Pascal lu par l’abbé de Tanoüarn
Quand, dans son dernier livre, l’abbé de Tanoüarn dresse un
parallèle entre Socrate et Pascal, on ne peut s’empêcher de
considérer qu’il dresse aussi, un peu, son autoportrait :
« Même préférence affirmée pour l’ignorance face à tous les
non-savoirs. Même goût immodéré pour la vérité, véritable objet de
désir dans un cas comme dans l’autre. Même pratique du dialogue.
Même piété éclairée, et même mépris pour la pseudo-piété ou le
conformisme des gens du monde ou des gens en place […] ce qu’ils
cherchent tous deux, c’est l’immortalité. “Il importe à toute vie de
savoir si l’âme est mortelle ou immortelle”. L’un face aux
sophistes, l’autre face aux libertins, ils ont voulu préserver les
chances de l’aventure humaine, ils ont cherché à atteindre “ce qui
vaut le mieux”, comme dit Socrate à la fin du Gorgias de
Platon, dans une sublime aporie qui préfigure en quelque sorte le
fameux Pari. »
Dans son Pascal, l’abbé de Tanoüarn ne s’attarde pas à
restituer une biographie complète du philosophe ni l’historique de
ses liens avec les jansénistes. Il veut aller au cœur de la
réflexion de Pascal, exprimée notamment à travers les Pensées
qui sont, rappelons-le, non pas le choix d’une pensée fragmentée
(comme un recueil de maximes), mais ce qui reste d’un livre
inachevé.
Il y a chez Pascal – et plus particulièrement dans le célèbre
« Pari » – « de nouvelles possibilités de la raison, une nouvelle
intelligence de l’existence ». Loin d’être un fidéisme, la pensée de
Pascal est aussi à l’opposé de « la réduction de la raison à la
science ». C’est « raisonnablement qu’il [Pascal] parvient à la
foi ».
Face à Descartes et à la naissance du rationalisme occidental
(qui culminera, après Pascal, dans le panlogisme de Spinoza où Dieu,
la nature et la Raison sont équivalents), l’auteur des Pensées
laisse toute sa place à la contingence, à l’ignorance et à
l’incertitude. Mais il n’aboutit pas au scepticisme parce qu’il
n’enferme pas l’homme en lui-même. L’homme, dit Pascal, « est
inconcevable à lui-même sans le secours de la foi ».
Moderne et antimoderne
A la fois progressiste et non illusionné par le progrès, Pascal
« voit le progrès comme le moteur de notre propre vie spirituelle et
la métamorphose ou la conversion comme le feu brûlant au cœur de
notre vie » et « il est impressionné par la labilité de l’homme et
donc par son aptitude à se perfectionner sans cesse », mais « il
n’idéalise pas le progrès pour autant, il en saisit même d’emblée
l’ambivalence, comme le montre un autre fragment des Pensées :
“Tout ce qui se perfectionne par progrès périt aussi par progrès.
Tout ce qui a été faible ne peut jamais être absolument fort” »
(p. 15).
Un chapitre est consacré au péché originel dans la pensée de
Pascal. Pour Pascal, le péché originel n’est pas un postulat
métaphysique, mais peut s’établir par une « observation » attentive
de la nature de l’homme. « Se servir de l’observation du Péché
originel pour prouver Dieu, telle est la démarche profonde de Pascal
dans son Apologie » écrit l’abbé de Tanoüarn, qui ajoute plus loin :
« La question pascalienne me semble être la possibilité de cette
phénoménologie du péché et de la grâce, hors de laquelle la foi,
acte évident, choix essentiel entre deux vies, deviendrait
l’adhésion à une pure construction mentale et à des concepts dont on
n’aurait jamais aucune expérience et qui deviendraient totalement
évanescents »
Si l’œuvre de Pascal n’a cessé d’interpeller à travers les
siècles – et même si « l’expression naturellement fragmentaire de sa
pensée a permis des raccourcis qui ressemblent à des confiscations »
(p. 7) –, c’est que ce moderne fut en même temps un critique de la
modernité, « capable de déployer une autre modernité avant la
modernité, une modernité critique avant la modernité dogmatique, une
modernité sceptique avant la modernité rationaliste, et cela en se
servant de la culture du XVIe siècle et en érigeant Montaigne en
père spirituel face à Epictète et face à tous les dogmatismes qui
naîtront du culte de la raison » (p. 251).
• Guillaume de Tanoüarn, Parier avec Pascal, Cerf, 314
pages.
YVES CHIRON