pour tout et pour tous à commencer pour nous-mêmes. La liberté des uns
et des autres y perdra. Par contre assumer les exigences d’une
harmonie à édifier en permanence avec l’environnement naturel
permettra à chacun de vivre plus à l’aise au sein d’une solidarité
seule capable de nous libérer de certains méfaits de la nature et du
chacun pour soi préjudiciable à tous, spécialement en matière de
pollutions. Nous sommes des êtres sociaux par excellence. Nous
existons par la reconnaissance des uns et des autres culminant dans
l’amitié et l’amour en incluant tous les stades intermédiaires qui ont
pour noms : respect d’autrui, bienveillance, justice, paix sociale,
solidarité…La haine et l’indifférence nous détruisent assurément. Une
chaîne a la force de son maillon le plus faible. Il en va de même pour
l’humanité. Nous ne pouvons grandir qu’ensemble et en permettant aux
plus faibles d’entre nous d’être plus forts. Pour ce faire nous devons
déployer une attitude de vérité pour bien repérer ces données, et nous
engager en connaissance de cause à augmenter les possibilités qui en
nous et chez les autres sont susceptibles d’améliorer le vivre
ensemble. S’il en est ainsi nous serons plus libres vis à vis des
forces de mort qui restent tapies en nous et dans les rouages sociaux
telles la loi du plus fort, la priorité faite à l’argent,
l’exploitation de l’homme par l’homme en tout domaine. De nouveau la
volonté de se situer en vérité les uns vis à vis des autres, découlant
de notre libre arbitre, nous conduit sur les voies d’une plus grande
liberté. Nous entretenons avec nous-mêmes des relations s’exprimant
soit par des mots quand nous nous présentons à autrui, soit en
entretenant une conversation intérieure dans laquelle nous nous
apprécions ou déprécions, soit en développant des sentiments de
supériorité ou d’infériorité 5 qui nuisent dans les deux cas à nos
relations sociales. La devise de la pythie de Delphes reprise par
Socrate « Connais-toi toi-même » est un vaste programme qui se heurte
à bien des résistances. Il s’agit pourtant là d’une formidable source
de libération intérieure avec des conséquences sociales importantes.
La condition au départ repose dans la volonté d’être le plus vrai
possible envers notre personnalité et les éléments qui la
caractérisent. Il y a un amour de soi qui s’oppose en tout point à
l’égocentrisme, même si dans nos vie ces deux dimensions sont toujours
plus ou moins mêlées. Le repérer fait partie d’une libération de nos
illusions nous concernant et nous aide à mieux comprendre autrui.
L’homme est « un animal religieux » selon une expression attribuée à
Malraux. En préhistoire il se distingue des primates par le fait
d’enterrer ses morts et de disposer des objets autour du cadavre
impliquant la conviction d’une survie. Tout homme croit en quelque
chose à défaut de croire en Dieu. Les uns croient aux influences
cosmiques et énergétiques sur nos comportements. D’autres croient à
nos capacités d’améliorer notre monde par la science et la technique
ou en notre possibilité de transformer positivement la société par la
sagesse, l’altruisme…Les pessimistes et désabusés qui ne croient en
rien affirment encore une croyance ! Avec Dieu(x) ou sans Dieu(x),
tous les hommes ont une ouverture à la transcendance qui peut
sous-tendre bien des générosités…ou leur contraire ! Grâce à elle il y
a toujours un moment dans nos vies où nous nous dégageons du « comment
bien vivre ? » pour nous interroger sur « pourquoi vivre ? ». La quête
du sens réapparaît avec force dans une société éclatée, matérialiste,
sans repères stables. Cette quête s’identifie par sa nature à celle de
la vérité. Nous n’avons jamais fini de la poursuivre. Elle est
fondamentale pour l’équilibre et la dynamique de notre vie. Nous
pouvons emprunter des fausses pistes à ce sujet. Ceux qui cherchent la
vérité à travers les stupéfiants, l’alcool, le suicide, la drogue du
pouvoir, du sexe et de l’argent aboutissent au vide et à la mort pour
eux-mêmes et pour leur entourage. La quête de la vérité pour être
positive appelle des dispositions d’accueil, de disponibilité à la
remise en question, de dialogue avec ceux qui nous entourent,
c’est-à-dire tout le contraire du repli sur soi et de la peur
impliqués dans l’attitude précédente. Notre ouverture à la
transcendance est le seul chemin par lequel le Dieu révélé vient à
notre rencontre nous proposer son Amour et répondre ainsi à la
question du « pourquoi ». CONCLUSION :« LA VERITE VOUS RENDRA LIBRES »
