Selon une étude publiée dimanche 26 février dans la
revue scientifique Nature Medicine et reprise dans le New York Times,
des chercheurs américains auraient réussi à extraire des cellules
souches d'ovaires humains et à leur faire produire des ovules.
Depuis soixante ans, il est communément admis que
toute femme naît avec environ un million de follicules primordiaux,
les cavités dans lesquelles se développeront un ou deux ovules (ou
ovocytes). Mais à la puberté, seulement 30 000 de ces follicules se
développent dans les ovaires de la femme. De plus, on considère que
tout au long d'une vie, seuls 400 ovocytes connaîtront une évolution
complète au sein de ces follicules, chez une femme ne prenant pas la
pilule et n'ayant pas de grossesse. Chaque femme disposerait donc
d'une réserve fixe et non renouvelable d'ovules, qui s'amenuiserait
avec l'âge, jusqu'à son épuisement définitif, à la ménopause.
L'étude menée par le docteur Jonathan Tilly et son
équipe du Massachusetts General Hospital vient ébranler ce dogme.
C'est la première fois que des chercheurs réussissent à démontrer la
présence de cellules souches (des cellules capables de se reproduire
longtemps à l'identique, et présentes dans tous les organes) dans les
ovaires, à les isoler et à les mettre en culture pour produire de
nouveaux ovocytes. Un véritable espoir pour les femmes concernées par
l'infertilité ou qui auraient subi de lourds traitements ayant abîmé
leurs ovaires.
Le responsable de l'étude, Jonathan L. Tilly, et son
équipe avaient suscité la controverse en 2004 lorsqu'ils avaient émis
pour la première fois l'hypothèse de l'existence chez les souris
femelles de cellules souches se transformant en ovules, car leur
hypothèse remettait en question la notion de réserve non renouvelable
d'ovules que possède une femme à sa naissance pour expliquer la durée
limitée de sa fertilité.
Mais, en 2009, un groupe de scientifiques chinois de
l'université Jiao Tong, de Shanghaï, affirmait à son tour avoir trouvé
ces cellules souches productrices d'ovules (CSPO) dans les ovaires de
souris adultes. Dans la revue Nature Cell Biology, les chercheurs
chinois expliquaient comment ils les avaient isolées, cultivées in
vitro et fait proliférer avant de les réintroduire dans les ovaires de
souris... où elles s'étaient transformées en ovocytes matures avant de
libérer des ovules. Ces ovules ont ensuite été fécondés en présence de
sperme et ont donné des embryons qui se sont développés normalement
jusqu'à terme.
DES SOURIS ET DES FEMMES
Jonathan L. Tilly et ses collègues se sont inspirés
de cette méthode pour dépister et isoler ces fameuses CSPO dans des
ovaires humains. Dans un premier temps, ils ont éprouvé chez les
souris leur nouveau protocole. Puis pour réaliser leur projet, les
chercheurs états-uniens ont eu accès aux ovaires de six femmes âgées
de 22 à 33 ans qui subissaient une intervention chirurgicale dans le
but de changer de sexe. De ces ovaires, les chercheurs ont pu extraire
ce qu'ils croyaient être des CSPO en raison de leur grande similarité
avec les CSPO présentes dans les ovaires de souris femelles.
Après avoir modifié génétiquement les CSPO humaines,
les scientifiques les ont réinsérées dans un échantillon de tissu
ovarien humain qu'ils ont greffé sous la peau d'une souris. Une à deux
semaines plus tard, les chercheurs ont observé la présence de
follicules humains contenant des ovocytes. Pour des raisons éthiques
et légales, l'équipe américaine n'a toutefois pas pu évaluer
expérimentalement le potentiel de ces ovules, comme ils avaient pu le
faire chez la souris.
COURSE CONTRE LE TEMPS
Pour le biologiste Bernard Jégou, il s'agit d'une
véritable "course contre le temps", car l'équipe du docteur Tilly
aurait réussi à démontrer qu'il était possible de prolonger la vie
reproductive. On pourrait donc imaginer qu'une femme s'apprêtant à
subir une chimiothérapie dégradante pour ses ovules décide de
cryogéniser un morceau de ses ovaires, et de se le réimplanter une
fois le traitement fini. "Mais alors, y a-t-il un risque de cancériser
les ovaires ? Y aura-t-il assez de cellules de départ pour réussir à
fabriquer des ovaires actifs ?", s'interroge-t-il. Des questions qui
restent pour l'instant sans réponse. Au-delà des problèmes techniques,
se posent aussi de nombreuses questions éthiques. Le biologiste évoque
la possibilité d'un futur où l'on pourrait faire des prélèvements
d'ovules post-mortem, des greffes d'ovaires d'une femme à une autre,
ou encore créer des "ovaires-porteuses" pour d'autres femmes.
"Aux États-Unis, il est illégal d'essayer de
féconder des ovules humains à des fins expérimentales", rappelle
Jonathan L. Tilly. Le chercheur a cependant annoncé qu'il projette de
s'associer à une chercheuse de l'université d'Edimbourg, au
Royaume-Uni, où les chercheurs seront autorisés à induire la
fécondation de CSPO et à voir si des embryons normaux se développent.
La capacité à isoler des cellules souches dont les œufs pourraient
être cultivés aiderait non seulement à lutter contre l'infertilité
mais aiderait également les biologistes à comprendre comment les
drogues et les aliments affectent les ovules.