Vérité et liberté vont de paire. La réflexion anthropologique qui
vient d’être exposée corrobore pleinement cette citation de l’Evangile
johannique.. La Révélation de Dieu s’inscrit dans notre condition
humaine et la respecte pleinement dans la logique de l’Incarnation du
Verbe. Il en résulte au moins deux conséquences. D’une part tout homme
qui s’ouvre à la question de la vérité au sein de sa propre culture,
de sa religion ou de son incroyance religieuse, croisera
nécessairement tôt ou tard y compris dans la vie à venir, le Christ
qui s’est présenté comme étant « le Chemin, la Vérité et la Vie »
(Jean 14/6). C’est pourquoi la pré-évangélisation doit favoriser les
facteurs qui nous permettent de nous situer en vérité dans nos
diverses relations. Grâce à cela nous devenons disponibles à la
présence et aux appels de Dieu au sein de toutes les circonstances de
la vie. D’autre part la vérité vue comme une attitude en mouvement
constant tout au long de notre existence ne peut être enfermée dans un
dogme, un rituel, une morale. Ces derniers en sont des manifestations
indispensables mais qui n’en épuisent jamais toute la richesse
conformément au sens du mot « mystère » en langage chrétien. Gabriel
Marcel, philosophe personnaliste, disait : « Un problème je le
comprends, un mystère il me comprend » Si la vérité pouvait se
concentrer tout entière dans une formule, un rite, un comportement,
elle nous serait totalement extérieure et nous n’aurions qu’à nous y
soumettre. Aucune perspective de liberté n’aurait de place en ce cas.
Pour les chrétiens la Vérité n’est pas un idéal éthique, scientifique
ou philosophique. Elle est d’abord une Personne qui a pour nom :
Jésus-Christ. En Lui « Dieu resplendit » pour reprendre une expression
du théologien Urs Von Balthasar. Si nous voulons répondre à la
question : qui est Dieu ? contemplons Jésus-Christ, méditons ses faits
et gestes. Nous découvrirons en Lui le visage communautaire et aimant
de Dieu qui se situe aux antipodes de nos représentations spontanément
déistes et souvent idolâtriques. En même temps cette manifestation de
Dieu dépassera toujours nos perceptions aussi justes soient-elles. Il
est aussi Vérité dans la mesure où il nous montre qui nous sommes :
ses amis, appelés à vivre avec Lui et entre nous un amour qui découle
et s’inspire du sien à notre égard, amour qui est force de
résurrection dans notre temps terrestre et au-delà. 6 En Jésus-Christ
Amour et Vérité se confondent. Nous l’avions déjà pressenti dans notre
réflexion anthropologique puisque la vérité s’inscrit dans nos
relations avec la nature, les autres, soi-même, la transcendance, et
non comme un monde en-soi qu’il nous faudrait posséder pour nous
accomplir. Avec le Christ nous empruntons un autre chemin fondé sur
l’accueil d’un amour qui nous fait vivre et qui nous permet d’exister
les uns par les autres dans le don de soi le plus total et dans le
pardon sans retour le cas échéant. Avec Lui nous apprenons à nous
libérer de nos ignorances quant à l’origine et à la finalité de notre
existence. Par Lui et avec la lumière de l’Esprit Saint nous apprenons
à discerner chaque jour sa présence et ses appels en vue de construire
dès ici-bas le « royaume des cieux » à l’encontre de toutes les forces
du mal qui s’y opposent. En Lui, Verbe Incarné, nous pouvons
contempler dans tout ce qui compose notre univers, des profondeurs de
l’atome à la sainteté, l’actuelle gestation de la terre et des cieux
nouveaux dont parle St Jean dans son Apocalypse. Quelle extraordinaire
libération se trouve ainsi engagée ! La réflexion anthropologique qui
constituait l’essentiel de cette conférence montre la profonde
corrélation existant entre l’homme livré à sa propre quête d’amour, de
vérité de liberté, et l’apport de la Révélation en ces domaines. Cette
dernière toutefois déploie un surcroît de sens et une dynamique
inconnus de la première en y introduisant la dimension de la
Résurrection se définissant à la suite du Christ comme la victoire
définitive des forces de l’Amour sur celles du mal, de la finitude et
de la mort .Loin de nous éloigner de nos réalités humaines elle les
ressaisit de l’intérieur pour les porter jusqu’au coeur de Dieu là où
nous trouverons la réalisation plénière et éternelle de toutes nos
aspirations humaines les plus authentiques. « …Tu nous as fait pour
Toi et notre coeur est sans repos jusqu’à temps qu’il repose en toi !
» (Saint Augustin 1ére page du 1er livre des Confessions.)